Article. «Arthur Rimbaud, pianiste» Gilles Marcotte. Liberté, vol. 33, n 3, (195) 1991, p. 76-81.



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Article «Arthur Rimbaud, pianiste» Gilles Marcotte Liberté, vol. 33, n 3, (195) 1991, p. 76-81. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/32045ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 20 September 2015 06:27

L'AMATEUR DE MUSIQUE GILLES MARCOTTE ARTHUR RIMBAUD, PIANISTE Il m'est revenu ces jours derniers, en faisant quelques lectures plus ou moins obligatoires, que Rimbaud, durant ses derniers séjours dans sa famille, avant le grand départ pour l'afrique, jouait du piano. «Lui, dans la tristesse et la solitude, subit l'hiver 1876-1877 à Charleville, entre ses dictionnaires et son piano, rêvant d'une nouvelle évasion.» (Matarasso et Petitfils) Un assez joyeux dessin, de l'ami Verlaine si je me souviens bien, le montre tapant avec frénésie sur un instrument qui n'en peut mais. Il avait, ce pianiste-là, écrit Une saison en enfer... On ne sait pas grand-chose de la carrière pianistique de Rimbaud. Quelles œuvres jouait-il, ou tentait-il de jouer? Avait-il acquis une technique convenable? Composait-il? Improvisait-il? (D'entrée de jeu, et sans preuves, je retiendrais cette dernière hypothèse. Quand on a du génie et peu de technique, il est préférable d'improviser.) Jouait-il parfois pour le plaisir ou le malheur des autres? Son talent de pianiste lui fut-il de quelque utilité à Paris, à Londres ou dans ses voyages à travers l'europe, l'arabie et l'afrique? (Bien qu'un piano au Harar, non, plutôt non...) On ne trouve dans sa correspondance le nom d'aucun compositeur de musique ou d'aucun collègue pianiste. Mais la musique l'intéressait énormément, on peut s'en rendre compte à la lecture de son œuvre. Elle l'intéressait même de plus en plus, puisque c'est dans les Illuminations, son dernier ouvrage, qu'on lit le plus grand nombre de

77 notations, de réflexions sur cet art. S'agit-il là de renseignements sûrs, indubitables, sur la pratique musicale de Rimbaud? On voudrait en être plus sûr. Les recherches les plus ardues n'ont pas réussi à découvrir l'identité de cette «Madame ***» qui «établit un piano dans les Alpes», et l'on peut se demander si Rimbaud n'est pas ici la proie d'une imagination quelque peu enfiévrée, comme cela lui arrive souvent. Avez-vous déjà essayé de jouer du piano sur le mont Blanc? C'est froid et extrêmement venteux; il faut mettre des gants, et la virtuosité s'en trouve affectée, de même que la qualité du toucher. On s'interroge aussi sur le «clavecin des prés» qu'anime, dit le poète, «la main d'un maître». On a beau aimer la musique en plein air, le festival de Lanaudière, les concerts dans les parcs, l'audition d'un récital de clavecin dans un pré avec les inconvénients physiques et biologiques dont je n'ai pas à vous faire le dessin ne représente certes pas l'idéal du confort esthétique. De toute manière, il semble assuré que Rimbaud ne jouait pas lui-même de ce piano alpin et de ce clavecin champêtre. Il faisait ça à la maison, peut-être au déplaisir de sa maman et de ses frère et sœurs qui pourtant en avaient vu d'autres. On n'est pas impunément la famille d'un génie. Le frère Frédéric, pas très intelligent et un peu brutal, sortait en claquant la porte. Les deux sœurs tricotaient avec une attention décuplée. La mère, Madame Rimbaud, la Mother, faisait un bruit d'enfer avec les casseroles, dans la vaine tentative d'enterrer les sons ou les bruits qui venaient de la pièce d'à côté. Certaines notations des Illuminations laissent entendre que ce n'était pas rien, que ce n'était pas de la tarte en effet, ce qui venait de la pièce d'à côté. Des «sauts d'harmonie inouïs», dit Rimbaud, et son but n'est-il pas «l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense»? Quoi que ce dernier bout de phrase veuille dire, et les exégètes n'ont pas manqué de se chicaner à son

78 propos, il ne s'agit pas de jouer doucement, hein, ça doit sonner assez fort, ça doit chauffer. Je viens de retrouver le dessin de Verlaine, et il suggère en effet un assez beau vacarme. Il s'intitule, par antiphrase évidemment, «La musique adoucit les mœurs». À droite, notre ami Rimbaud s'escrime sur son piano, en s'exclamant (c'est écrit dans la bulle): «Des chameaux, ces doubles croches!» Il est vrai que s'il y avait moins de doubles croches dans la musique, elle se porterait beaucoup mieux. En haut, à gauche, laissant échapper une expression de désespoir que je n'arrive pas à déchiffrer, se trouve un personnage, féminin semble-t-il, qui pourrait être Madame Rimbaud. Tout cela, le piano, la dame et Rimbaud, est au premier étage, dit le dessin. Plus bas, au rez-de-chaussée, chez le propriétaire, on voit un affreux bonhomme se boucher les oreilles, pour des raisons qui s'expliquent facilement par les moulinets du sieur Rimbaud. Au dos de la partition qu'exécute (le mot n'est pas trop fort) le poète, quelque chose est écrit, le nom de l'auteur sans doute et le titre de l'œuvre, en lettres si petites et si mal formées que c'est illisible. Mais une analyse sémiologique sans concessions me convainc que, de toute façon, ce n'est pas une sonate de Mozart, de Haydn ou de Jean- Chrétien Bach qu'on est en train de jouer ici, mais quelque chose de beaucoup plus tumultueux. Je pense tout à coup à Wagner. Un Wagner en réduction pour piano, comme chez Liszt et chez Glenn Gould, l'ouverture de Lohengrin ou des Maîtres clmnteurs, pourquoi pas? Ce serait d'époque. Il y a beaucoup de doubles croches chez Wagner. Et ça barde: Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré... Ce corps? Quel corps? Ne nous laissons pas emporter

79 par l'imagination. Il y avait des choses qu'on ne faisait pas chez Madame Rimbaud. Je dis Wagner comme ça, à cause de Baudelaire que Rimbaud avait beaucoup lu, mais à vrai dire je ne suis pas sûr que le répertoire du poète ait été composé exclusivement de grande musique. Du jazz? Non, ce serait prématuré. Mais les «chants nègres» qu'il évoque dans Une saison, ces «danses de houris», ces chansons «bonne fille»? «Un coup de ton doigt sur le tambour, disait-il, décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.» Suggestif, non, ce tambour, ce tam-tam? On évite difficilement de penser que Rimbaud, au cours des pérégrinations européennes qui ont précédé le départ pour l'afrique, a utilisé ses talents de pianiste pour survivre. Voyons un peu ça. Rimbaud reçoit ses premières leçons de piano en 1874, alors qu'il se trouve chez sa mère, à Charleville. Son professeur est ô merveille du nom! Louis Létrange, employé du magasin qui occupe le rez-dechaussée. (Serait-ce lui qui se bouche les oreilles dans le dessin de Verlaine? Possible. Même les professeurs, parfois...) L'année suivante, en 1875, Rimbaud retrouve son professeur et fait quelques progrès, sans aller toutefois jusqu'à Chopin ou Alkan. Ses randonnées de l'année 1876, à Vienne, à Bruxelles, à Rotterdam et à Java, ne lui laissent sans doute pas le loisir de s'asseoir au piano. Mais les deux années suivantes, alors qu'il se trouve à Stockholm, puis à Hambourg n'aurait-il pas mis à profit ses habiletés pianistiques, comme on dit au ministère de l'éducation, pour assurer la matérielle? Je l'imagine volontiers, débraillé, pianiste dans un bar ou dans un boxon. Il aurait un pli amer au coin des lèvres. Il fumerait des cigarettes sans arrêt, qu'il laisserait s'éteindre à la dernière extrémité. De temps à autre il aurait soif «Que faut-il à l'homme? Boire» et il s'en enverrait une derrière la cravate qu'il n'aurait pas. Il serait absent, extrêmement absent. Si un émigré français, d'aventure, reconnaissait en lui l'auteur de quelques

80 poèmes un peu osés et lui en glissait un mot, il enverrait paître l'intrus: «Je ne m'occupe plus de ça!» Et quand la déprime, le véritable ennui, l'insondable ennui le saisirait, il aurait peut-être recours, comme autrefois, au haschisch. Ce ne serait pas une grande vie. Ce serait la vie. «Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.» Ça se chante, sur un air de valse ou de polka, avec accompagnement de piano. Répéter plusieurs fois, entre ses dents, pendant que les doigts courent sur le clavier: «La musique savante manque à notre désir, la musique savante manque à notre, la musique savante...» Plus tard, beaucoup plus tard, on mettra en musique des choses de Rimbaud, un petit poème par ci par là, et même de grands cycles tirés d'une saison en enfer et des Illuminations. La Saison que je connais est de Gilbert Amy, un des compositeurs français les plus en vue de notre temps. Il y a trois voix, qui tantôt psalmodient à l'unisson, tantôt esquissent du contrepoint et tantôt sont déformées électroacoustiquement, avec accompagnement de piano et d'une batterie très variée d'instruments de percussion. C'est moderne; mais pas «absolument moderne», car on reconnaît presque toujours, dans la première partie de l'œuvre tout au moins, les mots du texte rimbaldien. Bon, ce n'est pas déplaisant. Mais on écoute ça une fois, et on passe à autre chose; ou mieux, on revient à la Saison, la vraie, qui chante mieux et plus toute seule qu'assaisonnée de musique. Les Illuminations sont moins modernes. Elles sont de Benjamin Britten. Vous avez bien dit Britten? Oui. Britten, l'anglais? Indubitablement. L'auteur de The Young Person's Guide to the Orchestra, de l'opéra Peter Grimes et du concerto de violon qui fit tant bâiller il y a quelques années à l'osm? Sans aucun doute.

81 Et... Ma foi, c'est assez joli. Benjamin Britten a choisi quelques textes des Illuminations, en les transformant un peu pour les besoins de la cause, et il a donné le rôle du refrain à la phrase célèbre: «J'ai seul la clef de cette parade sauvage.» Sur tout cela, il a plaqué une musiquette pas laide, meilleure sans doute que celles d'andré Gagnon mais qui conviendrait mieux à, je ne sais pas moi, des poèmes d'albert Lozeau qu'aux Illuminations. En fait, aussi bien le dire tout net, je m'objecte à ce qu'on mette en musique des textes que je fréquente depuis longtemps, que j'aime, qui font partie de ma vie. Ils ont leur musique propre, ils n'ont pas besoin de l'autre. Que Berlioz mette en musique des poèmes de Théophile Gautier, je n'y vois aucune objection, c'est ce qui pouvait arriver de mieux à ces vers médiocres. Mais les poèmes de Rimbaud n'ont pas besoin de ça. J'imagine même qu'ils y résistent de toutes leurs forces. Ils disent à Gilbert Amy, ils disent à Benjamin Britten d'aller se faire voir. Ça se sent, à l'audition, la mauvaise humeur du texte d'être ainsi traité, maltraité. La mauvaise humeur, chez Rimbaud, ce n'est pas rien. Il était toujours, dit Benjamin Fondane, en état de «légitime offense». Alors, le piano de Rimbaud? Ce n'est pas le poète qui tape sur l'instrument, dans le dessin de Verlaine. C'est l'autre, celui qui ne veut plus entendre parler de ça. Il fait du tapage pour faire taire sa propre musique, pour faire taire la poésie. Il en avait assez, il se préparait à partir pour les lointains, là où il n'y a pas de poésie. En attendant, il jouait du piano comme on démolit quelque chose. Il jouait n'importe quoi.