-1- Je vais peut-être tuer quelqu'un demain. Pourquoi, je l ignore : je n'ai aucune raison valable de le faire. Dans ce cas, pourquoi attendre demain? Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt, la semaine dernière, ou l'an passé, ou même il y a dix ans? Difficile à dire. La seule chose dont je sois à peu près sûr c est que je vais commettre un meurtre. Sans raison. Gratuitement. Juste pour voir ce que ça fait. C'est la petite voix, toujours la même, qui me demande de le faire. Il me semble que je suis le seul à l'entendre. Elle me guide, m'aiguille, me pousse à agir, m'incite à faire le mal. Parfois, elle m exaspère parce qu elle vient me parler alors que je n ai pas envie de l entendre. Certains jours, j ai l impression qu elle me harcèle. Elle me pousse à faire des choses que je n'ai pas forcément envie de faire. Elle est là, tiens, en ce moment même, je l'entends. Je voudrais qu elle se taise. Mais même si je lui demande de s en aller, je sais qu'elle ne voudra rien entendre. Elle s'est manifestée pour la première fois il y a quelques semaines à peine. Et depuis, je ne l'avais plus entendue, elle s'était montrée discrète. Et puis voilà, elle est revenue tout à l'heure, de façon inattendue, alors que j écoutais la radio. Le journaliste venait d annoncer la mort d une jeune femme repêchée dans une rivière après trois semaines de recherches acharnées. Vingt-quatre ou vingt-cinq ans, je ne me souviens pas très bien. Un meurtre, très certainement. Elle aurait été étranglée avec une corde, un cintre ou un fil de fer, ils ne savent
pas très bien. La radio (ou la police) n'a pas voulu en dire davantage. Juste qu'elle avait les mains attachées derrière le dos. Il se peut aussi qu'elle ait été violée après sa mort. On en saura sans doute davantage dès demain, a conclu le journaliste. C'était tout à l'heure. Même pas dix minutes. Sur le moment, je n'ai pensé à rien. J'ai juste continué à rouler en écoutant la radio. Après le journal, ils ont passé une chanson de Brel, Ces gens-là. Je déteste cette chanson et je ne saurais même pas dire pourquoi. Et puis la voix est revenue tout d un coup, je l'ai entendue distinctement et reconnue formellement parce qu elle est reconnaissable entre mille. Elle est là, dans ma tête. Elle m'a parlé à l'instant même où j'ai vu passer une femme sur le trottoir. Elle m'a dit : «Tu peux en faire autant!» Elle voulait dire la tuer, je suppose. Tuer cette femme-là. Évidemment que moi aussi je peux tuer quelqu'un! Et de toute façon, qui m'en empêchera? Ce n'est pas très compliqué de tuer, c'est à la portée de tous : je peux tuer, tu peux tuer, il peut tuer, nous pouvons tuer, vous pouvez tuer, ils peuvent tuer. À tous les temps et à toutes les personnes. Je peux être un assassin, c'est très facile. Alors je vais le faire. Je vais franchir un cap, devenir quelqu un d autre. Un assassin. Mais je ne sais toujours pas qui tuer, à part peut-être la fille qui est passée tout à l'heure. Mais pour ça, il faudrait que je fasse demi-tour et c'est sans doute trop tard, elle a dû entrer dans un magasin ou dans une voiture pour rentrer chez elle. Pourquoi elle? Pourquoi pas? Sans raison, c'est tout. Pourquoi de toute façon devoir trouver une bonne raison à tout? Elle ou une autre, quelle importance,
en fin de compte? Je dois tuer quelqu'un, point final. Quelqu un qui ne mérite pas de vivre, qui refuse d entendre raison et de voir la vérité en face. Ce ne sera pas difficile à trouver. Ce genre d individu ne manque pas. Je dois purifier le monde de ses erreurs et me purifier moi-même, laver mon corps et mon esprit des impuretés qui les souillent. De toute façon, tout le monde m en veut. Tout le monde me hait et je ne sais même pas pourquoi parce que personne ne veut me donner d explication. Alors je n aurai pas de mal à trouver quelqu un à tuer. Tiens, la voix s'est tue, je ne l entends plus. On dirait qu elle m a laissé tomber, encore une fois. Elle m'abandonne toujours lorsque j'ai besoin d'elle. Ma vie est vide de sens et d'intérêt : comme Waterloo, c'est une morne plaine. Je suis seul dans ce monde hostile et dégueulasse. Presque tout seul dans une minable petite vie étriquée. Et ça, c'est peut- être en soi une excellente raison de tuer. Plus de parents, presque pas d ami. Juste un banal «bonjour, bonsoir» aux voisins quand je les croise. Ce qui est sûr, c est que je ne tuerai pas pour Dieu parce qu il n en vaut pas la peine : ce con refuse depuis bien trop longtemps de se montrer! Je ne crois pas du tout à toutes ces conneries, cette histoire stupide des soixante-douze vierges du paradis. Lorsque gamin je faisais appel à lui pour je ne sais quelle raison, il ne daignait jamais me répondre, alors maintenant il peut toujours aller se faire foutre Maintenant que j'y pense, il y a bien cette femme que j'ai rencontrée l'autre jour au Louvre. Une parfaite victime. Je
m'ennuyais ferme à la maison, j en avais assez de lire, j avais du mal à me concentrer. Alors j'ai pris le train pour Paris sans trop savoir ce que j allais y faire. À pied, il faut à peine plus de cinq minutes pour aller à la gare : les allées de Nelson ne sont pas loin de la Faïencerie mais pas très loin non plus de la gare, finalement. Arrivé à Paris, je me suis décidé pour un musée. Mais ça m a assez vite gonflé. Heureusement qu elle était là, ça m a un peu occupé. Je l'ai abordée et branchée ostensiblement, mais ça n a pas eu l air de la déranger. Au contraire. Elle n était pas farouche. Elle observait un tableau, ou faisait semblant, quand je l'ai abordée. Elle m'avait déjà souri une ou deux fois quand nos regards s'étaient croisés, pas vraiment par hasard. Et puis j'ai été direct, on peut le dire. Je lui ai dit que le tableau qu elle matait était à peu près aussi beau que son cul et son décolleté. Bravo, quelle originalité. Il y avait de quoi être fier. Elle a dit qu elle ne comprenait pas et m a demandé de lui parler anglais. Et puis elle a souri et là, j'ai bien compris le message : parfois, les paroles sont inutiles pour qu un être humain en comprenne un autre. J ai aussitôt pigé qu elle voulait se faire sauter. Je voulais qu elle vienne à la maison. Elle avait clairement envie de niquer, alors je n'allais pas me faire prier. C était une Américaine et elle ne parlait pas un traître mot de français. Enfin, juste les conneries habituelles, genre «Bonjouuur! Meurci! Oh Mon Dieu! Oh là là, j adooooore Paris». Que des clichés. Enfin, ce n était pas ce qui m intéressait chez elle, de toute façon. Les seules choses qui m'intéressaient chez elle
étaient ses gros nibards et son cul. La vache, une vraie bimbo à l'américaine genre playmate de Hugh Hefner ou actrice porno qui vous pompe le dard comme une folle. Une espèce de poupée Barbie, quoi : blonde décolorée, les cheveux longs presque jusqu'au cul, les lèvres gonflées à l'hélium, des gros seins en silicone, le maquillage permanent. La totale, en somme. Elle portait un chemisier blanc et une courte jupe et un string bleu, je m'en souviens parfaitement. L'image me revient très nette de son petit minou tout lisse, entièrement épilé, comme celui d'une gamine. Dès que je l'ai vue, mon sang n'a fait qu'un tour, façon de parler. À l'instant même où je l'ai repérée la première fois et où elle m'a souri sans détourner les yeux, j'ai su que j'allais la baiser comme une chienne. Il m a même semblé qu'elle posait son regard, à ce moment-là, à l'endroit où je pense. Elle ne se contentait pas de sourire, elle tortillait du cul, se penchait ouvertement lorsqu'elle regardait un tableau ou une sculpture pour que je voie ses grosses miches sous son chemisier entrouvert. Deux boutons défaits, je voyais presque ses tétons pointer. Je les imaginais en tout cas. Son attitude était claire, sans la moindre ambiguïté. Je l'ai suivie pendant un moment dans ce musée dont je me tapais complètement, en fin de compte, et je l'ai abordée. À ce moment-là, elle regardait un Botero, tu parles d'une œuvre d'art! Heureusement qu'elle n'avait pas le cul d'un de ces tableaux! Et puis je lui ai proposé d'aller boire un café au bar du musée, mais on n'y est pas resté très longtemps. Ni une ni deux, sans se poser de question, juste après
qu'on a passé la porte d'entrée de son appart, face à la tour Eiffel dressée comme ma queue dans mon caleçon, elle s'est précipitée sur moi et s'est agenouillée. Je la vois encore faire : elle a déboutonné mon jean sans rien demander et elle l'a baissé jusqu'aux chevilles, et hop!, elle a sorti mon zob déjà bien dur et elle l'a sucé frénétiquement. On aurait dit que Pamela Anderson me taillait une pipe : le fantasme (je suppose) de millions de mecs. Ça m'a plutôt étonné mais, le plaisir n'était pas tout à fait à la hauteur du fantasme... Hein?... Quoi?... C'est toi, la petite voix?... C'est à ce moment-là que j'aurais dû la tuer? Oui sûrement, mais à cet instant précis c'était elle qui était en position de force : ma queue était dans sa bouche, elle pouvait en faire ce qu elle voulait comme la couper d'un coup de dents. J ai éjaculé assez vite entre ses lèvres et elle a continué à me sucer pour que je continue à bander. Elle s'est ensuite mise à quatre pattes pour que je la saute. Tu te rends compte? Je ne l'avais rencontrée qu'une demi-heure plus tôt, cette petite pute! J'ai fait glisser son string le long de ses cuisses et je l'ai baisée en levrette. A chaque mouvement, elle criait comme une chienne. Je trouvais ça à la fois excitant et dégoûtant, il faut bien le reconnaître. J'ai quand même pris mon pied, je l'avoue. Malgré tout, j'ai éprouvé quelques minutes après une espèce de malaise, un véritable dégoût, presque de la haine pour cette putain de chair humaine. Un quart d'heure plus tard, elle a encore voulu me sucer mais je n'ai pas réussi à bander. Bon sang de merde, je n'ai pas réussi à bander! Ça m'a gonflé. Ça m a profondément agacé, je
me suis senti humilié. J avais l'impression que c'était moi la viande. Alors je lui ai balancé une baigne dans la tronche et je me suis cassé, sans chercher à comprendre. Je l ai laissée là en plan, à poil sur la moquette. Elle chialait sans doute, cette conne. Tout d un coup, ses lèvres de mérou m ont débecté. Après, je n'ai pas eu le moindre remords de l'avoir giflée. Au contraire, je crois même que j ai aimé ça. Mais à ce moment-là, je n'ai même pas pensé une seule seconde me débarrasser d'elle. Je pouvais pourtant le faire sans problème. C'est vrai, j'aurais pu l'étrangler, cette espèce de connasse! Mais je n'y ai même pas pensé. Et toi petite voix, tu n'as rien dit du tout à ce moment-là... C est bien après que j'y ai pensé. D'ailleurs, l'idée de tuer quelqu'un n'était pas encore dans ma tête. À présent, cette salope doit être loin. Comment pourrais-je la retrouver? À l'heure qu'il est, elle doit être quelque part dans son pays, en Californie ou en Floride, en train de siroter un cocktail au bord d'une piscine ou de se faire sauter par le premier chippendale venu. C'est amusant, en y repensant, parce qu'à ce moment là, justement, j'avais sans doute une excellente raison de tuer quelqu'un. Cette chienne m avait humilié, tout de même. Personne ne nous avait vus entrer, personne ne m'avait vu sortir non plus. Logique. Limpide. Après, j'aurais bien trouvé une solution pour me débarrasser du corps : la télé m'y aurait sans doute aidé. J'aurais juste regardé un épisode de Faites entrer l'accusé pour trouver une idée. En regardant cette émission, on se rend compte que le crime parfait n existe pas ou qu'il est très
difficile à réaliser. Il faut prendre pas mal de précautions. Et puis n importe qui peut tuer. Y compris moi. Il suffit de pas grandchose, juste un tout petit déclic. Celui que je viens peut-être enfin d avoir, même si je ne l'ai pas tuée, la bimbo Américaine aux formes artificielles. J'aurais dû sans doute, ça m'aurait fait du bien. Du coup, Il va bien falloir que je trouve quelqu'un d'autre...