(extrait de l ouvrage «KOURAJ DI KRE LO NOU KREOL», 1996)



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Transcription:

Si Bondié lé Philippe CHANSON Théologien protestant (ancien aumônier de Cayenne) (extrait de l ouvrage «KOURAJ DI KRE LO NOU KREOL», 1996) UNE FAMEUSE EXPRESSION L étranger qui a, comme moi, le privilège et l opportunité de visiter et d habiter ce beau pays de Guyane, ne peut pas manquer d être frappé par une expression culturelle créole caractéristique qui revient si fréquemment à nos oreilles et que nous retrouvons également aux Antilles françaises et jusqu en Haïti. Une expression typique de trois mots aussi privilégiés que conséquents, trois mots bien connus du patrimoine biblique, trois mots devenus formules traditionnelles, trois mots qui rythment les conversations et clôturent pratiquement toute salutation : «Si Bondié lé» 12. Depuis que j entends prononcer et re-prononcer cette fameuse expression, à la fois je m en émerveille et m interroge. Ces trois mots si souvent redits reflètent-ils un véritable contenu? Leur véritable finalité? Leur «spiritualité»? Ou bien l expression glissant dans l habitude, le réflexe, s est-elle réduite en formule langagière, rituelle, de pure convention? Ou encore, plus subtilement, gonflée d imaginaire, ne se serait-elle pas muée, pour certains, en formule superstitieuse, religieuse, carrément magique? Enfin une telle expression, c est clair, a tout pour être porteuse de résignation et de fatalisme. Et je soupçonne fort nous y reviendrons qu elle peut être grosse d abus et d hypocrisie 3. La question, on le voit, est de taille. J avoue que j ai longuement hésité à m y risquer, n en maîtrisant pas tous les tenants et aboutissants. Mesurant l épaisseur inévitable des incompréhensions aussi. Et je précise d emblée que je ne vise pas à aller à l encontre de cet élément culturel coutumier. Loin de moi l idée de renier et de m opposer à l emploi de ces trois petits mots si riches de sens et de promesses. Par contre, c est au courage de la revendication de leur emploi que j appelle et exhorte. Car la Parole nous y invite. C est d elle que nous pourrons être dérangés peut-être, bousculés sans doute, entraînés à penser une remise en question, certainement. 1 Des recherches personnelles sur l expression «si Bondié lé» avaient déjà été menées pendant quelques mois avant de risquer cette prédication. Après ce culte dominical, les réactions furent si vives qu elles suscitèrent et aboutirent à une enquête sur la question de l emploi de cette formule auprès de la population de Cayenne (enquête réalisée par la radio chrétienne locale RVLD et menée par un de ses animateurs Corneille Jacobs). Le moins que l on puisse en dire, c est que les résultats confirmèrent tous les sens pressentis. On m invita d ailleurs à commenter les réponses de la population interrogée lors d une émission radiophonique consacrée au sujet.

«Si Bondié lé», en effet, est une expression aussi bien culturelle que biblique 4. Difficile pourtant de faire la part des choses et de déterminer avec exactitude si c est la culture créole qui a intégré la parole biblique ou si c est la culture biblique qui s est imposée à la parole créole 5. Même si l on sait maintenant de source sûre que Christophe Colomb, malheureux père du colonialisme caribéen, importa aussi avec lui la fameuse formule 6. La symbiose est totale. Le christianisme au cours des siècles et des avatars de son histoire mouvementée a étroitement mêlé les fruits de la tradition biblique à ceux des traditions culturelles. Et les deux traditions, d essence orale, ont mêlé leurs mémoires. Elles ont été soigneusement transmises et donc conservées. LA TRADITION BIBLIQUE 2 Selon l exégèse François VOUGA (aux pp. 123-124 de son commentaire sur L épître de Saint-Jacques, Genève, Labor et Fides, 1984), originellement, l expression appartient autant à la piété grecque qu à celle du judéo-christianisme. Outre les textes du Nouveau Testament, on la rencontre en effet fréquemment chez Platon, Epictète, et dans la communauté de Qumrân. Elle prend évidemment, dans tous ces textes, des sens différents. Ainsi, au niveau des emplois de tradition grecque, dans le Phédon de Platon, il est question, comme chez Saint- Jacques, de la seigneurerie de Dieu sur la vie et sur la mort : «Peut-on soutenir que l âme qui va dans un lieu qui est comme elle, noble, pur, invisible, chez Celui qui est vraiment l Invisible, auprès d un dieu sage et bon, lieu où tout à l heure, s il plaît à Dieu, mon âme doit se rendre aussi» (80d). Dans l Alcibiade, il est question en revanche de la liberté humaine : «sais-tu qu elle est le moyen de te libérer de ton état présent? Oui, je le sais Quel est ce moyen? Je me libérerai si tu le veux, Socrate. Ce n est pas là ce qu il faut dire, Alcibiade. Mais que dois-je dire? Si Dieu le veut» (135d). Dans le Théétète, c est des capacités personelles qu il s agit «garde-toi de dire jamais que tu n en es pas capable ; car, si Dieu le veut et t en donne le courage, tu en seras capable» (151d). La perspective stoïcienne d Epictète est évidemment autre : «Il faut disposer au mieux de ce qui dépend de nous, et user des autres choses comme elles sont. Comment sont-elles? A la volonté de Dieu» (I, 1, 17). Il appartient ici au sage de ne s attacher qu à ce qui dépend de lui et de ne pas dépasser la mesure de ce que permettent les dieux. 3. A relire la note qui précède, j hésite à dire que l expression biblique est plus ancienne que la tradition créole. A première vue, je réfléchis fortement vers le oui, d autant que c est en référence avouée à la tradition biblique que le créole prononce la formule. Mais pour en être tout à fait sûr, il nous faudrait savoir si les différentes religiosités ancestrales africaines, d où sont historiquement issus les esclaves caraïbéens, ne connaissaient pas un tel équivalent. 4. Après recherche, j ai découvert que l expression avait en tout cas passé dans le créole via le christianisme colonial des «découvreurs» de l Amérique, à la fin du XVe siècle. Au vrai, dès mon arrivée en Guyane, étonné par ce que j estimais être un emploi abusif de la formule, j avais naïvement pensé que «si Bondié lé» provenait uniquement d une certaine spiritualité évangélique importée par les missionnaires d aprèsguerre. Mais je remarquais bien vite que l expression était aussi prononcée par les catholiques et par toute la population locale de quelque bord religieux qu elle soit. Ces constatations m interrogèrent pendant longtemps sur les origines de l emploi du terme aux Antilles-Guyane jusqu à la lecture du Journal de bord de Christophe Colomb réédité à l occasion des fastes contestés de la «découverte» de l Amérique. La réponse tomba alors toute seule. Les écrits journaliers de Colomb sont parsemés de «si Dieu veut». L expression remonte donc de beaucoup plus loin et traversa l océan déjà par ce biais. Cf. Christophe Colomb, in La découverte de l Amérique, tome 1 : Journal de bord. 1492-1493, trad. Par Soledad Estorachj et Michel Lequenne, Paris, édit. La Découverte, 1993 : expression par exemple employée p. 45 (Mercredi 19 septembre : «le temps est bon, s il plaît à Dieu, tout se verra en retour»), p. 161 (jeudi 11 octobre : «et, s il plaît à Notre Seigneur, au moment de mon départ, j en emmènerai [Colomb parle des Indiens!] d ici six à vos Altesses pour qu ils apprennent notre langue»), p. 76 (vendredi 19 octobre : «Ce que je veux, c est voir et découvrir le plus que je pourrai pour revenir auprès de Vos Altesses en avril, si Dieu le veut»). On note qu à chaque fois l expression est employée dans le contexte d un déplacement. Mais les cahiers de Colomb sont encore truffés de «grâce à Dieu» et de références à la «bonne volonté de Dieu» (qu il juge omniprésente) absolument pour tout ce qu il entreprend, pour tout ce qu il cherche (l or désespérément!) et pour tout ce qui lui arrive. Je ne cite même pas Colomb de manière sarcastique. Simplement, l aventurier vivait de la spiritualité de son époque, dans l optique de l Imago Mundi et de l Imago Dei répandues par le christianisme étatique extrêmement puissant de son temps.. Ce qui reste étonnant, c est la manière avec laquelle toutes ces formules sur Dieu ont été privilégiées par les esclaves et leurs descendants (c est frappant par exemple à travers la figure émouvante de «m man Tine» du magnifique roman de Joseph Zobel, La Rue Cases-Nègres

Sur le point qui nous concerne, prenons la tradition biblique tout d abord. L expression «si Bondié lé» y est transmise six fois dans le Nouveau Testament : quatre fois par Paul dans le cadre de ses projets de visites aux églises ; une fois dans l Epitre aux Hébreux à propos d un projet d enseignement ; et, texte plus probant, une fois dans l Epitre de Jacques dans la suite de versets bien connus où l auteur replace les projets de l homme dans la perspective du temps qui s écoule et de la mort qui pointe chaque destin. C est cette dernière exhortation de Jacques, la plus convaincante pour notre propos, que nous retiendrons et entendrons : Jak 4. 13 17 13. Aprézan zot ki ka di : «Jod-la, - ou dimen nou ké alé tel koté, nou ké rété oun lannen, nou ké fè trafik, nou ké gangnen soumaké», 14. Zot ki pa menm savé sa ki ké rivé dimen! A ki sa ki zot lavi? Zot kou oun lafimen ki ka Paret pou oun ti moman épi ki ka disparet. 15. Miyò zot di : «Si Bondié lé», nou ké viv, nou ké fè si, nou ké fè sa». 16. Mé zot ka vanté zot kò ; zot plen lògey. I pa bon pou vanté so kò kon sa. 17. Moun ki konnet fè sa ki bien é ki pa ka fè li, ka mété so kò annan péché. LA TRADITION CREOLE Voici donc pour la tradition biblique. Regardons maintenant du côté de la tradition créole. Nous le ferons en écoutant les extraits d un conte fameux récolté et retransmis par Marie- Thérèse Lung-Fou, conte circulant aux Antilles-Guyane et mettant en jeu notre «si Bondié lé». POUKI CHIEN PA KA PALE ANKO An tan-tala, Bondié té ka désann asé souvan asou latè. I té ka vini wè Lasenn-Viej ki té ka rété asou latè, é, i té ka profité di pasaj-li pou fè an ti tounen, gadé ki manniè lé-choz té ka pasé. Yo té ka pran y pou nenpot ki Béké pas i té ka abiyé kon yo : lenj blan bien anpézé, bien ripasé, kas-li oubien pannama y rilévé pa dèyè. I té ka jis pran baton bwa-makak li osi. Sé pa mwen kay aprann zot ki sé an baton ki té ka palé : kan i té bizwen sav an bagay, i té ka mété y bò zorey-li é i té ka pozé y lakèsion é baton-a té ka réponn li Sa té vayan Sé pa pies vié Neg ki sé pé ni sa. Anfen bref, Bondié té ka pwonmnen bod lanmè é chien y té toujou épi y pas sé té pou y an ami fidel. Mwen oubliyé di zot ki an tan-tala, chien té ka palé, mé sé manniè rapòtè y ki fè si jòdi i ped lapawol. An jou, Bondié té ka pwonmnen bod lanmè ( ). I wè an nonm ki té ka éséyé koupé an gwo piébwa, sé té an pié fwomajé. I dwet té ni bon laj pas fok té pasé an fisel ki té ni omwens dis met alantou y pou fè latouwonni y. Kantapou branch-li, yo té ka rivé jis anlè simitiè-a di an koté, é anlè lanmè pa lot koté-a. Anfen, piébwa-a li-menm té telman wo akwèdi i té lé touché siel. Bondié rété doubout an moman pou admiré y Wi, sé li ki té fè tou sa, é vwala i té an admirasion douvan an si bel kréyasion I gadé nonm-la ki té lé koupé y la é i pansé : fout nonm-tala kourajé pou ozé atatjé kò y a an si gwo piébwa ki, pou siw, té ni san-tan pasé A, non boug-tala sé pa an kapon non pli, pas fwomajé sé piébwa zonbi, sé adan yo tout ka vini fè saba-yo lannuit. Bondié di : nonm-tala, sé an brav é, tou kontan, i pasé douvan y, é i di y kon sa : Bonjou, monfi, sé an bel piébwa ou ka koupé la-a Sé sa yo pé aplé an kolos Ki tan ou kay pé rivé a bout li?

Dimen, réponn nonm-la an manniè sek. Tjek tan apré sa, Bondié siflé chien y, é yo pati pou alé fè an ti p^wonmnad Siel-la té bel, lanmè-a té klè. Alos, yo pwan chimen bod lanmè é yo rivé bò nonm-la ki, épi rach épi koutla, té toujou ka éséyé koupé piébwa-a Elas, i pòkò té antamé y bien fon. I abo té ka frapé y tout fos-li, wap!, wap!, sé pa té gran choz i té ka rivé tiré asou y Bondié, an pasan, di boug-la kon sa : Kouraj, mon-anmi, kouraj!!! Ki tan ou konté fini? Misié chè, biento, mwen ka espéré ki sé zonbi-a pa kay jennen mwen. Bondié gadé nonm-la ; ( ) poutan, an partan, i soukwé tet-li konsidiré té ni an bagay ki té ka jennen y Bref, i di y ovwè, i kontinié chimen y é kan i rivé tibren pli lwen, chien-an tann li ka di an dan y : I ka di zonbi Ki zafè di zonbi E non, konpè, sé pa zonbi ki kay fè w ayen, mé lògey-ou pas tout tan ou pa kay di : s il plâit à Dieu, ou pa kay fini koupé piébwa-a. Twa jou apré sa, Bondié lévé bonnè, é, a lafréchè, i pwan menm chimen-a pou alé fè an ti pwonmnad, chien y dèyè ka suiv li. I wè nonm-la ka souflé, ka swé déjà à lè-tala kon an kannari chateny E Bondié, kon lézot jou, arété : Bonjou ami! Ba mwen nouvel travay-la. A misié, i kay pé fini biento s il plaît à Dieu Bondié rété estébékwé, i di ovwè é i pati Chien té douvan, ka kouri, ka soté. Bondié, kan i rivé tibren pli lwen, di y kon sa : Chien, vini isi. Sé wou, hen, ki palé é i ba y an sel kout baton bwa-makak anlè tet ki dépi jou-tala, chien ped lapawol é an sel bagay i pé di sé wa! wa! Nous voilà donc mis en face de nos deux traditions, biblique et culturelle, et surtout de deux manières à la fois subtilement proches et éloignées d employer la même expression : «Si Bondié lé». C est ici un constat de surface qu il nous faut maintenant approfondir avec, en visée, cette interrogation : avec quel degré de réalité utilisons-nous, à tort ou à raison, cette fameuse formule? Ou, pour le dire plus trivialement : à quelle sauce l employons-nous? Je suggère, pour tenter d y voir plus clair, que nous partions tout simplement des trois termes de la formule qui sont autant de questions et d enjeux : celui du «si», celui du «Bondié» et celui du «lé». Et je postule comme c est le cas graphiquement et grammaticalement que c est la question du «Bondié» qui est au centre et à partir de laquelle tout s articule. Qu est-ce qui se passe quand je dis : «Bondié»? Cela pose tout le problème de ma perception de Dieu, de l image que je m en fais, et de ce que cela implique finalement pour moi. La question du «lé» pose ensuite celle du vouloir de Dieu. Qu est-ce que ce vouloir diven? Ce «bon plaisir» de Dieu? Qu est-ce que Bondié peut bien vouloir pour moi et moi pour lui? Puis il reste le premier terme, ce petit «si» gros de sens. C est lui qui peut faire basculer l intention de la formule par ce qu il peut sous-tendre d indécision, d imprévisible, de conditionnel. C est ce «si» qui décape la formule de son absolu : «Bondié lé!». Quoi qu il reste à déterminer s il s agit d un «si» attaché entièrement au vouloir de Dieu ou dépendant de mon propre vouloir. En d autres termes, quel est mon «si» à moi? LA QUESTION DU BONDIE Je veux donc d abord m interroger sur la question du «Bondié». Non pas en une grande envolée métaphysique. Ce n est pas le lieu. Mais tout bonnement de manière pragmatique, pratique. Oui, qu est-ce qui se passe en moi quand je dis «Bondié»? Qu est-ce qui affleure à ma pensée? Quelle imagerie danse dans ma tête ou devant mes yeux? Certes, ici, on ne peut qu effleurer. Car c est une question qui traverse l existence et qui, particulièrement aux

Amériques et aux Caraïbes, a à voir avec l histoire coloniale. C est bien pourquoi il nous faut savoir quand même à quel Dieu nous avons affaire. Je propose que sur ce point nous nous restreignions à cette alternative propre à mettre en lumière soit nos imaginaires religieux enfermants soit notre espérance confiante et libératrice : crois-je au Dieu populaire présenté dans le conte créole ou au Dieu de l Evangile présenté par Jacques? Malgré l adjonction typiquement créole du «Bon» à «Dieu», croyons-nous en effet, à ce «Bondié» du conte qui, si on décrypte la symbolique satyrique et les règles de ce genre littéraire, ressemble fort à l ancien maître des habitations coloniales régissant sa maind œuvre esclavagiste? Ce Bondié terrible qui a tous les droits sur nous, qui exige une obéissance aveugle, qui détient et défie notre liberté, le Bondié du bâton, qui frappe, qui fomente nos peurs, le Bondié qui tient en réserve nos «Misère» et «Tracas», le Bondié moraliste du savoir et du pouvoir blancs qui transpirent tant dans la culture, l éducation et les expressions créoles. Croyons-nous donc à ce Bondié-là ou croyons-nous au Dieu de l Evangile? Le Dieu qui a libéré son peuple de l esclavage, le Seigneur de la joie et e la liberté, le Christ de l amour sans égal, le Dieu de la grâce qui ne comptabilise pas nos œuvres bonnes pour les déduire sur les mauvaises au jour du malheur, l Esprit miséricordieux qui bannit la crainte, arme notre espérance et fortifie notre foi? Oui, sous la coupe de quel Dieu avons-nous été mis ou nous nous sommes mis par force colonisation et christianisation parjures, mission, éducation, imagination? Ou pour le dire encore autrement, dans quelle image avons-nous enfermé ce Dieu dont on ne peut se faire une image? Tout ceci ne peut qu entraîner à la réflexion et à un choix. LA QUESTION DU «LE» Regardons maintenant la question du «lé». Grammaticalement, c est clair. Dieu est le sujet de ce «vouloir» dont il s agit de comprendre le contenu significativement proposé dans cette demande de la prière du Notre Père : «A sa to lé, ki divet fet» («Que ta volonté soit faite») Il est cependant immédiatement précisé : «asou latè kou annan siel-a» («sur la terre comme au ciel»). Si ce vouloir concerne donc Dieu («kou annan siel-a»), il renvoie cependant aux hommes que nous sommes («asou latè»). Mais qu est-ce que Dieu peut finalement bien vouloir? Sur ce point, nous pouvons affirmer que toute l histoire biblique nous oriente vers le fait que Dieu ne veut pas tant quelque chose pour lui-même, pour son propre intérêt, que quelque chose pour l homme, pour l intérêt de l homme. La volonté bonne de Dieu a donc comme fondement, comme substrat nous pourrions même dire comme essence le Bien de l homme, ce rappel de la création originaire : «Bondié wè ki sa té bon toubonnman» («Dieu vit que cela était bon»). Le Dieu bon veut donc la vie, la liberté, la paix, le bonheur et la justice comme horizon ultime de l homme et de l humanité. En un mot, comme l entendent les expressions hébraïques qui traduisent cette volonté divine, ce que Dieu veut, c est le salut de l homme. Telle est sa volonté immuable et inébranlable : aider à tendre au bien et libérer pour sauver. Et même si ce bon plaisir de Dieu à sauver dut aller jusqu au drame extrême du sacrifice du Fils incarné. Que l on se rappelle l angoissante prise de conscience du Christ avant sa mort dans le jardin de Gethsémané : «Pa sa mo lé, mé sa to lé!» («Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux!). Ce n est alors qu à partir de cette volonté inaliénable de Dieu, incarnée par Jésus, que l on pourrait parler de la volonté permissive de Dieu qui est cette liberté que Dieu laisse à l homme d accepter ou de se soustraire à sa volonté. C est là une volonté par laquelle, en quelque sorte, Dieu s est lié par le statut de créature libre et responsable qu il a conféré à l homme selon sa volonté.

Bien entendu, Dieu ne désire autre chose que de voir vivre en nous et en notre monde la réalité de sa volonté de bien et de salut. C est là cette réalité qui fut incarnée en Jésus. Mais c est là aussi qu entre alors en jeu le bon vouloir de l homme, celui qui «asou latè» répondra à cette volonté «kou annan siel-a». En d autres termes, je suis moi-même impliqué dans l accomplissement de la volonté de Dieu, c est-à-dire que je suis libre et responsable de rejoindre et aussi de participer par mon vouloir à la volonté de Dieu. Autrement dit, encore, d accorder ma volonté à la volonté de Dieu. J insiste sur ce point car l on oublie trop facilement que la volonté de Dieu passe aussi par la bonne volonté de l homme et qu il dépend donc de nous d être engagé dans le processus de l accomplissement de la volonté divine. C est là que tout commence, c est là que tout se joue, mais c est aussi là que tout se complique! Car entre le bon vouloir de Dieu et le bon vouloir de l homme, autant de dire que c est la guerre! Ainsi, plus souvent qu à son tour, oui «Bondié lé», oui, Dieu le voudrait bien, mais c est l homme qui ne le veut pas! Et c est nous qui malgré nos «si Bondié lé» bloquons net le bon vouloir de Dieu. C est ici qu intervient le troisième volet de notre expression : la question du «si». LA QUESTION DU «SI» Sur ce point, je le dis d emblée, à force d écouter l emploi et le suremploi de l expression «si Bondié lé» à tort, à travers ou à raison par mes interlocuteurs, ce n est pas sans humour que je les interroge secrètement (et parfois carrément!) en ces termes : «E pou ki sa Bondié pa té ké lé l?» («Et pourquoi Dieu ne le voudrait-il pas?»). Ce faisant je place ce «si» plutôt du côté de l homme que du côté de Dieu. Parce que je pressens que ce «si» nous conditionne. Il se retourne vers nous comme une question, à savoir, profondément, quel poids et quel sens nous donnons aux mots que nous prononçons. En bref quelle intention personnelle, indifférente ou secrète, inconsciente ou consciente habite nos «si Bondié lé». L expression est-elle devenue pour nous formule de pure convention? Une forme rituelle dénuée de toutes significations? Des mots qui ne veulent plus rien dire, réduits en formule de politesse commode et révérencieuse? Dans ce cas, on peut se demander à quoi rime l emploi de notre expression et si, déjantée de tout sens théologique, elle peut légitimement prétendre endosser, à la place, un statut de convention culturelle. Le ton de l expression trahit-il la résignation et le fatalisme? La formule est alors, encore une fois, détournée du bon vouloir de Dieu pour nous. Et «si Bondié lé» devenait une formule «bouche trou», commode, permettant de colmater toutes nos brèches, nos trous noirs, nos gouffres et nos instants de bonheur aussi? Quoi qu il nous arrive, en bien comme en mal, c est «Bondié ki lé l» («Dieu qui le veut»). L achat de ma belle voiture, ma maison, mon divorce, mon fils en prison, mes vacances, mes jours d hôpital, c est tout «gras a Bondié ki lé l» («grâce à Dieu qui le veut»). Bref, Bondié (comme l ex-maître colon!) nous donne tout, nous montre tout, nous dicte tout et l homme n est plus responsable de rien. C est exactement ce que résume le proverbe haïtien : «Sa Bondié vlé sé san rèfi». Mais c est là aussi, malheureusement, une approche stoïcienne fort répandue en Guyane : le Bondié cause de tout ce qui nous advient, le Bondié du malheur et du bonheur, de nos expiations surtout. Et revoilà subtilement l image écrasante du grand Dieu blanc colonialiste qui resurgit sous la formule englobante : «Si Bondié lé». Et si notre expression disposait d un pouvoir magique? N est-ce pas là ce qu a suggéré notre conte et que la version française rend par : «Il n aurait qu à dire «s il plaît à Dieu» et tout marcherait pour lui comme sur des roulettes!» Dans ce cas, la formule, grosse de superstitions, est théologiquement à nouveau désaxée de son sens. Prononcée avec cette intention elle peut être quasi assimilée au rôle de «protègement», c est-à-dire de «piaye»

protecteur! Mais avec tout ce que cela réserve de précarité et de tromperie! Je ne suis pas si sûr que le rabâchement de la formule ainsi chargée appellr et avive sur nous bonheur, prospérité et sérénité. On peut essayer. Tout ne marchera pas forcément «comme sur des roulettes.!». Enfin, parmi les sens possibles, il n est pas exclu finalement que «si Bondié lé» puisse relever abusivement de l hypocrisie et, à tout dire (et c est le cas de le dire), d une «mauvaise foi». Voilà certes qui n est pas facile à dire. Un terrain délicat. Mais il faudrait être sourd ou aveugle pour ne pas constater le côté arrangeant de l expression pour certains interlocuteurs. «Si Bondié lé», formule excuse, magnifique pirouette finale pour se sortir d une conversation difficile, d une rencontre peu souhaitée, d une promesse irréalisable Formule masque de mon propre vouloir. Formule échappatoire entre dire («si Bondié lé») et faire (la volonté bonne de Dieu). Formule issue entre la parole qui suggère et l acte qui tranche. Formule apparemment engagée qui dégage de sa responsabilité. Formule si «spirituelle» et pourtant si bafouée. Oui, «a dimen si Bondié lé» Mais je sais pertinemment, déjà, que demain je ne le voudrai pas! Reste que si nous avons remis en question la manière d employer la formule, découvrant ce qu elle peut cacher de conventionnel, de résignation, de superstition et d hypocrisie, cette même expression employée dans son sens véritable reste une petite merveille porteuse d une vérité très profonde. Elle-même nous appelle ainsi à être attentif à sa signification et à revoir son utilisation. C est là tout le passage de l habitude à l attitude. L habitude de prendre ou de détourner finalement le nom de Dieu en vain, et l attitude qui peut être ce désir honnête de faire véritablement ce qu il est possible de faire pour que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel ce désir d associer son propre vouloir à la réalisation de ce que Dieu désire. Telle est l invitation que le texte de l apôtre Jacques nous adresse pour conclure. L INTENTION DE JACQUES Contextuellement, l apôtre s adresse à des hommes engagés dans la vie, à des gens actifs, pleins de vitalité, qui peuvent aussi bien être des hommes d affaires ou des ménagères, des ouvriers ou des pasteurs. En tout cas des croyants engagés dans l Eglise, pleins de projets, qui s affairent, suivent leurs plans pour atteindre leurs buts. Mais l acuité des problèmes, des tâches, des questions qui se posent à eux à travers leurs allées et venues leur font parfois oublier la chose la plus importante : c est que la vie, ce bout d espace chronologique tranché dans le temps et offert à chacun, s encadre aussi de deux pôles extrêmes que sont la naissance et, surtout, la fin de l existence. Ainsi rappelle Jacques, à vous qui dîtes en employant la formule verbale du futur_! -- Nou ké alé», «Nou ké fè trafik», comme le rend si bien le créole antillais : «Fò zò sonjé kè dèmen pa ta zot! Paskè, vi a on nonm sé ayen. I kon lafimé ki ka paret pou on moman é ki ka disparet» (à vous qui dîtes : «Nous irons Nous ferons des affaires Vous qui ne savez pas ce que sera votre vie demain! Sachez que vous êtes une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite disparaît»). En fait, je crois que par ces quelques mots auxquels sont apposés (en créole guyanais) le : Miyò zot di : «Si Bondié lé, nou ké viv, nou ké fè si, nou ké fè sa» («Vous devriez dire au contraire : Si Dieu le veut, nous vivrons et nous ferons ceci et cela») l apôtre veut nous mettre en garde contre nos illusions pour nous amener à une confession. L illusion, c est de croire que nous tenons cette vie entre nos propres mains. Or, le temps ne se fabrique pas, ne s achète pas, ne se vend pas. On peut certes le gérer et le planifier, mais il n est pas possible de «commercer» avec sa vie et son avenir en occultant le hiatus de la mort. Cette remise en conscience n a rien à voir avec ce type de morale qui joue sur la peur. Elle remémore simplement pour regarder toujours et à nouveau la vie avec humilité et sérénité. C est clair : tout l échafaudage de nos vies, de nos projets heureux ou de nos combines

louches peut s écrouler du jour au lendemain. Et c est pourquoi à tous les spéculateurs et planificateurs, Jacques écrit : «Vous êtes fumée «ou «vapeur». En, conséquence, gardonsnous de l illusion d être maître de l heure et du jour qui vient alors même que notre fléchissement vers la fin, inexorablement, persiste. C est sur la base de cette constatation que Jacques nous invite finalement à vivre nos «si Bondié lé» comme une confession plutôt que d articuler la formule dans les vapeurs de l illusion. Confession, tout d abord, d une sérénité. Le chrétien est appelé à cet autre regard sur la vie et ses menaces parce que Christ a vaincu la mort et engloutit sa mort. En Christ, même si c est étrange de le dire, notre vie est ébranlée. Cela veut dire que dans une Guyane instable où tout bouge et tout change constamment, nous ne prenons plus la vie comme une réalité solide et durable dans laquelle, réactivement, par crainte, nous tentons de nous accrocher. Mais dans sa fragilité même, nous confessons nos peurs pour pouvoir, désormais, la vivre paisiblement comme une grâce sachant qu elle est soutenue par le Dieu de la vie. «Si Bondié lé» passe alors du rang de formule insécure à celui de véritable confession de foi, double expression de dépendance et de confiance, mais d action aussi. Dépendance affirmée à l égard de Dieu, propre à atténuer sans aucun doute l arrogance de nos paroles («Zot ki ka di : «Jod-la ou dimen nou ké alé tel koté, nou ké rété oun lannen, nou ké fè trafik, nou ké gangnen» ) et à en mesurer le poids effectif dont nous les chargeons. Pour résister aux puissances de dominations fomentées par nos langages et nos affaires sur le temps, les lieux, et surtout les personnes. Pour retrouver l essentiel car l essentiel n est pas de paraître pour gagner mais d être et être, face aux autres et à soi, «lib»! Confiance aussi. Confiance donnée et reçue en Dieu par-delà nos calculs incertains et conjoncturels. Dépendance, confiance, c est alors la porte ouverte à des «si Bondié lé» prononcés comme autant de confessions actives et comme action, c est-à-dire comme participation en même temps libre et contrainte, par notre foi, à manifester cette volonté de Dieu. C est ici que ce verset difficile qui clôt notre texte de Jacques s éclaire : «Moun ki konnet fè sa ki bien é ki pa ka fè li, ka mété so kò annan péché» («Si quelqu un sait faire le bien et ne le fait pas, il commet un péché»). On l a dit, le bien, c est la volonté même de Dieu pour l homme. Agir pour le bien c est donc participer «a sa i lé ki divet fet asou latè kou annan siel-la» («à ce que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel»). Celui donc qui suit le chemin du Christ découvre chaque jour ces situations où il y a telle ou telle chose à faire en vue du bien sans forcément vouloir connaître le bon vouloir de Dieu pour le faire en disant «si Bondié lé» Car «Bondié lé!» Ouverture Le chrétien peut donc continuer à faire des projets, à suivre ses affaires, à gagner sa vie, «Bondié lé». Mais ce bon vouloir de Dieu est que le croyant, dorénavant, envisage ce bon vouloir avec un regard autre. Un regard libéré de ses images enfermantes, craintives, voire terrifiantes portées sur Dieu. Un regard dépendant et confiant dans sa fragilité même, honnêtement ouvert sur la réalité de sa vie, audacieux et courageux dans son croire au sein de sa culture, avec les expressions de cette culture comme avec ses traditions. Que ce croyant là n hésite pas à trancher dans l habitude afin d opter pour l attitude. C est ainsi qu il magnifiera l Evangile dans et à partir de sa propre culture. Je pense ici bien entendu à notre expression «si Bondié lé». Il ne s agit surtout pas d y renoncer mais, véritablement, de la confesser. C est ainsi que «si Bondié lé» deviendra pour celui qui le prononce et le vit un renoncement à la résignation, au fatalisme, à la superstition, au magisme et au mensonge. L expression ne sera plus réductrice. Elle sera peut-être prononcée moins souvent mais à meilleur escient. Elle passera du dire au faire. Elle sera des mots qui apaisent, qui proclament et qui agissent.