L employeur peut-il renvoyer un travailleur grippé à la maison? La réponse n est pas si simple, car que se passe-t-il si le travailleur se présente malade au travail sans dire qu il s agit précisément du virus A/H1N1? La question se pose par analogie pour toutes les maladies contagieuses d un travailleur et touche évidemment sa vie privée 1. Employeur, employé, fonctionnaire, salarié Par employeur, on entend évidemment ici la commune ou le CPAS. Ces employeurs n emploient pas uniquement des fonctionnaires, mais également des salariés ayant un contrat de travail. Dans un souci de lisibilité, nous emploierons indistinctement l un ou l autre terme même si l article vise ces deux catégories de membres du personnel. En vertu de la loi relative aux contrats de travail (LCT), l employeur doit veiller en bon père de famille à ce que les prestations se déroulent dans des conditions convenables en matière de sécurité et de santé pour son personnel. Il doit donc, dans la mesure du possible, être attentif aux malades, surtout s il existe un risque de contamination de leurs collègues. Quand une personne se présente au travail avec des symptômes évidents de grippe, l employeur peut le renvoyer à la maison conformément à l article 20 de la LCT 2. C est beaucoup plus difficile lorsque l employeur n a que des soupçons relativement à l état grippal de son personnel. L employeur qui oblige son collaborateur à retourner à la maison doit en effet fournir la preuve que ce dernier est malade et n est pas en état de travailler, ou constitue un danger pour les autres. En cas de doute quant à l état de santé, l employeur peut-il lui faire subir un test sanguin afin de le renvoyer ensuite dans ses pénates? Et peut-il invoquer à ce sujet la relation d autorité qui les régit? Le test sanguin touche l intégrité physique et la vie privée de la personne, deux concepts protégés par l article 8 de la C.E.D.H 3. Par conséquent, une base légale est nécessaire pour exiger ce test. Mais cette dernière faisant ici défaut, l employeur ne peut pas obliger le travailleur à s y soumettre du seul fait de ses soupçons. Le 1 HENDRICKX, F., Privacy en arbeidsrecht, Brugge, Die Keure, 1999, p. 11, n 27. La vie privée est protégée par des règles nationales et internationales : art. 22 Const., art. 8 Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales, M.B., 19 août 1988, art. 17 Convention internationale sur les droits civils et politiques, M.B., 6 juillet 1983, Loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l égard des traitements de données à caractère personnel, M.B., 18 mars 1993. 2 Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, M.B. 22 août 1978 3 Convention de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950.
Règlement Général pour la Protection du Travail prévoit bien certains cas dans lesquels un prélèvement sanguin ou un examen médical peuvent être exigés mais en dehors de ceux-ci, l employeur ne peut pas contraindre son travailleur à les passer 4. On ne pourra pas plus envoyer le travailleur chez le médecin du travail. En effet, ce dernier n a pas pour tâche d évaluer l état de santé général de celui-là. Enfin, on ne fera pas appel au médecin-contrôleur 5, lequel est un payé et habilité par l employeur avec pour seule mission de vérifier si l incapacité de travail prescrite correspond à la réalité. Donc, tant que cette incapacité n a pas encore été déclarée, ce médecin ne peut pas effectuer son contrôle. La marge de manœuvre est donc étroite : on ne peut que tenter de convaincre le travailleur de consulter son médecin traitant. A charge de ce dernier de déclarer son (in)aptitude. L employeur ne pourra cependant rien apprendre de plus du médecin traitant en vertu du secret professionnel, lequel doit par ailleurs être préservé en toutes circonstances. Tout ce que le médecin sait à la suite des examens ou des constatations ou recherches qu il a effectué(e)s ou demandé(e)s ne peut pas être communiqué 6. Le seul élément de communication porte sur la capacité ou l incapacité au travail. L employeur ne pourra donc pas savoir si le travailleur est contaminé par le virus de la grippe A/H1N1. Si le travailleur est malade, il doit en informer immédiatement son employeur 7 et fournir dans les deux jours ouvrables 8 un certificat médical mentionnant également la durée de l incapacité. L obligation se limite donc à signifier son incapacité, sans même devoir en préciser la cause. L employeur ne peut en aucun cas exiger de ceux qui se présentent à leur poste qu ils lui remettent un certificat indiquant qu ils ne sont pas malades. Toute personne dont l incapacité n est ni constatée, ni visible, doit être autorisée à travailler. 4 Conseil d État, 27 octobre 2005, n 150.861. 5 Art. 31, 3 LCT. 6 Titre II, Chapitre V, «Secret professionnel du médecin», Code de déontologie médicale, Conseil national de l Ordre des médecins. 7 Art. 31, 2, al. 1 LCT. 8 Art. 31, 2, 3 e al. LCT.
Quelle est la responsabilité préventive supportée par l employeur? Comme nous l avons dit, l employeur a pour responsabilité de veiller en bon père de famille à ce que le travail soit effectué dans des conditions convenables en matière de santé pour ceux qu il dirige. Il est également soumis à des obligations en matière de santé et de sécurité en vertu de la Loi relative au bien-être des travailleurs 9. Les obligations portent sur la prévention des risques qui peuvent voir le jour en raison de l activité de l entreprise et de la manière dont les tâches sont effectuées. La grippe A/H1N1 ne sera généralement pas un risque spécifiquement lié à l exercice d une profession. L employeur doit dès lors prendre des mesures générales d hygiène spécifiques aux virus de la grippe. Lorsque le risque de propagation du virus A/H1N1 augmente en raison de la nature de l activité (par exemple, les crèches, les écoles ou les hôpitaux), l employeur doit prendre les mesures appropriées pour limiter le risque de contamination. La Loi relative au bien-être le lui impose. Il peut alors faire appel à un conseiller en prévention-médecin du travail. Le travailleur contaminé par le virus ne peut pas rendre responsable de la propagation du virus au travail son employeur, sauf si ce dernier a omis de prendre les mesures appropriées dans les secteurs à risques. En tout cas, la charge de la preuve incombe au travailleur et on se demande vraiment s il lui sera possible de démontrer d où provient la contamination. Le travailleur peut-il rester à la maison pour soigner un membre de la famille malade? La plupart des règlements communaux autorisent l une ou l autre forme de congé de circonstance. De même, des raisons impérieuses sont reconnues par la LCT comme motif justifiant l absence 10. La maladie d un cohabitant, d un père ou d une mère ou d un parent du premier degré doit être considérée comme une raison impérieuse. Le travailleur peut donc rester à la maison pour soigner les membres de sa famille malades. 9 Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l exécution de leur travail, M.B. 18 septembre 1996. 10 Art. 30bis LCT.
Qu en est-il de la continuité du service public? Si les absences, par leur importance, mettent en péril la prestation de services de la commune ou du cpas, l employeur doit prendre les mesures appropriées pour garantir tout de même un service minimal. En effet, il a des obligations vis-à-vis non seulement de ses travailleurs, mais également de tiers, utilisateurs du service public. L employeur a tout intérêt à prévoir un plan permettant de réaffecter les travailleurs encore présents afin d assurer ce service minimal. Les choses se compliquent si cette mesure ne suffit pas. La loi du 19 août 1948 relative aux prestations d intérêt public en temps de paix 11 prévoit en effet certains cas dans lesquels l employeur peut réquisitionner ses travailleurs. Mais la pandémie de grippe n est pas un cas qui autorise la réquisition. Cependant, rien n empêche que la réquisition et le service minimal puissent être établis en concertation avec la délégation syndicale et le personnel. En outre, d autres pistes peuvent encore être creusées, comme le télétravail. Quid de la travailleuse enceinte? L employeur devra prendre des mesures adaptées, surtout pour la travailleuse enceinte qui a de nombreux contacts avec le public. Dans ce cas, il vaut mieux faire appel au conseiller en prévention-médecin du travail qui essayera de détecter et de réduire les risques qui sont raisonnablement accrus en raison de la nature de la fonction. En outre, les circonstances concrètes joueront un rôle. Le contact avec le public n est en effet pas un risque en soi. L employeur devra donc surtout attirer l attention de la travailleuse sur les mesures d hygiène particulières qu elle doit respecter. Il va sans dire qu il peut toujours lui proposer un autre poste, mieux adapté à sa situation. Si rien ne l empêche de prendre des précautions particulières, il n est pas tenu par une obligation générale, parce que la contamination peut se produire n importe où dans l espace public. L écartement du travail ne peut être proposé comme mesure que si la nature de celui-ci représente en soi un risque de contamination, comme l accueil des urgences d un hôpital. 11 Loi du 19 août 1948 relative aux prestations d intérêt public en temps de paix, M.B. 21 août 1948.
Conclusion Le virus A/H1N1 semble pour l instant épargner relativement notre pays, mais cela ne dispense pas pour autant de prendre les mesures d hygiène adaptées. L écartement du travail n est possible que si la nature de celui-ci engendre un risque de contamination. Pour le reste, il s agit surtout d une question de bon sens, afin d éviter qu une personne ne devienne malade. Plus d infos www.influenza.be