L EUCHARISTIE, DON DE DIEU POUR LA VIE DU MONDE

Quatrième causerie du carême sur le thème de l Eucharistie, donnée à la cathédrale Saint-Joseph, Rouyn-Noranda, 2 mars 2008. L EUCHARISTIE, DON DE DIEU POUR LA VIE DU MONDE PAIN DE VIE POUR MA ROUTE Introduction C est en préparation au congrès eucharistique international du mois de juin que nous vivons ce ressourcement sur l Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde. Le premier dimanche, Mgr Moreau nous a présenté l Eucharistie comme une halte bienfaisante pour accueillir l amour passionné de Jésus et célébrer en Église notre Dieu, source de vie. Le deuxième dimanche, Sœur Gisèle Lafortune nous a donné de mieux saisir tout le sens des rites d ouverture pour faire communauté et entrer en célébration. Dimanche dernier, Pierre Goudreault nous a aidés à nous mettre à l écoute de la Parole de Dieu qui continue à nous parler aujourd hui à travers les saintes écritures. En ce quatrième dimanche du carême, nous poursuivons la route ensemble et nous chercherons à approfondir l Eucharistie, pain de vie pour ma route. Nous tenterons de nous laisser interpeller par la façon dont Jésus se fait proche de nous dans l Eucharistie. Nous aborderons la liturgie eucharistique à travers les gestes visibles et l invisible que symbolisent ces gestes. Nous visiterons la prière eucharistique pour mieux en saisir le sens. Par la suite nous accueillerons le témoignage de Robert De Carufel qui nous livrera comment l Eucharistie est pain de vie pour sa route. Pour nous mettre en situation, j aurais le goût de vous demander à quel moment de la messe commence la liturgie eucharistique? La présentation des dons Avec la préparation des dons, on passe de la liturgie de la parole à la liturgie eucharistique. J attire votre attention sur le fait que dans les textes liturgiques on parle maintenant de présentation des dons et non plus d offertoire. C est que le Concile Vatican II a mis une insistance sur le mot «Offertoire» qui évoque l offrande de Jésus au Père, située au cœur de la prière eucharistique. Au début de la liturgie eucharistique, les dons que nous apportons sont le pain et le vin, fruit de notre travail, que nous présenterons à Dieu pour qu ils deviennent le corps et le sang de Jésus. Le texte liturgique dit bien : «Tu es béni, Dieu de l univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et de notre travail; nous te le présentons : il deviendra le pain de la vie». Il devient pain de vie au moment de la consécration, sous l action de l Esprit. Pourquoi est-il fortement recommandé que les dons soient apportés en procession? 1

C est qu autrefois, dans la primitive Église, les fidèles apportaient de leur maison le pain et le vin qui servaient à la consécration. La procession veut mettre en valeur la participation des fidèles à l action eucharistique. C est le pain et le vin qui viennent de l assemblée, fruit de notre travail, qui deviendront le Corps et le Sang de Jésus. Il y a là un geste qui garde toute sa signification spirituelle. Par la suite, le prêtre invite l assemblée à offrir le sacrifice de toute l Église, quand il dit : Prions ensemble, au moment d offrir le sacrifice de toute l Église L invitation est à la première personne du pluriel. Par ces termes : prions ensemble, c est le peuple rassemblé qui est invité à entrer en prière pour bien se disposer à offrir le sacrifice de toute l Église. Il ne s agit pas juste de moi comme individu, mais bien de nous, ensemble, chrétiens et chrétiennes rassemblés en union avec tous les baptisés du monde. Notre réponse traduit bien le sens de l action que nous poserons quand nous répondons : pour la gloire de Dieu et le salut du monde. C est toute l assemblée qui est célébrante pour offrir le sacrifice de toute l Église pour la gloire de Dieu et le salut du monde. L eucharistie n est pas une action du prêtre seulement mais une action de toute l assemblée. L Eucharistie signifie action de grâce. C est toute l assemblée qui rend grâce, qui offre. Voilà pourquoi toute la prière eucharistique est proclamée à la première personne du pluriel : «Nous te présentons nous t offrons». Le prêtre prie au nom de l assemblée. La prière eucharistique est le cœur même de la célébration eucharistique. Avant d être un texte, la prière eucharistique est une action. Cette action est exprimée par quatre verbes que nous allons développer pour mieux en saisir le sens. D abord le mot prendre : PRENDRE RENDRE GRÂCE ROMPRE DONNER On vient de voir avec la procession des dons, que des fidèles, au nom de l assemblée, apportent le pain et le vin, travail de nos mains aujourd hui. Le prêtre prend le pain et le vin, les présente à Dieu pour qu ils deviennent le corps et le sang de Jésus. La première action liturgique consiste à prendre le pain et le vin pour les présenter à Dieu. C est un geste très simple mais combien signifiant. Prendre pour ensuite rendre grâce La liturgie eucharistique c est la grande prière d action de grâce et dès le début, le dialogue de la préface nous y introduit. Le prêtre nous dit : «Que le Seigneur soit avec vous», et nous répondons : «avec votre esprit». C est comme s il nous disait : «c est important que le Seigneur soit avec nous pour que nous puissions ensemble élever notre cœur et rendre grâce au Seigneur notre Dieu. C est le Seigneur qui nous rend capable de nous tourner vers lui pour lui rendre grâce. 2

Quels sont nos motifs de rendre grâce? La préface nous les donne. D abord pour Dieu qui nous appelle à vivre de sa vie. Pour Jésus qui s est fait l un de nous et qui nous a fait passer de la mort à la vie. À cause de toutes ces merveilles d amour, avec Jésus, les anges et les saints, d un seul cœur l assemblée chante la gloire de Dieu! Et on enchaîne avec le Saint! Saint! Saint! Et voilà qu on poursuit la prière eucharistique, l action de grâce par excellence, constituée d un grand mouvement en trois temps : 1 er temps : La louange à Dieu qui nous donne Jésus 2 e temps : Jésus qui se rend présent 3 e temps : L assemblée qui s offre avec Jésus 1 er temps : La louange à Dieu Le texte de la prière eucharistique peut nous paraître long. Il ne s agit pas d une histoire racontée, ni d une lecture. C est une prière, c est-à-dire, une parole publique que le prêtre qui préside adresse, non pas à l assemblée, mais à Dieu le Père au nom de l assemblée. «Tu es béni Dieu de l univers, toi qui donnes la vie, toi qui sanctifies toutes choses par ton Fils, Jésus, avec la puissance de l Esprit Saint et tu ne cesses de rassembler ton peuple, afin qu il te présente une offrande pure». L offrande pure, c est Jésus. Vient ensuite le moment d implorer la venue de l Esprit qui agit sur le pain et le vin pour les transformer au Corps et au Sang de Jésus. C est ce qu on appelle épiclèse, qui veut dire appel de l Esprit. 2 e temps : Jésus se rend présent C est la consécration. Avec le récit de l institution de l Eucharistie, rappelons-nous que nous ne faisons pas mémoire des gestes de Jésus mais nous faisons mémoire de Jésus qui a posé ces gestes à la dernière cène et qui les pose pour nous, encore aujourd hui à travers le prêtre. Jésus veut passer par le prêtre pour se rendre présent à nous, ici et maintenant. Il ne s agit pas d un souvenir du passé. Jésus nous dit : Faites ceci en mémoire de moi. Cette parole qui a vingt siècles est, en même temps, d une actualité mystiquement efficace. Elle est l axe autour duquel tourne toute notre vie de foi. Le récit de l institution se termine par l anamnèse qui veut aussi dire faire mémoire. Cette acclamation est confiée à l assemblée. Les fidèles se reconnaissent en présence du Christ et s adressent directement à lui. Je vous signale que c est la seule fois qu on s adresse au Christ dans toute la prière eucharistique et cela revient à l assemblée! En présence du Christ Jésus, les fidèles font un acte de foi pour le mystère central de sa mort, «Gloire à toi qui étais mort», pour sa résurrection «Gloire à toi qui es vivant», et dans l attente de son retour à la fin des temps, «Viens, Seigneur Jésus!» Il peut sembler paradoxal de chanter «Viens, Seigneur Jésus», alors que le Seigneur est là, bien présent sous les espèces du pain et du vin. S. Paul dans sa lettre aux 3

Romains nous dit : «Nous avons été sauvés, mais c est en espérance. Nous qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l attendons avec persévérance» (Rm 8,24). Telle est la dynamique de la foi. C est une dynamique de l attente active. S. Luc nous parle de la même façon en nous rappelant les paraboles sur la vigilance : «Restez en tenue de travail et gardez vos lampes allumées» (Luc 12, 35-48). Dans l Eucharistie, la présence du Seigneur nous est déjà donnée, mais de façon cachée. Elle appelle sa plénitude. La dynamique de la foi fait de notre vie une marche à la suite du Christ jusqu à son retour. S. Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, 11, 26, nous dit : «chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu à ce qu il vienne.» L Eucharistie est le sacrement que nous célébrons en Église jusqu à ce que le Seigneur revienne. 3 e temps : L assemblée s offre avec Jésus Quand nous célébrons l Eucharistie, nous sommes rassemblés pour offrir aujourd hui au Père le Corps et le Sang du Christ, pour entrer dans l offrande que Jésus fait de lui-même à son Père et avec Jésus offrir le sacrifice de toute l Église qui est son corps. La troisième prière eucharistique nous fait prier : «Regarde Seigneur le sacrifice de ton Église et daigne y reconnaître celui de ton Fils». Ton Église, c est nous. Le nous des prières eucharistiques manifeste que l acte liturgique n est plus la Cène d hier, mais l eucharistie d aujourd hui. À ce moment-ci de la prière eucharistique, l Église nous fait prier l Esprit Saint afin que nous devenions un seul corps et que l Esprit fasse de nous une éternelle offrande à la gloire de Dieu. Il ne faut jamais oublier que c est l Esprit qui a agi en Marie au moment de l Incarnation. C est toujours le même Esprit qui agit dans l Église. Sous la mouvance de l Esprit qui fait de nous un seul Corps, en Église nous élargissons notre prière au monde entier en priant pour la paix, le pape, les évêques, les défunts et toute la famille assemblée. Après nous être tournés vers Dieu dans la louange, après avoir accueilli Jésus présent et vivant, après avoir formé un seul Corps dans l Esprit, nous pouvons maintenant chanter la gloire de Dieu avec la doxologie : Par lui, avec lui et en Lui, à toi Dieu le Père tout-puissant, dans l unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles, qui se termine par le Amen des fidèles. La prière eucharistique vient de s achever avec le Amen proclamé par l assemblée qui traduit notre adhésion de foi. On entre maintenant dans les rites de communion dont le Notre Père est précisément le premier élément. Par les paroles que Jésus lui-même nous offre et nous demande de dire, le Notre Père est déjà une communion à Dieu qui unit les chrétiens assemblés à Jésus qui fait de nous des fils et des filles de Dieu. Nous pouvons d un seul cœur prier Dieu comme Jésus lui-même nous l a enseigné. D où l importance que toute l assemblée commence ensemble les mots si importants : Notre Père. Prendre le pain, rendre grâce à Dieu, rompre le pain vie. Avec ce troisième verbe nous passons à la fraction du pain. Le pain rompu est le signe du corps brisé de Jésus sur la croix, livré pour que le monde ait la vie. Il est aussi le signe de notre vie 4

partagée : nous sommes le corps du Christ, et nous avons nous aussi à être «rompus» pour donner la vie à d autres. Nous retrouvons ici tout le sens de l accueil et du don. Accueillir Jésus pour le donner aux autres. Une fois que le pain est fractionné, on peut appeler les invités à s approcher pour recevoir le pain de la vie. La formule «Heureux les invités» ne concerne pas seulement les membres de l assemblée devant qui elle est prononcée. Dans une vision de foi, elle va bien au-delà de l assemblée visible, et même de l Église visible. Elle révèle à ceux et celles qui vont communier qu ils ne sont pas les seuls à être invités. Toute l humanité est invitée à participer au festin du Royaume éternel. Il faudrait éviter d en réduire la portée en la limitant qu aux seules personnes présentes. Prendre, rendre grâce, rompre et donner. Le pain rompu c est Jésus qui se donne en nourriture pour alimenter notre vie de foi comme la nourriture qui alimente notre vie humaine. Je dis souvent lors de la formation des ministres auxiliaires de la communion, qu au moment de la communion nous ne distribuons pas des hosties, mais nous offrons le Corps du Christ à nos sœurs et nos frères baptisés, auquel ils adhèrent par un Amen de foi. Tout ce sens doit imprégner ma façon de présenter le pain de vie et ma façon de recevoir le Corps du Christ. Mon attitude révèle aussi la foi qui m habite. Si je me promène avec un vase d hosties ou si je me déplace avec le Corps du Christ que je porte avec respect, mon attitude est différente et traduit ma foi. Il n y a pas d acte adorateur plus vrai que celui de la communion puisqu il consiste à porter à la bouche le Corps du Verbe fait chair. Il ne peut pas alors y avoir de moment plus «adorateur» que le silence qui suit l instant où, en communiant, on a porté à sa bouche Celui qui, seul, mérite notre adoration. J invite maintenant Robert De Carufel à venir nous témoigner comment l Eucharistie est pain de vie sur sa route. Conclusion Après avoir considéré ensemble les quatre verbes, prendre, rendre grâce, rompre, donner, nous constatons qu il s agit bien des mots mêmes du récit de l institution, selon le Nouveau Testament : il prit le pain, en te rendant grâce il le bénit, il le rompit et le donna à ses disciples. «L Église a donc distribué toute la célébration de la liturgie eucharistique en parties qui correspondent à ces paroles et à ces actes du Christ». L Eucharistie est, en quelque sorte, le prolongement de l Incarnation. À l Incarnation, Dieu se fait homme; à l eucharistie, l homme «est fait» Dieu, du fait qu il reçoit le Corps du Christ. «Devenez ce que vous recevez» nous dit saint Augustin. C est ce que je nous souhaite. 5