Rapport de plaidoyer FICR À l abri du danger Consommateurs de drogues injectables et réduction des risques Décembre 2010 www.ifrc.org Sauver des vies, changer les mentalités.
Phnom Penh, 2000 Les enfants des rues courent souvent un grand risque de devenir des usagers de drogues par injection. ONUSIDA. S. Noorani. Dans cette édition : Ce dernier rapport de sensibilisation de la Fédération internationale sur la santé de 2010 décrit la dure réalité des consommateurs de drogues injectables vivant avec le VIH. Il examine les besoins en prévention, en traitement, en soins et en soutien de cette population extrêmement vulnérable, et l action de la Fédération internationale visant à atténuer ses souffrances. Il offre en outre aux Sociétés nationales et aux lecteurs un outil de sensibilisation qui pourra être utilisé pendant plusieurs années. Le but? Rappeler aux gouvernements et aux Sociétés nationales leur obligation de respecter les droits de l homme, qui protègent également les consommateurs de drogues injectables infectés, ou risquant d être infectés, par le VIH. Bien que nous nous intéressions au monde entier, nous plaçons un accent particulier sur l Europe de l Est et l Asie centrale, où la situation est de plus en plus grave. Résumé La réduction des risques désigne diverses politiques et pratiques de santé publique pragmatiques et fondées sur des faits, ayant pour but d atténuer les effets négatifs de la toxicomanie et d autres facteurs de risque associés comme le VIH et le sida. Ces interventions constituent une application pratique des droits de l homme, visant, si besoin est, à réduire les dangers auxquels font face les consommateurs de drogues injectables, sans faire de distinction et sans porter de jugement. La Fédération internationale encourage la réduction des risques pour une raison très simple : elle fonctionne. Les Nations Unies estiment qu environ 15,9 millions de personnes vivant dans 148 pays s injectent régulièrement des drogues. Ces «consommateurs de drogues injectables» sont particulièrement vulnérables au VIH et à l hépatite B et C en raison de comportements à risque, comme le partage de seringues et d aiguilles, les rapports sexuels non protégés et un comportement généralement peu propice à la santé. Dans le monde, il est estimé que trois millions de consommateurs de drogues injectables vivent aujourd hui avec le VIH. L usage de drogues par injection constitue donc un grave problème de santé publique qui ne peut être résolu que par la mise en oeuvre rationnelle d activités de santé publique non moralisatrices qui mettent l accent sur les programmes de réduction des risques et non sur les sanctions et la censure. Dans ce contexte, la Fédération internationale recommande que des preuves scientifiques et un esprit humanitaire guident l intervention relative au VIH. Les consommateurs de drogues injectables, qui font régulièrement face au harcèlement, à l opprobre, à la violence et à l exclusion sociale, n ont pas seulement besoin de soins mais aussi de compassion. L opprobre ne fait que marginaliser davantage des personnes déjà vulnérables et entrave directement les efforts visant à freiner la propagation du VIH. La réduction de la marginalisation contribue aussi à enrayer la transmission du VIH et d autres maladies infectieuses. 2
Appel à l action La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge plaide la cause des personnes souffrant le plus de l exclusion dans un groupe déjà marginalisé : les consommateurs de drogues injectables infectés, ou risquant d être infectés, par le VIH. Dans ce rapport, elle encourage les décideurs, les gouvernements et les donateurs à oublier leurs préjugés pour collaborer avec les parties prenantes, les organisations multilatérales, la société civile et les personnes vivant avec le VIH afin de fournir prévention, traitement, soins et soutien aux consommateurs de drogues injectables et à leur famille. Recommandations de la Fédération internationale : Les gouvernements doivent s engager, dans leur pays, à recueillir des données, mener des recherches et des analyses, et diffuser des informations, afin de guider plus précisément les politiques et la mise en œuvre de programmes. Il leur serait ainsi plus facile d adopter les mesures stratégiques nécessaires pour répondre de façon adéquate aux épidémies liées à la toxicomanie. En refusant aux consommateurs de drogues injectables l accès à des services généraux vitaux, on risque de générer une catastrophe de santé publique. L accès universel à des interventions de santé publique fondées sur des faits, y compris pour les toxicomanes, constitue un droit fondamental à la santé et une urgence de santé publique 1. Les gouvernements doivent mettre en place des politiques et des règlements propices, qui favorisent la mise en œuvre de programmes de réduction des risques. Les stratégies actuellement disponibles peuvent fortement limiter et atténuer les effets nocifs de l épidémie de VIH parmi les consommateurs de drogues injectables. Pour produire un impact, les programmes de réduction des risques doivent être adaptés au contexte local. Des interventions efficaces peuvent : a) réduire la marginalisation sociale des consommateurs de drogues injectables et la vulnérabilité qui en découle ; b) améliorer l accès aux soins de santé et aux services sociaux, notamment aux programmes de réduction des risques et à un ensemble de services intégrant la prévention du VIH, le traitement, les soins et le soutien ; c) promouvoir une approche non répressive fondée sur les droits de l homme et des principes de santé publique. Les dangers de l inaction conduisent à la transmission continue du VIH et d autres maladies infectieuses à de nouvelles populations et régions, des épidémies de VIH plus complexes et un taux élevé de mortalité, et l instabilité socio-économique. La Fédération internationale recommande vivement que les gouvernements élaborent des politiques favorables, qui respectent les droits de l homme et facilitent la mise en œuvre de programmes de réduction des risques. Les volontaires de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les professionnels de la santé doivent sensibiliser les toxicomanes, et agir pour et avec eux, dans les secteurs des soins de santé et de la justice pénale. Toutes les parties prenantes doivent associer les toxicomanes à leur action et les écouter : leur voix doit se faire entendre et leur participation à tous les aspects de la prise de décisions et de l élaboration de politiques, de la planification et de la mise en œuvre est absolument cruciale. Les lois répressives, qui prévoient notamment l emprisonnement et des brimades, poussent de nombreux toxicomanes à entrer dans la clandestinité, loin des services de santé et d aide sociale. Il devient alors presque impossible de leur fournir prévention, traitement, soins et soutien en matière de VIH, ce qui accroît les risques encourus par l ensemble de la population. Les changements de politiques et la réforme de la justice font partie intégrante de la réduction des risques. La consommation de drogues injectables ne devrait pas être considérée comme un acte criminel mais comme une question majeure de santé publique. La Fédération internationale plaide en faveur de la décriminalisation des toxicomanes et pour que les consommateurs de drogues, à l intérieur et à l extérieur des centres de détention, aient accès à une procédure juridique équitable et aux services de santé. Le plaidoyer, ainsi qu une volonté et un engagement politiques courageux, sont absolument indispensables si l on veut que les actions encouragées dans ce rapport soient mises en œuvre. Les preuves indiquent sans équivoque que l inaction accroît la transmission du VIH. La restriction de l accès aux programmes de prévention et de traitement du VIH et l emprisonnement des toxicomanes constituent une violation des droits de l homme et une menace pour la santé publique. 1. Wolfe, D., et al., «Treatment and care for injecting drug users with HIV infection: a review of barriers and ways forward», The Lancet, publié en ligne en juillet 2010, PubMed. 2. Beyrer, Ch., et. al., «Time to act: a call for comprehensive responses to HIV in people who use drugs», The Lancet, Vol. 376, n 9740, p. 551-563, 14 août 2010, http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/piis0140-6736%2810%2960928-2/fulltext. 3
Introduction Près de trente ans ont passé depuis que des scientifiques de l Institut Pasteur ont découvert que le VIH était l agent responsable d une mystérieuse pandémie qui a, depuis, pris la vie de millions de personnes dans le monde. Aujourd hui, grâce en grande partie à l apparition des antirétroviraux combinés à un traitement plus précoce, le VIH et le sida ne sont plus une condamnation à mort, mais une maladie chronique qui peut être traitée. Néanmoins, alors même que la science montre comment le VIH peut être contenu voire éliminé 3, les gouvernements et les donateurs continuent de traîner les pieds. Chaque jour, quelque 7 400 personnes sont infectées, les épidémiologistes estimant le taux actuel d infection à 33,4 millions dans le monde, avec un taux de mortalité annuel de 2 millions. 4 L opprobre continue aussi de faire des victimes et elle n est nulle part plus manifeste que dans le cas des consommateurs de drogues injectables. Aujourd hui, le VIH reste concentré dans les neuf pays ayant la prévalence la plus élevée en Afrique subsaharienne, où le mode de transmission reste principalement hétérosexuel. Ailleurs, cependant, les statistiques laissent entrevoir un paysage plus sombre. Le Groupe de référence des Nations Unies sur le VIH et la consommation de drogues injectables estime que 15,9 millions de personnes dans 148 pays utilisent régulièrement des drogues injectables. Ces «consommateurs de drogues injectables» sont particulièrement vulnérables au VIH et à l hépatite B et C en raison de comportements à risque, comme le partage de seringues et d aiguilles, les rapports sexuels non protégés et un comportement généralement peu favorable à la santé. Il est estimé que trois millions de consommateurs de drogues injectables dans le monde vivent aujourd hui avec le VIH 5 (voir partie 1 : ampleur de l épidémie). En plus des dégâts que provoque ce comportement chez le toxicomane et ses proches, l injection de drogues constitue une sérieuse menace pour la santé publique, qui ne peut être éliminée que par la mise en œuvre rationnelle d activités de santé publique non moralisatrices qui mettent l accent sur des programmes de réduction des risques plutôt que sur les sanctions et la censure. Dans ce rapport, nous nous concentrons principalement sur l Europe de l Est et l Asie centrale, car c est là que l épidémie de VIH liée à l usage de drogues par injection s aggrave et que les politiques continuent de criminaliser et de stigmatiser les utilisateurs, ce qui compromet les tentatives de lutter contre l épidémie par le biais d activités de santé publique solides, fondées sur des faits et efficaces. Tout au long du document, nous illustrons les interventions de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge par des études de cas provenant des pays ayant la plus forte prévalence de VIH/ consommation de drogues injectables au monde. Elles figurent au début de chaque chapitre. Dans la partie 1, nous montrons l ampleur du problème dans une analyse brève de la situation. Dans la partie 2, nous décrivons nos messages de sensibilisation relatifs aux conditions inhumaines où se trouvent trop souvent piégés les consommateurs de drogues injectables et leur famille maladies graves, opprobre et solitude. Dans la partie 3, nous résumons l intervention de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en matière de réduction des risques, qui est fondée sur les lignes directrices de 2003 : «Diffuser la lumière de la science». 6 Dans la partie 4, nous étudions comment toutes les parties prenantes peuvent travailler ensemble pour ajuster les politiques, mettre en place des programmes et réduire les risques parmi certaines des populations les plus dénuées de droits et défavorisées du monde. Qui sont exactement les consommateurs de drogues injectables? Alors que les consommateurs de drogues viennent d horizons, de nationalités et de couches socio-économiques extrêmement variés, la plupart des consommateurs de drogues injectables sont de jeunes hommes sexuellement actifs. Nombre d entre eux seront infectés par le VIH et le transmettront, non seulement en partageant leur matériel d injection, mais aussi en ayant des rapports sexuels avec des partenaires réguliers ou occasionnels. La consommation de drogues injectables est aussi liée au commerce du sexe, car il est fréquent que les consommateurs achètent des services sexuels, ou en vendent pour financer leur dépendance à la drogue. 3. Granich, R. M., et al., «Universal Voluntary HIV testing with immediate antiretroviral therapy as a strategy for the elimination of HIV transmission: a mathematical model», The Lancet, 26 novembre 2008. 4. Le point sur l épidémie de sida 2009, ONUSIDA, http://www.unaids.org/fr/ KnowledgeCentre/HIVData/EpiUpdate/EpiUpdArchive/2009/default.asp. 5. Beyrer, C., et al., 2010. 6. http://www.ifrc.org/fr/cgi/pdf_pubs.pl?health/hivaids/harmreduction_fr.pdf 4
partie 1 L Ampleur de l épidémie R C S C R C S C U N A I D S Étude de cas La province du Yunnan est blottie contre la frontière sud-ouest de la Chine, lovée contre le Viet Nam, le Laos et le Myanmar, et liée à la Thaïlande et au Cambodge par le Mékong (aussi appelé la rivière Lancang en Chine). En raison de sa proximité avec le «Triangle d or», la population du Yunnan est «inondée» d héroïne et d autres drogues illégales. Le premier cas d infection par le VIH a été signalé parmi les consommateurs de drogues injectables vivant le long de la frontière en 1989. Fin 2005, les autorités avaient signalé 40 157 citoyens vivant avec le VIH, tandis que 1 541 étaient déjà décédés. Les experts estiment que le nombre réel de personnes vivant avec le VIH est déjà supérieur à 80 000. Les 16 régions de la province sont touchées, trois d entre elles ayant atteint le stade de «prévalence élevée». Au Yunnan, la Croix-Rouge chinoise s appuie sur des volontaires pour desservir les communautés et les familles. HomeAIDS, un centre de services de soutien psychologique, joue un rôle clé dans la prévention de la transmission du VIH. Le centre, effort conjoint de la section de la Croix-Rouge au Yunnan et de l Armée du Salut de Hong Kong et de Macao, travaille avec des spécialistes du VIH et du sida, des collaborateurs d autres ONG, du personnel médical, des officiers de police, de jeunes volontaires, des journalistes, des chauffeurs de taxi et des employés d hôtel. Le but est de fournir des services de réduction des risques qui sauvent des vies et ralentissent la progression du VIH et d autres infections transmissibles sexuellement et par le sang. En quatre ans, HomeAIDS a déjà créé deux centres et 11 sections bénévoles, et a mobilisé et déployé plus de 800 volontaires. L organisation mène des activités de sensibilisation, soutient les communautés, offre des formations, plaide pour des changements de politiques et élabore un modèle efficace et durable de prévention, de traitement, de soins et de soutien en matière de VIH. Un élément clé est la fourniture d un «lieu sûr» pour les consommateurs de drogues injectables vivant avec le VIH. Pour ce faire, HomeAIDS insiste particulièrement sur l éducation par les pairs, qui aide les consommateurs de drogues injectables, les travailleurs du sexe et d autres groupes exposés à se protéger. En plus d orienter les patients vers des traitements et des soins, HomeAIDS offre aux participants une vaste gamme de cours et de formations professionnelles qui comprennent l éducation par les pairs, les premiers secours élémentaires, l informatique, l électronique, le tricot et la cosmétologie. Zahng Ran, Croix-Rouge chinoise : Projet de réduction des risques 5
01. L ampleur de l épidémie Le VIH et les consommateurs de drogues injectables (CDI) dans le monde Europe de l Est 3,476,500 CDI Canada et États-Unis 2,270,500 CDI Europe occidentale 1,044,000 CDI Asie centrale 247,500 CDI Asie du Sud-Est et de l Est 3,957,500 CDI Caraïbes 186,000 CDI Moyen-Orient et Afrique du Nord 185,500 CDI Asie du Sud 569,500 CDI Amérique latine 2,018,000 CDI Afrique subsaharienne 1,778,500 CDI Prévalence du VIH chez les usagers de drogues par injection <5% 5% to <10% 10% to <15% 15% to <20% >20% Océanie 193,000 CDI Source : The Lancet 2010; 376:551-563 (DOI:10.1016/S0140-6736(10)60928-2) Le Groupe de référence des Nations Unies sur le VIH et la consommation de drogues injectables estime que trois millions de consommateurs de drogues injectables vivaient avec le VIH en 2007. Bien que certains pays aient réussi à juguler la propagation du VIH parmi les consommateurs de drogues injectables en déployant l ensemble des interventions de réduction des risques recommandées conjointement par l OMS, l ONUSIDA et l Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), nombreux sont ceux pour qui ce n est pas le cas. Il s agit là d une préoccupation majeure, d autant plus que des preuves montrent que, quand les consommateurs de drogues injectables bénéficient d un bon accès à ces services, l incidence du VIH reste stable et faible pendant des années, voire des décennies (Allemagne, Australie, Brésil, France, Hong Kong, Royaume-Uni et plusieurs villes américaines). À quelques rares exceptions près, les études montrent aussi invariablement que les programmes d échange d aiguilles et de seringues entraînent une diminution marquée de la transmission du VIH pouvant atteindre 33 à 42 % dans certains contextes 7. En effet, ces expériences révèlent systématiquement que les activités de santé publique sont efficaces et que la lutte contre le VIH chez les toxicomanes est relativement facile à mener et peu coûteuse. Toutefois, il semblerait que les succès rencontrés par ces pays ne suffisent pas à vaincre l opprobre et les mauvaises politiques. En 2010, des centaines de milliers de consommateurs de drogues injectables et leurs partenaires intimes en particulier en Europe de l Est, en Asie de l Est, du Sud-Est et centrale, et dans le cône sud de l Amérique du Sud continuent d être infectés. Cinq pays en particulier (la Chine, la Malaisie, la Russie, l Ukraine et le Viet Nam) sont qualifiés de «méga-épidémies» en raison du nombre de consommateurs de drogues injectables qu ils comptent. Ensemble, ces pays représentent environ 2 à 4 millions de cas de VIH et la principale concentration de consommateurs de drogues injectables vivant avec le VIH au monde. 8 En Europe de l Est et en Asie centrale, la situation est particulièrement préoccupante. Les consommateurs de drogues injectables représentent plus de 60 % de tous les cas de VIH au Bélarus, en Géorgie, en Iran, au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Moldavie, en Ouzbékistan, en Russie, au Tadjikistan et en Ukraine. 9 6
01. L ampleur de l épidémie En Afrique subsaharienne, de nouvelles épidémies commencent à apparaître parmi les consommateurs de drogues injectables. Quelque 221 000 consommateurs de drogues injectables sont aujourd hui séropositifs. Selon certaines enquêtes, on estime que la prévalence du VIH parmi les consommateurs de drogues injectables dans d autres pays africains va de 12,4 % en Afrique du Sud à 42,9 % au Kenya. 10 Dans ce dernier pays, la transmission liée à la consommation de drogues injectables représenterait 3,8 % des nouveaux cas de VIH en 2006. 11 Au Ghana, des chercheurs estiment qu en 2008, le taux annuel de séropositivité chez les consommateurs de drogues injectables s élevait à 4 %. 12 En 2007, 10 % des consommateurs de drogues injectables interrogés dans la région de Kano, au Nigéria, étaient séropositifs (ministère fédéral de la Santé, 2007). De plus, les chercheurs prédisent que la consommation de drogues injectables sera probablement la cause de plusieurs épidémies émergentes dans des communautés musulmanes auparavant peu touchées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, comme cela s est produit en Chine occidentale, en Indonésie, en Iran et en Malaisie. 13 7. Guide technique OMS, UNODC, ONUSIDA (2009). 8. Wolfe et al., 2010. 9. Beyrer, C., et al. 2010. 10. Mathers, et al., «Global epidemiology of injecting drug use and HIV among people who inject drugs: a systematic review», The Lancet, 2008, 372: 1733-1745. 11. ONUSIDA, 2010. 12. Bosu, et al., 2009. 13. Strathdee, S.A., Hallett, T.B., Bobrova, N., et al., «HIV and risk environment for injecting drug users: the past, present, and future», The Lancet, 201010.1016/S0140-6736(10)60743-X, publié en ligne le 20 juillet sur PubMed. Pakistan les consommateurs de drogues injectables courent un risque accru d être infectés par le VIH et de mourir. ONUSIDA, Pierre Virot, 2010. 7
01. L ampleur de l épidémie Double risque et double négligence (Extrait et adaptation de : El-Bassel, N., et al., 2010) Le VIH et les consommatrices de drogues injectables De nombreuses consommatrices de drogues n ont pas suffisamment de pouvoir pour négocier des rapports sexuels protégés. Pourtant, la plupart des stratégies de prévention du VIH imposent aux femmes la responsabilité d insister pour utiliser des moyens de protection, ce qui augmente les risques de violences physiques et sexuelles. Les femmes toxicomanes dépendent souvent de leur partenaire pour leur procurer de la drogue. Comme ce sont souvent leurs partenaires qui leur injectent la drogue, elles utilisent l aiguille après lui, ce qui augmente le risque d infection par le VIH et d autres maladies. Si elles refusent de partager les aiguilles et Odessa, Ukraine Les femmes toxicomanes ont deux fois plus de risques d infection par le VIH par le biais de rapports sexuels non protégés et d injections à risques. ONUSIDA. John Spaull. les seringues, les femmes risquent de subir des violences physiques et sexuelles de la part de leur partenaire intime, ce qui accroît également le risque d infection par le VIH. Les femmes toxicomanes, en particulier les consommatrices de crack/cocaïne, ont trois fois plus de risques que les autres femmes de subir des violences physiques et sexuelles de la part de leur partenaire intime au cours de leur vie. Ces violences constituent un risque majeur d infection par le VIH. 14 15 Cependant, très peu de stratégies de prévention du VIH fondées sur des faits abordent ces interactions complexes par une approche holistique. Santé reproductive et consommatrices de drogues injectables Très peu de stratégies s occupent du sort des femmes qui subissent des violences et des traumatismes sexuels de la part de leur partenaire intime, et moins encore insistent sur la nécessité de la santé reproductive, en particulier au sujet des travailleuses du sexe et des femmes incarcérées. Dans de nombreux pays, les toxicomanes enceintes n ont pas accès aux services de prévention et de traitement du VIH. La plupart des programmes n informent pas leurs clientes des effets de la consommation de drogues sur la grossesse, tandis que de nombreuses femmes risquent d encourir des sanctions pénales si elles continuent de consommer des drogues durant leur grossesse. L opprobre et la criminalisation de la consommation de drogues durant la grossesse poussent les femmes à cacher leur dépendance aux prestataires de soins de santé, ce qui met aussi leur bébé à naître en danger, car elles ne peuvent donc pas accéder aux services de prévention de la transmission mère-enfant. En raison de l absence d infrastructures ou de programmes de soins pour les enfants, les mères toxicomanes ont encore plus de difficultés à accéder aux services dont elles ont si désespérément besoin. Si les besoins des femmes toxicomanes enceintes ne sont pas satisfaits, le cycle de la dépendance et de l infection par le VIH sera transmis à la génération suivante. 14. Wechsberg, W.M., et al., «Substance use and sexual risk within the context of gender equality in South Africa», Subst use misuse 2008, 4: 1186-1201. CrossRef PubMed 15. El Bassel, N., et al., «HIV and intimate partner violence among methadonemaintained women in New York City», Soc Sci Med, 2005, 61: 171-183. Cross Ref PubMed 8
01. L ampleur de l épidémie Consommateurs de drogues «à problèmes» : questions d opprobre 16 En septembre 2010, la United Kingdom Drug Policy Commission a publié un rapport qui portait spécifiquement sur les consommateurs de drogues «à problèmes», ceux qui consomment des drogues par injection et/ou consomment régulièrement et à long terme des opiacés, de la cocaïne et/ou des amphétamines. Le rapport, intitulé Sinning and sinned against: the stigmatisation of problem drug users, arrivait à la conclusion que les toxicomanes subissent une opprobre si forte que leur capacité de se défaire de leur dépendance en est compromise. Ils peuvent subir une discrimination relative au traitement, au logement ou à l emploi. La commission a exclu les drogues euphorisantes, comme l alcool, le cannabis et l ecstasy, mais a reconnu que les consommateurs de ces drogues portent d autres étiquettes stigmatisantes. La commission a relevé que l opprobre joue un rôle et qu elle la ressent fortement car «nous sommes des êtres fondamentalement sociaux». La commission a aussi relevé que le discours électoraliste sur la «guerre contre la drogue» ou la «tolérance zéro» signifie que les personnalités politiques et les décideurs ne manifestent qu un intérêt de pure forme à l approche compatissante du «chemin vers la guérison». Elle leur conseillait de mieux réfléchir avant d utiliser ce langage, qui entrave les efforts de sensibilisation en nommant et en couvrant de honte les personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées. La commission appelle aussi le public, les professionnels de la santé, et en particulier les médias, à prendre davantage conscience des conséquences destructrices de l opprobre que subissent les toxicomanes. Elle a aussi salué l ancien gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, pour son soutien au Recovery Month (le mois de la guérison), un événement qui a lieu chaque année au mois de septembre. Son but est de faire connaître et de soutenir les efforts de ceux qui contribuent au traitement, à la guérison et aux soins des toxicomanes. 16. Extrait de The Lancet, Volume 376, n 9743, p. 744, 4 septembre 2010. Prisonniers toxicodépendants Dans de nombreux pays, une proportion considérable de prisonniers sont toxicodépendants : le taux d incarcération atteindrait 56 à 90 %. Étant donné les mesures répressives qui les menacent, il n est pas étonnant que les consommateurs de drogues injectables dépendants évitent les autorités de santé publique, ce qui a, inutile de le préciser, des conséquences graves pour euxmêmes et pour le public dans son ensemble. Les personnes qui consommaient des drogues avant d être emprisonnées continueront de le faire en prison. Elles ne peuvent tout simplement pas arrêter du jour au lendemain. D autres y consommeront des drogues pour la première fois généralement pour supporter le surpeuplement, l ennui et la violence. Les prisonniers qui consomment des drogues injectables seront en Les centres de détention ont des résultats médiocres en matière de prévention de la toxicomanie et de réduction des risques. outre plus susceptibles de partager leur matériel qu à l extérieur 17. Les rapports sexuels sans protection notamment les violences sexuelles peuvent entraîner la 18 19 transmission du VIH et d autres IST. Bien que les programmes d échange d aiguilles et de seringues et les traitements de substitution puissent provoquer une baisse des comportements susceptibles d entraîner l e V I H, s e u l s quelques prisonniers y ont accès. On leu r ref u se aussi souvent les cures de désintoxication et les informations sur la prévention du VIH, et ce, bien que des recherches entreprises en Russie et en Chine montrent très clairement que la rareté des services de prévention dans les prisons augmente le risque que les prisonniers séropositifs transmettent le virus après leur 20 21 libération. Dans certains pays, 40 % des consommateurs de drogues injectables vivent avec le VIH. Timo Luege, Fédération internationale. 17. OMS, UNODC, ONUSIDA, Interventions to address HIV in prisons: drug dependence treatments, Evidence for Action Technical Papers, Genève, OMS, UNODC, ONUSIDA, 2007. 18. Taylor, A., Goldberg, D., Emslie, J., et al., «Outbreak of HIV infection in a Scottish prison», BMJ, 1995, 310: 289-292, PubMed. 19. Hughes, R., Huby, M., «Life in prison: perspectives of drug injectors», Deviant Behav, 2000, 21: 451-479, PubMed. 20. Sarang, A., Rhodes, T., Platt, L., «Access to syringes in three Russian cities: implications for syringe distribution and coverage», Int J Drug Policy, 2008, 19 (suppl. 1), S25-S36, PubMed. 21. Cohen, J.E., Amon, J.J., «Health and human rights concerns of drug users in detention in Guangxi Province, China», PLoS Med, 2008, 5: e234, CrossRef PubMed. 9
partie 2 L Appel à l action J L m a r t i n a g e / I F R C J L m a r t i n a g e / I F R C J L m a r t i n a g e / I F R C Étude de cas Nikolay et Irina dépensent tout leur argent en semechki, une pâte artisanale de graines de pavot, la drogue préférée dans la morne ville de Slutsk (70 000 habitants, rasée durant la Seconde Guerre mondiale), à deux heures de voiture de la capitale du Bélarus, Minsk. Leur famille les a jetés dehors depuis longtemps. Ils travaillent, ils vivent, ils consomment. Ils passent leurs heures de lucidité à souhaiter n avoir jamais commencé, jusqu à ce que les rats commencent à gratter dans leur cerveau et qu ils ne puissent penser qu à une seule chose : leur prochaine «dose», leur prochain «shoot». La libération est immédiate : la béatitude, l amour jusqu à ce que cette sensation disparaisse progressivement et que le cycle «hainebesoin-amour» recommence. Pour l observateur distrait, Nikolay et Irina ne sont qu un autre couple de toxicomanes, des déchets humains flottant sur la mer post-soviétique du désespoir. Mais ils ont un but. Nikolay et Irina sauvent des vies, une aiguille après l autre. Chaque jour, ils se rendent dans un appartement miteux tapi à l ombre de deux cheminées massives dans la banlieue et commencent leur travail. Chacun a environ 40 clients, qui se font plusieurs injections par jour. Nikolay et Irina leur apportent des aiguilles propres et reprennent les aiguilles usagées (qui portent des restes de stupéfiants, ce qui, sans un accord spécial entre la Croix-Rouge et la police, pourrait les amener en prison), les emballent en vue de leur destruction, puis ressortent, retournent dans les allées et les tours d habitation où leurs compagnons d infortune les attendent. «Aucune des personnes avec lesquelles je travaille n utilise de seringues sales maintenant, alors que nous le faisions tous auparavant, dit Nikolay. Nous savons ce que peut faire le sida et nous ne voulons pas l attraper.» En plus de gérer l échange d aiguilles, le couple distribue des aiguilles, des compresses, des préservatifs, des vitamines, et des barres chocolatées fortifiées spéciales qui aident à nourrir ceux qui sont trop malades, trop pauvres ou trop dépendants pour s alimenter eux-mêmes correctement. Nikolay et Irina connaissent les rues, les consommateurs et les risques. Ils suscitent une confiance qu aucun agent de police, partenaire, parent ou chef religieux ne pourra jamais inspirer. C est pourquoi ils se rendent dans les écoles et expliquent aux enfants ce que c est que d être toxicomane : combien cette vie peut être dure, horrible et dangereuse. «Nous ne disons pas : Dites non, mais : C est comme ça. À vous de choisir.» Joe Lowry, Fédération internationale, Budapest. Bélarus : Projet de réduction des risques de la Fédération internationale 10