VERS GENÈVE 9. VIIIième Congrès de la NLS "Fille, mère, femme au XXIième siècle" les 26-27 juin 2010 à Genève



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VERS GENÈVE 9 VIIIième Congrès de la NLS "Fille, mère, femme au XXIième siècle" les 26-27 juin 2010 à Genève Dans cette série de textes préparatoires au Congrès, nous publions aujourd hui deux textes écrits par deux membres de la NLS, Beatriz Premazzi et Despina Andropoulou. Ce sont deux interventions présentées au cours de cette année, lors d une activité de «préparation» : d une part, le «Séminaire NLS Vers le Congrès de Genève», qui s est déroulé de septembre à mai à Genève, animé par Pierre-Gilles Guéguen et Anne Lysy, et consacré au commentaire du texte de Lacan, «Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine» (Ecrits) ; d autre part, la journée de préparation au Congrès de l AMP à Athènes, en janvier, organisée par la Société Hellénique et en particulier Nassia Linardou. Beatriz Premazzi présente une référence importante de Lacan dans le chapitre VI des «Propos directifs», intitulée «Le complexe imaginaire et les questions du développement» : il s agit d un des trois articles d Ernest Jones sur la sexualité féminine, «Sexualité féminine primitive», de 1935. Lacan y répond point par point dans son texte. Il ranime ici le fameux débat sur la «phase phallique chez la femme» ; il en indique les «glissements conceptuels» et propose une issue aux impasses des théories du développement : le phallus comme signifiant, le complexe de castration comme «synchronie fondamentale». Despina Andropoulou écrit sur «Dieu comme semblant et son Autre face», un titre qui fait écho au titre du chapitre VI du Séminaire de Lacan, «Encore». Son texte nous rappelle que le thème du Congrès de la NLS a été choisi dans le fil de celui de l AMP sur «Semblants et sinthome». Un des points qui nous intéresse particulièrement pour Genève est celui-ci : «Lacan n a pas cessé de souligner la double face de la jouissance féminine dès le départ de son enseignement» ; elle en esquisse brièvement le parcours. Anne Lysy

Commentaire de l article «Sexualité féminine primitive», d Ernest Jones Beatriz Premazzi Le motif de cette conférence de 1935, d Ernest Jones, est de mettre en lumière les différences entre l école viennoise et l école anglaise. Ces différences tournent autour du «développement initial de la sexualité, chez la femme en particulier, les origines du surmoi et ses rapports avec le complexe d Œdipe, la technique de l analyse des enfants et la conception d un instinct de mort». Dans cet article, il va développer la question de la sexualité féminine. Jones veut montrer qu il n y a pas deux tendances différentes, partant, deux écoles: la viennoise et la londonienne. Il attribue les différences à un problème de communication: échanges/traductions, tout en disant que les nouvelles idées anglaises ne sont pas suffisamment étudiées à Vienne. Nous verrons par la suite que les divergences sont importantes. Son hypothèse de travail est «qu il y a plus de féminité chez la petite fille que les analystes ne l admettent habituellement et que la phase masculine qu elle peut traverser est plus complexe dans sa motivation qu on ne le pense généralement». Les différences par rapport à Freud concernent l étape phallique de la petite fille que Jones appelle masculine. Pour lui, cette phase obéit à une peur de la féminité aussi bien «que quelque chose de primaire». Il me semble que, pour Jones, «primaire» se réfère à ce qui était déjà là, à l origine, ce qui est «naturel»; c est que Lacan appelle le «préjugé de la dominance du naturel» chez Jones. Jones dit que, pour Freud, il y a d abord l attachement à la mère et qu il s agit là d une attitude masculine. Au cours de son développement postérieur, la fille devra changer «son attitude sexuelle» (masturbation clitoridienne?) et le sexe de l objet de son amour. Il n est pas d accord avec la conception freudienne et y substitue celle de Mélanie Klein, dont les analyses de jeunes enfants «nous ont fait entrevoir une conception tout à fait différente de ce premier stade». La fille est plus féminine au départ pour Jones, parce qu elle suit une tendance à «recevoir» et à «conserver». Et Lacan de pointer que la représentation de la sexualité féminine (refoulée ou non) conditionne sa mise en œuvre; évidemment la doctrine du thérapeute est incluse dans cette représentation. Suivons Jones qui suit Klein. La mère comble les désirs de la petite fille, mais pas complètement, parce que l objet (le sein maternel) est inadéquat ; c est là que l agressivité commence à se manifester. Jones avance que l envie du pénis et le mécontentement à l égard du clitoris ont pour origine cette inadéquation de l objet maternel: un objet plus

adéquat prendrait la forme du pénis. C est donc la frustration orale qui provoque le premier désir du pénis. Le pénis qu elle désire a été introjecté par la mère au moyen du coït oral (selon un fantasme infantile), pénis qui appartient au corps de la mère, même si le père est la source de cet objet partiel. Comme la fille imagine que le coït a lieu par «mammalingus» ou par fellation, le père n est qu un rival pour l obtention du lait de la mère. La phase phallique de la fille (Freud) est réduite (reculée, nous dit Lacan) à l agression orale. C est vers la fin de la première année, poursuit Jones, que la fille, en même temps qu elle désire l organe sexuel, développe un amour réellement «féminin» pour le père. Le complexe d Œdipe commence vers la deuxième année, mais il est refoulé et inconscient. C est la «figure composite» des parents qui est importante. Lacan se demande si c est en tant qu image ou symbole que cette figure «hybride» viendrait à se constituer. Le sadisme de la fille envers le contenu du corps de sa mère se développe ainsi que le sadisme oral et urétral, sadisme qui finira par se reporter au corps propre parce qu elle n a pas un organe comme le garçon. L angoisse qui provoque le sadisme sera apaisée plus tard par la satisfaction que lui procurent l extérieur de son corps et ses vêtements. Le garçon trouve un autre exutoire que son organe pour son sadisme et sa haine dans la figure du père tandis que la fille n a que la mère comme rivale. En tant que la mère pourvoit à la satisfaction des besoins essentiels, la fille ne peut pas extérioriser son sadisme et celui-ci est retourné vers l intérieur. Tout ceci expliquera l attachement de la fille à l égard de sa mère et pourquoi il y a refoulement de ce stade du développement. Pour résumer, la phase phallique de la fille est pour Jones une défense contre son agressivité orale envers la mère et l angoisse que cela provoque. La féminité sera refoulée à cause de cette haine pour la mère et la peur qui s y loge. C est à partir de ce premier stade que la conception kleinienne s éloigne de Freud et, comme Jones le dit très bien, cela marque toutes les différences d opinion concernant le développement ultérieur de la femme. À la conception de la phase phallique chez la fille et de la présence du père comme tiers, Jones oppose l idée kleinienne du «mauvais objet d une phallophagie fantastique», pour le dire avec les mots de Lacan. Nous ne savons pas vraiment si cet objet extrait du corps de la mère appartient ou pas au père. Cette phallophagie fantastique est l explication que donne Jones du désir ou de l envie de pénis: pour lui, désir et envie sont équivalents: la petite fille veut dévorer le pénis qu elle croit situé dans le corps de la mère. Cette étape fait aussi partie du complexe d Œdipe, et l angoisse surgira donc comme retour de ce sadisme sur le corps propre. Jones revient toujours à quelque chose qui serait naturel et primaire chez la fille. Le désir de pénis n est pas une tendance masculine mais le désir féminin normal d incorporer le pénis d un homme, d abord par voie orale et après par voie vaginale. Le désir de bébé ne viendra pas comme substitut du phallus, cela concernerait le pénisclitoris de la phase phallique, mais comme substitut du pénis original incorporé oralement.

L objet pour Jones (kleinisme) n est pas l objet perdu freudien, il n est pas seulement divisé en deux (le bon pénis et le mauvais pénis, par exemple), mais, également, il peut être retrouvé et donné dans une sorte de compensation. «Le pénis, enfin, peut être utilisé pour être restitué au père châtré, en s identifiant tout d abord avec lui et en élaborant ensuite, en manière de compensation, un pénis intact». Pour le développement ultérieur de la féminité, Jones continue à être en désaccord avec Freud. La disparition de la phase phallique défensive s effectue parce que la fille reconnaît qu il s agit d un fantasme et renonce en faveur d un renforcement du moi. Dans le dernier paragraphe, Jones déploie son idée de la féminité. Pour lui, il y a une «constitution instinctuelle» vers laquelle la féminité évolue. Entre «naître femme» ou «le devenir», il penche clairement pour la premiere option. *

Dieu comme semblant et son Autre face Despina Andropoulou Par principe, Dieu dans l enseignement de Lacan est le dieu de la vérité, de la langue qui, comme Autre présupposé, se fonde dans la chaîne signifiante ; c est l Autre en tant que lieu de la parole, de l Instance de la Lettre, c est celui avec lequel Lacan a voulu exorciser sinon laïciser le bon vieux Dieu[1][1], comme il le dira dans Encore, et qu il a nommé «sujet supposé savoir». En tant que tel, il constitue l objet d une foi qui n est que la foi que nous faisons au langage[1][2]. D où son identification avec le dire à sa phrase sentencieuse : «Pour un rien, le dire ça fait Dieu. Et aussi longtemps que se dira quelque chose, l hypothèse Dieu sera là»[1][3]. Avec la métaphore paternelle, Lacan a abordé le père de la création, du nom, de la loi, de l interdit et du complexe de castration qui met en relief le rapport du sujet à son manque. Le nom-du-père «fait émerger le sens de la jouissance énigmatique»[1][4] et constitue le point de capiton qui garantit le rapport entre les signifiants et les signifiés. Sous cet angle, le père est la métaphore d une vérité cachée que le sujet hérite à son insu et refoule. Cet héritage surgit sous forme de symptôme, dont nous avions jadis l espoir que son déchiffrage conduirait à sa levée. Néanmoins, dès 1957, l année du séminaire IV, Lacan aborde les limites de la métaphore paternelle à travers la clinique de la phobie. Si Hans n a plus peur du cheval, «la tache noire autour de la bouche reste un point insoluble un reste[1][5] qui continue à l inquiéter ; la métaphore n est pas sans reste et le symbolique pas sans trou ; on voit là une préfiguration de ce que Lacan développera plus tard avec son objet a»[1][6]. L autre question que la métaphore paternelle laisse ouverte, concerne la sexualité féminine en tant que telle. D. Laurent remarque que l écriture de la métaphore paternelle permet de trouver une solution au problème difficile du passage fondamental de la femme, de la mère comme objet primaire au père comme objet d amour. Elle permet de dire que la première identification est une identification phallique, à partir du moment où le désir maternel est précisément saisi dans le registre phallique. De cette façon, la butée freudienne se déplace de l avoir ou pas à l être, à travers l identification au père. Par contre, la métaphore paternelle ne rend pas compte de la différence des sexes, de la position du père à l égard du phallus et en général de la cause de son désir, l éternisation de la demande d amour de la part de la fille à l égard du père, demande qui dans la clinique apparaît comme glissement de la mère vers le père et le partenaire sexuel[1][7]. Au-delà de l Œdipe, le père idéalisé est destitué au profit du père-partenaire d une femme ; au profit de celui qui, comme Lacan le dira dans RSI, en 1975, «n a droit au respect, sinon à l amour, que si le dit amour, le dit respect, est père-versement orienté, c est-à-dire fait d une femme, objet a qui cause son désir».

Dieu comme semblant À travers l élaboration de l objet petit a, Lacan est passé du nom aux noms-du-père, en faisant du père un semblant, tandis que la jouissance obtenue par le fantasme, la jouissance de la castration, la seule possible est telle qu elle ne renvoie pas à l autre. «La jouissance, dira Lacan dans Encore, ne s interpelle, ne se traque, ne s élabore qu à partir d un semblant»[1][8]. Dans son cours De la nature des semblants du 26 février 1992, J.-A. Miller désigne le nom-du-père, le phallus et l objet a en tant que trois noms de la jouissance, trois semblants. Pour le premier, il nous dit qu il s agit du nom qui substitue la jouissance innommable afin de la désigner et à la fois de l absorber, pour une raison précise : nous faire croire que le père l a confisquée. Le père fait semblant de s être approprié la jouissance et le sujet se plaint à lui pour qu il lui la rende. Le phallus est le nom de la jouissance qui donne sa signification à sa perte, tandis que l objet a est son reste, un mythe concernant la façon dont le sujet l a à jamais perdue. L objet a est le nom qui ouvre vers le réel, supporte l être en nommant la jouissance à travers la perte et la castration. À la différence de la métaphore paternelle en tant que semblant qui a rendu la jouissance impossible, la métonymie de la pulsion est réelle et fait que a) le sujet soit toujours heureux, puisque le père et la société n arrivent pas à radicalement annuler la jouissance et b) la jouissance immortelle qui comme nous l enseigne J.-A. Miller, a peut-être donné naissance à la croyance de l immortalité de l âme. Le Dieu du signifiant et celui de la jouissance phallique composent la figure de Dieu et rendent, la jouissance interdite pour Freud et impossible pour Lacan. Si Freud sauve Dieu le Père, Lacan le transforme en un habit qui voile la béance que la jouissance comporte, et se traduit par l absence du rapport sexuel. Le père est un nom qui répond à la question analytique : «Pourquoi il y a-t-il rien et non pas plutôt quelque chose?». Il s agit de la question que, depuis Freud, le sujet pose quand il se trouve devant le traumatisme de la sexualité. C est à ce sens qu il fonctionne comme un semblant, comme S1, voire le semblant par excellence dont on peut se passer à condition de s en servir, comme nous dit Lacan dans RSI ; à savoir, après avoir accepté ses conséquences : la puissance de la pure perte[1][9] et la réponse à celle-ci comme support de notre être[1] [10]. La béance de la jouissance comporte une conséquence supplémentaire pour le sujet en analyse. Elle comporte un trou et «ce trou s appelle l Autre [ ] en tant que lieu où la parole, d être déposée fonde la vérité, et avec elle le pacte qui supplée à l inexistence du rapport sexuel [ ] et que le discours se serait pas réduit à ne partir que du semblant»[1][11]. J.-A. Miller le 4 décembre 1991 désigne le sujet supposé savoir comme un pseudonyme de l inconscient qui se place là où il y a un trou dans le savoir. L inconscient n est rien d autre que l apanage d un sujet, nous dit-il. Au-delà de l amour pour le savoir, il y a le réel, «le mystère de l inconscient»[1]

[12]. «L analyste [ ] est celui qui, à mettre l objet a à la place du semblant, est dans la position la plus convenable à faire ce qu il est juste de faire, à savoir, interroger comme du savoir ce qu il en est de la vérité»[1][13]. La jouissance féminine: le Janus biface La femme est Autre à l égard de la jouissance de l Un, parce qu elle entretient un rapport particulier avec le S (A barré), le signifiant qui manque et lui permettrait de dire ce qu est la femme. «Lorsque manque le signifiant, dit D. Laurent, il y a un plus de jouissance» qui a des affinités avec l illimité s opposant à la limitation phallique[1][14]. La castration ne fonctionne pas en tant que limite, à savoir la jouissance ne se localise pas à l organe mais concerne la jouissance du corps, ce qui prouve que le passage de la fille au père n est jamais entièrement réussi. Dès lors, son rapport à la mère reste une affaire ouverte, souvent ravageante. La phrase de D. Laurent, «la pulsion et l amour désignent un registre de la libido pour Freud et pour Lacan de la jouissance sans limites»[1][15], renoue les deux destins de la jouissance féminine qui tend vers l infini ; en même temps, J.-A. Miller dans son cours remarque que «le ravage est l autre face de l amour»[1][16]. La version lacanienne du Phallusneid, de la revendication du phallus en tant que signifiant du désir qui s oppose au Penisneid freudien, traduit la demande incessante des paroles du partenaire. Si l amour selon Lacan est de donner ce qu on n a pas, le paradigme de sa revendication constitue l amour féminin homosexuel, de la façon dont Lacan le commente dans le chapitre VI du séminaire IV «Le primat du phallus et la jeune homosexuelle»[1][17]. Lacan lui attribue des caractéristiques remarquables : amour sacré, amour courtois, Schwärmerei [exaltation] selon Freud. Le particulier de cet amour est ceci : ce qui est désiré est au-delà de la femme aimé, c est justement ce qui lui manque. De l autre côté, il y a la version d après laquelle, «la libido devient le destin d une femme»[1][18]. Il s agit surtout des sujets féminins qui ont une relation particulière avec l objet c est le cas de l anorexie, de la boulimie, de la toxicomanie etc. Dans les deux versions de l illimité, la jouissance féminine dépasse les limites qui lui seraient imposées si sa jouissance était seulement phallique. Lacan n a pas cesse de souligner la double face de la jouissance féminine dès le départ de son enseignement. Dans le séminaire IV, en 1956, il avait prédisposé le public à la diplopie de la femme dans son rapport avec son enfant : «Loin d être harmonique, le rapport de la mère à l enfant est double, d un côté, par le besoin d une certaine saturation imaginaire, et de l autre, par ce qu il peut y avoir en effet de relations réelles efficientes avec l enfant, à un niveau primordial, instinctuel, qui reste en définitive mythique»[1][19]. «L enfant en tant que réel prend pour la mère la fonction symbolique de son besoin imaginaire»[1][20], tandis que «la mère est à la limite du symbolique et du réel»[1][21]. Mais aussi «lors de sa rencontre par l homme, le sujet féminin est toujours appelé à

s inscrire dans une sorte de retrouvaille, qui le place d emblée dans une position caractérisée par l ambiguïté des rapports naturels et des rapports symboliques. Cette ambiguïté est précisément ce dans quoi réside, la dimension analytique»[1][22]. Par la suite, en 1958, au chapitre «L homosexualité féminine et l amour idéal» de son écrit Pour un congrès sur la sexualité féminine Lacan souligne : «la sexualité féminine apparaît comme l effort d une jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté pour se réaliser à l envi du désir que la castration libère chez le mâle en lui donnant son signifiant dans le phallus»[1][23]. Dans la première partie de la séance unique de son séminaire sur Les Noms-du-Père en 1963, Lacan parle de l au-delà inentamé de la jouissance féminine, incitant «les psychanalystes à regarder de plus près pour voir ce qu il y a dans ces moments d alibi fondamental : un alibi phallique. La femme se sublime en quelque sorte dans sa fonction de gaine, elle résout quelque chose qui va plus loin et reste infiniment au dehors. Aussi bien faut-il indiquer, nous dit Lacan, ce qui se voit de traces de cet au-delà inentamé de la jouissance féminine dans le mythe masculin de son prétendu masochisme»[1][24]. En 1973, nous pourrons dire que Lacan répond à cet au-delà inentamé par le biais de la jouissance des mystiques en constatant : «Cette jouissance qu on éprouve et dont on ne sait rien, n est-ce pas ce qui nous met sur la voie de l ex-sistence? Et pourquoi ne pas interpréter une face de l Autre, la face Dieu, comme supportée par la jouissance féminine? Comme tout cela se produit grâce à l être de la signifiance, et que cet être n a d autre lieu que le lieu de l Autre que je désigne du grand A, on voit la biglerie de ce qui se passe. Et comme c est là aussi que s inscrit la fonction du père en tant que c est à elle que se rapporte la castration, on voit que ça ne fait pas deux Dieu, mais que ça n en fait pas non plus un seul»[1][25]. Toutefois, cette jouissance supplémentaire, qui rend la jouissance féminine bigle, se réalisant à l envi du phallus, inentamée, permet à la femme d avoir une grande liberté à l endroit du semblant, d arriver à donner du poids même à un homme qui n en a aucun et fait d elle l heure de la vérité pour lui, en lui disposant sa place en tant que semblant. «Au regard de la jouissance sexuelle, la femme est en position de ponctuer l équivalence de la jouissance et du semblant. [ ] Nul autre que la femme, car c est en cela qu elle est l Autre, ne sait mieux ce qui de la jouissance et du semblant est disjonctif»[1][26]. La position féminine comme telle est la mise en cause radicale des semblants des noms du père dans la civilisation. Lacan affirme dans Encore qu il croit en Dieu, à la jouissance de la femme en tant qu elle est en plus. Sous cet angle Dieu n existe que comme un des noms du réel, et dans le rapport sexuel a le parfum d une femme : le nombre est singulier comme le sinthome, qui l est aussi. [1][1] Lacan J. (1975), Séminaire livre XX, Encore (1972-1973), éd. Seuil (Essais-Points), p. 89. [1][2] Miller J.-A. Cours d orientation lacanienne du 14 et 21 mai 2003 : Religion, psychanalyse (inédit) [1][3] Lacan J., ibidem p. 59.

[1][4] Miller J-A, (2009) «L inconscient et le sinthome», in Revue de la Cause Freudienne, no 71, Au-delà de la clinique. [1][5] Lacan J., (1994) Séminaire IV, Relation d objet, Paris, Seuil, p. 244. [1][6]Borie Jacques, «Introduction à la lecture du Séminaire IV», La relation d objet, in www.causefreudienne.net [1][7] Laurent D. (2002), Ce qu on appelle le sexe in Quarto no 77 Les effets de la sexuation dans le monde, ACF en Belgique. [1][8] Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 83. [1][9] Lacan J. (1966), «La signification du phallus» (1958) in Écrits, Paris, Seuil, p. 691. [1][10] Lacan J. (1975), Séminaire XX, Encore (1972-1973), Dieu et la jouissance de la femme, Paris, Seuil, [1][11] Lacan J. (1975), Séminaire livre XX, Encore (1972-1973), Du baroque [1][12] Lacan J. (1975), Séminaire livre XX, Encore (1972-1973), Ronds de ficelle [1][13] Lacan J. (1975), Séminaire livre XX, Encore (1972-1973), Le savoir et la vérité [1][14] Laurent D., ibidem. [1][15] Laurent D., ibidem. [1][16] Miller J.-A., «L orientation lacanienne. Le partenaire-symptôme» (1997-1998), leçon du 18 mars 1998. [1][17] Lacan J., (1994), Séminaire livre IV, Relation d objet, Paris, Seuil, p. 95. [1][18] Laurent D. ibidem [1][19] Lacan J., (1994) Séminaire livre IV, Relation d objet, Paris, Seuil, p. 70. [1][20] Lacan J., (1994) ibidem, p. 71. [1][21] Lacan J., (1994) ibidem, p. 82. [1][22] Lacan J., (1994) Séminaire livre IV, Relation d objet, Paris, Seuil, p. 95. [1][23] Lacan J., (1966) «Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine», in Écrits, p. 735. [1][24] Lacan J. (1963), Des Noms-du-Père, Éditions du Seuil, 2005. [1][25] Lacan J. (1975), Séminaire livre XX, Encore (1972-1973), «Dieu et la jouissance de la femme», Seuil [1][26] Lacan J. (2006), Séminaire livre XVIII, D un discours qui ne serait pas du semblant (1971-1972), Paris, Seuil, p. 34-35.