HENRY VAN DE VELDE PAR MAURICE CASTEELS. EDITIONS DES CAHIERS DE BEL G I Q U E. BRUXE II ES PALAIS DES BEAUX-ARTS 11, RUE DE LA BIBLlOl HEQUE



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Transcription:

HENRY VAN DE VELDE PAR MAURICE CASTEELS EDITIONS DES CAHIERS DE BEL G I Q U E. BRUXE II ES PALAIS DES BEAUX-ARTS, RUE DE LA BIBLlOl HEQUE

. 1 1 I' I' ~DITIONS Copyright by DES CAHIERS DE BELGIQUE Palais des Beaux Arts Rue de la Blblioth~que,, BRUXELLES li I1 Certains critiques c1asseraient Henry van de Velde dans cette lignée d'hommes providentiels qui semblent avoir pris sur eux de détourner Ie cours des événements ou d'instaurer un nouveau mode de penser. Cette méthode arbitraire et facile permet de négliger toute analyse, de confondre I'histoire de I'homme, celle de son reuvre et celle de ses idées: de croire, ou de dire, qu'ayant été touché par la gr8ce, ii n'eut plus qu'à vivre et irradier. Qu'importent, dès lors, cette tension du labeur quotidien de toute une existence, cette volonté de vaincre, cette attention minutieuse de chaque instant? Etant né sous une bonne étoile, son rale se borne à exister. est élu : C'était écrit. est un symbole, un exemple. Je crois au génie, cette rare faculté d'audace et de minutie, d'intuition et d'organisation. Mais précisément, parce que I'homme de génie est celui qui ressent Ie plus intensément, qui comprend et ordonne Ie mieux, je me suis toujours appliqué à déterminer Ie plus exactement possible ses éléments, à étudier de plus près ses moyens, à évaluer son action en me servant de mesures connues. Et je crois avoir réussi quelquefois à Ie voir, réellement, comme une équation résolue. Pour définir et expliquer la personnalité et I'reuvre d'henry van de Velde, ii est nécessaire d'être précis. Sans quoi naîtra la légende. Et, quoique la légende auréole et grandisse, ii serait regrettable que les contemporains de van de Velde oubliassent la façon dont ii leur donna ce qu'ils lui doivent: ii serait regrettable que certaines choses tombassent dans I'oubli. Le nom de van de Velde est parmi ceux qui sont Ie plus souvent prononcés 10rsqu'i1 s'agit d'établir Ie bilan de la production, dans les domaines de I'architecture et des arts décoratifs, pendant les quarante dernières années. On sait que son action fut décisive: on lit ses écrits: les nouveaux venus appliquent les préceptes qu'i1 codifia et qui font désormais partie de leur conscience esthétique. Mais I'histoire de cet homme n'est qu'imparfaitement connue et ses compatriotes ignorent tout de I'reuvre immense de celui qui sera considéré comme un des initiateurs d'une nouvelle culture européenne. 5 ',- --- _. -- -~ -- ~ -._--- ---- --... - -- --- --.

r _... Henry van de Velde est né 0 Anvers en 1863. Son tempérament artistique Ie poussait vers la peinture. Pendant quatre années, 0 I'école des Beaux-Arts, ensuite dans I'atelier de Verlat, il apprit Ie métier du peintre. En 1884-1885, van de Velde est 0 Paris. C'était I'époque des batailles impressionnistes et, dans ces querelles esthétiques, ii prit résolument Ie parti des Manet, des Monet, des Renoir... Mais ii hésite avant de s'engager lui-même dans la voie qui lui était tracée. Dans une société ou la peinture ne servait plus que la vanité de quelques heureux, I'art avait cessé d'être un réconfort pour tous ceux auxquels les rigueurs de I'existence interdisaient I'accès aux joies les plus pures. Cet art, si élevé qu'en fût la conception, pouvait-il être pratiqué sans arrière-pensée par un homme conscient de pouvoir apporter, à ceux vers qui allaient ses sympathies, un secours plus réel en restituant 0 I'art quelques-unes de ses bienfaisantes vertus. Van de Velde allait avoir trente ans. C'est pour pouvoir se vouer uniquement 0 cet apostolat qu'il abandonna la peinture. serait théoricien et tenterait d'amener peintres, sculpteurs, architectes, ouvriers manuels à créer selon une conscience plus haute, une pensée plus altruiste. commença cette tóche difficile 0 l'université Nouvelle de Bruxelles, fondée par Elysée Reclus, en y enseignant I'histoire des arts industrieis. C'est vers cette époque que parurent dans «La Société Nouvelle» ses premiers écrits : les Prédications d'art ", devenues les Sermons Laics ", dans lesquels il développait déjà Ie programme de toute son action ultérieure, dans lesquels ii posait déjà ces affirmations révolutionnaires : L'Art renouvelle sa forme, parce que la société change de forme ". " L'Art va droit et d'instinct vers les choses usuelles ". suffira sans doute d'indiquer, pour mémoire, d'autres activités. La fondation de la revue Van nu en straks" qu'il iiiustra. du cercle anversois Als ik kan ", du Cercle des Vingt ", dont I'action fut décisive, de La Libre Esthétique ", toutes manifestations qui firent de la Belgique et de Bruxelles Ie centre d'un mouvement dont I'influence allait s'exercer dans l'europe entière. 6 En 186 eut lieu I'événement I'achèvement, 0 Uccle, de la première maison de van de Velde, la sienne. Cette maison, ii fallut la meubler, la décorer, suivant les mêmes principes qui avaient commandé la construction. Van de Velde fut obligé de faire exécuter tout, jusqu'au moindre détail, d'après ses propres plans et dessins. Archi tecture, meubles, papiers peints, tissus, services de tabie, tapis, lumi naires, tout fut conçu logiquement, selon Ie même esprit. Et, pour la première fois, on put voir une maison et un intérieur d'un style unitaire et nouveau, un cadre complet. Certes, les théories, les techniques et les lignes ont évolué depuis cette première réalisation. n'en reste pas moins que cette réussite de 186 fut Ie point de départ, non seulement d'une carrière féconde, mais de la renaissance de I'architecture et des arts industriels sur Ie continent. D'autres avaient tenté d'ouvrir la voie : Ie Liégeois Serrurier-Bovy avait dessiné des meubles, à vrai dire assez compliqués, Hankar construisait ses premières maisons, Horta allait s'affirmer. Mais 0 Uccle il y avait mieux qu'une expérience. C'était I'affirmation d'une série de principes qui allaient donner naissance 0 un style. En 187, S. Bing, grand amateur d'art japonais, marchand et animateur audacieux, établit 0 Paris les magasins de L'Art nouveau ". Invité 0 organiser 0 Dresde, en 187, une exposition, il charge van de Velde de lui fournir tous les meubles. C'était la première exposition d' art nouveau en Allemagne. Ce fut la grande révélation. Toute la presse allemande y consacra de longs articles. Pour des raisons que nous n'avons pas 0 discuter ici, les noms des collaborateurs de Bing furent tenus secrets. Mais la critique allemande n'accepta pas cet anonymat. Meyer-Graefe, dont par la suite la réputation de critique d'art devint mondiale, découvrit que I'auteur du mobilier était van de Velde et Ie proclama. Ce fut un concert de louanges et la célébrité. Constantin Meunier qui accompagnait van de Velde 0 Dresde, ou la première présentation d'ensemble de ses reuvres occupait une place d'honneur, prophétisa que I'art de son ami révolutionnerait : 7

l'allemagne et qu'il s'y fixerait bientót. L~ prophétie se ré~lisa. En 100, v~n de Velde ét~it à Berlin et, en 10 I, Ie Gr~nd-Duc de S~xe Weimar I'~ppel~ à sa cour pour relever Ie nive~u ~rtistique de I~ production industrielie de son pays ". On s~it ce qui advint. Pour I~ troisième fois, Weim~r connut un ~pogée, redevint un lumineux foyer de culture ou vin rent, en pèlerins de I'esprit nouveau, Max Klinger, H~uptm~n, Hugo von Hofmannsth~l, R~iner M~ria Rilke, Gordon, Cr~ig, André Gide, Théo van Ruysselberge, Léon Werth... tous les esprits conducteurs de I'époque. Gráce à l'lnstitut des Arts Décor~tjfs de Weim~r, ce ne fut p~s seulement dans Ie Grand-Duché que Ie nive~u ~rtistique fut relevé, m~is dans l'allem~gne entière. L~ dict~ture de van de Velde fut I~ période I~ plus brill~nte de I'histoire des arts industriels de ce pays. Une nouvelle exposition des métiers d'art, à Dresde, en 106, cinq ~ns seulement après I~ fond~tion de I'école de Weim~r, fut une manifestation dont I'~mpleur n'~ été dép~ssée que par I~ particip~tion allemande à l'exposition de Bruxelles, en 110. Là surtout, I'empreinte de I'esprit esthétique de v~n de Velde sur toute I~ production d'une gr~nde n~tion ét~it indéni~ble. D~ns I~ préf~ce du c~talogue officiel de I~ se.dion ~IIem~nde - préf~ce rédigée p~r K~rl Scheffier -, figurent ces lignes que je ne puis me défendre de reproduire : Mais celui surtout à qui Bruxelles nous f~it penser, nous autres Allem~nds, c'est ce Beige qui, depuis t~ntót dix ~ns, ~ f~it de l'allem~gne Ie théátre de sa vie et de son ~ctivité, en qui notre industrie d'~rt ~ trouvé une direction éminente, une action encour~ge~nte ~utour de laquelle on ~ be~ucoup lutté, un homme dont Ie tr~vail a com muniqué tj I'évolution de I'~rt industriel ~IIem~nd une énergie désorm~is inalién~ble : c'est Henry v~n de Velde... L~ Belgique I'~ vu n~ître, elle I'~ élevé, elle lui a donné I~ volonté révolutionn~ire et ~ussi les tr~ditions... L'Allem~gne lui ~ ~ssigné une pl~ce av~nt~gée.. p~rmi ses émules. Jusqu'en 114, les ceuvres se succèdent en ~rchitecture, comme 8 d~ns Ie mobilier et dans tous les domaines des ~rts industriels et décor~tifs. Cert~ines de ces ceuvres sont capit~les : Ie musée Folkw~ng tj H~gen, les maisons Esche tj Chemnitz et L~uterb~ch, Ie s~lon de coiffure H~by, Ie m~gasin H~bana à Berlin, Ie Hohenhof à H~gen, Ie Nietzsche-Archiv, Ie monument Abbe à lén~ et enfin Ie théátre du Werkbund à l'exposition de Cologne, en 114 (I). Le théátre de Cologne fut un nouve~u point de départ autant qu'un aboutissement. Parmi les ré~lis~tions des Behrens, des Gropius, des T~ut, d'~utres ~rchitectes - p~rmi lesquels plusieurs ét~ient les disciples du maître - ce théátre était plus qu'une ceuvre audacieuse. C'était une ceuvre de belle maturité, ~ux lignes sobres et harmonieuses, I~ première négation absolue du style opéra, I'application de formules qu~si définitives. Depuis, cert~ines conditions de I'install~tion de I~ scène ont pu se modifier: on ~ pu chercher ~utre chose, mais on ~ r~rement trouvé des solutions aussi ~déquates à la fonction du pl~te~u que celle ré~lisée p~r van de Velde. F~ire fi de cet instinct décoratif que ch~que ~rtiste porte en soi: brûler ce que I'on ~ adoré pour tendre vers plus d'~bsolu: rester, à soix~nte-huit ~ns, à I'av~nt-g~rde d'un mouvement que I'on ~ provoqué: être encore, ~près qu~r~nte ~ns de luttes, celui que I'on suit et que I'on ne dép~sse pas: voilà qui est exceptionnel et digne d'~dmiration. Van de Velde fit mieux encore. voulut remporter I~ victoire la plus difficile et I~ plus belle: être prophète dans son p~ys. Après une in~ctivité de plus de huit ~ns, provoquée p~r I~ guerre, ~près une ~bsence de vingt-cinq ~nnées passées en Allem~gne, en Suisse et en HolI~nde, il rentr~ en Belgique. Sa réputation ~ur~it pu gr~ndir encore s~ns consécr~tion d~ns sa p~trie. M~is, depuis 11, il éprouv~it Ie désir de rentrer en Belgique - pour f~ire bénéég~lement Ie théátre des Champs Elysées à P~ris. J~cques Mesnil ~ démontré péremptoirement que I~ p~ternité des pl~ns revient tj v~n de Velde. (I) Nous pouvons citer

ficier son pays de I'expérience qu'il avait acquise dans Ie domaine de I'enseignement, pour faire accepter et triompher cette architecture nouvelle dont il avait été I'un des premiers et principaux précurseurs. L'occasion de réaliser ce rêve se présenta. En 15, Emile Vandervelde, Camille Huysmans, Joseph Wauters étaient ministres. Déj~ entre 11 et 114, appuyés par Octave Maus et Fierens-Gevaert notamment, ils avaient agi auprès du Gouvernement d'alors pour doter la Belgique d'un enseignement supérieur des arts décoratifs sous la direction de van de Velde. L'idée fut réalisée et I'école fut fondée en 16. Elle fut installée, avec un budget restreint, dans des batiments de l'abbaye de la Cambre menaçant ruine. Mais I'initiative privée intervint. La donation Errera, " les Amis de l'lnstitut Supérieur des Arts Décoratifs " entre autres, assurèrent au nouvel établissement les moyens qui lui manquaient. Par la création de eet institut, I'architecture et I'art décoratif modernes ont définitivement conquis droit de cité en Belgique. On peut distinguer, dans la production de van de Velde, trois périodes. La première (186-106) se caractérise par une recherche de la ligne décorative. Ce n'était déj~ plus Ie modern-style de Serrurier-Bovy et de Horta chez qui la ligne, souvent arbitrairement ornementale, ne visait qu'~ une recherche d'élégance nouvelle, souvent située sur la limite entre Ie raisonnable et la fantaisie. La Iigne de van de Velde, au contraire, si décorative qu'elle fût, était logiquement étudiée et, par cette intuition que Ie raisonnement et Ie calcul renforcent, elle atteignait, en même temps qu'à la grandeur, ~ une sensibilit6 raffinée. L'installation et la décoration intérieure du musée Folkwang de Hagen en est un des meilleurs exemples. Le salon de repos pour un musée ~ l'exposition de Dresde (106) est Ie point culminant de cette période. 10 ) Dans la période suivante (106-114), les problèmes du volume et de I'espace, qui avait déjà reçu antérieurement d'heureuses solutions, requièrent davantage I'attention de I'architecte. Les intentions ornementales, dans certains détails, subsistent, mais I'ornement est épuré et réduit au minimum (intérieur de la maison Esche à Lauterbach). En même temps, la fonction devient déterminante et Ie cóté plastique de I'ceuvre acquiert une importanee de plus en plus grande. Citons Ie théatre du Werkbund à Cologne, Ie projet du musée d'erfurt et Ie projet du monument Nietzsche ~ Weimar (I). La troisième manière, la manière actuelle, nous a valu déjà de magnifiques réalisations en Hollande, à Hanovre, ~ Hambourg, en Belgique enfin. Depuis 1, les préoccupations d'une plastique déter, minée par I'adaptation absolue de I'objet ou du batiment à sa fonction essentielie, du matériau au c1imat et au paysage environnant, urbain ou agreste, sont dominantes. La stylisation est proscrite et I'ceuvre est si parfaitement plastique qu'elle peut être considérée, sous n'importe quel angle, comme une sculpture. L'équilibre des masses constitutives, la nature et Ie coloris des matériaux employés, la distribution des surfaces, I'orientation et I'éclairage même, concourent au but qui est atteint : I'harmonie. Cette période marque Ie sommet d'une évolution constante, accomplie pendant trente-cinq années, sans retour en arrière, sans défaillance. C'est de cette période que je présenterai les principaux exemples. Projet pour la rive gauche de l'escaut à Anvers (pi. I). ne m'appartient pas de rechercher les raisons pour lesquelles ce projet ne fut pas réalisé. S'i1 pouvait I'être un jour, les puissantes constructions de van de Velde ajouteraient un chapitre brillant à I'histoire de la Ville d'anvers. Je trouve dans cette ceuvre tous les éléments caract6 ristiques d'une race dont I'esprit positif ne détruit pas les aspirations (I) La guerre a empêché la réalisation de ces deux projets.

idéalistes. Plusieurs siècles d'art et de prospérité aboutissent ~ ces buildings. Ou'on songe ~ la débandade des sky-scrapers de Manhattan et on mesurera ce que ces constructions-ci représentent d'harmonie, de force et de tradition. Les grandes reuvres architecturales de toutes les époques concrétisent, dans leur plan et dans leurs profiis, les aspirations des peuples qui les ont édifiées. Si elles perpétuent cette minute de beauté et de puissance qu'est un apogée, elles font, dans I'histoire, figure de témoin. Le projet pour la rive gauche de l'escaut, s'i1 était exécuté, aurait cette haute signification. Pour les bureaux de la société Fyffes ~ Rotterdam (pi. ), van de Velde a conçu un botiment sobre, s'imposant par I'harmonie de sa masse et de ses lig nes. Calme statique d'une force sûre de soi, utilisation, au maximum, d'un espace; indications esthétiques obtenues, non par I'application de formules décoratives, mais par la taille directe des angles, des courbes et retraits. J'en viens à la Villa de M. et Mme von Schinckel à Blankenese (pi. 3 ~ 5). lei encore Ie cadre environnant détermine la mise en place ". Le plus bel endroit du monde ", disait Stendhal. De la terrasse, on découvre une forêt de rhododendrons, l'elbe, les transatlantiques. L'art de van de Velde se fait ici séducteur par les promesses de calme et de confort d'une construction qui doit défier I'esprit d'aventure sans en compromettre la poésie. Voyez ces lignes préeises comme celles d'un paquebot, qui savent ménager des coins propices à I'intimité et ~ la quiétude. Si on estime que mes appréciations négligent parfois ce que les techniciens appellent" architecture ", je dirai qu'ici les qualités constructives sont tellement manifestes qu'il est presque superflu d'en faire état. Et je me plais ~ considérer cette reuvre de van de Velde comme I'une de celles dans lesquelles Ie grand constructeur a exprimé Ie plus intensément la sensibilité de son temps. Cette sensibilité, il I'a toujours exprimée d'une façon adéquate, depuis sa première reuvre, sa maison d'uccle, de 186. Si j'y songe en ce moment, c'est que La Nouvelle Maison (pi. 6 ~ 8) construite 1 récemment, à Tervueren, permet de mesurer I'importance de I'étape parcourue et de comparer deux époques. Trente ans se sont écoulés. Pendant ce laps de temps toutes les valeurs se sont modifiées. Au lieu de vieillir il semble que Ie monde et les idées aient rajeuni. L'évolution fut tellement rapide qu'il paraissait que seules les générations suivantes pussent faire Ie point. Celle d'après-guerre - porte ouverte avec fracas sur des temps nouveaux - proclama I'évangile du rationalisme. Mais, cet évangile, n'avait-il pas été prêché jadis par celui qui donna les premiers coups de pioche dans I'édifice vermoulu du beau pseudo-c1assique? - Et van de Velde n'était-il pas toujours ~ la tête du mouvement? N'était-il pas toujours Ie chef et, étonnamment, Ie plus jeune? Les premières batailles qu'il livra, en s'y jetant corps et ome, devaient détruire la laideur. Celle-ci vaincue, des formes nouvelles inventées, il voulut découvrir la nudité du beau. suffira désormais de confronter ces deux reuvres : la maison d'uccie et celle de Tervueren, pour se rendre compte qu'il a pleinement réussi dans la toche immense qu'il avait entreprise. Ouoique les principes fondamentaux soient restés immuables, on peut dire que I'reuvre la plus récente appartient à une civilisation nouvelle que van de Velde a contribué à créer. paraissait étrange que van de Velde n'eut presque jamais réalisé de maisons de ville. Son art était-il incompatible avec les nécessités de la construction urbaine? Peut-être Ie croyait-on. Mais voici deux reuvres récentes qui détruisent ces préventions : I'Hótel de M. et Mme G. Cohen, avenue des Nations (pi. ) et I'Hótel de M. et Mme R. Wolfers (pi. 4 et 5). Devant ces constructions, il faut convenir que Ie rationnel, la neutralité commandée par un voisinage dont on ne peut faire abstraction n'excluent ni I'harmonie, ni la grandeur. - Voir les Formules d'une Esthétique moderne (nouvelle édition publiée par les amis de l'lnstitut supérieur des arts décoratifs, Bruxelles). Le Nouveau ", son apport ~ I'architecture et aux arts associés (id.). 13

, Lorsque cette harmonieuse grandeur atteint Ie comble, tout commentaire esthétique devient superflu. Devant une reuvre parfaite, on est calme, comme devant la mer étale. L'enthousiasme ne nait qu'ensuite, lorsque Ie spectade est fixé dans Ie souvenir. Ces idées me sont suggérées par la Maison de retraite ~ Hanovre (pi. 10 0 1). Elle est ~ examiner sous toutes ses faces, de tous les points de vue. La couleur de la brique y joue un röle essentiel, comme Ie jeu des surfaces et des volumes. Le mot rythme vient à I'esprit. A quelqu'un qui ne comprendrait pas que certaine musique c1assique, celle de Bach par exemple, est une architecture de sons, ii suffirait sans doute de montrer les façades nord et sud de cet édifice. On peut même dire que Ie plan de ce batiment est conçu comme une fugue: développements, ~ chaque étage, d'un thème identique, énoncé chaque fois de façon différente. Tout plaidoyer en faveur du rationalisme en architecture est rhétorique en présence d'une reuvre ~ la fois si hardie et si pleine de raison, si neuve par la sensibilité, et d'une inspiration constructive si traditionnelle. J'en examine les détails (pi. 18) et je suis frappé par une tranquille audace, plus réelle que certaines fanfaronnades de novateurs, sous lesquelles, en y regardant de près, on ne découvre que désir d'étonner et inexpérience. Concevoir raisonnablement, c'est neuf et c'est ancien, - écrit van de Velde - cela conduit aux extrêmes et non au juste milieu. La maison de retraite de Hanovre établit la vérité de ce postulat. Le Beau est un concept humain, mais les lois déterminantes du Beau sont, somme toute, des lois naturelles et je m'étonne qu'on s'obstina si longtemps ~ vouloir les ignorer. La géométrie et Ie calcul comme préliminaires aux solutions esthétiques, sont des éléments d'idéal, plus que Ie rêve et la fantaisie. La Maison de campagne en Hollande (pi. et 3) ne fait-elle pas songer à des cristaux géométriquement agglomérés? Aucun souci de montrer tout ce qu'on sait faire ". Y ajouter ce souci, serait une erreur de dosage. Ce fut Ie cas pour l'américain Frank Lloyd Wright qui a trouvé parfois des solutions définitives, 14 mais ne sut pas toujours résister aux succès de virtuose vers lesquels l'entraîna sa fantaisie décorative. Rendons hommage ~ van de Velde qui ne s'abandonna jamais à de telles tentations. Adolf Loos, I'architecte autrichien, parlant des prétentieuses villas des bords des lacs italiens, les appelait avec raison des cris discordants et inutiles ". On n'en dira pas autant de la double villa de MM. Colman et Saverys au Zoute (pi. 6 0 ). Elle est faite de béton nu, de briques violacées, d'un enduit jaune citron, de boiseries jaunes. Elle est faite aussi, mais oui, des dunes, du del, de la mer, de cette atmosphère plus lumineuse, de cet air que I'on respire. Ne faut-il pas tenir compte en architecture, de la latitude, du c1imat, du sol aussi bien que de la destination? Les ornements recherchés, camouflant les matériaux et blessant Ie paysage, seraient id, comme a iiieurs, des cris discordants et inutiles ". L'architecte a voulu Ie calme du repos sans ennui et la santé, cette joie sans amertume. Tous les résultats que je viens d'indiquer trop sommairement ont été atteints sans poser à priori cet axiome pseudo-scientifique : maison = machine à habiter. Sans doute, la raison et Ie calcul ont-i1s une part prépondérante dans les solutions que nous soumet van de Velde. Mais, comme dans toute reuvre de beauté, Ie résultat du calcul devient rythme et la raison conduit à I'équilibre. Dans les dernières reuvres de van de Velde, je ne trouve pas de fautes, ni de goût, ni de technique. Ou'il s'agisse d'objets très réduits, comme ces encriers en cuivre chromé qu'il dessina pour Ie Sénat et qu'exécutèrent ses élèves, de la vaste maison de retraite de Hanovre ou de ce piojet grandiose pour la rive gauche de l'escaut à Anvers, chacune de ses reuvres réunit toujours ces conditions du beau qui font que, pour un objet déterminé, parmi les manières innombrables de I'exprimer, il n'y en a tout au plus que deux ou trois d'excellentes ". Et je ne crains pas d'affirmer que, par dessus les théories et les influences qui firent si souvent dévier les notions de beauté vers une compréhension malsaine de I'art de b8tir, la beauté formelle redé 15

couverte par van de Velde rejoint I'optimisme de I'art sain, nu et souriant de la plus belle époque hellénique. Dans une réunion d'amis, j'ai entendu Ie Maître déplorer que certains bötisseurs, sous prétexte de rationalisme, ne vissent plus que des usines, comme les amateurs d'antiquités de la Renaissance ne voyaient plus que temples et colonnades. Nous risquons, disait-il, que ces Savonarole nous fassent rótir sur un bûcher ". Par ses travaux, son enseignement, ses écrits, son exemple, il a rétabli, au sein d'une société mécanisée, la beauté compensatrice. 1/ a sensibilisé ~e qui, sans lui, n'eut eu que la sécheresse des signes. des épures et des schémas. En I'exprimant avec passion, ii a réhabilité la raison, accusée de froideur et de prosaisme. " a préservé les artistes des flammes du bûcher en sauvant la beauté des temps à venir. Ouelques ceuvres récentes de HENRY VAN DE VELDE 15. BUREAUX DE LA SOCIETE FYFFES It, ROTTERDAM. 16. VISION D'ANVERS. RIVE GAUCHE. 16. VILLA DE M. ET M-e VON SCHINCKEL, BLANKENESE, (HAMBOURG). 17. "LA NOUVELLE MAISON ", TERVUEREN. 17. HOTEL DE M. ET Mme G. COHEN. AVENUE DES NATIONS, COUVERTURE : Double villa de MM. Colman et Saverys, Le Zoute (131). Angle Sud-Ouest. BRUXELLES. 1. ETABLISSEMENT HOSPITALIER, HANOVRE. 130. MAISON DE CAMPAGNE, HOLLANDE. 16 130. HOTEL DE M. ET M-e R. WOLFERS, BRUXELLES. 13 J. DOUBLE VILLA DE MM. COLMAN ET SAVERYS, LE ZOUTE.

6 I. Vision d'anvers, r1ve gauche. Les photographies de la couverture et des planches 6-7 - 8 - - 6-7 - 8 - sont de Willy KESSELS, Bruxelles; les photographies des planches 1-13 - 15-16 - I7-18 - 1 0-1. des Ateliers LILt, Hanovre.

I 5. Bureaux de la sociét6 " Fyffes ", Rotterdam. 3.Villa de M. et M J. von Schinckel. Blankenese-Hambourg. I 6

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I 7 I 7 8. " Lc1 Nouvelle Mc1ison ".. Hótel de M. et M Cohen. c1venue áes Nc1tions. Bruxelles.

I 10. Etablissement hospitalieri Hanovre Entrée.... Etablissement hospitalier. Façade Nord. -I

I I '. Etc'blissement hospitc'lier. Fc'çc'de Sud. I 3. Etc'blissement hospitc'lier. Fc'çc'de Sud.

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I 18. Etablissement hospitalier. Détail. 1. Etablissement hospitalier. Intérieur. I

I Cl I 0. Et~blissement hospit~lier. Intérieur. 1. Et~blissement hospit~lier. Esc~lier.

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J.. Achevé d'imprimer Ie 10 février 13 sur les presses de I'ELECTROTYPIE, S. A.,, rue du Cornet, Bruxelles.,.~,.....