Pulsion agressive et processus adolescent. (ce qui est en italique peut ne pas être dit)



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Transcription:

1 Pulsion agressive et processus adolescent. (ce qui est en italique peut ne pas être dit) La psychanalyse a réservé une importance croissante à l agressivité, en la montrant à l œuvre très tôt dans le développement du sujet, et en l envisageant selon le jeu complexe de son union et sa désunion avec la sexualité. Bien que le concept de pulsion de mort et son élaboration n ait nullement abouti à la reconnaissance métapsychologique d une pulsion agressive au même titre que la pulsion sexuelle, l explication de la pulsion de mort comme pulsion d autodestruction primaire se convertissant en pulsion de destruction, d agression et en pulsion masochiste a considérablement ouvert le champ de la recherche sur l agressivité chez nombre de psychanalystes. L hypothèse d une pulsion d agression a pris son origine, comme vous le savez, dans une conférence donnée par Adler le 8 juin 1908 intitulée «la sadisme dans la vie et la névrose». Cependant en marquant son intérêt pour les positions d Adler, et malgré l analyse du petit Hans qui fait reconnaître à Freud les manifestations agressives rencontrées dans l enfance avec les premières tentatives de séduction, Freud ne se résout pas à reconnaître une pulsion spécifique d agression. Freud n aurait donc que tardivement reconnu l importance de l agressivité. «Pourquoi nous a-t-il fallu si longtemps écrit-il lui-même en 1933, avant de nous décider à reconnaître une pulsion d agression, pourquoi n avoir pas utilisé sans hésitation, pour la théorie, des faits qui sont exposés au grand jour et connus de tout le monde?» 1 Il est en effet surprenant de constater que les premiers textes fondateurs, depuis «l interprétation de rêves» jusqu aux «Trois essais» ne mentionnent pas l existence d une pulsion d agression. C est pourtant à partir de 1905 que Freud aborde l agressivité, mais à travers la notion d emprise qui paraît surgir par 1 Freud S., 1933, Nouvelles conférences d introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, 139-140.

2 tâtonnement entre le sexuel et le non-sexuel ; elle est dans ce contexte le seul élément présent dans la cruauté originaire de l enfant ; elle n aurait pas pour but la souffrance d autrui, simplement elle n en tiendrait pas compte. Pour continuer dans l histoire de l agressivité chez Freud, à partir de 1920 Freud lance son hypothèse de l existence d une pulsion de mort opposée aux pulsions de vie. On entre dans la seconde théorie des pulsions. L agressivité joue alors un rôle plus important et occupe une place différente dans la théorie freudienne. Dans «le moi et le ça» il postule ainsi que «la pulsion de mort se manifesterait désormais «(de manière partielle) sous la forme de pulsion de destruction tournée contre le monde extérieur et d autres êtres vivants» 2 par l entremise de la musculature. Les pulsions de mort peuvent être en partie déviées vers l extérieur sous forme d agression, ou en partie rendues inoffensives par leur union avec des composantes érotiques. Lorsqu une part de cette pulsion de mort tournée vers l extérieur est directement placée au service de la fonction sexuelle, c est le sadisme proprement dit. L autre part de la pulsion destructrice qui reste à l intérieur du sujet va être quant à elle liée libidinalement (à l aide de la coexcitation sexuelle ): il s agit là du masochisme érogène primaire. Je n y insisterai pas davantage si ce n est pour souligner qu en 1933, Freud, dans ses Nouvelles conférences de psychanalyse, fera quand même l hypothèse d une «pulsion particulière d agression et de destruction chez l être humain» 3 grâce à l élaboration des phénomènes du sadisme et du masochisme. Freud expose également la possibilité que l agression ne puisse pas trouver de satisfaction dans le monde extérieur parce qu il se heurte à des interdits : dans ce contexte, l agression reste au dedans du sujet augmentant par là, la quantité d autodestruction. «Tout se passe comme si nous devions détruire d autres choses et d autres êtres, pour ne pas nous détruire nous même, pour nous préserver de la tendance à l autodestruction. Il existe donc dans la théorie 2 Freud S., 1923, Le moi et le ça, Paris, pbp, 2010, 92. 3 Freud S., 1933, Nouvelles conférences, 140.

3 freudienne une pulsion de mort originaire qui, selon son objet et son but se transformerait en pulsion d agression ou de destruction. On remarquera que bien souvent pulsion d agression et pulsion de destruction sont utilisés de façon similaire dans les écrits freudiens pour décrire les manifestations de la pulsion de mort tournée vers l extérieur. Néanmoins dans l Abrégé de psychanalyse (1938), la distinction entre pulsion d agression et pulsion de destruction nous apparait plus clairement : la pulsion d agression vise à agresser l autre et non le détruire tandis que la pulsion de destruction tend à détruire et surtout à se détruire afin de restaurer un état antérieur. La pulsion de destruction serait finalement avant tout auto-destruction. La pulsion agressive quant à elle, s adresserait à l autre pour ne pas se détruire soi-même. Sa mise en jeu nécessitant une objectalité découlant d une élaboration imaginaire organisée sous le primat de l Œdipe et de la génitalité. Il s agirait donc d une secondarisation (par rapport aux formes précoces et narcissique d hostilité) au sens où le concevait Freud. Le but (imaginaire) de la démarche agressive impliquant une satisfaction libidinale prise dans l atteinte d un objet sous la forme d un rival œdipien. Parmi les contemporains et successeurs de Freud il me faut citer aussi M. Klein qui va pleinement reconnaître l authenticité des pulsions agressives et admet sans réserve leur qualité pulsionnelle au même titre que les pulsions sexuelles. Elle montre, nous le savons, à partir de sa pratique clinique avec les enfants, l importance des fantasmes, angoisses et désirs très précoces chez l enfant à l encontre de sa mère et son entourage, et en particulier un noyau primitif de haine qui en fusionnant avec la libido tout en la potentialisant donne naissance aux pulsions agressives qui ont pour corolaire destructivité et sadisme. Il nous faut citer Winnicott qui a insisté sur le rôle prédominant joué par les pulsions agressives dès la première enfance. Dans L agressivité et ses rapports dans le développement affectif (1969) Winnicott décrit l émergence de l agressivité aux différents stades de développement et va parler d un stade théorique non-inquiet

4 ou de cruauté, l agressivité faisant donc partie, pour lui, de l amour. L agressivité chez l enfant n est pas pathologique car elle n a pas pour but d infliger de la douleur à autrui ni d en éprouver du plaisir, mais elle constitue une des composantes normales de l évolution. C est grâce à l agressivité que l enfant s affirme et fait avoir ses désirs. Nous retrouvons cette même idée chez Joan Rivière qui estime que l agressivité est un élément essentiel de l instinct de conservation, de l instinct de survie, la clinique contemporaine nous montrant également des comportements agressifs vectorisés vers la survie, l agressivité visant donc à assurer une fonction de protection de l individu. Il nous faut également citer Jean Bergeret qui, à la notion d agressivité avec laquelle nous évoluons dans une sphère où l érotisation reste toujours partie prenante dans les processus organisateurs, oppose le concept de «violence fondamentale», plus archaïque, pré-œdipien, qui appartient à une nécessité de survie, «à l intentionnalité purement purement autoconservatrice» 4. J évoquerai enfin l idée introduite par D. Cupa d une pulsion de cruauté autoconservatrice et de décharge s inscrivant dans une destructivité originaire. Cette pulsion de cruauté appartenant au couple tendresse/passion de la cruauté. Une des particularités de cette pulsion cruelle étant son indifférence à l objet et à sa douleur alors que dans les mouvements sadiques le sujet s identifie à la douleur de l autre. La cruauté serait ainsi une des formes cliniques où se donne à voir une pulsion de mort intriquée qui concourt aux défenses de l organisme et du psychisme contre la désorganisation et l autodestruction. L étude de l agressivité en psychanalyse rend compte ainsi d une multitude de définitions et donc d un manque de consensus autour de cette notion, notamment à travers les termes de sadisme, cruauté, pulsion d agression, violence et pulsion cruelle, chacune de ces notions renvoyant à une conception différente de l agressivité bien qu ils se rejoignent sur un point : l agressivité, quelle que soit 4

5 la forme qu elle peut revêtir, assure une fonction de protection de l individu lorsqu il se sent menacé. Ainsi pourrions-nous considérer qu il n y a pas une agressivité mais des agressivités, plus ou moins liées à la sexualité. Deux analogies me sont venues en écrivant ce préambule sur la notion d agressivité et plus précisément au sujet de la différence entre pulsion agressive et pulsion de destruction. Deux analogies en référence aux travaux d auteurs comme Raoult ou Balier dans le souci de rapprocher l agression du processus adolescent. D abord la différence qui peut être faite entre et la mise en acte ou acting out, travail de figuration ou de scénarisation toujours ici dans la relation d objet, demande de symbolisation (Lacan) qui s adresse à un autre, réponse en acte à la défaillance de l autre (l analyste selon Lacan) ; et le passage à l acte qui est un acte non symbolisable par lequel le sujet bascule dans une situation de rupture intégrale, d aliénation radicale. Le passage à l acte adolescent serait à situer entre les deux comme le souligne Annie Birraux, une des procédures spécifiques qu utilise l adolescent, c est précisément l agir. L adolescent passe à l acte pour extérioriser quelque chose de son monde interne. L acte est alors l expression d un désir qui n a pas pu être élaboré et qui n est parfois même pas représenté. Annie Birraux estime, et je suis d accord avec cela, que l acte n a a priori ni portée négative ni portée positive ; il a une valeur initiatique et finalement une fonction structurante. Il est d onc d une certaine façon fondateur de l adolescence. «L acte est la pensée impensable de l adolescent». Deuxième analogie à laquelle j ai pensées, dans un autre registre : la différence que nous pouvons faire entre la perversion (visant à intégrer la violence et pouvant être considérée comme un paradigme en référence à la perversion polymorphe infantile) et la perversité (au service de la violence). Il me semble que rapporter le notion d agressivité au processus adolescent nous place au point de bascule entre le rapport à l autre et le rapport à soi-même. Rapport à l autre si l on se démarque du caractère destructeur de la pulsion, si

6 l on pense à la mise en acte ou à la perversion. Rapport à soi-même si l on pense au passage à l acte ou à la perversité qui sont davantage du côté du déshumain que de l humain, «l expérience du déshumain se jou(ant) au moment où est perdue toute ressemblance, ou est perdue au travers de toute ressemblance toute possibilité d un semblable.» comme a pu le dire P. Fédida (p. 28), l humain étant au contraire de l ordre de la reconnaissance des états qui permettent de penser la semblance et le semblable. Il me semble que d un point de vue clinique, en rapport avec le processus adolescent qui se caractérise par le réaménagement de la vie sexuelle avec son corolaire, le doute quant au lien entre le «je» et le corps, la défaillance de l objet narcissique parentale avec la construction d un nouveau rapport à l autre, enfin une certaine difficulté à s approprier le temps avec le sentiment d une rupture de la continuité de l existence, la notion d agressivité aurait le plus souvent tendance à rassembler, à symboliser, représenter, bien qu elle se déploie parfois dans un champ plus radical et destructeur (sans que pour autant nous puissions évoquer la notion de perversité chez les adolescents). Je pense à l étude qu a mené une des mes doctorantes sur les infractions sexuelles adolescentes au regard du processus adolescent en tentant plus généralement d appréhender la porosité entre processus «normal», dérapages pathologiques, craquées, rattrapages ou parfois même décompensations psychopathologiques plus préoccupantes. Sa recherche portait plus précisément sur la clinique de l infraction sexuelle à l adolescence au regard de certains traits psychopathologiques en faveur de la psychopathie et de la perversion et d une distinction fondamentale : entre actes perpétrés de façon individuelle, actes commis en groupe et cristallisation psychopathologique intra-groupe. Sachant comme nous le savons, que le groupe peut, à l'adolescence, revêtir les traits d'un pare-identificatoire transitoire aux vertus particulièrement importantes pour la maturation identitaire du jeune

7 dans toute sa subjectivité. Les frontières entre actes «individuels» et actes davantage «institutionnalisés» n ont pas semblés si hermétiques. Sur le plan conceptuel elle a interrogé dans ce cadre les destins de la pulsion non sexuelle de mort, la dilution identitaire, la potentielle culpabilité des auteurs d infraction sexuelle. Elle a abordé la question de la distinction entre culpabilité consciente et inconsciente. Elle a confronté des notes d entretiens à des données issues des méthodes projectives sur une population de jeunes incarcérés (entre 15 et 18 ans) : 6 d entre eux étaient incarcérés pour des faits d infractions sexuelles commis seul ; sept autres étaient incarcérés pour des faits d infractions sexuelles commis en groupe. Et elle a donc cherché à mettre à jour certaines tendances psychiques présentées par des jeunes incarcérés pour agressions sexuelles et/ ou viols notamment au regard de la distinction entre infractions sexuelles commises seul, et infractions sexuelles commises en groupe. Pour ne donner que quelques éléments des conclusions de ce travail. Il est apparu que les profils des jeunes incarcérés pour infractions sexuelles commises en groupe et ayant endossé objectivement ou subjectivement la position de leader à un moment donné dans le groupe, se rapprochaient significativement de ceux des adolescents incarcérés pour infractions commises seul, sur les axes psychopathologiques de personnalité : notamment au regard de tendances perverses. Par ailleurs les adolescents incarcérés pour infractions sexuelles commises seul et ne présentant pas spécifiquement de travers pervers de personnalité, ont semblé tous en proie à des tendances psychopathologiques enkystées dans des registres plus variés, mais dépassant clairement, ce qui, chez d autres (notamment chez les adolescents incarcérés pour actes d infractions commises en groupe et ayant revêtu le statut de suiveur) pouvait se lire au regard d un retentissement du processus adolescent.

8 En évoquant cette étude, je suis bien conscient que je me place à l extrême de ce que l on peut identifier comme de agressivité. Je me place du coté de l agression et de la même façon que nous pouvons avoir à différencier l obsessionnalité de l obsession, nous avons à évaluer cliniquement la qualité de l agressivité en faisant la différence entre l agressivité et l agression, le problème majeur étant précisément celui du passage de l une à l autre. Cet état transitionnel entre l agressivité et l agression est le point sur lequel je voudrais attirer votre attention en regard du processus adolescents. Je m intéresse beaucoup, en ce moment à la transitionnalité, non pas au sens winicottien à proprement parler, mais d un point de vue que j emprunte à la philosophie pour l importer du coté de notre clinique psychanalytique. Pour exemplariser cette notion d agressivité, je m inspirerai de trois cas cliniques qui m ont conduit à distinguer 3 formes différentes d agressivité en rapport avec le processus adolescent - sachant que les cas cliniques en question sont déjà des adultes même s ils sont relativement jeunes, mais ils relèvent tous d une dynamique adolescente. Il sont tous sous l emprise d une structure adolescente dans la mesure où ils sont encore engagés, comme au temps de l adolescence (durant la période qui suit la puberté), dans un travail de subjectivation et d'historicité, d interrogations sur la sexualité, les images parentales et la relation entretenue avec les autres. Tout se passe dans leur histoire comme si le temps s était arrêté au moment de leur adolescence. Trois formes d agressivité donc : larvée dans le cas de Guillaume, renversée chez Marie, patente chez Isabelle. Guillaume ou l agressivité larvée. Je citerai le cas de Guillaume, cet jeune homme calme et posé, intelligent et cultivé, qui vient pour me consulter la première fois en dépit de deux prises en

9 charges psychothérapeutiques qui ont déjà eu lieu quelques années auparavant, parce qu il a retrouvé des peurs, des troubles obsessionnels compulsifs, des images que le rendent «fou» provoquant en lui un fort sentiment de haine vis-àvis d autrui. On note sa toute petite enfance plutôt heureuse, puis le développement de conduites très perfectionnistes jusqu à la puberté et une adolescence caractérisée par un détachement progressif du monde qui l entoure, allant de pair avec une réussite scolaire plaçant toujours Guillaume un peu horsnorme en regard de ses pairs. C est autour de la puberté que se produit le phénomène de bascule qui fait entrer Guillaume dans ce monde particulier qu il décrit lui-même comme phobique à l extrême et sans humour. Guillaume reconnaît avoir eu beaucoup de mal à quitter l enfance et plus précisément à se séparer de sa mère. C est précisément lors de leur première grande séparation, au moment d un séjour linguistique au début de son adolescence, que les troubles du garçon se déclenchent. Un sentiment d abattement et d angoisse extrêmement fort se propage et même l éventualité du suicide qu il évoquera plus tard en analyse lui semblera dérisoire en regard de cet éprouvé. Guillaume se sent tout à coup dépossédé de lui-même avec l impression d avoir deux personnes en lui. Il croit comprendre qu il ne pourra plus recevoir d aide véritable de la part de ses parents Ŕ il réalise en particulier qu il devra abandonner tout amour pour sa mère», c est ainsi qu il le formulera lui-même en séance - et que ce n est pas seulement son enfance qui disparait à jamais mais une partie essentielle de lui-même et qu il devra désormais, s il ne meurt pas, se débrouiller seul en vivant de façon purement mécanique. Guillaume s installe ainsi dans une sorte de deuil blanc, que l on pourrait rapprocher quelque peu de la mélancolie dans la mesure où la mort est ici prise en compte dans sa vérité tragique, même s il ne s agit pas de mélancolie au sens strict. C est en regard de ce passage adolescent mélancoliforme, que Guillaume va développer conjointement un fort évitement des autres, voire une certaine misanthropie et une sorte de triomphe sur l objet voire sur la pulsion de mort. Il

10 se constitue prisonnier à l intérieur de lui-même. A l adolescence, me dira-t-il en séance, il se sent comme au bord de la noyade ou comme un funambule. Il donne l image d un garçon modèle, toujours très brillant en classe mais il vit une adolescence humiliante. L agressivité vis-à-vis d autrui n est pas encore tout à fait en place mais elle creuse son lit et c est elle que je vais voir surgir beaucoup plus tard en séance. Cette agressivité s est alors portée sur le monde en général et tous ceux qui entourent Guillaume, exceptés la famille en formation restreinte. C est par exemple sa volonté de détruire d humanité quand il me parle de deux jeunes assis dans le bus et qui ne cèdent pas leur place à des personnes plus âgées, ce sont les clochards qui demandent un peu d argent. Une violence intérieure qui vient me toucher personnellement lorsque par exemple il rêve de moi en clown ou en clochard. Certes, il ne me fait jamais intervenir dans ses rêves sous forme d une figure monstrueuse, quelque chose en lui le lui interdit, mais la violence est là, juste derrière la porte, prête à surgir. Un jour en séance il m avoue que s il avait été sous le régime nazi (30/09/11) il aurait certainement été un bon petit exécutant compte tenu de sa grande capacité à occulter ses affects. Comme il le dira un peu plus tard «c est comme si j avais déjà été à la guerre, j aurais entendu siffler les balles ; c est pour cela qu aujourd hui le moindre bruit me réveille» (10/02/12). Lorsque j ai le malheur de laisser traîner un journal de gauche dans ma salle d attente, c est un reproche véhément qui m attend. Et je ne parle pas du patient d avant que Guillaume piste et qui, s il ne va pas jusqu à le rendre mutique, fait l objet dans son discours de violentes diatribes. Si celui qui l a précédé a le malheur d être laid il craint de se trouver contaminé par cette laideur ; si au contraire il l imagine tonitruant, il se sent lui-même incapable, rabaissé. Un jour il entend rire un de mes patients au moment où il dors et se demande ce qu il peut bien venir faire là s il est si heureux. Guillaume m avouera un jour dans un moment très confidentiel qu il aurait pouvoir me raconter lui-même tous les rêves de mes patients de sorte qu ils n auraient plus à venir et qu il serait mon seul et unique

11 patient. On voit bien ici dans quelle mesure l agressivité est ici étroitement corrélée à l autre et se déploie dans le cadre d un processus adolescent encore à l œuvre chez Guillaume qui manifeste implicitement son besoin d étayage. Je voudrai maintenant dire quelques mots d une patiente dont j ai déjà eu l occasion de parler dans le cadre du premier colloque de psychanalyse dans la ville de Bucarest en novembre 2008 après la chute du pouvoir autoritaire roumain. Un colloque sur la haine dans lequel j avais travaillé plus précisément sur la notion de haine dans le contre-transfert. J essayais de montrer pendant ce colloque à la fois comment la haine peut, contre-transférentiellement, apparaître dans la cure, et comment elle peut se transformer en agressivité salutaire, écartant d un côté l éventuel déploiement d une pulsion sexuelle de mort, d un autre côté la rage devant l autre soi-même. Je ne relaterai que quelques éléments de ce cas essentiellement ceux qui ont trait à la question qui nous préoccupe : l agressivité en rapport avec le processus aodolescent. Marie ou l agressivité renversée. Marie est une femme au visage à la fois triste et renfrogné, qui m a été adressée, il y a un certain nombre d années maintenant. Il s agissait d une reprise d analyse ; Marie venait d interrompre, cinq mois avant notre première rencontre, un travail psychothérapeutique qui avait duré plusieurs années avec une femme psychiatre et elle m expliquera qu au fil du temps s était construit une sorte d osmose entre elles de telle sorte que Marie était devenue à l affût de tous les faits et gestes de son analyste. Elle allait jusqu à se cacher pour pister ses sorties et à force de l épier elle avait fini par connaître trop de choses sur la vie privée de son psychothérapeute. Ce sont des manifestations d angoisse de type phobique, rendant peu à peu impossible son travail d enseignante, qui conduisent cette patiente vers moi.

12 Régulièrement elle demande des arrêts de travail. Les classes lui font peur ; elle se sent nulle, incapable de donner le moindre conseil dans un domaine qu elle connaît pourtant très bien. Elle a parfois envie de tuer ses élèves comme elle aurait eu envie de supprimer les enfants de son ex-psychothérapeute quand elle a commencé à les entendre dans l appartement après le décès du mari, la mort du père, qu elle avait bien sûr deviné avant d en obtenir la confirmation par sa psychothérapeute devenue veuve. Je suis frappé en premier lieu par le degré d inhibition dans lequel se trouve Marie. Sa voix est monocorde et elle parle dans une tonalité si basse et si lentement que, régulièrement, je lui demande de bien vouloir répéter ce qu elle a dit. Cette répétition semble lui demander à chaque fois un très gros effort ; il lui arrive même assez souvent de ne pas pouvoir redire les quelques mots qu elle a prononcés, comme s ils avaient été dits par quelqu un d autre et qu elle ne s en souvenait pas. Elle dit d ailleurs parfois qu elle ne sait plus ce qu elle vient de dire comme si tout s effaçait au fur et à mesure ou comme si elle était parlée plus qu elle ne parlait. Mon sentiment, au fil du temps, est que peu à peu, elle s efforce malgré elle, de parler le plus bas possible et le plus lentement possible pour que nous nous perdions dans son discours, qu elle finisse par m endormir et qu ainsi la séance puisse durer le plus longtemps possible. La séance commence en règle générale de façon très silencieuse. Marie prend différentes mimiques qui vont d une expression d angoisse profonde au visage de la folle des possédés du Moyen Age. Elle semble déjà se parler à elle-même, se dire un mot ou deux que je ne peux pas entendre. Puis au moment où surgit un bruit à l extérieur de notre cabinet, par exemple la sirène d une voiture, Marie prend la parole, juste le temps du bruit en question, de sorte que je n entende rien de ce qu elle dit et que, bien sûr, je sois amené à lui demander de répéter. Ce qui frappe d emblée chez Marie, c est la manière dont elle se perçoit : un bourreau vis-à-vis d elle-même, une folle, quelqu un qui panique en toute

13 circonstance ; elle-même trouve désespérant de mettre tout en place pour se retrouver seule, pour que ses amis soient le plus distants possibles et pour que finalement elle panique devant sa propre solitude. La panique est un mot qui revient très régulièrement dans son discours. Elle parle de son impossibilité à tuer la bête qui est en elle et en veut bien sûr à son psychanalyste de ne pas l aider à la tuer. Il lui arrive souvent d entendre en elle une voix intérieure qui lui dit : «il faut la mâter». Voix intérieure, ou voix «comme si» elle se reconnaissait en parlant, comme si «elle s entendait parler en pensée» pour reprendre ce que disait Prado de Oliveira 5 à propos du président Schreber. La question qu elle pose et repose en permanence est donc régulièrement en séance, celle de savoir si elle continue à venir me voir ou si elle «arrête» ce travail avec moi qu elle présente comme une sorte de supplice auquel elle ne parviendrait pas à échapper et qui au contraire chaque jour la contraindrait davantage, un peu comme une drogue. Au moins une semaine sur deux elle demande pourtant, du bout des lèvres, une séance hebdomadaire supplémentaire - des séances de réconfort, de rattrapage de quelque chose et d oubli, dira-t-elle. Je comprend assez vite qu elles sont là en réalité pour retarder la dernière séance de la semaine qui de toute façon est «fichue» comme elle le souligne presque à chaque fois. (La période qui précède mes absences, que je prévene Marie la veille, quinze jours à l avance ou un mois plutôt, fait toujours l objet de manifestations d angoisse majeures, les mêmes que celles qu elle éprouvait à l âge de six ans lorsque sa mère et son beau-père s absentaient, même pour une soirée seulement.) Marie dit se sentir à l intérieur d elle-même comme une chose molle et informe, qui s agite et contre laquelle elle lutte. Je pense au nourrisson qui s agrippe et 5 L.E. Prado de Oliveira, «Les voix de la haine», in L amour de la haine, op. cit., p. 305.

14 vais même jusqu à le lui formuler, ce qui n a aucun effet. Très souvent Marie conteste aussitôt le moindre de nos propos ou agite simplement la tête latéralement pour signifier que je n ai rien compris, de sorte que je me trouve contraint la plupart du temps de simplement reformuler, ce qu elle critique également au bout d un moment, trouvant que je ne lui apporte rien qu elle en sache déjà. Marie, surtout, ne supporte pas certains sourires amusés de ma part ou certaines évidences formulées sur le ton de la plaisanterie ; à chaque fois elle pense que je me moque d elle. Deux points importants méritent d être relevés chez Marie. D abord la problématique de dépendance, le problème du lien et de la rupture du lien, déjà présente lors de sa première cure et qui tend toujours à se réactualiser dans le travail que nous faisons ensemble. Ensuite l incroyable érotisation de sa souffrance ; l aspect mégalomaniaque est patent mais dénié. Marie s identifie volontiers à un personnage de vagabond et pauvre comme Job, jamais assez pauvre, semblant travailler en permanence sur la dépossession de soi. De son histoire personnelle on retient en particulier durant son enfance trois éléments successifs en l espace de quatre ans ayant pour elle valeur de traumatisme. Ils ne permettent de comprendre qu en partie la problématique de Marie. Il s agit d abord du cataclysme familial provoqué par la mort, des suites d un cancer, d un père fortement idéalisé, issu d une lignée d homme de loi - Marie n avait que 3 ans - ; le remariage de la mère quelque temps plus tard avec un très bon ami du père, très proche de ce dernier pendant toute son agonie ; enfin la naissance de deux demi-frères dans la suite du remariage. Ces éléments ne font trauma en réalité que parce qu ils ont été redoublés à l adolescence par la révélation par la mère, d un premier frère de Marie que celle-ci n a jamais connu, qui aurait donc dû être l aîné et qui est mort dans le ventre de la mère. L idée de cet accouchement d un enfant mort-né fait grande impression à Marie et c est à cette époque de l adolescence que s installe une certaine confusion dans son esprit entre ce frère inconnu jusqu ici et le père qui devient dans

15 l esprit de Marie «une espèce de magicien, une sorte de héros, une branche à laquelle se raccrocher entre une mère qui faisait comme si de rien n était et un beau-père (surtout) qui se refuse à prendre la place du père.» C est sur ce dernier point que va se focaliser l agressivité de Marie qu elle va transposer sur moi : transposer non pas de manière patente mais plutôt à travers le silence et le mépris. Et là encore on voit bien, comme dans le cas précédant, que cette agressivité n est pas sans objet Je ne dirai pas comment je suis sorti du mouvement de haine qui commençait à poindre dans mon esprit fasse à la tristesse affichée et apparemment incoercible de cette femme. Je dirai simplement que c est en découvrant, dans son histoire, des points de convergence avec la mienne que je suis parvenu à opérer une transformation dans mon contre-transfert. Plus exactement, c est de la haine que j avais pu nourrir vis-à-vis de ma propre mère en regard d un enfant mortné, qu est venu s opérer chez moi la transformation du transfert, par un phénomène identificatoire qui jusqu ici n avait pas pu se déclencher et qui au contraire ne faisait que se déliter après la première accroche. C est en somme mon vacillement identitaire qui a été opératoire. C est en m identifiant à ce frère que je suis sorti de la haine - on pense ici à l invention du «double» dont M. de M Uzan estime qu il constituerait une des premières opérations effectuées par l appareil psychique. 6 Ce qui était en jeu dans mon contre-transfert, c était la question du représentable. Comme certains patients psychotiques ou limites il y a eu chez Marie un moment de rupture qui engageait chez moi la question du clivage. Est venu un moment où je ne parvenais plus à me cliver. Je ne parvenais manifestement pas à acquérir et à prendre la mesure de ce qui devenait dissemblable (dans le semblable) chez Marie. J avais le sentiment qu elle ne me laissait aucun espace. J étais en proie au déshumain c est-à-dire à la disparition de la figure de la mort jusqu à ce que, dans l histoire de Marie, 6 Ibid. p. 72

16 apparaisse une figure du double, c est-à-dire un élément me permettant de reconfigurer mon propre système identificatoire et de porter mon sentiment de haine au-delà de la pulsion sexuelle de mort et de la rage devant un «autre moimême» pour finalement transformer ce sentiment en une agressivité salutaire placée au service de la cure. Dernière situation, celle d Isabelle, à propos de l agressivité qui peut se manifester quand la fin d une analyse se profile. Isabelle ou l agressivité patente. Souvent je m étais demandé comment le petit soldat qu Isabelle figurait souvent pour moi, allait enfin sortir les armes pour décider de s en servir ou au contraire de les poser. Le transfert en plein semblait ne jamais pouvoir s interrompre, centré sur la plainte qui, si l on pensait à sa fonction de «reconnaître un écart à l objet et viser à le supprimer»7, ne laissait de m interroger sur celui auquel elle s adressait à travers moi. C est très probablement et peut-être paradoxalement lorsque je décidais, avec Isabelle, de ne plus tenir compte que de ce qui l attachait à moi, relâchant sans nul doute «ma crispation sur l image de l objet idéal qu elle aurait dû être»8, et d essayer désormais de me laisser toucher plus personnellement par l expression de sa souffrance, en considérant que «le transfert ne devient proprement analytique qu à travers la rencontre du patient et du site»9, qu est apparue formulée par Isabelle elle-même, l idée de la catastrophe qu était cette cure. Plusieurs années passées avec moi semblait ne pas l avoir plus dynamisée que ne l avait fait le 7 Jacobi B, 1998, Les mots et la plainte, Paris, ères, p. 13. 8 Gantheret F., «L impensable maternel», in : Nouvelle revue française de Psychanalyse, Liens, n 28, automne 1983, pp. 14. 9 Donnet J.L, 2004, «Interpréter le transfert», in : Nayrou F., Pragier G., (sous la dir.) 2004, Interpréter le transfert, Revue Française de psychanalyse, coll. Débats de psychanalyse, Paris, PUF, p. 31.

17 travail en commun avec son précédent psychanalyste qu elle avait vu aussi plusieurs années durant. La cure précédente s était interrompue sur un malentendu. Celle-ci, selon ma patiente prenait le même chemin et je notais le sentiment d insatisfaction foncière de ma patiente qui disait redouter en même temps qu elle paraissait l appeler de tous ses vœux : l issue d une cure sans modification aucune du fonctionnement psychique sur fond de désespoir. Pour reprendre les éléments de la cure depuis le début, il faudrait souligner que là aussi (comme avec Marie), Isabelle a déjà fait un travail analytique pendant plusieurs années lorsque je la reçois pour la première fois. Elle a interrompu sa première tranche quelques mois auparavant et ce, de façon relativement brutale après que son analyste qui, l ayant trouvée, selon ses dires, particulièrement angoissée du fait de la survenue chez sa mère des signes potentiels d une maladie grave, lui a proposé de revenir en face à face et lui a donné quelques conseils. L image idéale dans laquelle elle l avait installé se fissure brutalement ; l analyste descend de son piédestal. La réaction de l analyste de l époque lui avait semblée disproportionnée, inadaptée à la situation de sidération qu elle vivait et elle décidait d en changer. Lorsque je reçois Isabelle pour la première fois, il y a de cela presque 10 ans, elle se plaint essentiellement de son manque d autonomie, plus précisément de son extrême dépendance vis-à-vis des objets parentaux. Il m apparaît très vite, au fil de son discours, qu Isabelle est en proie à une névrose de contrainte soustendue par un fort sentiment de culpabilité qui tend à se développer non seulement dans la sphère affective mais aussi dans le secteur professionnel. Isabelle se sent depuis la puberté prisonnière entre un père faible et avec lequel elle a une relation vide et une mère à qui elle cède tout. Elle me raconte que c est au cours de sa pré-adolescence que se produit la scission. Elle a une douzaine d années lorsque sa mère, déjà déprimée à cette époque, se retrouve enceinte à l âge de 40 ans. Elle aurait eu honte, selon ma patiente, de cette grossesse tardive. Naissent deux garçons jumeaux mais la mère, gravement

18 déprimée, part en clinique pour six mois. Les jumeaux sont placés. Ma patiente m explique qu au retour de la mère à la maison, alors que toute la famille est de nouveau réunie, celle-ci commence à l accaparer tandis que la grand-mère maternelle s occupe des jumeaux avec le père. C est très clairement à cette époque qu Isabelle voit les relations se dégrader entre ses parents. Trois moments vint être à retenir dans cette cure en rapport avec la notion d agressivité : trois périodes au cours desquelles Isabelle se déclare «choquée» par mes réactions. La première lorsque je formule précisément le caractère qui me semble assez passionnel des relations qu elle entretient depuis toujours avec ses parents. La deuxième lorsque j évoque, à une période où elle dit ne plus supporter l équipe d éducateurs avec laquelle elle travaille, la possibilité pour elle, de démissionner de l établissement qui l emploie, pour aller voir ailleurs. La troisième lorsque je lui laisse entendre à travers ce qu elle a pu m en dire, le caractère relativement cyclothymique et l immaturité dans lesquels elle tient ses frères qui régulièrement l irritent, parfois la blessent, la cantonnent en tout cas toujours un rôle stéréotypé de seconde mère autoritaire et rigide. Mais ces trois moments un peu tendus ne constituent en réalité que la part émergée de ce qui va véritablement faire l objet d un mouvement violent d agressivité à mon encontre. Un peu plus tard en effet, Isabelle se remémorant son propre désarroi en regard de sa mère gravement malade, ce qui avait conduit le psychanalyste précédant à changer de registre, Isabelle associe avec moi sur la grossesse de sa mère, lorsque tout a changé pour elle. Elle se souvient plus précisément du jour où elle alla jusqu à frapper le ventre de sa mère enceinte. Elle a déjà évoqué cet épisode autrefois avec le même calme, sans expression d affect particulière. A la séance suivante Isabelle m interpelle sur mon absence de réaction lorsqu elle m en a reparlé. Elle se dit très étonnée et cet étonnement prend encore l allure d un reproche.

19 Je reconnais de mon côté, sans le formuler pour autant, que j ai sans doute eu l air simplement surpris, et que j ai pu réagir en banalisant l événement peut-être parce qu il me touchait trop. Je questionne ma patiente sur la place qu elle pense occuper lorsqu elle me dit qu il a dû se passer quelque chose pendant cette période dont elle a souvent dit n avoir aucun souvenir précis. Il me semble en effet qu Isabelle parle alors un langage d emprunt. Plus précisément qu elle parle à ma place. Dans les trois situations que je viens de relater, que ce soit chez Guillaume, Marie ou Isabelle, le socle sur lequel repose l expression de l agressivité qui se retrouve en séance est un moment de séparation brutale d avec la mère sachant que la petite enfance de ces trois patients s est relativement bien passée avec un fort investissement parental (maternel devrais-je dire) laissant penser à l enfant qu il (ou elle) avait pu être seule au monde en compagnie de sa mère. Le passage à l acte (un coup dans le ventre de la mère enceinte) ne s actualise que dans le troisième cas de figure, Isabelle, qui va transposera dans le transfert, à la fin de sa cure (quand notre séparation se profile), toute la haine qu elle a pu nourrir vis-à-vis de sa mère lorsque celle-ci s est trouvée enceinte à un moment où elle-même devenait pubère. Mais dans les deux premiers cas, celui de Guillaume et celui de Marie, l importance de l agressivité est aussi remarquable avec l idée de faire sortir le tiers sous une forme ou sous une autre.