L ECLATEMENT DES MISSIONS DU MINISTERE PUBLIC par Nadia DEVROEDE Premier substitut du Procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles dirigeant la section famille Le rôle traditionnel du ministère public est la poursuite des infractions. Des poursuites et leurs conséquences, le jugement et puis l incarcération, ne constituent cependant pas toujours une réaction adéquate. L enfermement des consommateurs de drogue ne contribue guère, par exemple, à résoudre le problème de la toxicomanie. Plus généralement, la surpénalisation entraîne des effets pervers : la lourdeur des procédures, l engorgement des audiences et leur conséquence, un trop long délai entre les faits, le jugement et la peine ; la surpopulation dans les prisons et l effet criminogène possible de l enfermement ; l absence d exécution des peines courtes - et les interrogations sur l utilité de celles-ci. Le ministère public apprécie, certes l opportunité des poursuites. Il peut décider de ne pas poursuivre, s il estime opportun de le faire. Le classement sans suite ne peut être cependant considéré en soi comme constituant une réaction judiciaire adéquate. Il provoque chez la victime un sentiment d injustice et chez l auteur des faits un sentiment impunité. Depuis longtemps déjà, le parquet est à la recherche d un moyen terme entre le classement et les poursuites. Au travers de pratiques prétoriennes, il a cherché à aborder autrement le problème de la délinquance. Le législateur, lui aussi, s inscrit aujourd hui dans cette démarche. La probation prétorienne à l égard d usagers majeurs de drogues La détention et la vente de stupéfiants sont réprimés par la loi. L approche du problème par le législateur est uniquement répressive. La seule exception est une disposition instituant, au bénéfice des usagers de stupéfiants, un régime plus favorable en matière de sursis et de probation. La toxicomanie ne constitue cependant pas un problème uniquement judiciaire. Le volet thérapeutique est extrêmement important. Le parquet s est donc trouvé en situation de devoir tenir compte de cette réalité. Il a dès lors organisé un suivi judiciaire des usagers, dont l objectif est d évaluer les efforts des toxicomanes pour s en sortir. Le parquet tente ici de dépasser le dilemme entre classement et poursuites. Il donne une chance au toxicomane en proposant à celui-ci de se prendre en charge. Il s agit ici plus d une obligation de moyen que d une obligation de résultat, bien que la transgression par le toxicomane des conditions acceptées par lui peut débouche sur des poursuites. Une telle approche passe par une certaine forme de collaboration entre le parquet, la police et des services extérieurs. Cette collaboration avec le monde psycho-médico-social n est pas exempte de difficultés, notamment en raison du problème du secret professionnel. Il y a, tout d abord, le secret médical que le thérapeute peut opposer aux questions que le magistrat poserait sur l effectivité du suivi du traitement ; il y a également le secret de l information qui empêche le magistrat de détromper un thérapeute convaincu que son patient est sur la bonne voie. Des équilibres sont donc à établir en vue de l établissement d une dynamique dans l intérêt du toxicomane. Le rôle du parquet, dans cette dynamique, reste un rôle classique de contrôle et de rappel à la loi. Les mesures judiciaires alternatives Le législateur a dressé les mêmes constats que le pouvoir judiciaire. Il a voulu élargie la palette d intervention du parquet et offrir des solutions de rechange aux poursuites ou à l enfermement.
La détention préventive. La loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive prévoit la possibilité de substituer au mandat d arrêt une liberté «encadrée». Le prévenu doit se soumettre à des obligations ou interdictions fixées par le magistrat instructeur. L idée n est pas nouvelle. Une pratique prétorienne en ce sens existait à Bruxelles depuis plus de 10 ans déjà. L effectivité de la mesure suppose bien évidemment un contrôle du prévenu. La loi prévoit donc qu il peut être fait appel aux services sociaux près les tribunaux pour exercer ce contrôle. Malheureusement, ce service n a jamais été créé. A Bruxelles, à la demande des magistrats instructeurs, c est dès lors le parquet qui accomplit cette mission depuis 1991, tout comme il faisait de manière prétorienne avant la loi. Plus de 2.500 cas ont été suivis au cours des 4 dernières années. 300 situations sont suivies en permanence. L essentiel de l activité tourne autour de la drogue. Pendant longtemps, ce suivi a été assuré par la parquet lui-même, sans l aide d aucun service social. Une convention conclue entre le ministère de la justice et la commune de Forest a permis, aujourd hui, l engagement de 6 assistants sociaux. Ceux-ci réalisent le contrôle, sous la supervision du magistrat du parquet. Ils sont mis à disposition du service social d Exécution des Décisions Judiciaire et travaillent sous un mode identique à la probation. L objet du suivi, c est le contrôle du respect des conditions mises par le magistrat instructeur. Il n y a cependant pas de respect possible si l auteur n est pas en situation de se conformer aux conditions. Ce contrôle glisse donc naturellement vers l accompagnement. Ce dernier revêt le plus souvent des aspects très matériels : besoin d argent, de nourriture, de logement ; nécessité de trouver un centre, de renouer le contact avec la famille et, pour les plus jeunes, de rétablir l autorité des parents sur ceux-ci. La réalité montre que le suivi est pour l essentiel un travail d accompagnement et d aide et que le travail de contrôle n est que réduit. Dans ce contexte particulier, le travail du magistrat n est qu un compromis entre la protection de la société, rôle traditionnel du parquet, et l intérêt de l auteur. Dans ce contexte, le parquet, à Bruxelles, ne se contente pas seulement d entretenir des rapports de collaboration avec le secteur psycho-médico-social ; il s investit dans l accompagnement, avec l objectif avoué d éviter un enfermement qu il considère nocif en l espèce. La médiation pénale. La petite et moyenne délinquance urbaine est une forme de délinquance particulièrement irritante qui devient socialement intolérable, par son caractère récurent. Le législateur a cherché dès lors à organiser des formes de réponses appropriées. La loi du 10 février 1994 introduisant la médiation pénale possède un caractère profondément novateur. L approche de la délinquance par le législateur s écarte résolument d une démarche traditionnelle. Il s assigne trois objectifs : prendre en compte les souhaits des victimes (écoute ; indemnisation), responsabiliser l auteur des faits, non pas en appliquant une mesure punitive mais en faisant appel à sa capacité effective à réparer et à une implication active et personnelle dans ce processus de réparation, offrir au magistrat du parquet la possibilité de réagir rapidement au délit tout en évitant une surpénalisation et une escalade dans la réaction judiciaire - escalade dont certains estiment qu elle entraîne en l espèce des implications sociales et des effets criminogènes possibles. La logique de la médiation est différente de la logique judiciaire classique qui assigne au parquet la tâche de faire juger quelqu un, de le faire condamner et punir ou éventuellement de le mettre à l épreuve dans le contexte d une probation. Dans la médiation, la notion de justice réparatrice est centrale : l objectif est que l auteur répare, moyennant quoi, une fois les parties satisfaites, l action judiciaire s arrêtera. Un tel type d intervention est difficile à mettre sur pied devant un tribunal du fonds. Personne ne sait en effet, au moment où la procédure est entamée si elle débouchera sur un succès où sur un échec. Au stade du parquet, c est plus facile. Un échec n a d autre conséquence que de renvoyer l affaire vers une justice de type traditionnel. La médiation pénale se présente sous plusieurs formes.
Il y a, tout d abord, la médiation proprement dite, qui se déroule entre les parties. Le parquet y joue un rôle effacé. Il considère lui-même que bien qu il y ait infraction et qu il devrait intervenir, il ne s en mêlera pas ; il n impose même pas le mode de réparation mais renvoie les parties vers elles-mêmes ; ce sont les parties elles-mêmes qui trouvent une solution. Les travaux d intérêt général constituent une autre forme de réparation, mais envers la société, cette fois. L auteur des faits est invité à fournir un travail bénévole, utile à la société, en rapport avec ses capacités et ses intérêts, choisi dans une optique de responsabilisation et avec le souci de contribuer à son développement personnel. La mesure offre par ailleurs un intérêt pratique évident pour l auteur : absence de casier judiciaire ; pas de surpénalisation et resocialisation plus aisée. La particularité des travaux d intérêt général, c est le pouvoir amplifié qui est attribué au ministère public. Celui-ci fixe la durée et la nature des travaux. Il prend donc une décision qui est, par certains côtés, de nature juridictionnelle. Le ministère public ne jouit pas pour autant d un pouvoir arbitraire. L auteur des faits peut refuser la proposition et ce refus n aura, au pire, d autre conséquence pour lui que de l amener devant un «vrai» tribunal. En outre, la loi prévoit que le magistrat qui veut y recourir doit au préalable faire procéder à une enquête sociale. Celle-ci n est pas seulement une enquête de personnalité mais permet également à l auteur de s exprimer sur les motifs de son acceptation ou de son refus d un travail d intérêt général. L enquête sociale revêt donc d un caractère d étude de faisabilité. La pratique, à Bruxelles, est de recourir à la mesure dans des cas où il n y a pas où plus de dommage matériel mais dans lesquels les faits sont suffisamment graves que pour nécessité une réaction judiciaire. La loi offre également la possibilité de proposer une formation de nature socioprofessionnelle ou éducative. Malheureusement, à l heure actuelle, les services proposant ce type de formation et vers lesquels l auteur pourrait être orienté sont très rares. L injonction thérapeutique est une autre forme encore de médiation. Si l auteur invoque une assuétude à l alcool et aux stupéfiants comme cause de l infraction, le parquet peur proposer à l auteur des faits de suivre un traitement où une autre thérapie. L originalité de la situation, c est qu il faut une démarche positive de l auteur, ce qui n est pas le cas dans la probation prétorienne où l aide est fournie sans qu il soit exigé une telle demande préalable. La procédure accélérée. Le législateur a voulu rendre également le parquet plus performant, au niveau des poursuites. La loi du 11 juillet 1994 relative à l accélération de la procédure pénale organise un mode nouveau, d introduction de l action publique devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel : la convocation par procèsverbal. Celle-ci est de nature à s appliquer chaque fois qu une affaire simple est en état d être jugée à bref délai et qu il ne s impose pas de placer l auteur des faits en détention préventive. Le qualificatif «accéléré» caractérise bien la procédure. Celle-ci s inscrit en effet entièrement dans l approche traditionnelle qui sous-tend la justice pénale. Elle repose sur le présupposé que la peine pénale possède un sens à la fois de facteur de régulation sociale et de prévention de la récidive. Elle vise avant tout à réduire le délai de réaction de l appareil judiciaire, sans trop affecter les garanties que toute procédure judiciaire doit offrir aux justiciables. Une réaction judiciaire est de nature, en effet, à rétablir la confiance des victimes et des citoyens dans l appareil judiciaire. Elle est motivante pour les enquêteurs. L auteur des faits, quant à lui, est rapidement confronté aux conséquences de son acte : si on considère effectivement que la peine revêt un effet dissuasif, la condamnation sera d autant plus efficace. Plus de 809 personnes ont été ainsi convoquées à Bruxelles, au cours de l année judiciaire 1995/96, soit une augmentation de 30% par rapport à l année précédente. Deux cent trente-huit personnes parmi elles étaient des primo-délinquants. Les Mineurs
Le tribunal de la jeunesse est certainement le premier par ordre d ancienneté dans la liste de ceux qui, au sein du pouvoir judiciaire, ont eu le réflexe de recourir aux services psycho-médico-sociaux. Il n y a dès lors rien d étonnant à ce que la section jeunesse du parquet s attache, elle aussi, à dépasser l alternative classer ou poursuivre. La spécificité de la réflexion trouve son origine dans la loi sur la protection de la jeunesse elle-même. L objectif de la loi n est pas de sanctionner le mineur délinquant mais de l éduquer et le protéger, au besoin contre lui-même. La mission du parquet est de classer ou de saisir le juge de la jeunesse. Classiquement, il est même le seul à pouvoir saisir le juge de la jeunesse. Il est donc une plaque tournante. A partir de la constatation qu il n était pas toujours nécessaire de saisir le tribunal mais que le classement n est pas en soi une solution, le parquet de la jeunesse s est dès lors mis très tôt à travailler avec des services extérieurs et orienter les jeunes vers ceux-ci. La collaboration avec des services extérieurs. Depuis de nombreuses années, le parquet jeunesse s emploie, à Bruxelles, à nouer des liens de confiance avec les services de première ligne. Il collabore avec les écoles. Il participe à des concertations communales ou de quartier. Il a même développé, avec l appui de la police judiciaire, une équipe de prévention chargée d intensifier les contacts, de répondre aux demandes notamment des écoles et de participer à la mise sur pied d actions tournées vers les jeunes. Dans ce travail, le parquet apporte son savoir et joue son rôle traditionnel de rappel à la loi. Ce rôle est toutefois exercé dans un contexte d intervention concertée, de participation à la réflexion et de mise sur pied de politiques adaptées. De nombreux problèmes sont autant des problèmes de société que des problèmes de justice. Il ne paraît pas possible de rester chacun dans sa tour d ivoire, sans voir les conséquences d une intervention et sans réfléchir comment et quand intervenir. Mesures de diversion pour les mineurs. La section jeunesse du parquet ne s est pas limitée à cette démarche de concertation et de collaboration. Il a mis progressivement en place des pratiques prétoriennes, telles que les mesures de diversion et de médiation pénale, pour les mineurs. C est en 1992 que le parquet de Bruxelles a entrepris de mettre sur pied des mesures de diversion pour les mineurs. Ces mesure sont actuellement appliquées dans 14 des 19 communes de l agglomération bruxelloise. Des moyens supplémentaires ont pu être dégagés récemment, dans le contexte du «plan global», en vue d assurer l encadrement de ces mesures. La mesure de diversion est une solution de rechange à la judiciarisation. Elle est un moyen, pour des adolescents, d assumer les conséquences de leurs actes sans se retrouver en justice. Elle s adresse à des jeunes, âgés de 12 à 18 ans, ayant commis un fait qualifié d infraction. Elle leur propose d effectuer un travail, une activité bénévole au profit de la communauté. Elle s inscrit, comme la médiation pénale, dans un contexte de responsabilisation du jeune. La mesure a un but essentiellement pédagogique et éducatif. Il ne s agit pas d une punition ou d une sanction mais d une mesure, acceptée par toutes les parties. La famille joue un rôle important dans la mesure. Les jeunes sont des sujets de droit. Une attention particulière est donc attachée au respect de leurs droits. Le respect du droit de défense est garanti. Le maintien de l autorité parentale est affirmé. Médiation pénale des mineurs. La loi sur la médiation pénale invite tout naturellement à se poser la question de l adaptation de cette approche aux situations de mineurs délinquants. L adaptation s est d abord faite dans un contexte purement prétorien par le parquet de Charleroi. Le contexte du plan global permet en effet la mise sur pied de service de médiation travaillant avec le parquet. La mise sur pied d un dispositif mesures de diversion et médiation pénale au niveau du parquet, permet à celui-ci de gérer un plus grand nombre de situations délictueuses qui ne nécessitent pas l intervention du tribunal de la jeunesse. Le parquet orientera le dossier en médiation pénale ou en mesure de diversion s il considère que l infraction, sans être d une gravité extrême, altère de manière significative la vie en société. En effet, l absence de réponse du parquet à certains faits délictueux génère tant chez la victime que chez l auteur - particulièrement s il est jeune - des sentiments désastreux : chez la victime, insécurité ; incompréhension chez l auteur, surpris que la réaction judiciaire intervienne aussi tardivement. La
médiation et les mesures de diversion au niveau du parquet offrent le possibilité de mener une véritable politique de déjudiciairisation mais aussi de prévention de la récidive. Création de services sociaux au sein du parquet La justice est confrontée à des exigences nouvelles d accueil du public. Les missions nouvelles dévolues au parquet exigent par ailleurs la création en son sein de structures nouvelles accompagnant son travail. On assiste dès lors à la création, au sein du parquet, de services à caractère social. Le service de médiation pénale. Dans le contexte de la médiation pénale, le parquet travaille avec des collaborateurs sociaux, à savoir des assistants en médiation et des conseillers en médiation. Ce service de médiation dépend certes du parquet mais possède cependant une certaine indépendance et notamment un droit à une certaine confidentialité vis-à-vis des instances judiciaires. L accueil aux victimes. Le service d accueil des victimes est opérationnel au parquet de Bruxelles depuis le 1 er septembre 1993. L objectif d un tel service est multiple : fournir, dans le respect de la loi, à la victime des renseignements sur la procédure judiciaire en cours et les possibilités de défense en justice ; soutenir moralement la victime pour la préparer aux suites éventuelles de la procédure, en l épaulant par exemple lors d une reconstitution douloureuse ; informer enfin la victime de l existence de services d aide et l orienter, si nécessaire vers ceux-ci. Un tel service remplit un besoin réel. Le nombre de ses interventions est en hausse constante. Au cours de l année judiciaire 1995/96, il a traité en moyenne 20 à 30 demandes d aide par mois. Nomination d un criminologue au parquet jeunesse de Bruxelles. Une criminologue a été nommée récemment au sein du parquet jeunesse. Une de ses tâches est l accueil des personnes - victimes, familles, mineurs - et leur orientation adéquate vers le bon service. Sa seconde tâche est la participation à une ébauche de politique criminelle, principalement en matière de décrochage scolaire.