2 - La circulation générale aux hautes et moyennes latitudes Bien qu'aux latitudes tempérées la réalité quotidienne du temps soit particulièrement changeante et donne aux valeurs moyennes - même saisonnières - un caractère abstrait, on peut dégager quelques caractères fondamentaux de la circulation. Importance du flux zonal d'ouest. Le modèle de l'hémisphère Sud En altitude dans l'atmosphère libre, le flux zonal d'ouest est souverain jusqu'aux limites de la troposphère. Certes en surface les choses sont plus compliquées, et les grands vents d'ouest - les Westerlies des marins anglo-saxons - sont loin d'avoir la régularité des alizés, en force comme en direction. Mais leur fréquence statistique n'en reste pas moins remarquable. Dans l'hémisphère Nord, où les configurations compliquées des terres et des mers, les reliefs irréguliers, les champs de pression variables selon les saisons tendent pourtant à obscurcir le flux général d'ouest, les vents des secteurs nord-ouest, ouest et sud-ouest soufflent couramment la moitié du temps aux moyennes latitudes. Assurément le maximum est plus marqué pour les stations océaniques (où il se place en hiver) que pour les stations continentales (où il a tendance à se mettre en été). Dans l'hémisphère Sud, les vents d'ouest qui ne rencontrent pas d'obstacle sur l'océan Austral soufflent avec une puissance et une régularité beaucoup plus grande encore et peuvent dans la statistique des vents occuper des pourcentages très élevés : 75 % à Macquarle Island, 80 %' aux îles Kerguelen. Il faut atteindre les abords du continent antarctique pour que les vents d'est l'emportent. La prépondérance globale de l'hémisphère Sud apparaîtrait tout aussi clairement en comparant les surfaces occupées par les vents d'ouest dans les deux hémisphères en pourcentages TABLEAU 1 Hémisphère Nord Hémisphère Sud Vents polaires d'est 4,9 5,6 Basses pressions des moyennes latitudes et vents d'ouest 7,9 15,9 (D'après FLOHN et GENTILLI.) Il est certain qu'aux moyennes et hautes latitudes, l'hémisphère Sud se rapproche beaucoup par son dispositif zonal de circulation du schéma d'ensemble présenté au début de ce chapitre. C'est lui qui devrait servir de «modèle» et non l'hémisphère Nord. Certes l'anticyclone thermique qui coiffe le continent antarctique n'a pas la rigidité qu'on a bien voulu lui prêter : il n'est pas immobile comme un «verre de montre». Mais il épouse assez bien avec ses apophyses les contours du continent et se trouve effectivement surmonté par de basses pressions relatives d'altitude comme dans le schéma. Des dépressions semi-permanentes coïncident avec les mers de Ross et de Weddell qui échancrent le continent antarctique. On 6c.2-1
aurait tort cependant de les considérer comme de simples irrégularités d'origine thermique : elles matérialisent en quelque sorte des tourbillons à courbure cyclonique qui se forment dans le courant ouest, «à l'aval» des obstacles que constituent les promontoires et les presqu'îles (Terre de Graham, etc.). Au-delà vers le large se dessine un anneau presque complet de basses pressions remarquable par sa vigueur et sa continuité. Il est sans équivalent dans l'autre hérmisphère. Les forts gradients que l'on y rencontre en bordure - aussi bien en surface qu'en altitude - sont sans nul doute responsables de l'ampleur que prennent les Westerlies à ces latitudes. Les complications dans l'hémisphère Nord Dans ces régions les mieux connues du globe, le champ de pression en surface est particulièrement complexe et variable en raison d'une configuration géographique qui multiplie les contrastes entre terres et mers. L'Europe avec ses côtes au dessin compliqué peut servir d'exemple. - En janvier, des anticyclones stationnent souvent sur les secteurs continentaux froids à forte anomalie thermique négative : Russie, éventuellement Europe centrale et Scandinavie. Ces hautes pressions appartiennent à la grande famille des anticyclones thermiques des hautes latitudes et se rencontrent également en Alaska, au Canada du Nord-Ouest, au Groenland. Elles disparaissent en altitude mais «protègent» néanmoins avec leur air stable les régions qu'elles recouvrent, tout en émettant sur les bordures des vents froids des secteurs nord, nord-est ou est. Parmi les centres d'action négatifs, il faut surtout retenir la dépression semipermanente d'islande qui doit son existence à un mécanisme dynamique, et de ce fait subsiste souvent en altitude (dans le flux Ouest, tourbillon de courbure cyclonique à «l'aval» du Groenland), mais se trouve renforcée en hiver par un processus thermique (remontées d'eaux tièdes de l'atlantique Nord). Le minimum des Aléoutiennes dans le Pacifique Nord peut être considéré comme l'homologue du minimum d'islande. Les petites dépressions statistiquement fréquentes, mais non permanentes, qui s'observent sur le golfe de Gênes, la mer du Nord et la Baltique sont également renforcées en hiver par effet thermique. Quant au maximum des Açores, il appartient au chapelet des hautes pressions dynamiques subtropicales et se trouve généralement très au sud en cette saison. Il arrive toutefois qu'une dorsale de hautes pressions relie les hautes pressions d'europe centrale aux hautes pressions atlantiques, mais le fait est plus rare qu'on ne l'avait d'abord prétendu et ne s'observe en moyenne qu'un jour sur dix pendant l'hiver. - En été, le champ de pressions est profondément modifié. Certains centres d'action tels que le maximum des Açores sont décalés vers le nord et peuvent recouvrir une partie de l'europe occidentale ou sud-occidentale. D'autres disparaissent -. c'est le cas des anticyclones pelliculaires qui ne disposent plus sur les continents bien réchauffés du support thermique nécessaire. Seul peut se maintenir dans cette catégorie l'anticyclone du Groenland. Enfin des dépressions envahissent le continent européen. D'une manière générale, les contrastes entre terres et mers sont atténués à cette saison et les vents d'ouest sont en moyenne moins forts et moins réguliers qu'en hiver surtout - relativement - dans les régions océaniques. 6c.2-2
A ces oppositions saisonnières de circulation atmosphérique de surface correspondent des changements en altitude. La circulation en altitude et les courants-jets Dans l'atmosphère libre, quand les déviations et les frottements introduits par le relief ont cessé de se faire sentir, quand les contrastes géographiques de surface n'exercent plus d'influence notable, règne un grand flux zonal d'ouest jusqu'à la basse stratosphère. Malgré sa simplicité d'ensemble, ce flux n'est pas homogène et comporte des courants très rapides où se concentrent les vents d'ouest d'altitude dans chaque hémisphère. Analogues à des jets gazeux pénétrant dans une masse de gaz initialement immobile ou animée d'une vitesse plus lente, ils sont dénommés jet-streams ou courants-jets. Le premier jet-stream a été découvert dans l'hémisphère Nord pendant la deuxième guerre mondiale. Puis on a repéré dans le flux plus rapide de l'hémisphère Sud un jet-stream plus intense et plus net. Enfin les derniers progrès des connaissances ont permis de mettre en évidence, certaines semaines, un dédoublement du jet-stream, en hiver notamment, avec un courant-jet subtropical placé aux limites du flux d'ouest et des hautes pressions subtropicales et un jet plus rapproché du pôle au tracé plus capricieux. La vitesse de l'air dans le jet-stream est très élevée : souvent supérieure à 200 km/h elle atteint parfois 400 km/h. Mais plus que la valeur des vitesses elle-même c'est le profil de la courbe de vitesses du vent en fonction de l'altitude qui est caractéristique. L'axe du jet - c'est-à-dire le lieu des vitesses maximales - se situe d'ordinaire dans nos régions vers 10,5 km-12 km d'altitude (250 mbar), donc à la hauteur de la tropopause et coïncide assez souvent avec une interruption, un hiatus entre deux parties brusquement décalées de cette tropopause. Certains nuages liés aux courants-jets sont caractéristiques et composent la «mer du vent» avec une direction principale d'organisation en longues bandes convergeant vers le même point de l'horizon, et des rides secondaires perpendiculaires à la direction du vent. - En hiver, le flux d'ouest est animé d'un mouvement rapide. Les courants-jets sont bien dessinés, particulièrement vigoureux et situés en moyenne à des latitudes relativement basses. A vrai dire, le jet subtropical se déplace assez peu, mais il est parfois rejoint par le jet «polaire» plus mobile, au cours d'une migration plus forte vers les tropiques. Ce phénomène de coalescence n'est pas rare. - En été, la circulation zonale d'ouest est bien affaiblie et les jets, tout en subissant une translation d'ensemble vers le pôle, s'individualisent moins bien, car leur vitesse diminue sensiblement. Le jet subtropical perd sa continuité et sa netteté. Quant au jet polaire, il peut à cette saison gagner de très hautes latitudes (figure 6-49). 6c.2-3
Figure 6-49: POSITION MOYENNE ET FORCE DU COURANT-JET DANS L'HÉMISPHÈRE NORD. source: Estienne et Godard 1970Les isolignes d égale vitesse du flux sont cotées en Km/h; les flèches matérialisent l axe du jet-stream. A ces variations saisonnières se surajoutent des changements considérables sur de plus courtes périodes, de sorte que le régime d'écoulement de l'air en altitude peut se modifier complètement d'une semaine à l'autre. On peut distinguer trois types successifs : 1 le courant-jet est rapide (supérieur à 150 km/h) avec un tracé très peu sineux, presque zonal et une position basse en latitude relativement au lit moyen. En dépit d'un fort gradient barométrique horizontal aux moyennes latitudes, les échanges méridiens sont très limités avec ce régime rapide et zonal (figure 6-50 a); 2 de larges vagues ou ondulations apparaissent dans le courant-jet encore rapide. Elles donnent naissance selon la courbure du flux à des crêtes planétaires (courbure positive ou anticyclonique) ou à des vallées planétaires (courbure négative ou cyclonique). La distance de crête à crête ou longueur d'onde (l) est de l'ordre de 5 000 à 8 000 km (figure 6-50 b); 6c.2-4
Figure 6-50: TYPES DE RÉGIMES DU COURANT-JET DANS L'HÉMISPHÈRE NORD (AU NIVEAU DE LA TROPOPAUSE). source: Estienne et Godard 1970 3 enfin en circulation lente (maximum inférieur à 70 km/h), le courant-jet décrit de grandes sinuosités, de véritables «méandres aériens» où l'amplitude est plus forte que dans le type précédent, mais où la longueur d'onde se réduit à des valeurs de l'ordre de 1 600 à 3 200 km. Des cellules dynamiques positives ou négatives apparaissent : dépressions stationnaires froides aux latitudes relativement basses (gouttes froides, sur la Méditerranée occidentale par exemple), des anticyclones chauds aux latitudes élevées (anticyclone nord-atlantique par exemple). La fragmentation s'étend ainsi d'ouest en est pour aboutir finalement à un régime de blocage où les échanges méridiens sont évidemment très importants (figure 6-50 c). Autant qu'on puisse en juger d'après l'état de nos connaissances actuelles, le passage du premier au troisième type obéit à une sorte de cycle qui demande en moyenne six semaines. Il est rare en effet qu'un même type de régime existe à la fois sur tous les méridiens des- moyennes latitudes. Le plus souvent s'établissent simultanément une circulation zonale sur certains lieux et méridienne sur d'autres. 6c.2-5