LE MAÎTRE DU BLÉ
Mireille Fuselier Le Maître du blé Roman Editions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l imagination de l auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence. Consultez notre site internet Editions Persée, 2015 Pour tout contact : Editions Persée 38 Parc du Golf 13 856 Aix-en-Provence www.editions-persee.fr
Mise en garde : Cette histoire est singulière. C est celle d un ami de la nature, de la vérité, de la liberté, de la Vie. De la liberté d être vrai. Or, être vrai, de nos jours, n est pas une mince affaire! Cela demande beaucoup de courage et d abnégation, de lucidité, de persévérance. Florent possède ces qualités. Il est lucide et il a du culot. Mais, disons-le, il est le fils de mon imagination. Toute ressemblance avec une personne connue serait donc un pur hasard.
Passionnée des arbres en particulier, de la Nature en général et de l Éducation par l écrit, Mireille Fuselier fut enseignante, aujourd hui retraitée. Elle a d abord publié : «Joinville à la mi-temps de ce siècle» (Édition Mairie de Joinville), «Joinville retour au XX e siècle», tomes I et II, «Sedan-1870, ou L émouvant récit de Louis Oberhauser» en 2006, dans la collection «Témoignages et récits» de chez Alan Sutton. 7
PRÉFACE À l heure du «Sommet pour la Terre» (COP 21), je suis heureuse de participer avec mes faibles moyens à la défense de notre merveilleuse Planète, par le biais de l histoire d un homme courageux qui a fait de sa vie un combat pour la défense du VIVANT, avec cohérence et enthousiasme. Il ne peut pas changer le monde et pourrait être pessimiste face à toutes les destructions et souffrances que l homme inflige à notre Terre- Mère. Au contraire, il a trouvé son Graal, il l explique avec enthousiasme, et nous incite à suivre son exemple, sans jamais donner de leçons, mais en faisant de sa vie héroïque un exemple de ténacité joyeuse pour les hommes de bonne volonté. Cet exemple, inspiré de «l aventure Bio», est suivi par un nombre aujourd hui grandissant de «paysans» laborieux qui se tournent vers l agriculture écologique en s appuyant sur les écosystèmes, bien plus performants que ce qu il y paraît. À l heure du réchauffement climatique, mon héros nous montre comment on peut produire mieux dans le respect de l environnement, et comment on peut vivre mieux dans le respect de notre propre nature humaine, avec courage, avec joie et espérance. 9
À la Terre, notre demeure, et à sa paysannerie respectueuse.
ADÈLE A dèle se tournait et se retournait dans son lit, s entortillait dans sa chemise de nuit comme une papillote de Noël, la dorure en moins, le sucré en moins, le plaisir en moins ; une papillote de mauvaise allure, un vieux caramel mou enveloppé de papier tripoté par des doigts même pas gourmands, rien d appétissant. Voilà, Adèle ne pouvait dormir, comme d habitude ; une habitude pas facile à admettre, pas facile à perdre. Impossible d accepter ça! Demain serait encore une journée fichue, tête lourde, paupières lourdes, jambes lourdes. À se dégoûter d être soi. La lecture favorise l endormissement, dit-on. Adèle avait tout essayé : les romans, les feuilletons, les essais, les critiques d art, et même l annuaire du téléphone et ses pages blanches ou jaunes, même le journal officiel, même les textes de lois, même les contes enfantins, enfin, tout et n importe quoi Et ce soir, elle avait pris au hasard dans sa bibliothèque un volume de Maupassant édité par la Pléiade. (C est écrit tout petit dans ces bouquins, ça fatigue les yeux et peut être que ça pourrait donner sommeil?). Au hasard encore elle avait ouvert une page et voilà ce qu elle y avait lu, un comble! «Chaque cerveau est comme un cirque, où tourne éternellement un pauvre cheval enfermé. Quels que soient nos efforts, nos 13
détours, nos crochets, la limite est proche et arrondie d une façon continue, sans saillies imprévues et sans porte sur l inconnu.» Alors là, c était un bon résumé de ce que ressentait la jeune femme. Pour celui qui n aurait pas compris ce que voulait dire le terme insomniaque, l explication était la meilleure qui puisse s écrire ; un cheval qui tourne dans un cirque, un caramel mou qui s englue dans un vieux papier tripoté et entortillé. Pas de quoi rigoler Mais voilà, il s agit de vivre et le jour se pointe entre les lames des volets. Pas de prétentions excessives donc pour aujourd hui, on fera ce qu on pourra! Il était une fois, donc, une jeune personne enfin pas tout à fait jeune, la trentaine bien sonnée et bien enduite de crèmes, sous les yeux surtout, sur les paupières aussi, L Oréal défroissant et raffermissant parce que je le vaux bien, moi! Elle a pour prénom Adèle (a-t-on idée de s appeler Adèle au XXI e siècle?), elle est fatiguée dès son lever, elle n a vraiment pas envie d aller bosser, mais les crèmes, il faut les payer et c est cher au kilo! Elle se passerait de manger, elle ne se passerait pas de remédier aux outrages du temps et des insomnies. Bien, appliquons sur le contour des yeux un savant maquillage qui ajoute au regard un léger mystère et relevons le menton, l illusion de fraîche beauté est parfaite. La femme défroissée ne sait pas trop où elle va, mais elle y va! En fait, n exagérons rien. Bien sûr qu elle sait où elle va, Adèle. Elle est employée de caisse au supermarché. Et elle va rester debout tout le temps de son service, mal aux jambes assuré, bras moulus comme le café en promotion, épaules fatiguées, coudes douloureux des tendinites à répétitions, mais «Souriez, bon sang!» répète le patron. Parfois, quand elle n en peut plus 14
comme sûrement ce sera le cas ce soir, Adèle a envie de pleurer. Mais elle ne le doit pas. Elle doit sourire aux clients pressés, grincheux. Or demandez donc à des larmes si elles ont oublié leur chemin, quand elles s accumulent au bord des cils «J en ai marre d être toujours fatiguée, d avoir toujours mal à quelque part. J en ai carrément ma claque. Pourquoi est-ce que je ne peux pas simplement être? Comme ça, naturellement ; comme un arbre qui sent ses feuilles pousser au printemps ; comme une fleur qui s épanouit au soleil ; comme un chat qui se lustre à grands coups de langue ; comme un enfant qui joue dans le sable et rit aux éclats, parce que le sable, ça lui coule entre les doigts, ça glisse avec un reflet moiré, ça lui chatouille la main et ça fait un petit tas mouvant à ses pieds, qui devient un château, une montagne, une autre planète Il rit, l enfant, il est content d être, mais il ne le sait pas. Et moi je l envie. D ailleurs j envie tous les enfants : je les trouve beaux, rayonnants, vivants, quoi! Je les aime même quand ils font leurs crises devant l étalage de bonbons près de ma caisse ou qu ils secouent rageusement le bras de leur mère qui se croit obligée de leur balancer une taloche énervée. Si j avais eu un enfant, moi, il serait si gentil, et doux et aimant. Et je l aimerais, oh! Je l aimerais Je n envie pas l enfant que j ai été. D ailleurs, ai-je jamais été enfant? Peut-être En tout cas, je ne m en souviens guère. Ce dont je me souviens, c est que j avais déjà mal partout, alors que mon front n arrivait pas encore à hauteur de la table. Alors je me cachais dessous, et je voyais une forêt de pattes, celles de la table, des chaises et souvent celles du chat qui ne me quittait guère, plus douces que les autres et qui ne me faisaient jamais mal. Là, les bras autour des genoux, je réinventais le monde et les pattes des meubles redevenaient arbres et forêt. Si je fermais les yeux, je les entendais bruire sous le vent, leurs ombres mouvantes oscillaient 15