I Je suis je vis je mange dans un fauteuil à bascules. Ma vie est condamnée, à suer entre quatre murs. J ai fait le geste que je n aurais pas dû. Celui que nous réprouvons tous lorsqu il est fait sur beaucoup trop jeune. Mais toi qui m oublies, loin de mes murs blancs à barreaux, sache que tu es tout pour moi. Tes larmes tes peurs ta haine tu les trouves légitimes. Moi, sublimes. Tes yeux qui m imploraient un soir de cave, sont pour moi, des perles d orage, dont j aime me souvenir, quand je plonge mon cœur, contre le ciel, pour écouter ta rage. 3
Alors Lola, j aime prononcer ton nom, quand tu veux oublier le mien. Tu te sens souillée comme la lune d un trottoir. Tu veux redevenir la fillette innocente du bac à sable, mais tu ne pourras pas. La vie blanchâtre que j ai portée un instant en toi, t as fait fuir ce rivage où j aimais me poser avec toi. Ce rivage, cette terre, que je pensais pour toi si douce, contrairement à moi, tu ne l aimes plus. Pourtant, lorsqu on s est connu, un jour d école sous un arbre, tu ne le pensais pas. Tu te disais, et me disais, que tu n avais pas l habitude qu on s intéresse à toi. Et moi, je t écoutais te répondais, il faut toujours une première fois. Tu allais sur tes dix ans, et moi beaucoup trop. Tu étais assise seule, sous les branches de l arbre, et moi qui te regardais, je te vis me sourire, et toi, mes yeux mon cœur mon regard de tueur, se faire douceurs de l ange. 4
«Tu es gentil, monsieur le professeur, contrairement à mes camarades. Personne ne veut partager un livre avec moi. Je ne demande pourtant pas grand chose, juste m amuser comme les autres enfants, un peu de marelle, quelques parties de billes, deux trois cordes à sauter. Mais non, rien. À croire que pour eux, je ne sois qu une fille sans valeur. Alors le monsieur qui lit si bien les dictées, veux-tu partager ces instants avec moi?» Qu aurais-je pu répondre à ça? Oui! Avec joie! J ai toujours aimé les enfants qui sourient. Je ressens à ces moments, une grosse boule de trop plein d émotions. Mon cœur se serre à leurs évocations. Souvent, quand je songe à eux, des images troubles viennent à moi. Avant Lola, je n avais jamais osé faire le premier pas. Je ne savais que trop bien ce qui aurait pu se passer. Je serais allé trop 5
loin. Car je voyais s ouvrir un rideau teinté de rouge, en me remémorant, chacun de leur visage. Avant Lola, j ai toujours su prendre sur moi. Je me disais : Ne fait que penser, mais n agis point, tu ne craindras rien. Tout se passait bien. Je pouvais continuer à vivre, parmi les enfants, et personne avant elle, n avait songé à ce que j aurais pu leur faire Cette tentation pour le très jeune, je ne l ai pas compris tout de suite, mais plus tard, dans ma vie d adulte. J ai toujours aimé travailler avec les enfants. Pour autant, je n arrivais pas me dire, que j étais malsain comme la peste. Puis, lentement, la surface des lisses apparences s est craquelée à l intérieur de moi. Comme la pomme noircie qui avait empoisonné Blanche, une blessure vénéneuse s était créée dans mon cœur. Désormais, je savais, vers qui, mes attentions se penchaient. Les enfants. 6
J étais comme ça, et jusqu à Lola, il ne s était jamais rien passé. Puis toi. Je m étais assis à tes côtés. Je ne voulais que tes rires et ta joie. Mais à tord, je te pensais prête, à tout donner. J avais perdu le sens des réalités, en esquissant dans ma tête, les courbes naissantes de ton corps. Je me trompais. Mais on s est rapproché. Toi, tu voulais juste ne pas être seule, avoir un ami, avec qui partager ses récrés. Tu me l as demandé, je n ai pas su refuser. Bien sûr je savais que c était condamnable, mais le désir pour toi, il était tellement fort, que j ai plongé sans ressentir le moindre remord. Tu avais le sourire de plus, tu aimais les livres qui racontaient des histoires de princesses s énamourant de princes. Et j espérais tant être celui qui te révèlerait femme, par plus que des baisers 7
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II Les livres c est moi j aime ces mondes où les fleurs poussent comme des bombes sur un champ de mines. J aimerais bien être avec les autres, mais personne ne veut de moi. Je suis bizarre comme un train à vapeur au milieu de fils électriques. Je suis bizarre, pas du tout normale. Tous ils me disent ça, mais, je n ai rien de particulier. Comme tous les enfants j aime jouer et rire, j aime aussi les livres, mais BIZARRE. Matthieu dit que les rousses ne sont pas normales, et que tous mes livres sont bancals. Je l ai dit à maman. Personne ne m aime. 9
Je suis toute seule comme un docteur perdu au milieu de ses étoiles. «Mais non Lola, tu ne l es pas. Je suis là» C est vrai maman tu es là, mais plus papa. Parti papa. Papa allé ailleurs avec la mort. Aussi, le monsieur mon professeur, j ai envie de lui donner des airs de papa. Il a tout pour. Une barbe couleur feu comme mes cheveux, des yeux bleus comme mes poupées, et la voix douce comme ma princesse préférée. J aime sa voix, quand il nous fait la dictée. Il épelle chaque mot, je me délecte en les regardant naître sur ses lèvres, qui, ressemblent à ces roses ouvertes sur le soleil du printemps, avec les mêmes reflets de lumières abandonnées sur leurs chairs. C est pour ça, qu un jour, où j étais encore, réfugiée près de mon arbre, le pleureur solitaire, je lui ai souri, comme un enfant devant son père. Alors je lui ai demandé, s il voulait être mon ami, si je pouvais 10