1 ère lecture : de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens (11) Evangile : selon saint Jean (13) J ai entendu un jour une phrase très forte, qui m a beaucoup interpellé, et que j ai gardée en mémoire, sans trop la comprendre : «L homme n est jamais aussi grand que quand il se met à genoux». Voilà une position anormale pour l homme : depuis la création, et à travers tout le processus de l évolution Charles Darwin, beaucoup célébré au cours de cette année, l a bien montré l homme s est redressé. Nos ancêtres ont acquis la liberté de mouvement, la station verticale, puis l indépendance de leurs bras et de leurs mains, pour marcher sur leurs deux jambes et se tenir debout. Alors, pourquoi se mettre à genoux, et pourquoi dire que l homme est vraiment grand quand il se met à genoux? 1 / 8
En bon catholique, j ai fait le lien avec l eucharistie. Même si mon vicaire, quand j étais enfant, ne voulait pas entendre parler de génuflexion, j ai appris qu on pouvait se mettre à genoux, à l église : pendant la consécration par exemple, ou pendant un temps d adoration ; pendant la prière personnelle aussi, à l église et même chez soi Au cours de cette journée, ici à Arlon, beaucoup parmi vous ont participé à un temps d adoration eucharistique ; et certains ont adopté spontanément cette position : ils se sont mis à genoux devant le Saint-Sacrement, en signe de respect, d adoration, d amour de Dieu : ils l ont reconnu plus grand qu eux. Entendons-nous bien : c est l attitude intérieure qui compte. Devant Dieu présent dans l Eucharistie saint Paul nous a rappelé, dans la première lecture, les paroles de Jésus lors de la dernière Cène, quand il a dit : ceci est mon corps, ceci est mon sang devant Dieu présent dans l Eucharistie, notre cœur veut se mettre à genoux, pour l adorer, l aimer infiniment ; se mettre à genoux physiquement si on le peut et si on en a envie, mais surtout se mettre à genoux intérieurement, de cœur et d âme et dire au Seigneur, comme Marie : Voici l humble servante du 2 / 8
Seigneur Il humble servante. s est penché sur son Je croyais que c était surtout cela que signifiait le geste de se mettre à genoux. Et puis j ai découvert autre chose. Vous savez que les évangiles racontent la Dernière Cène de Jésus, qui est, pour l Eglise, l institution de l Eucharistie ; en donnant son corps et son sang, Jésus ajoute : «Vous ferez cela en mémoire de moi». Mais un des quatre évangélistes, Jean, raconte les choses autrement : c est le texte qui vient d être proclamé. Saint Jean sait bien ce qui s est passé à la Dernière Cène ; mais il veut nous raconter, à la place, le lavement des pieds : Jésus, ce soir-là, s est mis à genoux aux pieds de ses disciples et leur a lavé les pieds. Il s est mis à genoux, en signe de service et d amour de ses frères. 3 / 8
Dans le pain et le vin, Jésus nous donne son corps et son sang, sa vie livrée pour nous. Dans le lavement des pieds, à genoux devant ses disciples, Jésus nous donne sa vie de serviteur, d ami des petis et des pauvres, des malades et des infirmes. Jésus le dit aussitôt à ses disciples : «Avez-vous compris ce que j ai fait? C est un exemple que j ai donné afin que vous aussi vous vous laviez les pieds les uns les autres». Un exemple donc, multiplié tant de fois dans nos vies, si nous le voulons ; répété sans cesse et vécu au cœur de nos pèlerinages à Lourdes, quand un brancardier, une brancardière se met à genoux devant un malade pour le servir : nouer un lacet, débloquer la voiturette, prodiguer un soin, faire la toilette Voilà qui enrichit considérablement ma petite phrase du début : L homme n est jamais aussi grand que quand il se met à genoux» physiquement ou intérieurement, pour aimer son Dieu dans l Eucharistie et pour servir son frère. Les deux sont liés : l Eucharistie est le sacrement de l Amour, amour de Dieu pour nous, notre amour envers nos frères. J aime citer cette phrase de saint Vincent de Paul qui répondait à une religieuse embarrassée de devoir quitter parfois sa messe ou son adoration parce qu un malade l appelait à son chevet : «Ce n est pas quitter le Seigneur que de le retrouver dans le pauvre 4 / 8
». Aimer Dieu et aimer son frère. Servir Dieu et servir son frère, les deux ensemble. Dieu à l œuvre en nous, quand nous recevons son corps Dieu à l œuvre en nous quand nous servons nos frères. Dieu à l œuvre dans la petite Bernadette Soubirous, quand elle le reçut à genoux, au jour de sa première communion, dans la chapelle de l Hospice de Lourdes. Dieu à l œuvre en Bernadette, quand elle le servit dans les plus pauvres, comme Sœur de la Charité de Nevers. 5 / 8
Voici une petite histoire, qui doit être vraie. Un jour, un fermier du village fit une promenade à travers champs avec son curé. Ils se connaissaient bien et étaient bons amis. Le fermier voulait lui montrer ses cultures, belles et florissantes, dont il était si fier. Chemin faisant, ils arrivent près d un beau champ de luzerne, superbe, bien riche et grasse, aux reflets éclatants. Le fermier dit à son curé : «Regardez, monsieur le Curé, comme elle est belle! J y ai travaillé, des heures et des heures. J y ai passé du temps, je l ai enrichie de fumier et d engrais ; j en suis si fier!» Le curé répondit : «Mon fils, c est au Bon Dieu qu il faut rendre grâce. C est lui qui fait pousser et mûrir toutes choses». Le fermier ne sut que répondre. Ils continuèrent leur chemin ; et les voici arrivés devant un magnifique champ de froment, bien mûr, tout doré, aux épis lourds de grains, ondoyant sous le vent. Le fermier dit à son curé : «Regardez, monsieur le Curé, comme il est beau! J y ai travaillé, vous savez. Ce n était qu un champ de pierres ; je les ai enlevées, une à une ; j ai charrué, travaillé la terre, semé ; j attends une superbe récolte, j en suis si fier!» Le curé répondit : «Mon fils, c est au Bon Dieu qu il faut rendre grâce. C est lui qui fait pousser et mûrir toutes choses». Le fermier ne sut que dire Ils reprirent la route et arrivèrent devant un autre terrain que le fermier possédait : une espèce de terrain vague, une jachère où rien n avait poussé, que des cailloux et des chardons. «Et ça, mon fils, dit le curé, qu est-ce que c est?» «Ca, monsieur le Curé, répondit le fermier, c est quand je laisse le Bon Dieu travailler tout seul!». 6 / 8
Dieu et l homme ensemble ; jamais Dieu sans l homme, ou l homme sans Dieu. Dieu et l homme ensemble, pour servir la création, pour servir le monde, pour servir nos frères. On avait trouvé un jour dans les ruines d une vieille chapelle un tout vieux Christ en bois : il n avait plus de bras. On réfléchit pour savoir s il fallait lui en refaire, le réparer ; puis on renonça, on le laissa comme ça : le Seigneur n a pas d autres bras que les nôtres, pas d autres mains que les nôtres, pour offrir et servir, pour partager et pour bâtir. Le récit du lavement des pieds, dans l évangile de Jean, est introduit par un très beau verset : «Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu au bout». 7 / 8
Merci à tous, frères et sœurs, merci à chacun de nous, aux malades et aux valides, aux adorateurs comme aux autres, de conjuguer le verbe «aimer» à la personne de Jésus comme à leur première personne. Que nous puissions toujours redire, à chaque eucharistie : «Seigneur Jésus, je veux t aimer et te servir jusqu au bout». Amen. Abbé Joël Rochette Président du séminaire de Namur 8 / 8