LES MUSULMANS ONT-ILS UN CLERGÉ?

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Transcription:

LES MUSULMANS ONT-ILS UN CLERGÉ? N'ayant pas assisté à vos séances, il me faut commencer par m'interroger sur ce qu'est un clergé, la définition la plus vague étant celle-ci, c'est l'institution qui gère des hommes qui se sont séparés du commun des mortels pour se consacrer au service du divin et à l'enseignement de la religion au peuple profane. En général, la mission du clergé est double, tout d'abord, gérer le sacré, c'est-à-dire l'espace commun entre la divinité et l'humanité. Ensuite, pour les religions ayant reçu une ou plusieurs révélations et qui sont les plus nombreuses, le clergé s'emploie avant tout à préserver intact le message issu de cette révélation, à mieux le connaître et à mieux le comprendre, et à mieux l'enseigner aux profanes afin qu'il soit appliqué. En général, les religions révélées célèbrent comme leur initiateur et leur guide, l'homme ou l'être, divin ou partiellement divin, qui, le premier, a révélé la révélation et lui vouent un culte. Ces révélations peuvent être successives, les prophètes des juifs, ou unique, Jésus, Zoroastre, Muhammad, ces trois dernières révélations s'appuyant sur des révélations précédentes abrahamiques et post abrahamiques qu'elles enrichissent ou qu'elles corrigent, alors que le judaïsme est totalement indépendant de toute autre religion. Chacune de ces religions a une conception propre du sacré, c'est à dire de l'espace situé à l'intersection entre le divin et l'humain. Le clergé peut avoir parmi ses fonctions de gérer le sacré qui est souvent lié à des lieux, espaces naturels spécifiques, montagnes, sources, lacs ou délimité dans des bâtiments affectés à sa préservation. L'islam n'a pas une perception très étendue du sacré tangible, en dehors de la ka'ba à la Mecque, du tombeau de Muhammad à Médine, et de l'esplanade de Jérusalem, al-haram al-qudsî alsharîf, le noble espace sacré de Jérusalem. Le mot harâm que l'on utilise souvent pour traduire en arabe le terme français, sacré, a plusieurs significations, c'est un espace protégé par Allâh et dans lequel seul celui qui y a droit peut s'introduire, ainsi l'espace familial privé dans lequel un non-parent ne peut pénétrer sans l'autorisation du maître des lieux. La musulmane pieuse qui sort, voilée, dans la rue transporte autour d'elle cet espace sacré qu'aucun non parent n'a le droit d'ignorer. Donc, le harâm c'est un dedans protégé par Allâh et dont la frontière ne doit être transgressé. Il vaudrait donc mieux

traduire le mot par consacré. Ainsi la mosquée est un espace consacré, si jamais un chien la traverse, il faut la purifier, mais la mosquée n'abrite pas normalement de lieux ou d'objets sacrés contrairement aux églises catholiques qui abritent le Saint-Sacrement. On pourrait comparer les mosquées aux temples protestants, ce sont des lieux où les fidèles se rassemblent pour adorer collectivement leur Dieu. Parfois, les fidèles viennent toucher la tombe d'un shaykh religieux célèbre, par exemple un fondateur de tarîqat/confrérie soufie. Cette coutume est totalement condamnée par la majorité des clercs musulmans comme relevant du paganisme, les fidèles adorant un autre dieu qu'allâh et l'école hanbalite demande que les tombes ne soient surmontées d'aucune structure durable, tombeau ou stèle. En effet, Allâh est tout à la fois partout et nulle part, tout objet sacré, tombe ou autre, enfermerait Allâh dans un espace délimité. Plutôt que d'aborder de front la question du clergé, particulièrement malaisée à traiter en ce qui concerne l'islam et, en particulier, l'islam sunnite, ce sont les principaux commandements venus de la révélation muhammadienne qui seront sommairement analysés et pour chacun de ces commandements, seront indiqués les hommes de mosquée auxquels les fidèles doivent recourir. * * * Les commandements révélés aux musulmans par Muhammad peuvent être classés en deux dimensions, l'une, verticale, concerne le culte rendu par la créature à son créateur, le processus d'adoration englobant souvent le Prophète, révélateur humain de la Révélation divine. Le second volet, cette fois-ci dans une dimension horizontale, traite du rapport que le fidèle musulman doit entretenir avec les autres fidèles, de même des rapports qu'il doit entretenir avec les fidèles d'autres religions, soit les religions du Livre, judaïsme et christianisme, soit encore d'autres religions, en général considérées comme relevant du paganisme. Dans cette dimension verticale, la série d'obligations auxquelles le fidèle musulman doit se conformer pour rendre son culte à Allâh, constitue un ensemble théoriquement immuable à travers les siècles, comme à travers les lieux (en fait, il existe une certaine

licence pour le musulman se trouvant dans les bilâd al-harb, l'espace sous souveraineté non musulmane). Cet ensemble est défini principalement dans le Coran, secondairement par le hadîth. Les musulmans le désignent sous le terme de 'ibâdât c'est à dire adorations, de la racine 'abd, esclave, créature d'allâh. Pour les sunnites, il se résume à cinq obligations, 1. al-shahâda, prononcer la profession de foi en Allah, dieu unique, puis 2. la prière, al-salât, qui dans une tradition parallèle à celle des juifs doit être précédée par une purification, bain, simple lavage à la main de l'appareil génital après un coït, purification avec du sable pour la prière dans le désert, etc., (juifs et musulmans considéraient les moines chrétiens comme des cochons ne se lavant jamais) cette prière est, si possible, communautaire et conduite par un Imâm, puis 3. al-zakât, l'aumône aux pauvres, imposée et recueillie par le pouvoir en place, suivie de 4., le jeûne de ramadân, sawm al-ramadân, qui se clôt le dernier jour du mois par le 'îd (ou 'aïd) al-fitr, et enfin 5. le pèlerinage, al-hâjj. Avec la Fête du Sacrifice 'îd (ou 'aïd) al-adha, le 10 dhu l-hijja (dernier mois du calendrier lunaire musulman). Cette fête du Sacrifice commémore le sacrifice demandé à Abraham par Allâh, rapprochant ainsi l'islam de ses racines lointaines, juives et chrétiennes. Pour les shiites duodécimains, et pour les ismâ'îliens, c'est plus complexe, voir (http://fr.wikipedia.org/wiki/piliers_de_l'islam ). Pour les musulmans contrairement aux autres religions, le sacré, strictement réservé à Allâh, n'occupe qu'une place réduite sur la terre. Aucun homme ne serait en droit de le gérer ; la notion de prêtres se consacrant à Dieu dans son Temple est donc complètement absente et serait tenue comme sacrilège car enfermant Allâh dans un espace délimité. De ce fait, ceux que l'on pourrait appeler membres du clergé, les hommes de mosquée, n'ont qu'une mission d'encadrement légal des activités religieuses des fidèles. Le volet des commandements concernant les rapports entre les hommes et constituant la dimension horizontale de l'islam est bien plus développé que le premier. Il se réfère également au Coran, mais surtout au hadîth, d'où de nombreuses divergences. Les musulmans le désigne comme al-mu'âmalât. que l'on pourrait traduire par interactions négociées. L'éthique musulmane des rapports humains a été interprétée de façon très différentes par chaque école juridique sunnite, hanafite, mâlikite, shafi'îte ou

hanabalite ou, encore, chi'ite ja'farite, écoles souvent régionales. De plus, elle a constamment varié dans le temps. La principale recherche concernait le règlement de conflits entre personnes, règlement qui devait s'effectuer conformément à la loi islamique. Il fallait donc rassembler tout ce que contenaient le Coran et le hadîth (alsunna, la coutume juste) ayant trait à ces rapports entre les hommes, l'expliciter, puis en tirer une synthèse aisée à consulter par les praticiens du Droit, les cadis, qui, par ailleurs, devaient s'appuyer sur le témoignages des témoins de justice, choisis par ces mêmes cadis, et qui pouvaient jouer le rôle d'enquêteurs. Ceux qui perpétuent par leur mémoire et par leurs recherches la Révélation sont ceux qui savent, les savants, al-'ulamâ'. On trouve al-qurra, les lecteurs du Coran qui le déclament à la mosquée ou sur la tombe de ceux qui sont morts depuis moins que quarante jours, selon la tradition du calife 'Uthmân ou selon une autre lecture. On trouve les muhaddithûn qui rassemblent et vérifient les hadîths concernant le Prophète, les fuqahâ', juristes théoriciens qui, d'après le Coran et les hadîths réunis par les précédents, établissent le droit islamique dans ses principes généraux ou dans chacune de ses applications pratiques, enfin les qudât, cadis qui se fondent sur le droit défini par les fuqahâ' pour juger les conflits entre les musulmans comme pour se saisir des conduites perverses pour condamner les individus. Je pense qu'on peut les considérer collectivement comme une variété de clergé ne manipulant pas le sacré, mais se consacrant à la conservation, l'enseignement et à l'application de la Révélation. Cette responsabilité s'exerce à tous les niveaux ; ainsi, le cadi désigne pour sa ville, un muhtasib, chargé à l'origine à veiller sur la sincérité des échanges s'effectuant sur le marché, puis plus largement sur la façon dont chaque professionnel exerce son métier ou sa fonction, et enfin sur le comportement public des musulmans et surtout des musulmanes. Plus tard, la hisba, ce contrôle sur le comportement public des individus fut considérée par certains juristes hanbalites comme une obligation pour tout adulte musulman, ainsi la liaison entre les plus hautes autorités des 'ulamâ' et le simple fidèle musulman fut établie. Le rapport entre la communauté des fidèles et les 'ulamâ' variés qui recherchaient à établir les divers éléments de la Révélation, puis les explicitaient et en tiraient les divers enseignements quant au culte et au droit des gens, était celui des écoliers avec leur maître

d'école. Il apparaît clairement dans ce pseudo-hadîth que j'ai relevé dans un manuscrit damascain et qui est attribué à un shaykh sunnite palestinien de tendance hanbalite qui résista jusqu'à la mort à l'occupation de la Palestine et du Sud de la Syrie par les Fatimides, des chiites ismâ'îliens. Ce hadîth part d'une question étrange : les 'ulamâ' seront-ils aussi utiles au peuple des musulmans après leur mort, qu'avant leur mort? La réponse est celle-ci : les 'ulamâ' seront aussi utiles après leur mort qu'avant celle-ci? En effet, ils se retrouveront dans la proximité d'allah avec tous les musulmans élus pour la paradis. Le vendredi, Allâh convoquera le peuple des élus et lui demandera : que voulezvous que Je fasse pour vous? Le peuple des élus ne saura rien répondre, alors les 'ulamâ' lui diront : demandez-lui ceci ou demandez cela. Ainsi, ils seront aussi utiles après qu'avant leur mort. L'islam étant une religion qui englobe l'adoration d'allâh et les obligations liées à l'organisation politique de la communauté, les hommes qui veillent au respect de cette religion ont également une fonction de veilleur sur le comportement social et politique de tous les membres de la communauté musulmane. Aucun de ces hommes de mosquée n'est soumis personnellement à des obligations différentes de celles imposées au simple musulman, ni célibat, ni résidence en couvent, simplement, il doit être un fidèle respectant avec une particulière discipline les règles de la religion. En ce sens, on ne peut parler d'un clergé au sens chrétien du terme. En deça du réseau des hommes de religion, simples civils occupés à protéger ou à prolonger la mémoire de la Révélation, un homme a la responsabilité suprême de l'héritage muhammadien. S'il existait un sacré dans l'islam, on le qualifierait de Roi- Prêtre, il s'agit du Calife. En effet, le Calife a droit à un triple titre, celui de khalifat rasûlillâh, héritier ou lieutenant du Prophète de Dieu, à qui est attribué la tâche de conserver l'héritage de Muhammad, projet d'une nouvelle société musulmane, et donc le Droit qui permettra de réussir cette nouvelle société. Il est donc le maître et l'inspirateur des 'ulamâ' religieux et il nomme personnellement les cadis. Le second titre est celui d'imâm ; en effet le calife, en conduisant la prière du jum'a dans la grande mosquée de sa capitale, conduit symboliquement la prière de tous les musulmans, présentant ainsi à Allâh son peuple L'adorant. Le troisième tître, celui d'amîr al-mu'minîn, Prince ou Commandeur des Croyants, fait allusion à la position de Commandant suprême des armées musulmanes,

titre rapidement devenu fictif sous les 'Abbâsides, quand les chefs d'armées s'emparent du pouvoir politique. Plus tard, le chef suprême politique et militaire recevra le titre de Sultân, mot qui n'a aucun référent religieux et qui désigne seulement un pouvoir réel et efficace, militaire, politique et administratif (notamment la gestion de la fiscalité et de l'argent public), pouvoir fort, non soumis à une autorité supérieure et exercé sur plusieurs provinces. Il reconnaîtra cependant, lors de la khutba et sur les monnaies qu'il frappe, la suprématie religieuse et morale du Calife. * * * On distingue dans toute religion révélée trois périodes, celle qui, prenant naissance à la Création, a précédé la Révélation, pour les musulmans période d'ignorance, aljâhiliyya, qui est une référence négative mais qui doit être connue pour comprendre l'état social et éthique que la Révélation a voulu réformer puis a condamné. Ainsi, dans sa Risâla, le juriste al-shâfi'î, tant à l'aide de hadîths qu'il considère comme véridiques que grâce à son excellente connaissance de la société bédouine qu'il a longuement fréquentée, examine point par point, les commandements muhammadiens et pour chacun, il cherche à connaître et à décrire la société de la péninsule arabique durant la jâhiliyya afin de désigner la coutume vicieuse que le commandement vise à corriger ; cet ouvrage prétend nous donner ainsi une anthropologie générale de la société arabe avant la venue de Muhammad. ==================== La seconde période est celle de la Révélation, on pourrait dire en langage populaire, celle où le divin a décroché le téléphone pour transmettre un message par la bouche de son prophète. Cette période a un début, naissance ou visite au Temple du Christ, naissance de Muhammad, ou première révélation reçue par lui dont la date, en général, ne pose pas problème alors que la fin de la communication divine peut être bien difficile à cerner. Pour le christianisme, par exemple, les protestants situent la fin de la Révélation à l'ascension du Christ. Pour les musulmans sunnites, le décès de Muhammad clôt définitivement la Révélation. Chez les chrétiens catholiques, cela est moins net, puisque Pierre et ses successeurs reconnus continuent à jouir de la Lumière divine et peuvent éclairer le peuple et ainsi expliciter, prolonger ou parfaire la Révélation. De même chez les chiites, chez les grands

imâms descendants des deux frères martyrs, fils de Fâtima, la fille du Prophète Muhammad et de son cousin 'Alî, la lumière divine se perpétue et ils peuvent à tout moment communiquer aux fidèles un nouvel élément de la Révélation. Chez les soufis, les plus pieux d'entre eux ayant accompli toutes les étapes de long chemin qui conduit au divin, accèdent enfin à la lumière divine, nûr Allâh, et à connaissance personnelle de l'homme Parfait, al-insân al-kâmil, Muhammad. * * * Chez les sunnites, la grande crainte venait à chacun, que, du fait de la mémoire défaillante de la Communauté des fidèles, al-umma, le Message affiché dans une seconde période relativement courte, ne soit plus transmis dans sa totalité d'une génération à l'autre. La plus grande vertu était donc la mémoire qui préservait la globalité de l'héritage muhammadien ; pendant longtemps, les musulmans firent davantage confiance à la récitation orale, sous contrôle, du Coran et des hadîths concernant le Prophète, qu'aux textes écrits. ===================== Le troisième temps est celui qui s'est écoulé depuis la fin de la Révélation jusqu'au présent. L'histoire de la mise en place du culte musulman, des schismes qu'il a connus, des combats qu'il a engendrés doit être impérativement conservée. Chaque école publie la liste de ses maîtres, et de leurs disciples, devenus maîtres à leur tour. CONCLUSION On ne peut parler de clergé dans l'islam, ni dans le sens d'individus cogérant le Sacré avec la divinité dans Son Temple, ni d'individus mis à part, condamnés au célibat, à la pauvreté, à l'ascèse, à la vie en collectivité, à la soumission à une institution hiérarchisée, mais simplement en se référant à des hommes de mosquée, savants ('ulamâ'), recueillant avec soin la tradition de l'héritage muhammadien de la Révélation, la consignant, la soumettant à examen, en tirant les principes principaux en matière de Droit et l'enseignant aux fidèles musulmans.