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Transcription:

pour un mode de distribution vraiment alternatif Un état des lieux Disséminer la musique, voilà qui constitue un but que la plupart des artistes poursuive. On trouvera des artistes qui ne divulgue rien à proprement parler -et je ne doute pas que des chansons résonnent contre les murs de garages ou dans la chambre à coucher que personne, mis à part leur auteur, n'entendra jamais. Mais il est patent que de nombreux artistes souhaitent que leur musique soit écoutée, que de nombreux auditeurs puissent éventuellement en jouir. Toute divulgation d'une oeuvre constitue déjà certes une forme de dissémination. Et la musique, mieux que tout autre forme d'art sans doute, se prête à cette dissémination. Aujourd'hui mieux qu' hier les techniques d'enregistrement et de diffusion sont désormais accessibles (du moins dans les pays riches) au plus grand nombre et à moindre frais. A vrai dire, il devient plus facile de faciliter la diffusion de la musique que de l'en empêcher. D'où deux conséquences majeures : l'éclosion, apparemment soudaine, d'une multitude d'oeuvres et d'artistes, et la fin d'une certaine rareté de l'offre musicale. La réalité de la création musicale contemporaine doit d'abord être pensée en termes de floraison inouïe. Du coup s'écroulent certaines vérités autrefois admises : l'idée notamment que nul talent ne saurait échapper au marché du disque, que ce même marché constituerait en quelque sorte l'élément naturel de la dissémination de la musique, que seuls les professionnels de l'art mériteraient le titre d'artistes. Celui qui s'accroche à ces propositions est aveugle et sourd. Le système de la musique en vigueur depuis le milieu des années 80, constitué dans la forme que nous lui connaissons aujourd'hui sous l'impulsion de l'établissement des majors et d'une véritable industrie du disque, ce système tend à se maintenir et à se perpétuer en dépit des signes qui

préfigurent sa fin prochaine. Sa propagande s'appuie là où elle peut : l'industrie se dit nécessaire, et à l'en croire, sans elle, ce serait la fin de toute création musicale ; elle parle au nom des artistes, dont elle est censée assurer la survie, mais ne défend en réalité qu'elle-même et ceux qui parmi les artistes lui assurent des revenus substantiels ; elle prétend défendre ses droits d'auteur, quand en vérité elle défend surtout ses propres droits, dits joliment «voisins» ; elle s'adresse aux auditeurs, mais en réalité elle se préoccupe surtout de leur porte monnaie. L'industrie du disque n'a plus le monopole de la diffusion de la musique. C'est un fait. C'est dommage pour les actionnaires des majors, c'est dommage pour les disquaires, les fabriquants de disque, c'est dommage pour tous ceux qui d'une manière ou d'une autre vivaient aux crochets de l'ancien système. Les temps changent, voilà tout. Parce que la musique se dissémine autrement. Autrement que par le biais des disques vendus dans les magasins. La multitude d'artistes qui divulguent leur musique n'auraient de toutes façons pas leur place chez les disquaires : le ticket d'entrée est beaucoup trop élevé, et le marché, tel qu'il est conçu, ne saurait accueillir cette multitude il n'est pas fait pour ça, il est fait pour maintenir l'illusion que la bonne musique est un produit rare. Or, il n'y rien de tel que de la bonne ou de la mauvaise musique. Il y a des disques qui se vendent et d'autres qui ne se vendent pas, mais cela n'a pas grand chose à voir avec la musique. Le marché a tout intérêt à faire accroire cette idée qu'il est le meilleur juge en matière de goût musicaux, qu'on peut s'en remettre à son expertise, que le reste ce qui n'a pas sa place en magasin c'est le fait de «musiciens du dimanche», comme disait l'autre. Il a tout intérêt à ce que l'auditeur se sente avant tout comme un consommateur qu'il consomme donc, et qu'il applaudisse, ou bien qu'il se taise. Il a tout intérêt à maintenir l'auditeur à distance. A distance respectueuse : il ne faudrait pas déranger l'artiste et l'industrie dans leurs occupations. Les musiciens du dimanche lesquels constituent une majorité écrasante dans le monde des créateurs de musique et les auditeurs ont tout intérêt, eux, à se détourner de l'ancien système, et à instaurer de nouveaux types de relations et de nouvelles manières de disséminer la musique : c'est d'ailleurs ce qu'ils font, déjà.

disséminer autrement L'ancien système est fondé sur un mode de diffusion de la musique hiérarchisé et professionnalisé. Entre l'artiste et le disquaire s'établissent une série d'intermédiaires, et chacun réclame son dû, ce qu'on justifie en soulignant qu'on accompagne l'oeuvre dans sa pérégrination vers le disquaire et qu'on contribue ainsi à sa popularité. Dans cette série s'instaure toute la distance qui sépare l'auditeur de l'artiste. Le moins qu'on puisse dire est que cette distance a un coût, et que ce coût est elevé. L'autre système, celui qui s'invente jour après jour actuellement, se fonde sur une relation directe entre l'artiste et l'auditeur. Au coeur de leur relation, il y a la musique, et il n'y a plus que la musique. La hiérarchie des intermédiaires a disparu. A la place ont poussé comme des champignons, de manière spontanée, des milliers de micro-structures, souvent tenues par les artistes eux-mêmes, et toujours par des mélomanes et des passionnés, dont l'objectif est de disséminer la musique de la manière la plus directe possible. Certains fabriquent et vendent encore des disques, à des prix bien moins élevés que ceux pratiqués par l'industrie, mais se passent des magasins des disques et des circuits de distribution en vigueur dans l'ancien système. Ces objets s'échangent pour ainsi dire de main à main, ou presque, et bien souvent il n'y a même plus d'objets oublie-t-on que la musique existe avant le support qui accueille son enregistrement et même avant tout enregistrement? Ce qui existe déjà, c'est un monde où l'auditeur non plus le consommateur, mais le mélomane - prend lui même en charge la dissémination des musiques qu'il aime. Avec le succès grandissant des licences dites «libres» - lesquelles «libèrent» au moins l'oeuvre de certaines restrictions fixées a priori par le droit d'auteur -, cette dissémination devient licite. Non seulement licite mais encouragée : car l'artiste, en se détournant des moyens de diffusion proposés par le marché, se repose entièrement sur la bonne volonté des mélomanes. Autrement dit, dans ce nouveau système, le mélomane est invité à prendre la place des experts, et à assumer son propre jugement, sa subjectivité, ses choix, quand autrefois on prétendait penser et discourir en son nom. Le mélomane devient aussi, très concrètement, le distributeur : car il peut, et à vrai dire il doit, s'il aime vraiment la musique, la disséminer à son tour par tous les moyens en son pouvoir l'artiste l'encourage à copier, reproduire, diffuser, partager, à prendre la relève, en quelque sorte, du marché auquel on renonce. C'est un système où l'argent n'a plus cours, ou si peu. Ou personne ne tire des revenus substantiels de son activité, ni l'artiste ni le mélomane. Cet aspect fait ricaner l'industrie comme si nulle création n'était possible en l'absence d'une transaction commerciale : c'est là en vérité faire injure à bien des artistes, et pas seulement des musiciens, lesquels n'ont eu besoin ni des institutions ni d'une industrie pour créer. En vérité, ce sont surtout les intermédiaires qui tremblent : et ces ricanements sont une piètre défense

pour dissimuler leur légitime angoisse car le nouveau système se passe tout à fait bien de leurs services coûteux. Et c'est pour leurs propres revenus qu'ils s'inquiètent, pas pour ceux des artistes. Les premiers effets des stratégies de défense de l'industrie contre la perte de son monopole se font déjà sentir. Plus les procès contre le piratage se multiplient, plus les téléchargements des musiques sous licence libre augmentent. Plus les majors s'arcboutent à leurs positions, plus elles s'évertuent à restreindre l'accès aux oeuvres qu'elles sont censées diffuser, plus elles empêchent et menacent, plus l'auditeur se responsabilise et s'assume comme étant l'allié de l'artiste, et non plus son admirateur béat. Respecter l'artiste! Voilà une formule bien ambiguë dans la bouche des majors! On voudrait que le respect de l'artiste se traduise uniquement par un paiement en monnaie sonnante et trébuchante. Paye pour jouir mon brave et contente toi de cela. Donnons je vous prie à cette formule assez niaise un sens tout différent : disséminer la musique, voilà ce que j'appelle «respecter l'artiste». Faciliter et accompagner son cheminement vers d'autres mélomanes, parler de sa musique, discuter avec lui, organiser des concerts, monter un webzine, un micro-label, une plate-forme de téléchargement, c'est bien là faire la preuve qu'on aime ce qu'on aime. Ce nouveau mode de dissémination de la musique s'invente en ce moment même. Il s'invente partout, sans concertation véritable, et répond à des enjeux multiples et variés, aussi multiples et variés que les personnes qui le mettent en oeuvre. Il est par essence polymorphe. Il ne dépend d'aucune structure préétablie. Il s'empare d'outils qui sont disponibles : les licences libres, l'informatique, et toutes les médiations imaginables. Il brouille les distinctions traditionnelles entre l' artiste et le mélomane car on ne sait plus très bien qui est qui -, entre le professionnel et le musicien du dimanche et il se pourrait bien que votre voisin de palier soit un artiste après tout? Il est à proprement parler indépendant -rien à voir avec l'indépendance dont se prévalent ceux qui s'en prétendent mais qui, en réalité, sont pieds et mains liés aux chaînes de l'ancien système. Il est un monde de sujets qui assument leurs choix, et non plus de consommateurs dont le goût serait dicté par des experts. Il est un monde où s'engendrent des relations dont la musique est le terreau. Et personne ne saurait, pour le moment, en prendre le contrôle.

dana hilliot (http://www.another-record.com) mars 2005 Ce texte est publié sous une licence Creative Commons nc sa 2.0. (le texte officiel de la licence se trouve ici : http://creativecommons.org/licenses/by-ncsa/2.0/fr/). Merci de bien vouloir préciser cette licence à chaque fois que vous serez amenés à diffuser ce texte.