CINQUIÈME SECTION. Requête n o 45087/10 présentée par Patxi ABAD URKIXO contre la France introduite le 30 juillet 2010 EXPOSÉ DES FAITS

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Transcription:

CINQUIÈME SECTION Requête n o 45087/10 présentée par Patxi ABAD URKIXO contre la France introduite le 30 juillet 2010 EXPOSÉ DES FAITS EN FAIT Le requérant, M. Patxi Abad Urkixo, est un ressortissant espagnol, né en 1975 et actuellement détenu à Fresnes. Il est représenté devant la Cour par M e A. Recarte, avocate à Saint-Jean de Luz. A. Les circonstances de l espèce Les faits de la cause, tels qu ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant, membre de l ETA (Euskadi Ta Askatasuna), fut interpellé le 4 décembre 2003 alors qu il roulait dans un véhicule Peugeot 206 volé et faussement immatriculé. Au moment de son interpellation, le requérant était porteur d un pistolet automatique STAR de calibre 9 mm. Par ailleurs, il était en compagnie d un homme recherché en vertu de trois mandats d arrêt délivrés pour des faits de nature criminelle. L interpellation du requérant permit la localisation d un appartement où furent trouvés de nombreux documents administratifs falsifiés, faux documents, un pistolet mitrailleur, un fusil d assaut, plusieurs pistolets automatiques, des munitions de différents calibres, des douilles percutées, des systèmes de mise à feu temporisés, des détonateurs et une documentation opérationnelle d ETA. Suite à ces interpellations, d autres membres de l organisation furent interpellés. Le 7 décembre 2003, le requérant fut placé en détention provisoire suite à sa mise en examen dans une procédure criminelle pour des faits d association de malfaiteurs en vue de perpétrer des actes de terrorisme, et

2 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS ABAD URKIXO c. FRANCE plusieurs infractions en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise terroriste : «Attendu que des investigations complémentaires seront nécessaires pour vérifier la matérialité des faits et les circonstances exactes dans lesquelles le mis en examen a commis les agissements reprochés ; qu il y a lieu également d éviter toute pression sur les témoins et victimes et éviter toute concertation avec les coauteurs ou complices ; Attendu qu il n offre aucune garantie de présentation (...) Attendu que les faits qui s inscrivent dans un contexte d organisation terroriste particulièrement dangereuse, sont ceux qui troublent d une manière exceptionnelle et durable l ordre public ; Attendu que les obligations du contrôle judiciaire seront insuffisantes au regard des fonctions définies à l article 137 du Code de Procédure Pénale, (...)» Durant l instruction, la détention provisoire du requérant fut prolongée à six reprises en vertu d ordonnances successives prolongeant la détention provisoire de six mois. Ces ordonnances sont datées des 30 novembre 2004, 30 mai 2005, 1 er décembre 2005, 31 mai 2006, 24 novembre 2006 et 31 mai 2007. Les motifs de prolongation furent plus ou moins les mêmes tout au long de l instruction : nombreuses investigations à effectuer, investigations d autant plus longues que le mis en examen ne souhaite pas s exprimer sur les faits qui lui sont reprochés, empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices, garanties de représentation inexistantes sur le territoire national, trouble exceptionnel à l ordre public et persistance de celui-ci malgré l ancienneté des faits. Entre-temps, le 2 avril 2007, le requérant fit une demande de mise en liberté rejetée par une ordonnance du 12 avril 2007. Sur appel du requérant, la chambre de l instruction de la cour d appel de Paris confirma cette ordonnance. Le 5 août 2007, le requérant présenta une autre demande de mise en liberté, rejetée par une ordonnance du 12 août 2007. Par un arrêt du 4 septembre 2007, la chambre de l instruction de la cour d appel de Paris confirma l ordonnance. Par une ordonnance du 6 décembre 2007 rendue par le juge d instruction du tribunal de grande instance de Paris, le requérant fut mis en accusation et renvoyé avec six coaccusés devant la cour d assises de Paris spécialement composée pour tentatives d extorsion de fonds en bande organisée et en lien avec une entreprise terroriste. Les 10 mars 2008, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Par un arrêt du 21 mars 2008, la chambre de l instruction la rejeta pour les mêmes motifs que ceux précédemment invoqués. L encombrement du rôle de la cour d assises spéciale de Paris n ayant pas permis de faire comparaître le requérant dans le délai d un an fixé par l article 181 alinéa 8 du code de procédure pénale (CPP, voir droit interne pertinent), le procureur général près la cour d appel de Paris saisit la chambre d instruction le 14 octobre 2008 d une requête afin de prolonger à titre exceptionnel la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois. Par un arrêt du 14 novembre 2008, la chambre d instruction de la cour d appel de Paris accueillit la requête du procureur général en prolongeant la

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS ABAD URKIXO c. FRANCE 3 détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 décembre 2008 en application de l article 181 alinéa 9 du CPP (voir droit interne pertinent). Par une requête du 14 mars 2009, le procureur général saisit la chambre de l instruction afin de voir ordonner la prolongation des effets du mandat de dépôt pour une durée de six mois. Par un arrêt du 15 mai 2009, la cour d appel de Paris ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009 : «(...) Considérant que la Cour d assises de Paris spécialement composée étant la seule compétente pour le jugement de crimes terroristes commis sur tout le territoire français, sa charge de travail a pour conséquence l utilisation, dans certaines affaires, du délai maximal prévu par le code de procédure pénale ; que ce délai demeure dans les limites raisonnables prévues par les articles 5 et 6 de la CEDH ; Considérant que la durée de l information a, quant à elle, été justifiée par la complexité des investigations, concernant plusieurs auteurs et plusieurs faits, alors que le choix du mutisme total des personnes mises en cause a nécessité la réalisation de nombreuses expertises successives qui ont entraîné des délais d instruction importants ; (...) Que (...) l accusé ne dispose d aucune garantie de représentation alors qu il vit dans la clandestinité et a tous moyens de s y maintenir et que les risques de réitération sont, compte tenu du mode de vie qu il a choisi, en compagnie de personnes recherchées pour plusieurs attentats, considérables ; Que les obligations de contrôle judiciaire sont, dans ces conditions, totalement insuffisantes.» Le 22 juillet 2009, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté. Par un arrêt du 6 août 2009, la chambre de l instruction la rejeta. Par un arrêt du 2 septembre 2009, rendu sur pourvoi du requérant, la chambre criminelle de la Cour de cassation annula l arrêt du 15 mai 2009 et renvoya l affaire devant la chambre de l instruction de la cour d appel de Paris autrement composée : «(...) Mais attendu qu en se déterminant ainsi, la chambre de l instruction qui ne pouvait justifier la mesure de prolongation de la détention à titre exceptionnel par les difficultés récurrentes de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer au fond, et qui n a pas recherché si les autorités compétentes avaient apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure, a méconnu les textes visés et les principes rappelés (...)» Le 28 septembre 2009, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Par un arrêt du 12 octobre 2009 (2009/06770), celle-ci fut rejetée pour les mêmes motifs que ceux invoqués dès le début de la procédure. Auparavant, par une requête du 6 octobre 2009, le procureur général demanda la prolongation de la détention provisoire. Il fit valoir ce qui suit : «Aux obstacles structurels et matériels inhérents au fonctionnement de la juridiction se sont ajoutés des facteurs non maîtrisables par la cour d appel de Paris. Cette accumulation d éléments n a pas permis, à ce jour, la comparution [du requérant] devant la cour d assises de Paris. D une part, le stock des affaires en attente de jugement s est alourdi et le nombre de dossiers relevant du contentieux spécialisé de la cour d assises n a cessé d augmenter. Ces dossiers, qui constituaient, entre les années 2004 et 2007, 15 % en moyenne du total des affaires jugées, ont représenté 22 % des dossiers jugés en 2008. Des efforts particulièrement significatifs ont été accomplis par les autorités de la juridiction

4 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS ABAD URKIXO c. FRANCE compétente pour favoriser la fixation de ces dossiers au rôle de la cour d assises à compétence nationale. Si la cour d assises en charge des dossiers de terrorisme a siégé, en l an 2000, pendant 22 jours, ce temps d audience n a cessé d augmenter depuis 10 ans, pour atteindre 131 jours en 2009. Cette charge du rôle de la cour d assises de Paris résulte aussi de l augmentation, depuis le 31 mars 2008, du nombre de dossiers en provenance de la cour de cassation : désignation de la cour d assises de Paris par la chambre criminelle de la cour de cassation pour statuer en appel, renvoi de juridiction pour cause de sûreté, renvoi après cassation, renvoi par la commission de réexamen. D autre part, au delà de ces raisons «structurelles et identifiées», la cour d assises de Paris s est vue contrainte par certains facteurs imprévisibles. Cette juridiction, dans ses diverses composantes (quatre sections traitant des assises de droit commun et spécialisées), a dû faire face, depuis le 31 mars 2008, non seulement à la multiplication de longue durée, mais également «au débordement» de la durée initialement prévue pour ces deux dossiers. (...) Cette augmentation des procès de longue durée, durant les années 2008 et 2009, et le débordement de la durée prévue de certains d entre eux ont généré le report en cascade de la fixation de nombreuses autres affaires de droit commun. Par ailleurs, l un des présidents de la cour d assises, spécialement composée, pour cause de maladie, a été indisponible entre le mois de novembre 2008 et le mois de février 2009. Cette situation a également retardé la fixation de ce type de dossiers au rôle des assises. Aussi, pour pallier ces obstacles récurrents ou autres aléas, il pouvait être envisagé d audiencer, en même temps, différents dossiers. Cela n est toutefois pas concevable car la disposition des trois salles d audience ne permet pas, en raison de leur taille, de leur situation et de leur équipement respectifs, de pouvoir y faire comparaître le ou les accusés indifféremment dans chacune d entre elles eu égard à la capacité d accueil et à la sécurité.» Par un autre arrêt du 12 octobre 2009 (2009/01757), statuant sur renvoi consécutivement à l arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 septembre et sur la requête du procureur du 6 octobre, la cour d appel de Paris prolongea la détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009 : «(...) Considérant que la durée de l information a, quant à elle, été justifiée par la complexité des investigations, (...), que le choix du mutisme total des personnes mises en cause, certes légalement légitime, a d autant plus justifié la réalisation de nombreuses expertises successives qui ont entraîné des délais d instruction importants ; Considérant qu il résulte amplement (...), un réel encombrement devenu structurel du rôle de la Cour d assises spéciale de Paris, malgré toutes les diligences des magistrats du Parquet et du Siège, engorgement dont la résomption ne semble plus pouvoir relever de leur seule compétence, (...) ; Considérant que la Cour d assises de Paris spécialement composée, (...), a, depuis la précédente décision, apporté une diligence particulière et mis en œuvre les mesures nécessaires pour que les faits soient examinés au fond, soit à compter du 16 novembre 2009, et ainsi faire juger l intéressé dans un temps qui ne saurait dépasser les limites du délai raisonnable tel que prévu par les articles 5 et 6 de la CEDH ; Considérant que, s agissant d actes de terrorisme dans lesquels des individus utilisent le territoire français comme base de repli et dont l activité consiste à organiser des attentats pour semer la terreur et imposer leurs vues, ces faits sont de ceux qui troublent de manière exceptionnelle et permanente l ordre public, qu une remise en liberté, même assortie d une mesure de contrôle judiciaire ne saurait que légitimement raviver ;

EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS ABAD URKIXO c. FRANCE 5 Que les personnes qui y sont impliquées, comme l accusé, ne disposent d aucune garantie de représentation, alors que [le requérant] vivait dans une clandestinité la plus totale et parfaitement organisée, ainsi que l ont démontré les conditions de son interpellation, qu il a tous les moyens de s y maintenir, alors que les risques de réitération sont considérables ; compte tenu du mode de vie choisi et de la légitimité de la cause qu il estime devoir soutenir, en compagnie de personnes recherchées pour plusieurs attentats ; Que les obligations du contrôle judiciaire sont, dans ces conditions, totalement insuffisantes pour remplir ces objectifs au regard des prescriptions de l article 137 du code de procédure pénale (...)» Le requérant forma des pourvois en cassation contre les deux arrêts du 19 octobre 2009. Par un arrêt rendu le 26 novembre 2009, la cour d assises spécialement composée condamna le requérant à dix ans de réclusion criminelle. Par deux arrêts du 2 février 2010 (647 et 648), la Cour de cassation rejeta les pourvois du requérant, devenus sans objet du fait de sa condamnation le 26 novembre 2009. B. Le droit interne pertinent Le code de procédure pénale Article 145-2 «En matière criminelle, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d un an. Toutefois, sous réserve des dispositions de l article 145-3, le juge des libertés et de la détention peut, à l expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois par une ordonnance motivée (...) La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas. (...) Le délai est également de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, ou pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée. A titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d une particulière gravité, la chambre de l instruction peut prolonger pour une durée de quatre mois les durées prévues au présent article. (...) Cette décision peut être renouvelée une fois sous les mêmes conditions et selon les mêmes modalités.» Article 181 (alinéas 8 et 9) «(...) L accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d assises est immédiatement remis en liberté s il n a pas comparu devant celle-ci à l expiration d un délai d un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire. Toutefois, si l audience sur le fond ne peut débuter avant l expiration de ce délai, la chambre de l instruction peut, à titre exceptionnel, par une décision rendue conformément à l article 144 et mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l affaire, ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois. La comparution de l accusé est de droit si lui-même ou son avocat en font la demande. Cette prolongation peut être renouvelée

6 EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS ABAD URKIXO c. FRANCE une fois dans les mêmes formes. Si l accusé n a pas comparu devant la cour d assises à l issue de cette nouvelle prolongation, il est immédiatement remis en liberté.» GRIEF Invoquant l article 5 3 de la Convention, le requérant se plaint de ce que sa détention provisoire, du 7 décembre 2003 au 26 novembre 2009, a excédé le délai raisonnable. Il soutient en particulier qu à la durée déjà importante de l instruction s est ajoutée une période de deux années d audiencement en raison de l encombrement du rôle de la cour d assises spéciale de Paris. QUESTION AUX PARTIES La durée de la détention provisoire subie par le requérant était-elle compatible avec la condition de jugement dans un «délai raisonnable», au sens de l article 5 3 de la Convention?