«J aurais voulu être égyptien»



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Transcription:

«J aurais voulu être égyptien» «J aurais voulu être égyptien» est l adaptation réalisée par Jean-Louis Martinelli du roman Chicago d Alaa El Aswany. L histoire prend place dans la ville de lumière Chicago, au sein du département d histologie de la faculté de médecine à l Université. Il s agit des destins entremêlés de six exilés égyptiens : ceux de deux professeurs émigrés aux Etats-Unis depuis plus de trente ans, ainsi que ceux de deux étudiants boursiers qui sont à Chicago pour une durée limité et de deux personnages américains. L Egypte vue de loin est au cœur de ce roman. Les personnages sont pris dans les contradictions de leur sentiment d appartenance à ce pays d accueil, ouvert, qui donne sa chance à chacun, mais qui les déçoit aussi, par son arrogance, sa brutalité, et chacune des histoires racontées l est à travers de courts épisodes qui se croisent entre eux et dans lesquels se mêlent plusieurs temporalités. Leur histoire est saisie au moment de l arrivée de Nagui à Chicago et se termine avec la visite du Président. Ce passage du roman à la scène parait très intéressant pour comprendre le travail de plateau effectué autour du spectacle, nous verrons donc comment s effectue le voyage de la fiction du roman jusqu à la réalité du plateau. Les personnages en scène sont au nombre de neuf. Chacun est définit par une personnalité spécifique, des liens qui le rattache à d autres personnages, mais tous ont en commun : un trait d union les reliant à l Egypte. Les personnages sont dessinés à partir du texte d Alaa El Aswany, mais bien sur certains le sont plus dans l œuvre et moins dans l adaptation... Danana (joué par Eric Caruso), est marié avec Maroua (joué par Farida Rahouadj), ils vivent ensembles mais ne s aiment pas. Danana est un être hautain qui ne pense qu a l argent, il est une sorte de tartuffe version islamique très inquiétant, et ne se soucie pas de sa femme, il ira même jusqu à la gifler «au nom de l islam». Elle, est une révoltée mais de l intérieur car elle n est pas tellement en contact avec le monde «extérieur» et les autres américains, tout va se passer dans son foyer. C est son mari et ses agissements qui vont lui permettre une forme de révolte. Le personnage de Safouat Chaker (Laurent Grévill) est un officier de police qui travaille au service de renseignements de l ambassade, il ferra pression sur Danana. Le second couple est celui de Chris (Sylvie Milhaud) et Saleh (Abbès Zahmani) ; la encore il s agit d un couple à la dérive qui ne parait plus rien partager sur tous les plans Sylvie Milhaud dans le rôle de l épouse meurtrie sexuellement frustrée. Vient ensuite le personnage de Karam Doss (Azize Kabouche), il est un égyptien copte à qui l on a refusé en Égypte le droit d étudier la chirurgie ; il est un fervent défenseur de la cause des coptes égyptiens qu il dénonce comme étant persécutés. Graham (Luc Martin Meyer) est un professeur de Nagui, il apparait peut de fois dans cette adaptation à la scène. Et enfin le couple Nagui (Mounir Margoum) - Wendy (Sophie Rodrigues) bien sur : Nagui est un jeune étudiant révolutionnaire un peu poète, qui est partit d Égypte, et qui vit aux Etats- Unis. Il fait des études d histologie pour pouvoir travailler au Moyen Orient gagné de l argent et revenir en Égypte. Il a était dans des mouvements contestataire en Égypte, il est très concerné par ce qui si passe, Wendy quand à elle est une jeune américaine juive travaillant à la bourse. Le couple représente l espoir de paix à l intérieure de cette histoire puisque malgré leurs religions ils vont commencer par s aimer. C est le seul couple vraiment simple, qui n ai pas dans un constant

déchirement, qui y croit encore, qui ne subit pas la fatalité assez dure, et triste des rapports hommes femmes que subissent les autres couples de l histoire ils s aiment avec naïveté et passion et sont très sensuels. Bien sur cette pièce, bien qu elle soit une adaptation, respecte la vision de l auteur ; ici celle d Alaa El Aswany qui décrit ses œuvres comme représentant «une vie sur le papier qui ressemble à notre vie quotidienne mais plus profonde, plus significative et plus belle». Ainsi il est essentiel selon lui de trouver dans un roman des éléments de la vie quotidienne : la vie conjugale par exemple (comme ces le cas avec les couples Wendy/Nagui, Saleh/Chris, Maroua/Danana), la politique aussi, qui est certes présente mais ne représente pas un tournant majeure de la pièce puisqu elle est enfaite, au même titre que les intrigues amoureuses, les questions existentielles, la religion un élément de la vie quotidienne. Cela m amène à affirmer que «J aurais voulu être égyptien» n est donc pas une pièce politique. Alaa El Aswany explique lors d une interview sa conception de l œuvre romancière : «La littérature, par définition à mon avis, c est une vie sur le papier qui ressemble à notre vie quotidienne mais plus profonde, plus significative et plus belle. Tous les éléments qui comptent dans notre vie quotidienne doivent être inclus en littérature ; la politique c est très important Dans mes romans d ailleurs ce ne sont pas vraiment des romans politiques car il faut dire que je déteste les classifications : politiques, sociales, etc - mais je dirais que j essaye de faire une vie réelle. On ne peut pas faire une vie réelle sur le papier sans discuter d élément inhérents à notre vie quotidienne, par exemple du sexe, la religion, la politique aussi [ ] il faut essayer de garder l essentiel ; la politique est un élément essentiel c est pourquoi j en parle. De plus je pense que la fiction est beaucoup plus efficace pour convaincre les gens, que l analyse politique seulement» Cette adaptation théâtrale tirée de Chicago (2007), deuxième roman d'alaa El Aswany, a été baptisée par le metteur en scène Jean-Louis Martinelli du titre large en interprétations : «J'aurais voulu être égyptien», précisons tout de même que ce titre à lui-même était emprunté à un ancien recueil de nouvelles écrit par El Aswany. Le titre peut être ici sujet à diverses interprétations ; dans un premier temps il peut vouloir souligner la volonté de ces émigrés de s affirmer en tant qu Egyptiens dans un monde occidental (plus largement dans un autre pays), puisqu en effet l auteur ce demande si l étranger, l exilé peut se réenraciner? S il peut, en somme, s incorporer, s introduire dans un monde autre que celui où il a planté ses premières racines Le titre de l œuvre peut vue sous un autre angle, résonner de manière triste, comme un regret, une forme de nostalgie «J aurais voulu être Egyptien»! autrement dit j aurais voulu pouvoir vivre ma vie au sein de ma société sans être obligé de fuir, j aurais voulu être une femme libre égyptienne, j aurais voulu soutenir ma nation, j aurais voulu échapper aux traditions, j aurais voulu être un égyptien libre au sein de ma société libre, j aurais voulu qu on me laisse le droit d être égyptien en somme Soulignant ainsi les désirs des personnages d avoir voulu être égyptien dans une société qui les en a empêchée par ses

mœurs conservateurs, par ses visions étriquées, par les chaines quelle pose sur tout un peuple qui ne demande qu a être libre au milieu de ses fers. Grande table envahie de manuscrits et de papier, coiffeuse, chaises éparpillées, portants croulant sous les costumes, vielles valises la multitude des objets en scène impressionne au premier coup d œil. Puis sous les yeux intrigués des spectateurs, les comédiens entrent en riant, en parlant, détendus, comme s il s agissait là d une répétition : ils ont la fausse décontraction de ceux qui jouent à ne pas jouer encore. Ils prennent place autour de la grande table se trouvant coté cours du plateau, continuent leurs conversations, rigolent sur la prononciation des autres comédiens songent au bout d un moment à s attaquer au texte. On entend Sophie Rodrigues «- Je crois que Mounir est prêt!», Azize Kabouche commence «- A l admission d étudiants égyptiens, je vous rappelle seulement bon je reprends!» ; c est alors que s opère subtilement le glissement des comédiens en répétition, pour laisser là place à leurs personnages qu ils ne quitteront plus ou presque - pendant trois heures. Nagui Abd El sawad est le premier à mouiller sa chemise dans le costume de l'étudiant épris de liberté. Progressivement chacun va, pendant que Nagui commence son histoire, aller se costumer, habiller son personnage ; ainsi Eric Caruso devient Danana sous les yeux du public, puisqu en effet il revêt le cousin servant à créer son imposante bedaine ainsi que le costume-cravate formel, strict mais grossier de son personnage à la vue des spectateurs. De même Chris ou Maroua se préparent sur scène à d autres moments dans l avancement de la pièce. Cette théâtralité affichée va revenir dans toute la pièce telle une ligne directrice - un leitmotiv Les costumes sont tous réalistes et se veulent être des habits du quotidien : Nagui porte une chemise bleuté et un pantalon marron crème avec des mocassins en cuir ; Maroua porte une robe bleu découpée dans un style oriental avec un jean sombre et des ballerines, plus tard dans la pièce elle revêtira une jupe bleu foncée serré sur la taille, et une chemise bleu clair ; Chris porte une robe rouge écarlate, puis une robe noire et blanche avec des motifs, à un moment elle portera une perruque blanche, un imperméable beige et de grosse lunette noire, sorte de tenue de la femme qui ne veut pas se faire remarquer dans les films policiers ; Safouat Chaker porte un costume strict de couleur beige et une paire de soleil sur la tête ; Wendy porte un imperméable rose pale (bien qu elle revêtira momentanément une tenue de danse

orientale verte pomme l hors d une scène) ; Karam Doss porte un costume cravate sombre bleu foncé ; Graham porte un costume marron foncé et marche avec une canne ; Saleh porte un pantalon coupé strict bleu foncé et une chemise bleu clair et enfin Danana est donc en costume cravate, de couleur grise avec une chemise jaune et une cravate rose, il a toujours dans les mains un chapelet en bois qui le rattache à l islam. On devine d emblé que les portants présents sur scène tiennent en réalité les costumes des comédiens, et que ceux-ci effectuerons les transformations propres à leur personnage, ainsi que les transformations d un personnage à l autre, sur scène, à la vue du public. Cet effet de théâtralité affichée va être présent sous bien des aspects tout au long du spectacle puisque Jean-Louis Martinelli en fait enfaite son parti pris pour cette adaptation. Au niveau de la scénographie on remarque donc les portants qui sont volontairement montrés, de même que la coiffeuse coté jardin où les comédiens vont se remaquiller, ou vérifient leur apparence de temps à autres, mais aussi l absence de pendrillons par exemple qui laisse entrevoir l armature du théâtre Proche du théâtre épique de Brecht, l on retrouve aussi cette théâtralité affichée dans le jeu des comédiens, dés l entrée en scène bien sur où l on montre que la pièce qui s apprête à être jouée n est que fiction bien qu elle comporte des éléments du réel, puis par la suite dans le déroulement de l intrigue. Ainsi bien souvent les dialogues sont coupés de moments narrés où le «je» laisse place au «il», le comédien est alors à l extérieur de lui-même pour mieux rendre compte du propos de la pièce (ce qui correspond à une vision Brechtienne du théâtre selon laquelle les acteurs doivent analyser et synthétiser, c'est-à-dire avoir une approche extérieure au rôle, pour agir ensuite consciemment comme l'aurait fait le personnage) ; il se tourne alors vers le public et lui parle de manière directe enlevant ainsi la barrière du quatrième mur. La parole est alors directe, concrète : «On narre comme lorsque l on raconte une histoire qui nous ai arrivée, avec beaucoup de passion!», nous dit Farida Rahouadj dans une interview. Ces alternances de moments narrés et de moments dialogués permettent plusieurs choses : tout d abord une mise à distance du propos, ce qui a pour but d «alléger», mais aussi un moyen de faire un lien avec l œuvre d Alaa El Aswany et de rappeler que ce qui se joue est tiré d un roman «Chicago», moyen ainsi de rendre hommage à l écrivain. L adresse public bien sur est un moyen de prendre prise avec la réalité du spectateur, de poser directement la question de l engagement «Et toi qu en penses tu? Comment le perçois-tu? As-tu connaissance de ces réalités? Quels réflexions cela t apporte t-il?...» A d autres moments les acteurs sortent momentanément de leurs personnages, pour revenir aux comédiens qu ils sont, comme par exemple lorsque Mounir Margoum reprends Eric Caruso sur sa prononciation d un mot arabe lorsqu ils sont debout sur la table entrain de se quereller. On rappelle ainsi - même dans un moment de haute tension (puisqu en effet les personnages sont à ce moment là en plein conflit, leurs corps se faisant faces debout sur la table, sorte d affrontement) - que l on est au théâtre, que l on doit garder à l esprit le caractère illusoire de l action, et ne surtout pas être prisonnier de cette dernière en ayant par exemple pitié des protagonistes, en ressentant les événements comme un destin individuel, en étant affectés personnellement par ce qui ce passe sous nos yeux Au contraire, la distanciation permet de désillusionner le spectacle, on appelle ainsi le spectateur à analyser, à comprendre à avoir une réflexion sur ce que donne à voir le spectacle et son message. En somme on distance pour mieux laisser place à la réflexion et ne pas enfermer le spectateur dans des affects trop profonds qui l en empêcherais.

Enfin, il est bon de remarquer que pendant l intégralité de la pièce tous les comédiens restent en scène même lorsque ce n est pas une scène où ils apparaissent. Ils se positionnent alors sur les cotés, sur les chaises et s autorisent parfois même à rigoler en silence ou à commenter doucement à voix basse le jeu. La encore apparait clairement la volonté de montrer que l on est au théâtre, puisque les autres comédiens, sorties momentanément de leur personnage sont là à regarder - tout comme le spectateurl intrigue se dérouler. Brecht avait d ailleurs dans son Antigone adopter un même parti pris au sens où les acteurs, lorsqu'ils ne jouaient pas, restaient à l'extérieur du cercle, mais à la vue du public. D un couple ou d un groupe à l autre, les transitions se font par la musique, qui occupe une place centrale, qu elle soit diffusée ou chantée par eux même. Chantant a cappella des mélodies orientales et des standards américains, elle serra par exemple illustrative comme lorsque Nagui arrive à Chicago au début et qu il met la musique à fond dans son appartement et danse. Cela, constitue une véritable mise en voix du roman et renforce l idée d un théâtre épique selon la conception de Brecht, puisque elle est présente entre chaque tableau telle une transition : Brecht recommandait entre chaque parties d une pièce des annonces sonores ou visuelles qui interrompent et résument l action où servaient de transitions. Des micros sont présents aux avants scènes, un coté jardin, deux coté cours. Ils ne sont pas cachés et servent aux comédiens dans le but de créer les voix des personnages que l on mentionne mais qui ne sont pas physiquement présents sur le plateau. C est les comédiens eux-mêmes qui prêtent leurs voix, modifiées où non : comme par exemple Sophie Rodrigues (Wendy) pour le personnage imaginaire de Dounia, la prostituée américaine que Nagui appelle dés son arrivée à Chicago ; où bien encore Sylvie Milhaud (Chris) prête sa voix à la psychologue américaine qui tente de résoudre les problèmes conjugaux de Saleh Les micros permettent bien sur une distanciation, sorte de stylisation car c est le spectateur qui doit à la force de son imagination et avec l aide de la voix et des indications données par cette dernière, créer le personnage au sein de son esprit. Cette stylisation serra d ailleurs reprise dans le jeu comme par exemple au moment où Nagui et Wendy se retrouvent pour la première fois tous les deux, l acte sexuel est suggérer par le fait qu ils enlèvent leurs chaussures. Cela permet bien sur d écourter l action que l on préfère par cet effet synthétiser, mais aussi de laisser libre cours à l imagination du spectateur : suggérer est plus fort que montrer. La scénographie est très travaillée, le plateau est constitué d une multitude d éléments, d objets. Coté jardin, des portants lourds de vêtements, une coiffeuse montée à partir d une grande valise, de vielles chaises en bois, un micro à l avant scène, trois valises des années 20 symbolisant probablement le départ de l Egypte pour l Amérique des exilés La transition entre les deux bords de la scène est effectuée par deux canapés blancs de formes cubiques ; l un étant plus un divan, l autre un canapé une place. Coté cours on retrouve dans le lointain une table pleine de bouteilles d alcools, de jus, une théière, une grande table entourée de plusieurs chaises, puis encore des portants, et sur le devant de la scène coté cours deux micros montés sur des pieds. Au centre les deux canapés blancs sont tels un canevas, supports des différents portraits, des différentes intrigues croisées : tantôt lit conjugale, tantôt ignorés, tantôt simples canapés Ils sont «complices» des destins croisés ; on construit grâce à eux divers espaces sur un même plateau sans qu il n y ai besoin d avoir de changements de décor.

Le plateau quand à lui est travaillé en profondeur et se découpe en deux espaces : le premier est celui où se situent tous les objets en scène (portants, tables, canapés, etc ), le second se trouve dans un renfoncement, séparé par un voile noir assez fin pour que l on puisse voir ce qu il se passe au travers ; un deuxième espace se créer, différents du premier où l on ne situera pas les mêmes actions. La présence de cette sorte de «double fond» sépare le plateau ou acte la plupart du temps les comédiens, d un espace permettant peut être une potentielle mise à distance, comme un second espace de jeu plus mental peut être. La transition entre ces deux espaces est faite par un voile noire fin, on observe au même niveau, coté jardin, un large panneau blanc s apparentant enfaite à un écran sur lequel seront projetés des écrits arabes (on suppose qu il s agit là du contenu du manifeste). L ambiance se trouve être également construite grâce aux lumières de ville coté lointain. En effet vers la fin du spectacle le mur du fond s illumine et nous laisse voir en ombre chinoise des fenêtres de buildings ; on peut supposer que cette ville est Chicago même s il aussi seulement s agir de la représentation d une ville américaine. Bien que long (3 heures), j ai aimé ce spectacle ; plusieurs choses m ont plu! Tout d abord le regard moderne qu il projette sur un fait particulier : on parle de choses modernes avec une légèreté agréable! La scénographie contribue à donner cet effet de légèreté, puisqu en effet celle-ci est colorée, illuminée (à la différence de certaine pièce politique où le décor est sombre, dénué de toutes vies, un peu triste) ; quelque chose de vivant s en dégagé. Plus généralement ce sont aussi les effets de théâtralité affichée qui aident à traiter le thème avec légèreté qui m ont principalement séduite! L idée de monter le spectacle en direct devant les spectateurs, d arrivée sur scène comme s il s agissait là d une répétition était un bon départ pour une mise à distance, de même que de montrer sur scène la création physique du personnage (le comédien se costume à la vue du public), ou encore les interludes entre passages narrés et passages dialogués (du «je» au «il»). Les comédiens en scène étaient dynamiques et concernés ce qui, vue du public, était bien visible. Les intrigues relatant la vie quotidienne étaient bien menée même si je dois avouer que je n ai pas bien saisit les enjeux politiques de la pièce ; plusieurs éléments m ont échappés comme le manifeste son rôle et son but, la présence de Safouat Chaker, ou la défense de Karam Doss à l égard du peuple copte d Egypte