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Transcription:

LA VIEILLE FEMME Ateliers des 26 novembre et 03 décembre 2011 à Châteauneuf de Gadagne. Muse : Françoise Sliwka «Oh! Cet homme m a photographiée! Quelle idée! Il lui fallait surement une présence humaine pour donner un peu d âme à ces vieilles pierres. Encore. Le soir. Comme tous les autres soirs. Sortir. Encore sortir. Dans le clair obscur des pierres et de la lune. Aujourd hui encore, comme hier, comme avant-hier, comme toujours, je suis là. Il fait noir. Il fait froid. La rue est sombre. La rue m est hostile. Je s rais bien restée chez moi ce soir à écouter mon phono jouer, jouer d une voix enrouée dans une chambre fermée. Ca m est égal Tout m est égal à présent. La vie se retire de moi comme elle s est retirée de ce lieu qui sent le salpêtre et l eau croupie. Cette rue je la connais trop bien, enfin, je la connais si l on peut dire, la connais-je vraiment? Cette rue que je traverse le matin si tôt et le soir si tard ne m apparait que sombre, que mystérieuse, que dissimulée derrière ce lampadaire à la lumière si lancinante et si simple. Je me demande bien à quoi peut ressembler cette rue de jour, cette rue quand je ne suis pas ici pour la voir, cette rue peut-être si différente, vivante, éclairée, animée que je me sentirais perdue. Et moi je me retire de la vie puisque ceux que j ai tant aimés m ont quittée. J aimerais bien d ailleurs venir ici un jour, un jour dans ce sens de lumière, de soleil, de vie et de clarté, venir et découvrir. Avant, ça ne me gênait pas le soir de sortir. Au contraire. Avant, quand il était Avant quand il Avant quand Bref. Cet homme que je chérissais. Lui a toujours ses habitudes, sur la même banquette, du même café. Lui, avec ses mains calleuses. Où est-il ce soir? Il a disparu.

C est vrai ça, qu il a-t-il dans cette rue en réalité à part les deux fameux chats que je croise toutes les nuits? Maintenant je le vois. Des fois. Parfois. Dans les profondeurs de la mer. Noyé, entourée de bulles, fines. Je crois qu il est seul à présent. La jeune femme pour qui il m avait laissé tomber l a abandonné à son tour. Est-ce une rue vraiment abandonnée comme à part du monde? Pourquoi la mer? Lui qui déteste l eau. Lui qui trainait. Toujours. Toujours il trainait dans le jour qui tombait. Flottant. Fantomatique. Lui qui toujours a trainé. Toute sa vie il a trainé. Rien. Rien. Rien. Je me suis souvent torturée, me demandant si j avais été une bonne épouse pour lui. Il avait beaucoup d ambition, voulait réussir à tout prix, pour prendre une revanche sur une jeunesse difficile. Aveugle il était. Et moi je le regardais. Mal je le regardais. Mal. Si seulement j avais déplissé mes yeux. Un peu. Légèrement. Cela aurait peut-être suffi à ouvrir la porte. Tiens, je m approche d une façade, c est la première fois que j ai la curiosité de m intéresser à mon itinéraire nocturne. Il y a une devanture mais je n arrive rien à lire, il faut dire qu il pourrait y avoir un peu plus d éclairage, je reviens sur mon chemin, tombe à la descente du trottoir, il faudra vraiment un peu plus de lumière. L autre porte, celle cachée. Cachée derrière les larmes. Obscure derrière la colère. Notre colère. Lorsqu il a atteint son but, il aurait souhaité que je sois plus coquette, plus brillante en société. Je n ai pas fait assez attention. Je n ai pas vu les signes avant-coureurs de son désamour. Notre colère rouge et le sang. Tout ce sang. Toujours le sang. Délivrance. Mais pas celui-là, non l autre. L autre. Celui d elle. Elle la petite fille sous les feuilles qui éventre une poupée nue. Celle-là qui Celle-là Mes grandes filles, adultes maintenant, vivent leur vie. L aînée, je le sais, n est pas très heureuse, courant après un amour impossible. La jeune a épousé un brave maraîcher de la région mais, absorbée par ses deux enfants et son travail, elle n a plus le temps de penser à sa maman.

Moi qui ai vu tout ce sang. Moi qui, celui-là, n ai pas su le retenir. Pourquoi, pourquoi juste elle? Une fois. Un instant fugace. Jeunesse brisée. Qu est-ce que c est étrange ce sentiment que je ressens pourtant. Je commence à m intégrer à ce chemin, cette rue noire, je m y sens mieux, j ai envie de mieux la connaître, je ne veux plus seulement la traverser pour rentrer chez moi au plus vite, pour m asseoir et siroter. Et lui après. Après cela. Evidemment. Et moi aussi. Evidemment. Une autre. Et le monde aussi, un autre. Autre monde. Hostile. Amer. Froid. Comme ils sont loin Non, pas loin géographiquement S ils étaient à Lille ou même en Patagonie, mais proches de moi par leur tendresse, ce serait moins dur. Et comment on fait. Hein? Après. Comment j ai pu continuer après cela. Après tout ce sang, perdu, coulé. Continuer à en voir du sang des inconnus. A imaginer la vie derrière ce sang. J envoie encore des messages. J essaie de maintenir un lien. Ils y ont répondu un peu Encore Comment s est fait la mort? Je n ai pas compris encore. Puis de moins en moins Trop éloignés Trop tendus vers d autres buts. J ai l impression de crier dans le vide. Personne n entend plus ma voix. Comment s est fait la mort? Les feuilles pourries du passé m étouffent. Me suffoquent. Et je ne parle plus maintenant. J ai oublié. Comment on fait déjà? Comment on fait pour parler? Pour vivre? Alors je pense En esprit, je tente de revivre les jours heureux : la maison au soleil, au pied de la montagne couverte de pins, les chiens joueurs qui me suivaient partout, la cheminée qui fumait, la table mise pour la famille et les amis, la bonne odeur du gâteau cuisant dans le four Comment on fait pour sentir le monde? Hein comment? Elle. Evidemment elle le sent plus le monde. Elle, sous ses feuilles avec sa poupée. Elle dessous. Sous la terre. Comment elle le sent le monde? Hein, comment elle le sens? Fini, fini, fini tout ça!... Que sont les amis devenus? Envolés, comme il est courant, lorsqu un couple se désunit. Autant rechercher les feuilles tombées des branches au fil des automnes, puis balayées par les vents, puis réduites en poussière

Elle qui tous les jours dévalait l escalier pour courir vers la mer. Tous les jours je le vois l escalier encore toujours baigné d ombre et de lumière. Tous les jours je le vois. Et jamais je ne peux, non jamais, je ne peux le descendre cet escalier. Celui-là Celui qui justement lui ressemble. A demi caché par les feuilles. Je me rends compte que c est pourtant la première fois depuis quelques semaines que je souris, et là, ce sourire, si faible, si timide, me fait remonter ce sentiment de bonheur qui a pu me faire vibrer il y a quelques années. J ai presque ce sentiment heureux de quelqu un découvrant, voulant plus découvrir et au final être satisfaite de mes découvertes. Et lui, est-ce qu il sent encore? Est-ce qu il voit encore ces marches? Et elle Est-ce qu il la voit encore? Comme je la vois. Moi, tous les jours. Et son front plissé. Est-ce qu il se penche aussi. Là. Dans la terre. Au dessus d elle. Est-ce qu il la creuse la terre aussi. Avec ses mains. Ses mains calleuses. Celles qui Celles qui Rien. Cette joie, je voudrais la partager au monde entier, je voudrais que tout le monde sache que le seul intérêt pour cette rue me donne le sourire et me transporte vers une joie merveilleuse. Est-ce qu un jour à nouveau, les traces de nos mains dans cette terre, avec ses feuilles et ses araignées se joindront l une à l autre à nouveau. Nos mains et le silence. Et si j hurlais cette joie? Là, maintenant, tout de suite, c est le milieu de la nuit, qu importe non? Casser ce silence. Le rompre. Ne serait-ce qu un instant. Pour elle. Avec elle. Dans le souvenir du jour qui passe. Ne plus compter les jours. Plus jamais. Plus jamais ces traits de craie blanche sur le tableau noir. Sentir le monde à nouveau voir, toucher. Je me dis que les êtres humains sont pareils à des astres gravitant dans l infini de l espace et du temps? Qu est-ce qu une famille? Des astres qui, un moment, vivent en conjonction. C est chaud et lumineux. M allonger dans la chaleur, humide étrangement fleuri de la terre. Fermer les yeux et rêver. Oui rêver à nouveau. Si seulement je pouvais. Si seulement c était possible. Encore de rêver d être là tous les trois à la fenêtre, regarder la mer. Il ferait beau alors, même au plus creux des hivers. Mais la course des astres ne s arrête jamais. Leurs orbites divergent, de plus en plus éloignés. Et tout le reste n est qu illusions, conventions A quoi bon gémir, pleurer, crier?...

Non, je ne crierai pas, je ne dirai rien. Pourquoi partager ce sentiment qui est déjà parti? Personne n est là pour m entendre. Personne ne veut m entendre. Que faire pour vivre encore, malgré le froid sidéral? Rien. Rien que s exercer à la sublime impassibilité des astres Si seulement c était encore possible. Je voudrais juste que ce soit possible. Je suis seule, ma vie se résume par les mots solitude et désespoir. De rêver encore. De rêver toujours. Toujours rêver. C est bon, je rentre chez moi, et comme tous les soirs, comme hier, comme avant-hier, comme toujours, je vais m endormir le cœur serré et la larme à l œil. Si seulement je pouvais juste fermer les yeux et rêver. Parfois, en rêve, je sens renaître l espoir, l espoir, cet aimant à miracles ; l espoir qui est comme une graine oubliée dans un grenier. Grise, sèche, elle semble morte. Pourtant, si elle tombe sur une terre humide, un petit germe vert tendre peut se montrer. Il m est impossible de vivre sans espérance. Estce que je vis?... Oui, j espère que, peut-être, nous serons de nouveau rapprochés. Mais quand? Dans un an? Dans quelques milliards de siècles? Quelle forme sera la nôtre alors?