Lui, c'est lui! Chapitre 1 : Première S2



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Transcription:

Lui, c'est lui! Chapitre 1 : Première S2

Lorsque le réveil retentit, Suki l'éteignit aussitôt. Il sourit, et jaillit de son lit. Simultanément, Loren fouillait toute sa chambre à la recherche de sa guêpière préférée. Au même moment, Maëva sirotait un jus d'orange en pianotant sur son ordinateur portable. Elle jeta un coup d'œil à l'heure affichée dans le coin droit de l'écran. -Tiens, Suki et Loren doivent être réveillés à cette heure. Suki s'habilla rapidement, puis fila à la salle de bains vérifier son apparence dans un miroir. Petit, fin, un sourire enjoué éclairant son visage, Hirosuki Kawada qui préférait qu'on l'appelle Suki était un adolescent énergique, atypique et surtout brillant. Projetant de poursuivre ses études dans la médecine, il n'avait eu aucune difficulté à entrer cette année en première scientifique, et pensait à juste titre passer encore au moins un ou deux ans à se la couler douce avant d'attaquer les choses sérieuses. Outre ses brillants résultats, Suki était un garçon bourré de curiosités, à commencer par ses origines. Bien que né en France, il mêlait allégrement origines russe, polonaise, japonaise et quelques autres... L'ascendance nippone demeurait toutefois prédominante, ne serait-ce que dans son patronyme. Non, pas dans son physique. Sa mère était bien la seule à trouver que ses yeux étaient légèrement bridés. Tous s'accordaient à dire que son teint européen, ses iris couleur chocolat, tout comme sa petite taille, ne permettaient pas de le distinguer du français moyen. Non, ce qui faisait qu'on le traitait souvent avec amusement de "vrai japonais!" c'était surtout ses goûts vestimentaires quelque peu... excentriques. Les mélanges de couleurs violentes ne lui faisaient pas peur, pas plus que le bracelet à grosses perles jaunes fluo à son poignet, ni la mini-jupe à motifs écossais qu'il portait, toutefois, par-dessus un jean. Un tel style faisait aussi souvent plaisanter sur son orientation sexuelle. Et à vrai dire, les plaisantins n'avaient pas tord. Il ne le criait pas sur tous les toits, mais il n'avait pas eu honte de l'avouer à ses proches : il était homosexuel. Il passa un coup de peigne dans ses longs cheveux chocolat, suffisamment fins pour avoir la propriété de ne jamais s'emmêler, repoussa une mèche sur le côté, tira la langue à son reflet et fila à la cuisine. -Tu gères ma belle, adressa Loren à son reflet en lissant les plis de sa longue jupe noire. Associée à sa guêpière, l'ensemble lui donnait l'air un peu gothique, mais tant pis. Elle donna un dernier coup de peigne à ses longs cheveux noirs et lisses, qui retombèrent lui chatouiller les hanches, et commença à maquiller soigneusement ses immenses yeux de biche, noirs et profonds. Sa haute silhouette, taille mannequin, lui avait toujours été d'un grand secours dans sa chasse à l'homme, et il n'était pas question de gaspiller ce que la nature lui avait donné. Chez Suki, la maisonnée se réveillait. Sa mère et sa sœur déjeunaient déjà dans la cuisine lorsqu'il y descendit. -Bonjour Mama, bonjour Katia! -Bonjour mon chéri. -Quel entrain, observa sa cadette. -Normal, c'est pas tous les jours la rentrée! -Encore félicitations pour ton entrée en première S, fit sa mère en lui tendant un toast au jambon. -Bah, c'était pas dur... -Je sais pas ce que tu vas faire de ta journée de L, mais bon, à ce soir, lança son père en grommelant, tandis que Loren laçait ses talons. -T'as pas bientôt fini avec ça? rouspéta Loren. J'aurais su, j'aurais même pas retenté la seconde hein! -Tu sais que je ne le pense pas, répondit-il avec un sourire. Bon courage pour la rentrée ma belle. -C'est pas le premier jour qui est le plus dur hein! Mais... merci. Et elle s'enfuit en direction de l'arrêt de bus. -Tu pars déjà? s'étonna le père de Maëva en la voyant ranger son ordinateur dans sa pochette. -Je vais aller dire bonjour à Suki et Loren au lycée avant le début des cours. -Je ne comprendrai jamais rien aux horaires de la fac! -La fac ouvre en octobre papa! soupira la fillette. Je vais au centre aujourd'hui, avec nos profs particuliers. Elle quitta la table, et vérifia rapidement les plis de sa jupe dans le miroir de l'entrée. 1m50, 13 ans, en fac, elle s'amusait à cultiver une apparence enfantine. La plupart des gens n'auraient pas donné plus de onze ans à cette gamine au visage rond et aux jolies couettes brunes. Sa jupette bleu ciel et son T-shirt uni contribuaient à brouiller les pistes. -Mais... ils ne sont pas censés venir chez nous pour te faire cours ces gens-là? reprit son père. -Ca, c'est seulement exceptionnel papa... dit-elle en attachant ses souliers. -Ah bon... En tout cas, bon courage pour ta journée. -Oh, ça ne va pas être un marathon! -Bon, j'y vais! -A ce soir Suki. -A ce soir mon chéri! ajouta sa mère. Suki chaussa ses converses, attrapa son sac à dos en forme de lapin aux allures punk et referma la porte du 23, rue du Gué derrière lui. Les rues de Fontaineroche, une petite ville en périphérie de Paris, brillaient sous le soleil orangé de l'automne. Le long de la rue les marronniers commençaient à en absorber la couleur, le vert émeraude se teintant

doucement d'or cuivré. Suki descendit la rue, adressant des signes de la main à ses condisciples qui prenaient le même chemin que lui. Quelques numéros plus loin l'abribus, tout de métal et de plaques de verre dont la plus grande, neuve, était déjà fêlée abritait déjà une petite dizaine de personnes attendant le bus de 7h40. Suki salua une connaissance de l'année précédente avec qui il réintégrerait dans moins d'une heure les couloirs de leur lycée. Loren passa sa carte devant le boitier jaune et monta dans le bus qui, même s'il s'agissait normalement d'un simple bus de ville, était bourré de jeunes, bruyants et sans-gêne. Elle s'assit à la plus proche place venue, rabattit soigneusement sa jupe sous ses cuisses et s'apprêta à prendre son mal en patience. Il y avait deux stations entre elle et Suki : deux stations de trop. -Tu rentres en S Suki? C'est la classe! -Aaah mais arrêtez avec ça! répondit-il en riant. Ca n'a rien de glorieux! -Ah mais qu'est-ce que c'est énervant les grosses têtes qui disent "c'est rien" d'un truc qu'on pourra jamais réussir à faire! -Désolé, répondit-il en tirant la langue. -Je déconne Suki-suki, je déconne, répondit à son tour son camarade, souriant. -Ah, voilà le bus! Le car blanc et bleu approchait. Il se déporta sur la droite, s'aligna sur l'arrêt et s'immobilisa en grinçant légèrement. Les élèves commencèrent à se bousculer pour y entrer, mais Suki ne se pressa pas, sachant qu'il y avait déjà une place. -Suki! L'intéressé repéra Loren, assise à la troisième rangée seulement, et la rejoignit aussitôt. -Tu as passé de bonnes vacances? -Moyen, répondit-elle. -Mauvaises conquêtes? s'amusa le petit brun. -Mouais, j'avais repéré un surfeur absolument beau gosse, mais tu parles! Uniquement intéressé par sa planche, impossible à aborder. Une vraie misère... Enfin bref! Et toi? J'espère que tu as été mieux loti que moi en matière de beaux garçons. -Hé, je ne cours pas après n'importe qui moi! -Toujours bloqué sur le beau François alors? Suki hocha la tête, soudain rêveur... François Chevalier. 19 ans, 1m75, mince, grand et élancé, les cheveux châtains fins et lisses et un regard à tomber par terre. Un physique de playboy en puissance, mais un cœur en or ainsi qu'un célibat qui laissait plutôt rêveur... -J'espère qu'on ne va pas découvrir qu'il s'est trouvé une belle blonde pendant l'été... s'amusa Loren. Suki soupira. -Si c'est un beau blond qu'il s'est trouvé, je serais plutôt content. J'aurais au moins une chance de le soustraire à cette mauvaise influence... fit-il avec un sourire diabolique. Maëva tripotait la fermeture de la pochette de son ordinateur, sans oser l'ouvrir en plein milieu du bus. Il ne manquerait plus qu'elle rate l'arrêt, ou pire, qu'elle fasse tomber l'ordi. Les gens regardaient avec curiosité cette gamine qui semblait bien voyager seule. Et elle les ignorait parfaitement. Elle avait l'habitude. Enfin, le lycée Pasteur était en vue. -On arrive, observa Loren. -Yep. Le bus s'engagea dans la rue du lycée, et s'arrêta le long du trottoir, derrière les trois autres cars identiques qui prenaient déjà toute la place derrière l'arrêt officiel. Suki sauta à terre, et un large sourire se peignit sur ses lèvres en retrouvant les murs de pierre familiers de son lycée. La grille était grande ouverte, laissant le flux des élèves se déverser dans la cour, entre les deux bâtiments principaux. On voyait d'ici des regroupements de jeunes qui se bousculaient devant les fenêtres où apparaissaient de larges feuilles blanches : les tableaux d'attribution des classes. -Alors alors, entama Loren en jetant un regard aux alentours. Sabin s'est coupé les cheveux trop court, c'est moche. Médéric les a laissés pousser encore plus, c'est pas mieux. Hé, Mathieu est carrément mignon lorsqu'il est bronzé! Suki laissa Loren dresser son futur tableau de chasse et observa les élèves qui débarquaient des autocars, à la recherche des couettes brunes de Maëva. Et des cheveux soyeux de François, il faut bien le dire. -Ah, j'ai trouvé Maëva, fit-il finalement en tirant Loren par le sac. -Et moi mon prochain homme, répondit-elle avec satisfaction. -Maëva! La gamine tourna la tête dans la direction de l'appel, et leur adressa un sourire. Ils se rejoignirent au milieu de la foule grouillante. -Salut vous deux, vous avez passé de bonnes vacances? dit-elle une fois qu'ils furent suffisamment proches pour se faire entendre au milieu du flot d'élèves qui se déversait. -Pas mal, merci d'être venue! -Une vraie misère sentimentale, commenta Loren, mais pas trop mal dans l'ensemble. Oui, merci d'avoir fait le déplacement. -Je vous en prie, c'est rien, le centre est juste à côté, alors. Ils commencèrent à bavarder tout en passant les grilles du lycée, suivant le flux des d'élèves jusqu'au milieu de la cour, là où ils se séparaient pour aller s'agglutiner devant les tableaux d'affectation. Loren partit du côté des L, accompagnée

de Maëva, tandis que Suki se faufilait à travers la foule pour essayer d'apercevoir les panneaux des S, les plus nombreux. Peine perdue. Trop petit, trop faible. Heureusement Sabin, un ami de l'année dernière, vint à son secours. -Hé Suki, on est en première S2 tous les deux, en salle G1-12. -Aaah merci Sabin! T'es un chef! Un quart d'heure plus tard il intégrait la classe de première S2 au lycée Pasteur de Fontaineroche. Et celle-ci lui réservait une surprise de taille : l'élu de son cœur, François Chevalier, était assis deux rangs devant lui. Suki marqua un arrêt de plusieurs secondes lorsqu'il le remarqua. Comment était-il possible qu'il n'ait pas remarqué sa haute silhouette auréolée de fins cheveux brun cuivré dès son entrée dans la salle? D'accord, il était en pleine conversation avec Sabin, qui lui-même lui présentait Mickaël, un ami à lui qui s'était retrouvé lui aussi dans leur classe. Mais tout de même, manquer François... l'été, ça ne lui réussissait pas. Il s'assit à sa place, regardant vaguement le reste de la classe pour voir s'il n'avait laissé échapper d'autres de ses connaissances. Mais l'entrée d'un vieil homme dans la salle de cours interrompit le flux de ses pensées. Il referma la porte derrière lui, retira son parka et le suspendit au porte-manteau avec un calme qui imposa le silence à la salle sans qu'il n'ait besoin de dire quoi que ce soit. Tous les élèves se demandaient de qui il s'agissait, jusqu'à ce qu'il se place derrière le bureau professoral et écrive en tout petit au tableau : "Professeur Lepetit, sciences de la vie et de la terre (<-- c'est moi)" Lorsqu'il inscrivit les derniers mots, quelques rires discrets émanèrent de la salle, auxquels s'ajoutèrent ceux d'une bonne partie de la classe lorsqu'il ajouta : "signe particulier : tyran" Même si ce coup-ci, les rires étaient un peu nerveux. -Bien chers élèves, bonjour. Bienvenue dans ma classe, les escargots sont priés de sortir, je n'accepte que les limaces dans mon cours. Les élèves sont aussi acceptés. J'aurais bien attaqué tout de suite, mais j'ai pas mal de paperasse à vous distribuer, alors pour aller plus vite vous allez faire tourner : emploi du temps, HOP! programme de SVT, HOP! règlement à signer et à me rendre, HOP! autorisation de sortie idem, HOP! Et il envoya valser les épaisses piles de feuilles sur la table des élèves les plus proches, avec une vivacité difficilement imaginable dans ce petit corps rabougri. Aucun doute, Mr Lepetit était le genre de professeur qui savait mettre de l'ambiance dans ses cours. Mais malgré tous ses efforts, cette année, Suki aurait bien du mal à rester concentré sur ses leçons. La nuque de François, deux rangs plus loin, était en ligne de mire, et il lui était pratiquement impossible d'en détacher le regard. Heureusement que Suki n'avait pas de voisin de table pour l'espionner, il aurait été fâcheux que quelqu'un s'aperçoive qu'il avait passé l'essentiel du cours à mater un certain beau brun. Oh, son homosexualité était totalement assumée, seulement, tant qu'il ne serait pas fixé sur les penchants de son Don Juan, mieux valait rester le plus discret possible sur l'attirance qu'il éprouvait pour lui. "L'année s'annonce plutôt bien..." songeait Suki sans écouter un traitre mot du premier cours de SVT, le regard vissé sur le dos de François et sur ses petites mèches un peu trop longues qui venaient mourir entre ses épaules. "J'espère seulement que Hiro ne va pas apparaître en plein cours... pas avant qu'on ait fait connaissance..." Car au milieu de ses nombreuses extravagances, Suki avait une particularité à laquelle il ne pouvait rien en la personne de son frère jumeau : Hiro. Des jumeaux, il y en a des milliers. Mais aussi proches qu'eux, aucun. Car si leurs deux âmes se sont bien séparées dans le ventre de leur mère, leurs corps n'ont jamais fait qu'un. Les deux frères partageaient le même corps depuis leur naissance, et ils en avaient le contrôle chacun leur tour, pour quelques minutes à quelques jours. Oui, car personne ne pouvait prédire quand Suki sombrerait dans le sommeil pour faire place à son frère. Ce pouvait être n'importe quand, pendant un contrôle, au beau milieu d'une conversation ou pile au moment où il avouerait enfin ses sentiments à François. Si cela arrivait, il plongerait bien malgré lui dans le sommeil et laisserait le beau brun face à son frère et ennemi de toujours : Hiro. Car ces deux là se détestaient cordialement depuis leur naissance, et rien ne pouvait changer cela. C'est pourquoi Suki redoutait toujours le moment de laisser le contrôle de son corps à son "dark side". Peu loquace, parfois agressif dans ses mots, ne vivant que pour son ordi et sa guitare et n'hésitant pas à sécher à tous les cours, Hiro représentait le principal obstacle de sa vie. Tout, tout ce qu'il entreprenait pouvait être gâché à tout moment par son arrivée impromptue. Et il n'avait jamais repris le contrôle de son corps sans se demander avec appréhension ce que son frère avait pu manigancer en son absence. Les épreuves anticipées du bac à la fin de l'année? C'était bien le dernier de leurs soucis. Surtout pour Hiro. Quand à Suki, l'objectif de l'année était clair : profiter de cette nouvelle configuration pour se rapprocher de François et découvrir si oui ou non il avait la moindre chance auprès de lui. Et peu importe ce qu'il ferait pour l'en empêcher, ce ne serait pas son frère qui le ferait échouer! Le début de la matinée se déroula sans accroc, partagé entre les coups d'œil à François et les coups d'œil au tableau. Lorsque la récréation arriva, personne ne rangea ses affaires : puisque c'était la première journée de cours, ils resteraient jusqu'au déjeuner en compagnie de Mr Lepetit. Et comme ils n'avaient pas à changer de classe, la plupart des élèves laissèrent leurs affaires en plan pour rejoindre des amis au foyer, s'y acheter un chocolat chaud ou être les premiers à s'inscrire aux activités les plus prisées. Mais une petite dizaine de personnes décidèrent de rester dans la

salle à griffonner sur un bout de papier, écouter de la musique ou, pour la plupart, faire connaissance avec leurs nouveaux voisins. Et puisque François semblait avoir choisi cette dernière option, tout naturellement... Suki s'approcha du groupe qui avait commencé à se former autour d'une table du premier rang, et écouta innocemment ce qui s'y disait. Vacances, programme, ambitions post-bac, casés ou célibataires... Sur ce dernier point, les oreilles de Suki se dressèrent. Et tandis qu'une fille brune s'étalait sur les mérites innombrables de son petit ami, le petit japonais ne pouvait pas s'empêcher de jeter de fréquents coups d'œil à François, attendant patiemment que la question fasse le tour du petit cercle et arrive jusqu'à lui... -Ouais, et donc, et toi? Comment tu t'appelles, déjà? Suki sursauta en s'apercevant qu'on lui parlait à lui. Un garçon d'une tête de plus que lui, les cheveux blonds et de petites lunettes rondes avait coupé court au monologue de la fille brune en faisant à nouveau tourner la question. -Euh, je m'appelle Hirosuki, mais vous pouvez m'appeler Suki, et je suis célibataire. -Pourtant t'es mignon... Euh, c'est pas ce que je voulais dire hein! se rattrapa précipitamment une autre fille que Suki connaissait de vue, mais dont il n'avait pas retenu le nom. Suki lui sourit aimablement. -Merci du compliment! -C'est... japonais comme nom? demanda le blond à lunettes. -Yep, mon père est d'origine japonaise. -Mais toi, tu es né en France? demanda la brune de tout à l'heure. -Oui, oui, j'ai jamais été au Japon. -Oh, et t'as pas envie d'y aller un jour? Moi j'aimerais trop! Et doucement la conversation dévia... Sentant ses chances de connaître la situation amoureuse de François lui échapper vitesse grand V, Suki s'empressa de remettre la discussion dans le droit chemin. -Et donc, et toi, tu as quelqu'un? demanda-t-il au blond à lunettes. -Nan, fit-il avec un air agacé, je l'ai déjà dit tout à l'heure. De toute façon tout le monde a répondu maintenant, non? Suki fit de son mieux pour ne pas afficher un moue déçue, et surtout, surtout, pour ne pas laisser son regard tomber involontairement sur François. -Non, y'a François qui n'y est pas passé! lança la brunette. Aussitôt, tous les regards se braquèrent sur lui, celui de Suki le premier. -Ahaa, on se fait discret hein? le nargua une autre fille, pensant sûrement faire de l'esprit. -Mais non, c'est juste que vous ne m'aviez pas posé la question, c'est tout, se défendit le beau François avec un petit sourire amusé. -Et donc? -Et donc je suis célibataire. -Alors ça, c'est pas possible, il y a anguille sous roche! lança aussitôt la fille. -Il cache un défaut de fabrication! reprit la brune de tout à l'heure. -Hé, il a le droit d'être célibataire si il veut, le défendit le blond à lunettes. -C'est quoi ce "si il veut"? fit François avec un petit rire. Non, c'est vrai en plus, disons que pour l'instant je préfère me concentrer sur les cours plutôt que de me chercher quelqu'un. Et puis, si je tombe sur la bonne personne, je le saurai, alors ce n'est pas la peine d'après moi de chercher à combler un vide qui n'existe pas. -Non mais là c'est carrément a-bu-sé, lança la fille qui lui posait les questions depuis tout à l'heure, une brune elle aussi, avec les cheveux d'une longueur peu commune. -Non seulement il est mignon, mais en plus il fait son romantique avec ses "je veux me concentrer sur mes études" et "j'attends la bonne personne". Non mais là j'en peux plus moi j'me casse! fit-elle en faisant mine de faire demi-tour avant de réintégrer le cercle en riant, accompagnée des autres filles qui pouffaient en cœur. -Je n'avais pas l'intention de déclencher une polémique. -Non mais attends, tu es vraiment célibataire? insista cette même fille brune. -François, t'as une touche! lança un garçon dans un fou rire général. -Non mais arrêtez, j'attends qu'il me réponde moi! fit-elle avec un air faussement courroucé, sans quitter François des yeux. -Franchement, je vois pas pourquoi je m'amuserais à dire que je n'ai personne si ce n'est pas le cas, fit-il d'une voix assez sèche, en baissant les yeux sur ses mains d'un air énervé. -Ouais, c'est vrai, lâche-le, lança le blond aux lunettes à l'intention de la brune. -Hé c'est bon, pas la peine de s'énerver là, je posais seulement une question! Tous décidèrent d'un accord tacite de changer rapidement de sujet, et la conversation conserva un ton agréable jusqu'à la fin de la pause. Lorsqu'ils regagnèrent leurs places, Suki vit distinctement le voisin de François lui chuchoter quelque chose à l'oreille avec un sourire qui en disait long. François répondit d'un air énervé, l'autre haussa les épaules, et ils se reportèrent au cours. Tout cela laissait Suki bien songeur... Alors qu'il reprenait sa feuille et le fil du cours, il sentit comme un soubresaut au fond de sa tête. Cette sensation, elle était caractéristique. C'était le signe que Hiro se réveillait. Instinctivement, le cœur de Suki accéléra légèrement. Mais ce ne fut que passager. Après tout, ce n'était pas parce que son jumeau se réveillait qu'il allait prendre sa place, ça n'avait rien à voir. Après dix-sept ans de vie avec ce curieux phénomène, il le savait bien. Il se calma, et se concentra sur le cours, ignorant l'esprit d'hiro qui s'ouvrait petit à petit au sien. "Tiens, on est en cours..." "Finement observé" ne pu s'empêcher de répliquer Suki en pensée. C'était leur façon de se dire bonjour. Hiro grogna.

Puis il ne dit plus rien. Mais Suki pouvait sentir sa présence, dans son cœur, dans sa tête, et il savait que tant qu'il serait là à observer ses faits et gestes, il n'arriverait pas à se concentrer autant que si son frère était inexistant. *** A peine réveillé, Hiro sentait déjà l'énervement de Suki le gagner. Et il avait déjà envie de se rendormir. Malheureusement, il savait qu'il n'y arriverait pas. Il n'avait pas envie de s'intéresser à ce qui se passait "à l'extérieur", à ce que faisait son frère, à la classe ou au cours. Il s'en fichait. Il voulait juste être tranquille, en silence, mais les pensées de son frère et les bruits de l'extérieur résonnaient à l'intérieur de sa tête, assourdissants, vrombissants, lui provoquant déjà un début de migraine alors qu'il n'avait émergé des songes que depuis une poignée de secondes. Pour essayer de concentrer ses propres pensées sur quelque chose et éviter le gros de la migraine, Hiro se mit à fredonner doucement son air préféré. Lentement, la mélodie parvenait à prendre le pas sur le vrombissement continu, le rendant un peu moins insupportable. Mais la voix de Suki résonna d'un coup dans son crâne : "T'es obligé de chanter? Je suis en cours, merde!" "Fous-moi la paix le macaque!" Le vrombissement devint de plus en plus assourdissant, leur énervement commun amplifiant tous les sons et toutes les pensées. Hiro se recroquevilla sur lui même, essayant tant bien que mal de fermer ses pensées au reste, d'être, pour une fois, seul, tranquille, dans le silence le plus complet. Mais le vrombissement ne faisait qu'augmenter. *** Suki tourna son stylo entre ses doigts, tentant de rester calme. S'énerver tout seul en plein cours, il n'y tenait pas, et puis ça n'améliorerait pas la migraine qui venait de se pointer, comme souvent lorsque Hiro se réveillait dans sa tête. Il posa le stylo et se massa les tempes, quelques instants. Heureusement, le cours était assez calme, seuls la voix monotone du prof' et les chuchotements de ses voisins parvenaient à ses oreilles. S'il n'y avait pas eu le début de migraine causé par son frère, tout irait pour le mieux. Il reprit son stylo et le fil du cours, le notant soigneusement malgré tout. Non, Hiro n'arriverait pas à gâcher sa première journée de cours, c'était hors de question! Pourtant, le reste de la journée se déroula bien moins bien qu'il ne l'avait espéré. A la sonnerie signalant la fin de la matinée, François rangea ses affaires et quitta la salle si vite que Suki, n'ayant pas immédiatement entendu la sonnerie par manque d'attention, le perdit de vue dès la porte de la salle franchie. Un peu dépité, il alla tout de même se poster face à la cantine, de façon à avoir une vue d'ensemble sur la file d'attente, comme il en avait pris l'habitude depuis qu'il étudiait au lycée Pasteur. Il ne retrouva pas François, mais repéra Loren dont les yeux papillonnaient face à un beau jeune homme (pas le genre de Suki, mais là n'est pas la question) Il soupira d'amusement, et décida finalement de rejoindre Sabin, Mickaël et toute la bande de la 1ère S2 qui était déjà en train de se former... Il sourit. Pas sans lui! Cette année, il ne savait pas encore précisément ce qui allait se passer... Bien sûr, François était dans sa ligne de mire, mais il n'avait pas grand espoir qu'il devienne un jour son petit ami... Par contre, il n'était pas question qu'il néglige son année scolaire, ni sa classe. Il avait eu de la chance de retrouver Sabin pour cette année, et espérait bien se faire, pour une fois! quelques amis masculins. Du moins tant qu'hiro ne viendrait pas contrecarrer ses plans... Mais Suki chassa cette pensée de son esprit. Tout ce qu'il y avait à savoir, c'est que l'année commençait bien, et qu'il n'était pas question de la gâcher. Il se décida donc, à contrecœur, à laisser François de côté dans un coin de sa tête... du moins... jusqu'à ce qu'il croise à nouveau son beau regard... Fin du chapitre 1 Merci pour votre lecture! Je vous donne rendez-vous le 26 juin sur le site de Lui c'est lui! pour le chapitre 2 : l'élément perturbateur. Ezilann Le chapitre que vous venez de lire a été écrit par Ezilann. Merci de ne pas reproduire ou distribuer ce texte en dehors du site http://www.luicestlui.com Ce chapitre vous a plu, et vous voulez le partagez? Faites un lien vers http://www.luicestlui.com/site/chapitres.php plutôt que vers ce document, merci! ^x^