Corpus n 2 : Sujet : Dans une classe de première, vous étudierez le groupement de textes suivant dans le cadre de l objet d étude Ecriture poétique et quête du sens». Vous présenterez votre projet d ensemble et les modalités de son exploitation en classe. Texte 1 : Marie, qui voudrait votre beau nom tourner, Il trouverait Aimer : aimez- moi donc, Marie, Faites cela vers moi dont votre nom vous prie, Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner. S'il vous plaît pour jamais un plaisir demener, Aimez- moi, nous prendrons les plaisirs de la vie, Pendus l'un l'autre au col, et jamais nulle envie D'aimer en autre lieu ne nous pourra mener. Si faut- il bien aimer au monde quelque chose : Celui qui n'aime point, celui- là se propose Une vie d'un Scythe, et ses jours veut passer Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure. Eh, qu'est- il rien de doux sans Vénus? las! à l'heure Que je n'aimerai point, puissé- je trépasser! Ronsard, Continuation des Amours, 1555 Texte 2 : L'invitation au voyage Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là- bas vivre ensemble! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Baudelaire Les fleurs du mal, 1857 Texte 3 : Sur mes cahiers d écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur les échos de mon enfance
Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées Sur tous mes chiffons d azur Sur l étang soleil moisi Sur le lac lune vivante Sur les champs de l horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres Sur chaque bouffée d aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente Sur la vitre des surprises Sur les lèvres attentives Bien au- dessus du silence Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui Sur l absence sans désirs Sur la solitude nue Sur les marches de la mort Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l orage Sur la pluie épaisse et fade Sur les formes scintillantes Sur les cloches des couleurs Sur la vérité physique Sur les sentiers éveillés Sur les routes déployées Sur les places qui débordent Sur la lampe qui s allume Sur la lampe qui s éteint
Sur mes raisons réunies Sur le fruit coupé en deux Du miroir et de ma chambre Sur mon lit coquille vide Sur mon chien gourmand et tendre Sur ses oreilles dressées Sur sa patte maladroite Sur le tremplin de ma porte Sur les objets familiers Sur le flot du feu béni Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l espoir sans souvenirs Et par le pouvoir d un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté Paul Eluard, Poésie et Vérité, 1942
Texte 4 : Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour- là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle- toi Rappelle- toi quand même ce jour- là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle- toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas N'oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es- tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est- il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien. Prévert, Paroles, 1945