Histoire de l OSE Les enfants cachés ont la parole

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Transcription:

Histoire de l OSE Les enfants cachés ont la parole Norbert HERZ Je suis né à Berlin. Au lendemain de la Kristallnacht, ma mère et moi, un oncle et une tante avons quitté l Allemagne en direction de la Belgique. Nous sommes partis de Berlin en taxi depuis l Alexanderplatz vers la frontière belge. Mon père nous avait déjà quittés en 1933-1934. Un passeur nous attendait et nous a fait passer la frontière. Arrivés à sa ferme, nous avons attendu la levée du jour pour continuer en train direction d Anvers, où ma mère et sa sœur avaient deux frères. Nous sommes restés en Belgique jusqu en mai 1940, jusqu à l invasion du pays par les Allemands. De nouveau, ma mère et moi, mon oncle et ma tante avons pris le train pour la France. Après un voyage assez prolongé, nous sommes arrivés à Boulogne-sur-Gesse (Haute-Garonne), où une petite résidence nous avait été assignée. Nous y sommes restés assez peu de temps, puis les autorités ont décrété que tous les réfugiés juifs étrangers seraient internés dans des camps d internement. Lorsque cette nouvelle s est répandue parmi les habitants du village, une dame - une couturière est venue chez ma mère et mon oncle (qui était rabbin), pour leur proposer de me prendre, afin d éviter mon internement. Elle leur a dit qu elle savait qu ils étaient

juifs et qu elle ne me permettrait pas de l oublier. Hélas, mon oncle ne pouvait se faire à l idée qu un garçon juif, qui devait encore faire sa bar-mitzva, puisse aller vivre dans une famille catholique. C était néanmoins un bel acte de gentillesse de la part de cette dame et qui restera pour toujours gravé dans ma mémoire. Commence alors la courte période du camp de Brens. Ce camp est connu comme un camp de familles. Je me souviens qu il n y avait pas uniquement des internés juifs dans ce camp, mais également des Français, dont le statut n était pas clair. Selon les rumeurs, il se serait agi d anciens combattants de la guerre civile en Espagne. Le régime dans ce camp était plus libéral, nous pouvions sortir durant la journée. Notre prochaine destination fut Rivesaltes, un grand camp divisé en îlots et gardé par des Indochinois. Il était interdit de sortir. En raison de leur mauvaise santé, mon oncle et ma tante n ont pas été internés. De Boulogne, ils ont été transférés à Gaillac-sur-Tarn, où un petit appartement leur avait été assigné. À Rivesaltes, les internés étaient soumis à des conditions de vie beaucoup plus difficiles. J associe à ce camp le froid, le vent et la faim. Nous avions toujours faim. Je me souviens tout particulièrement de la gentillesse de deux ou trois sœurs de la Croix Rouge suisse, dont la tâche était d apporter un peu de joie à la triste vie des enfants. Une baraque leur avait été réservée et là, nous pouvions passer quelques moments au chaud. Il y eut une petite fête de Noël tout particulièrement mémorable, dans cette baraque. C était si différent de la vie à l extérieur. Puis je suis arrivé à Palavas. C était une maison relativement petite avec un nombre limité de garçons et de filles. Palavas était le contraire d une maison orthodoxe. Je ne sais plus au juste combien de temps j y suis resté, très peu de temps en tous cas. Ma prochaine maison fut le château des Morelles, à Brout Vernet. Brout Vernet était une maison pour enfants issus de familles orthodoxes. Mon oncle était rabbin et je suis resté dans le milieu orthodoxe tant en France qu en Suisse, puis plus tard en Israël. Aujourd hui, je ne suis plus orthodoxe.

Je suis resté à Brout Vernet, approximativement de fin 1941 à mai 1943, date à laquelle on me fit passer, avec d autres enfants, la frontière franco-suisse, à Annemasse. Je me souviens avoir grimpé sur les fils barbelés et passé le court chemin vers le poste de douane. Je garde beaucoup de bons souvenirs de la vie au château des Morelles. Nous couchions à environ 5 enfants par chambre. Je me souviens très bien du froid et de la neige des hivers dans l Allier. À cette époque, nos moniteurs au château étaient convaincus qu il était très sain de dormir les fenêtres grandes ouvertes, même en hiver lorsqu il neigeait. Résultat, beaucoup d enfants mouillaient leurs lits et le matin, les flaques de pipi étaient bien visibles. Autre chose très en vogue, la douche matinale. Myriam Weichselbaum était chargée de pousser les enfants récalcitrants sous la douche. En hiver, n ayant pas de chaussures adéquates, je portais des bottes de dames à talons que ma tante m avait envoyées de Gaillac. La nourriture au château était insuffisante et nous avions toujours faim. À mon arrivée, la maison était dirigée par Mademoiselle Bass, une vieille dame qui n était plus à la hauteur de la tâche. Elle fut remplacée par un ancien officier de la police, juif orthodoxe et français. Sous sa direction, un régime très strict a régné dans la maison. C était un homme plutôt cruel, qui battait les enfants et nous avions tous très peur de lui. Chaque matin, nous marchions en rangs vers l école communale de Brout Vernet. Personnellement, je veillais toujours à bien me comporter, car j avais très peur d être envoyé chez le directeur. Les après-midis étaient voués à l instruction religieuse. Nous apprenions à lire l hébreu et à comprendre la Torah. Je garde un bon souvenir de l école de Brout Vernet. L ambiance était très différente de celle du château. C était agréable de se trouver, l espace de quelques heures, dans un environnement normal. J aimais les cours, surtout la géographie. Les instituteurs nous appréciaient beaucoup, parce que nous avions un niveau plus élevé que les autres écoliers. Les relations entre l école et le château étaient très amicales. Nos instituteurs venaient souvent

en visite au château. En été 1942, j eus l idée géniale d aller passer quelques temps chez ma tante et mon oncle à Gaillac. À ma grande surprise, ma demande a été approuvée et un bon matin, j ai voyagé par train de Gannat à Gaillac. Je n ai plus aucun souvenir comment je suis finalement arrivé chez ma tante et mon oncle. Mon séjour fut très heureux dans l ensemble, tous les jours j allais à la foire au centre avec un ami, un garçon juif français, dont la famille était venue de Paris se réfugier à Gaillac. Hélas, cela n a pas duré. Une nuit, deux gendarmes sont venus à notre appartement, pour nous annoncer que nous n avions qu une demi-heure tout au plus pour nous préparer à partir. Nous avons été emmenés dans un camp à Albi, je n oublierai jamais les pleurs et les supplications de ma tante et de mon oncle. Arrivé au camp d Albi au milieu de la nuit, j ai expliqué aux gendarmes que ma mère était à Rivesaltes et que si je devais être dans un camp, je préfèrerais être avec ma mère à Rivesaltes. La même nuit, accompagné d un gendarme, j ai fait le voyage en train jusqu à Rivesaltes, à l îlot K, où nous sommes arrivés le lendemain matin. Le gendarme m a déposé dans l îlot K et m a quitté. Je me suis mis à la recherche de ma mère. Soudain, comme par miracle, je l ai vue et l ai appelée. Ma mère ne pouvait en croire ses yeux, elle qui me croyait sain et sauf à Brout Vernet. Après quelques explications, elle m a réinstallé dans sa baraque près d elle. Rivesaltes avait changé en pire. Les gens mouraient de faim et de maladie. Ma mère pensait qu en se rendant utile, elle pourrait sauver sa vie, c est la raison pour laquelle elle gardait les malades et les mourants, la nuit. Elle avait raison. Elle eut la vie sauve. Un matin, les déportations ont commencé et ont duré toute une journée. Les enfants ont été enfermés dans une baraque. Vers 16h30/17h00, les mères qui

avaient échappé aux déportations sont venues récupérer leurs enfants. Ma mère était parmi elles. J entends toujours les pleurs et les cris des enfants qui n ont plus revu leurs mères. Le fait que ma mère ait été sauvée est un pur miracle. Elle m a raconté qu elle était déjà dans le camion, lorsque le médecin du camp est venu inspecter la liste des gens qui partaient. Il a vu le nom de ma mère et l a faite descendre, arguant qu il avait besoin d elle dans la baraque des malades. De Rivesaltes, ma mère a été transférée à Gurs, où elle est restée jusqu à la Libération. Quant à moi, l OSE m a de nouveau sorti de Rivesaltes et je suis retourné à Brout Vernet. J y suis resté jusqu en mai 1943, date à laquelle je suis parti en Suisse avec un groupe d enfants.