LE VIEUX DE LA MONTAGNE par Les Antliaclastes écriture, mise en scène, scénographie, marionnettes Patrick Sims 27, rue des Faucheroux 03100 Montluçon / tél. 04 70 03 86 18 / e-mail : contact@cdnlefracas.com
LE VIEUX DE LA MONTAGNE THE OLD MAN OF THE MOUNTAIN Écriture, mise en scène, scénographie, marionnettes Patrick Sims / avec Patrick Sims, Josephine Biereye, Zana Goodall et Richard Penny / masques, accessoires, costumes, marionnettes Josephine Biereye, Zana Goodall / musique Ata Ebtekar / éléments sonores et musicaux Ergo Phizmiz, Oriol Viladomiu, Patrick Sims / construction du flipper, lumière à la création Erik Zollikofer / création vidéo et mapping Ilan Katin, Raúl Berrueco / constructions Richard Penny, Nicolas Hubert / machines électromécaniques et musicales Oriol Viladomiu / création et réalisation du costume Ah! Pook Laure Guilhot / élaboration et conception du réseau flipper/son/vidéo Alex Posada / contribution aux recherches Michael Lew, Philippe Hauer, Sophie Barraud / production Compagnie les Antliaclastes, Théâtre Vidy-Lausanne, Equinoxe - scène nationale de Châteauroux, Le Fracas -Centre Dramatique National de Montluçon, La Comédie - scène nationale de Clermont-Ferrand. Avec le soutien de la DRAC Auvergne, du Centre National du Théâtre (Prix de la dramaturgie plurielle), du Centre National du Cinéma-DICREAM, de l ADAMI, de la Région Auvergne, du Département de l Allier / photographies Mario Del Curto mardi 4, jeudi 6 décembre à 20h30 et mercredi 5 décembre à 19h30 au Fracas «Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d une aiguille que pour un riche d entrer au royaume des cieux.»
Patrick Sims définit son spectacle comme une allusion aux tableaux de Bruegel ou de Jerôme Bosch, pétris de références et de métaphores qui évoquent une reconstitution de notre société. Le spectacle le fait à travers le conte perse de la forteresse d Alamut (le grand Hassan Sabbah, fondateur de la secte des Assassins) et à travers les apports de William Burroughs. Burroughs, auteur phare de la beat generation aux États-Unis, a écrit sur la manipulation et les enjeux du pouvoir, en évoquant lui aussi Hassan Sabbah. Les thématiques principales de cette pièce sont la prohibition, le paradis artificiel, un éternel va-et-vient entre la permission et l interdiction. L univers visuel et sonore fait référence à la culture américaine du XX ème siècle. HASSAN SABBAH DIT LE VIEUX DE LA MONTAGNE - UNE LÉGENDE PASSÉE AUX FILTRES DE DIFFÉRENTS RÉCITS DE MARCO POLO À ALFRED JARRY La première piste de travail qui se présente à nous est la construction d un mythe. Comment peut-il être constitué par différentes lectures, interprétations et fantasmes? Ces légendes nous renseignent plus sur le comportement des auteurs que sur le personnage historique en lui-même. Partant de là, il s agit pour nous d examiner les processus de création d un spectacle de marionnettes. Il se présente lui-même comme un récit mythique ancré à la fois dans le présent mais aussi volontairement hors du temps. Un occidental raconte l histoire d un oriental. Cela provoque une rencontre des cultures et sans aucun doute une énorme incompréhension. En outre, il s agit d un temps - le XIIIème siècle - où la civilisation islamique était très épanouie d un point de vue culturel et scientifique. La civilisation Occidentale de Marco Polo était en état d ignorance comparée à celle, très avancée, où vivait Hassan Sabbah. C est cette ignorance qui rend le récit de Marco Polo si fascinant. Voyageant dans cette autre partie du monde, il n a aucune idée des systèmes de pensées, des avancées technologiques ou mathématiques qu il va rencontrer. Et il ne possède sans doute pas encore les concepts nécessaires pour les comprendre. La question de la connaissance, de l ignorance, du renversement des valeurs est au cœur du projet. La pataphysique de Jarry, loin d être une simple élucubration de potache, se voulait «la science des sciences». Non pas en ce qu elle les regroupait toutes, mais en ce qu elle s intéressait aux particularités de chacune. La pataphysique est la physique du cas particulier. Elle pose le principe de la marge d erreur de toute loi physique. La science est donc au cœur des créations de Jarry. La vision parcellaire du monde ouvre la porte aux monstres de l esprit, échappés des peurs et des fantasmes. L esprit recompose ce qu il croit être le réel à travers quelques détails. Il y a un pouvoir immense de création dans cette «conscience en sommeil» qu est celle de l ignorant. Ce pouvoir libère une énergie imaginative et terrorisée. Ainsi, la science et l ignorance sont des pistes de travail que la Compagnie désire aborder dans ses recherches. Dans le cadre de nos recherches autour de la science, nous voulions pouvoir développer différentes formes de conscience afin de pouvoir confronter sur la scène à la fois des marionnettes robotisées, des comédiens masqués, des personnages strictement robotiques dont nous voulions tester le comportement. C est le statut même du spectacle de marionnettes qui nous semble ici en jeu, la confrontation des réels, des formes du vrai, de l illusion, du possible et de l impossible.
TEXTE EXTRAIT DE AH! POOK IS HERE de William Burroughs Hiroshima, 1945, le 6 août, 8 heures et seize minutes. Qui a donné l ordre en réalité? Réponse : le Contrôle. Réponse : le Vilain Américain. Réponse : l outil du Contrôle. Question : si le contrôle du Contrôle est absolu, pourquoi le Contrôle a-t-il besoin de contrôler? Réponse : le Contrôle... a besoin de temps. Question : est-ce que le Contrôle est contrôlé par son besoin de contrôler? Réponse : Oui. Pourquoi le Contrôle a-t-il besoin d humains, comme vous les appelez? Réponse : Attendez... attendez! Le temps, la piste d atterrissage. La Mort a besoin de temps tout comme le camé a besoin de came. Et pourquoi la Mort a-t-elle besoin de temps? Réponse : la réponse est te-e-e-ellement simple. La Mort a besoin de temps pour faire grandir ceux qu elle tue, au nom de Ah Pook. La Mort a besoin de temps pour faire grandir ceux qu elle tue, au nom du sacré Ah Pook, je te le dis, stupide cupide vulgaire disgracieux suceur de mort américain... Ainsi.
ENTRETIEN AVEC PATRICK SIMS Alfred Jarry est un auteur important pour vous. Comment vous inspire-t-il? C est la découverte de Jarry qui m a poussé vers la marionnette. Je considère la pataphysique comme une blague sérieuse, suffisamment sérieuse que j ai donné cinq ans de ma vie pour l étudier. Pour lui, les potentiels d un objet sont déjà contenus dans sa forme, dans ses caractéristiques. Une métaphore est donc une extension de la matière, d une pensée ou d une autre métaphore. Ce qui me plaît dans la pensée de Jarry, c est sa vision de la vie comme un processus, un laboratoire où tout est possible, où les échecs sont aussi importants que les réussites. Vos spectacles nous invitent à entrer dans un univers étrange, proche du théâtre du merveilleux du XIX ème siècle. Généralement, il n y a pas de texte ni de structure narrative classique. On peut même y voir une forme d ésotérisme. Pourquoi cette forme d écriture? Je ne cherche jamais à être obscur, c est simplement ma façon de créer. L alchimie m intéresse et m inspire beaucoup, mais je ne cherche pas à être ésotérique. Dans mes spectacles, il y a aussi des références à la bande dessinée, aux romans, au cinéma, au cinéma d animation, à la culture populaire. Les spectateurs vont les percevoir ou non, ce n est pas important. Ce qui est intéressant, c est de les laisser cachés, car cela raconte davantage. Le spectacle est construit sur le lien entre des éléments très disparates ces liens ne sont pas toujours visibles, non plus. Je cherche surtout à ce que la pièce reste toujours vivante et originale, avec des surprises, des juxtapositions radicales, des contrastes violents ; quitte à inverser toutes les règles à la scène suivante. Le spectacle est inspiré d une pièce de Jarry, qui raconte la légende d Hassan Sabbah, fondateur de la secte des Assassins, en Perse au XI ème siècle. Qu est-ce qui vous a attiré dans ce récit? D après le mythe, Hassan Sabbah a entraîné ses soldats dans le jardin des délices, en les entourant de jeunes vierges, de drogues, de fleurs, de musiques, de danses, avant de les envoyer faire la guerre. C est un marionnettiste extraordinaire. C est donc l histoire d une manipulation des objets et d une manipulation des gens, et finalement d une révolte, la révolte des marionnettes. Dans le spectacle, il n y aura pas de texte. Il y aura une deuxième histoire, qui se passera aux États-Unis, au XIX ème siècle, avec des personnages de cow-boys et de hobos. La véritable histoire est entre ces deux récits. Certains verront sans doute une analogie entre le spectacle et l actualité politique, mais ce n est pas un spectacle qui parle seulement de politique et de religion. C est un spectacle sur différents sujets. Cela parle de l illusion, du contrôle, de la révolte. Cela parle aussi d amour, du manque d amour. Tout le plateau est occupé par un immense flipper. Quel rôle a joué cette machine et les autres éléments technologiques dans l écriture du spectacle? Dans tous mes derniers spectacles, la structure est basée sur une machine. Elle sert de modèle et m aide à construire les lois de l univers du spectacle, à lui donner forme. Je choisis une machine qui est proche métaphysiquement de mon idée de départ. Pour «Hilum», c était la machine à laver. Dans «Le Vieux de la montagne», c est un flipper géant, comme dans les salles de jeux à l ancienne. Ce flipper électromécanique sert à représenter ce qui contrôle nos désirs. Je veux montrer les mécanismes. Le spectacle du mécanisme n explique pas comment ça marche, ce qui le rend encore plus mystérieux et ce qui en fait un objet magique. Dans ce spectacle qui raconte la défaillance d un système de contrôle, toute la haute technologie défaille, comme si elle était infestée par un virus. Sur scène, il y a donc un mélange entre quelques dispositifs de nouvelles technologies, cachés, et des techniques anciennes d illusionniste et de magicien. À travers vos spectacles, que désirez-vous faire passer au public? L essentiel, c est le plaisir, la magie. Quand des spectateurs disent je n ai jamais vu un truc pareil ou ça me fait penser à mon enfance, cela me plaît. Même si ce n est pas du divertissement où l on rit tout le temps, mes spectacles veulent rendre les gens heureux de vivre, les réveiller, les faire vibrer et faire travailler leur tête. Provoquer un petit déclic. Oui, tout ce travail, seulement pour une petite étincelle... Propos recueillis par Naly Gérard en mars 2012, à Châteauroux.
PATRICK SIMS ET LES ANTLIACLASTES Patrick Sims est né en 1975, dans le Vermont, USA. Il pratique l art de la marionnette depuis 1994. Cette passion est née pendant ses études de cinéma et d animation à Middlebury College, USA. Il travaille ensuite avec le Bread and Puppet Theater, étudie le théâtre d ombres à Java et commence son doctorat au Trinity College de Dublin. Le sujet de sa thèse est : «La pataphysique de la marionnette, Alfred Jarry et l interprète inhumain». Pendant 5 ans, il est directeur artistique, auteur, constructeur de marionnettes, marionnettiste pour la compagie Buchingers Boot Marionnettes dont il était co-fondateur et circule entre Barcelone et Marseille. En 2010, il fonde avec Josephine Biereye, la compagnie Les Antliaclastes installée à Maillet. La compagnie réunit des artistes et des techniciens de tous horizons (USA, France, Irlande, Catalogne, Allemagne). Sous la conduite artistique de Patrick Sims, Les Antliaclastes utilisent un mélange unique de techniques et styles de marionnettes, masques, machines et de bandes-son originales et très «organiques». Les spectacles essentiellement muets avancent aux rythmes des surprises incessantes et d images contrastées. Première création de la compagnie : «Hilum» en 2010, spectacle qui ne cesse de tourner depuis (Angleterre, France, Suisse, Allemagne entre autres). «Le Vieux de la montagne»/«the Old Man of the Mountain» est un projet que Patrick Sims porte depuis 2008 et dont il a rédigé les prémices pendant deux résidences à La Chartreuse, Centre national des écritures du spectacle, Villeneuve lez Avignon. Pour ce projet, il obtient en 2011 le Prix de la dramaturgie plurielle attribué par le Centre national du théâtre. Il conçoit toujours ses spectacles en totalité, écriture, mise en scène, scénographie, il dessine et réalise les marionnettes qu il manipule par la suite dans ses créations. Historique du projet Avec cette pièce, Patrick Sims poursuit le travail de création entamé avec la compagnie Buchinger s Boot Marionnettes dans le cycle «Shellachrymellaecum» engagé en 2004. Il poursuit maintenant avec sa compagnie ANTLIACLASTES. Le premier volet, «Les Plis Vestibulaires», fonctionnait sur une explosion d images, plus ou moins monstrueuses ou comiques. Cette multiplication est un véritable paradigme de la création, où le créateur, Patrick Sims, expulse littéralement un certain nombre d images qui l habitent. Le foisonnement de la scène rend compte du foisonnement de la création. L esprit du créateur, aussitôt «délivré», se remplit instantanément de nouveaux démons. Le second volet, «L Armature de l Absolu» interroge l œuvre, la renommée et le mythe d Alfred Jarry. Patrick Sims met en scène les principes et la critique de la pataphysique. Il examine tout particulièrement les différentes connexions entre le vivant et l irréel, entre la partie et le tout, entre l embryonnaire et le complexe. Le premier tableau permet de comprendre le processus de création : le point infime du sabot d un cheval posé sur la terre (l embryonnaire), s élevant vers la complexité de la structure du vivant (représenté ici par la jambe). Ce menuet chevalin et comique, mêle la beauté et le trivial (le cheval défèque lorsqu il fait ses pointes). Cette scène se termine par la séparation des jambes, comme la division d un noyau, donnant naissance à deux petites jambes de cheval, comme une sorte de clone clownesque. Chaque image et chaque geste va fonctionner sur ce cycle : la vie, la mort, la renaissance, incessant clonage de formes et d idées. Cette forme est aussi celle de la structure narrative, l histoire de la longue mort d Alfred Jarry, dévoré, ingurgité par son oeuvre, renaissant comme l hydre ou le serpent. Hommage rendu à Jarry et à la construction «métamythique» des œuvres, Patrick Sims poursuit son travail de concentration des images et d écriture dramatique en examinant cette fois la légende d Hassan Sabbah, fondateur, au XIème siècle, de la secte des Assassins.