LA FORMATION AU CINÉMA ENTRE ÉTUDE UNIVERSITAIRE ET PRATIQUE PROFESSIONNELLE. RÉFLEXIONS SUR UNE EXPÉRIENCE



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Transcription:

Antioco Floris LA FORMATION AU CINÉMA ENTRE ÉTUDE UNIVERSITAIRE ET PRATIQUE PROFESSIONNELLE. RÉFLEXIONS SUR UNE EXPÉRIENCE Paper presentato alla XIX International Film Studies Conference «Can We Learn Cinema? Knowledge, Training, the Profession», Udine, March 20-22, 2012 Pubblicato in A Bertolli, A. Mariani, M.Panelli (eds.), Can We Learn Cinema? Knowledge, Training, the Profession, Forum, 2013 La formation aux métiers du cinéma suit des canaux pas toujours structurés de façon rigoureuse, mais qui se sont parfois développés dans le prolongement souvent pas intentionnel de parcours visant à l'obtention d'autres compétences. La formation de base (communément appelée film literacy), aussi bien celle d'introduction à l'étude du langage cinématographique que celle de sensibilisation à la culture cinématographique au sens large, qui se pratique dans les cours universitaires et dans les écoles primaires et secondaires peut, dans des contextes particuliers, stimuler et encourager des dispositions et développer des aptitudes qui permettent l'accès aux métiers du cinéma. Cette pratique n'est pas très répandue, car les activités liées à la media literacy ont généralement d'autres objectifs, à savoir, selon les indications de l'european Charter of Media Literacy : 1) utiliser les technologies médiatiques efficacement pour accéder, conserver, rechercher et extraire ou partager le contenu afin de rencontrer les besoins et intérêts des individus et des communautés ; 2) obtenir l'accès à, et opérer des choix informés dans un large éventail de formes et de contenus médiatiques à travers les différentes sources culturelles et institutionnelles ; 3) comprendre comment et pourquoi les contenus médiatiques sont produits ; 4) analyser de manière critique les techniques, langages et codes utilisés par les médias et les messages qu'ils véhiculent ; 5) utiliser les médias de manière créative en vue d'exprimer et de communiquer des idées, des informations et des opinions ; 6) identifier et éviter ou mettre en question le contenu médiatique et les services qui peuvent être indésirables, choquants ou nuisibles ; 7) utiliser les médias dans l'exercice de leurs droits démocratiques et de leur citoyenneté 1. Ainsi donc, lorsque l'on se situe dans une dimension créative, ce qui arrive de plus en plus ces dernières années, avec la conviction que l'amélioration des compétences du secteur se fait "mieux" à travers la pratique, l'objectif final n'est pas de professionnaliser les acteurs du processus de formation, mais essentiellement de fournir des compétences de base. Les cas professionnalisants ne sont cependant pas complètement absents et les tendances actuelles de la media education s'ouvrent à cette nouvelle perspective, mais il s'agît toujours d'activités marginales. On souligne toutefois l'importance d'acquérir des compétences même dans le domaine de la communication, à travers un savoir faire qui permet aux individus d'élaborer des messages avec des codes variés et de les diffuser en utilisant les différents médias, et donc d'avoir des capacités créatives, techniques, sémiotiques et sociales 2 ; même si l'on souhaite utiliser les médias dans la formation en entreprises 3, et l'on constate un intérêt de l'industrie des médias pour la media literacy, la pratique concerne essentiellement la formation de base, dispensée principalement par des insegnants non spécialisés et des éducateurs ou des experts en processus de formation, et seulement ponctuellement par des professionnels du secteur 4. La formation dans le domaine cinématographique, selon une division plutôt traditionnelle, peut être ramenée à deux sphères : d'un côté celle de base visant à l'acquisition de compétences de différents niveaux aptes à créer une sensibilité pour le cinéma et donc à favoriser la création d'un public avec une capacité critique et un potentiel opérationnel 5 et qui, rien qu'à travers d'autres approfondissements peut 1 The European Charter for Media Literacy dans http://www.euromedialiteracy.eu/charter.php?id=8. 2 Voir : Universidad Autonoma de Barcelona, Current Trends and Approaches to Media Literacy in Europe, recherche mandatée par la Commission Européenne, programme MEDIA, en 2007 dans : http://ec.europa.eu/culture/media/literacy/studies/index_en.htm., p. 19. 3 Voir : Pier Cesare Rivoltella, Media Education. Modelli, esperienze, profilo disciplinare, Carocci, Roma 2001, en particulier pp. 190-192. 4 Voir : Current Trends and Approaches to Media Literacy in Europe, op. cit. 5 Ce public qui permet au cinéma d'exister, et dont la formation de base ne peut être remise en cause. À ce propos, Zavattini fiasait remarquer que «pour faire de bons films il faut qu'il y ait de bons spectateurs [...] car nous ne croyons ni à la prédominance du public sur l'artiste, ni à la prédominance de l'artiste sur le public, mais à un processus tout naturel de collaboration, où l'un doit à l'autre et viceversa». Voir Cesare Zavattini, Il circolo italiano del cinema 1956, dans Opere cinema. Neorealismo ecc., Bompiani, Milano 2002, pp. 833-834. Nanni Loy souhaitait la formation d'un nouveau public, avec une conscience différente, capable d'exiger un cinéma de "qualité". 1

également déboucher sur les métiers du secteur ; d'un autre côté la formation professionnalisante, à savoir celle tournée vers l'acquisition de compétences dont on peut se servir sur le marché du travail cinématographique. Traditionnellement ces sphères de formation sont séparées. La première est développée dans les établissements scolaires et lors du temps libre, 6 la seconde se passe dans des contextes spécifiques, mais aux champs très larges comme le démontre la récente recherche effectuée par le staff du PRIN Le renouveau des cadres dans le cinéma italien. La formation de la culture cinématographique coordonné par Leonardo Quaresima 7. Avec des caractéristiques et des processus distincts, s'adressant généralement à des sujets différents, ces deux sphères peuvent quoi qu'il en soit trouver des points de rencontre dans des contextes et des situations particuliers comme lorsque, par exemple, la formation de base est pensée en terme de méthodologies articulés qui ne se limitent pas à l'acquisition de connaissances théoriques mais sont axées sur la pratique de la réalisation cinématographique dans des contextes qui ne sont pas reconstitués et protégés, tels par exemple les classes d'école. Il s'agît d'activités qui ne se limitent pas à l'expérience créative, imitant en plus petit les contextes de réalisation du film, mais qui prévoient la présence d'élèves sur de vrais plateaux de tournage. Le texte que je propose fait référence à une expérience que j'estime significative de la façon de conjuguer la formation de base avec l'acquisition de compétences pratiques d'une valeur professionnalisante. J'entends donc contextualiser l'expérience et identifier les points forts du processus comme valides pour la création d'un modèle de formation applicable en dehors de l'expérience de référence. En effet, il s'agît d'une expérience structurée en méthodologies précises, organisées selon des modèles théoriques éprouvés et expérimentés au cours d'années d'activité de formation. L'exemple qui suit tente de mettre en évidence le contexte dans lequel on a travaillé, les modèles de référence culturelle, la méthodologie, les sujets impliqués (institutions, opérateurs, élèves), l'organisation du projet, les résultats. Nous sommes à Cagliari, chef-lieu de la Sardaigne dans deux quartiers de la banlieue où le milieu social est très défavorisé. L'un des quartiers, en particulier, est une sorte d'enclave de la criminalité urbaine avec une délinquance fortement présente dans toutes les tranches d'âge, de l'adolescence à la vieillesse. Les auteurs et les organisateurs du projet de formation sont l'université publique, plus spécifiquement le cours de maîtrise en sciences de la communication et le centre pour l'éducation aux langages du cinéma, et une petite maison de production cinématographique. À ceux-ci s'ajoutent le Gouvernement régional qui finance le projet et les deux écoles pour des jeunes entre onze et treize ans (celles qui en Italie s'appellent secondaires de premier niveau) où se déroule l'activité. Le parcours de formation se réalise sur environ un an, entre novembre 2009 et septembre 2010, précédé d'une période d'élaboration du projet et de gestion des détails d'organisation qui a duré une autre année. L'activité didactique a des rythmes soutenus, durant une période de cinq mois, quatre fois par semaine deux groupes composés d'une quinzaine de jeunes suivis par des spécialistes d'éducation cinématographique, des professionnels du cinéma et des étudiants universitaires consacrent deux heures de leur temps scolaire au projet. À la fin de ce parcours nous avons un long métrage qui en 2010 concourt au Festival du Cinéma de Venise dans la section Panorama italien : «Pour redonner un sens au cinéma, il faut enfin considérer le spectateur comme un protagoniste actif et non plus comme un sujet passif». Et pour faire cela, il suggérait une politique de "guarde forestier", qui plante un grand nombre de boutures et les fait pousser. Nanni Loy, Quale cinema per gli anni 80? I meccanismi della produzione e della distribuzione cinematografica: dalla crisi ai progetti di riforma, Guaraldi, Rimini-Firenze, 1977, pp. 65-71. 6 Voir : Alain Bergala, L'hypothèse cinéma: petit traité de transmission du cinéma à l'école et ailleurs, Cahiers du Cinèma, Paris 2002. Voir aussi en référence à des expériences récentes en Allemagne et dans le monde anglo-saxon Gudrun Sommer, Vinzenz Hediger, Oliver Fahle (Hg.), Orte filmischen Wissens. Filmkultur und Filmvermittlung im Zeitalter digitaler Netzwerke, Schüren Verlag, Marburg 2011, en particulier le troisième chapitre Cinéphilie und pädagogischer Eros, pp. 159-236. 7 Dans le contexte du projet de recherche de grand intérêt national, soutenu par le Ministère de l'université et de la Recherche Scientifique, auquel ont participé les Universités d'udine (unité en chef) avec celles de Roma Tre, de Calabre, IULM de Milan et des professeurs de Cagliari et Padoue, on a effectué, avec, en outre, le financement de la Région Autonome de Sardaigne, un recensement des activités de formation visant à l'acquisition de compétences professionnalisantes dans le domaine cinématographique, mises en oeuvre en Italie entre 2009 et 2011. Le recensement a repéré 1128 cours, dispensés par toutes sortes d'institutions et avec des plannings de formation difficilement comparables. L'éventail de l'offre est très varié et ses contours sont flous. Les cours concernent 223 spécialisations, qui touchent 36 professions, que chaque formateur organise selon des modalités subjectives. Les données peuvent être consultées sur le site web www.cinemaformazione.it. 2

Tajabone du réalisateur Salvatore Mereu 8, l'un des auteurs et organisateurs du cours. Aux côtés de ce film, un documentaire raconte toute l'expérience, un backstage très précis présenté au Festival de Rome la même année 9. Un document qui témoigne en détail des différentes phases du projet, en saisissant la dimension humaine de la participation et également les valeurs extra-cinématographiques de l'expérience comme par exemple les implications interculturelles et l'intégration sociale des participants. En effet, le contexte dans lequel l'expérience se déroule se caractérise non seulement par un fort malaise social, mais aussi par la présence, en particulier dans l'une des deux écoles, d'enfants provenant de la communauté rom et du Sénégal avec, précédemment, de grosses difficultés d'intégration dans le groupe 10. La structure de la formation, une fois dépassée la période d'organisation gérée par les coordinateurs, prévoit un parcours articulé en phases précises d'approche progressive à la matière qui permettent aux jeunes adolescents d'entrer en contact avec légèreté et facilité avec le langage cinématographique de façon à pouvoir l'utiliser pour s'exprimer. À un premier niveau introductif, l'aspect le plus délicat est de parvenir à simplifier le discours sans le banaliser, à le rendre attrayant sans l'agrémenter d'éléments n ayant aucun rapport qui peuvent le dénaturer, à être captivant même sur ces points moins séduisants pour les jeunes comme par exemple le cinéma muet et en noir et blanc, si différent de celui qu'ils voient les rares fois où ils vont au cinéma. L'approche initiale, comme cela arrive très souvent dans la réalité, conditionne les moments successifs et la possibilité de garder ou non l'attention des élèves réside aussi dans la capacité à rendre le parcours agréable et fascinant. Si les adolescents, habitués à un contact avec l'audiovisuel dont la réception est distraite, comme cela se produit lorsqu ils sont assis devant la télé ou absolument légère et superficielle, doivent parvenir à un rapport actif avec le cinéma, il faut trouver des stratégies de communication différentes de celles qu'utilise l'école dans la didactique de tous les jours 11. Précisons que la majeure partie des élèves choisit de suivre ce projet pas tant par passion ou intérêt pour le cinéma, en tant que tel, mais plutôt comme alternative partielle aux cours traditionnels. Chez certains d'entre eux, il y a aussi l'espoir, plutôt ingénu, qu'à partir de cette expérience un coup de chance puisse les lancer dans le monde du spectacle comme ils imaginent que cela arrive à beaucoup d'adolescents à la télévision. En effet, ils savent que le réalisateur qui enseigne ce cours a travaillé, lors de ses débuts dans la réalisation, avec des jeunes de leur âge qui, grâce au succès du film, ont participé à d'importants festivals internationaux comme par exemple celui de Venise. Expérience qu'ils feront eux aussi, avec un succès toutefois moins gratifiant que celui qu'ils auraient souhaité. Pendant les premiers cours, à titre d'exemple, des extraits tirés d'œuvres remarquables de l'histoire du cinéma pertinents pour les aspects linguistiques et de la communication, en relation également avec l'âge des élèves, leur sont proposés. 12 Une réflexion active sur le langage cinématographique avec des discussions et des travaux écrits s'ensuit 13. Ce n'est qu'après avoir réfléchi sur le cinéma mais sans 8 Tajabone (2010), bien que présenté dans une section secondaire du concours de Venise, obtient une place significative dans la presse (quotidienne et spécialisée) et reçoit le prix UK-Italy Creative Industries Award Best Innovative Budget, ce qui souligne l'intérêt pour le processus de production qui a caractérisé la réalisation du film. 9 Asse Mediano (2010), réalisé par Michele Mossa, est présenté en tant qu'événement spécial hors concours dans la section "Alice nella città" de la cinquième édition du Festival International du Cinéma de Rome, 2010. 10 Une chronique de l'expérience, dans une perspective interculturelle, se trouve dans Michela Secchi, Il laboratorio audiovisivo come luogo di intercultura. Considerazioni intorno a un esperienza di educazione al cinema, dans Imad Hamdar, Federica Diana (sous la direction de), Terre incognite. Cinema e educazione interculturale, CUEC, Cagliari 2012, pp. 59-71. Voir aussi : Il cinema come agente di prossimità : Tajabone. Intervista a Salvatore Mereu, dans Roberto D Avascio, Antonella Di Nocera (sous la direction de), Media Education. Esperienze di promozione della cultura cinematografica nella scuola italiana, UCCA, 2011, pp. 94-100. 11 Ce genre de problème est posé de façon très claire par Günther Anfang, responsable du MedienZentrum München, un organisme qui travaille depuis 1982 dans l'institut für Medienpädagogik in Forschung und Praxis. Anfgang souligne que, lorsque l'on travaille avec les jeunes, ils doivent aussi s'amuser et participer de façon dynamique et créative. C'est pourquoi on ne peut pas suivre une structure rigide et orientée vers les schémas classiques, typique de l'école. Günther Anfang, cité dans Damiano Felini, Beate Weyland, Media Education tra organizzazione e fantasia. Esperienze creative in Italia, Austria e Germania, Erikson Trento, 2007, p. 99. 12 En cherchant de cette façon, comme le suggère Alain Bergala, de «apprendre à fréquenter les films», voir L'hypothèse cinéma, cit., p. 43-44. Ici le chemin se developpe à travers des extraits, «modèles réduit plus faciles à tenir sous le regard qu un film entier», idem, p. 78. 13 Cette façon de gêrer la partie introductive, à caractère historico-théorique, permet de franchir une difficulté mise en évidence par Günther Anfang lorsque, à propos du travail de media education avec les jeunes, il dit : «si j'arrive et leur dis qu'il doivent d'abord faire un travail d'analyse, alors le projet va sans doute échouer. Je n'aurais plus ces 3

s'étendre trop, que l'on arrive à l'application directe des notions acquises en classe à travers l'apprentissage du maniement de la caméra. À partir de cette expérience initiale, durant laquelle on acquiert les notions de langage cinématographique, les étudiants sont amenés à concevoir et à réaliser à l'intérieur de la structure scolaire une brève séquence d'une minute environ, avec peu de plans. Pour la première fois durant le cours, les élèves sont mis en cause en personne dans la réalisation d'un film bref et en ont l'entière paternité et la responsabilité. Après une première approche à caractère général, on peut donc se concentrer davantage sur les modalités de communication plus fonctionnelles pour le genre de produit que l'on devra réaliser dans une seconde phase du cours, à savoir la réalisation de la fiction. Dans cette première phase, interviennent, aux côtés des professionnels un réalisateur cinématographique, un enseignant universitaire de cinéma, un spécialiste d'éducation à l'image, un documentariste engagé dans le documentaire de l'expérience quelques étudiants universitaires qui participent en tant que stagiaires. C'est pour eux, dès le début, une occasion exceptionnelle d'expérimenter sur le terrain ce qu'ils ont appris dans les cours universitaires. Dans ce contexte, ils peuvent tout d'abord s impliquer dans la transmission des notions apprises à l'université, ils peuvent donc aider les jeunes à réaliser de petits produits. Le projet active ainsi un second type de processus de formation, plus spécifiquement professionnalisant, qui s'ajoute à celui pensé pour les élèves de l'école. Pour les étudiants universitaires c'est donc un premier pas vers la transformation dans un sens professionnel de ce qu'ils ont appris au niveau théorique dans l'étude de l'histoire du cinéma et des langages audiovisuels et au niveau pratique dans la participation aux ateliers de mise en scène et de montage. Leur présence est structurée sur plusieurs niveaux et organisée en couches, car le processus d'"apprentissage tout en faisant" (le learning by doing inspiré par John Dewey et Celestin Freinet), propre au stage, requiert, dans ce cas, deux niveaux d'action : l'un, où l'on expérimente en travaillant ce que l'on a appris à l'université, et l'autre, où l'on joue en même temps le rôle de formateurs, en transmettant aux autres ce que l'on a appris auparavant : on réalise quelque chose et on explique également aux autres la façon de la réaliser. La seconde partie est, à son tour, articulée en différents moments : le premier de conception et tournage du film ; le second de montage des prises de vues et de postproduction. C'est à ce moment-là que les jeunes entrent à part entière dans le processus de réalisation d'un film, en jouant en personne le rôle de concepteurs et auteurs d'un processus de communication à travers les images. Le premier pas est de les inciter à se raconter à travers ce nouveau moyen d'expression. Chaque élève élabore donc une brève histoire inspirée de sa propre expérience de vie qui peut faire partie du sujet du film. Après la lecture de tous les textes et la discussion collective on choisit les plus adaptés par leur valeur expressive et la possibilité d'être transformé en scénario et donc de devenir un film. La rédaction du scénario est l'un des moments les plus complexes car l'étudiant doit d'un côté écrire un texte sans être encore familiarisé avec l'écriture et de l'autre il doit raisonner selon le modèle de communication cinématographique qu'il connait peu et ne maîtrise pas. Il est donc nécessaire de travailler avec un processus permanent de correction et de discussion du travail en soulignant et en valorisant les aspects positifs et en dépassant ceux négatifs avec des explications convaincantes et valables, en faisant bien attention de ne pas frustrer l'enthousiasme des participants. La méthodologie active adoptée permet à l'enseignant expérimenté d'intervenir en finesse mais en même temps fait participer tous les étudiants qui ne voient pas l'intervention correctrice comme une offense à leur créativité. Pour les étudiants universitaires il s'agit aussi d'un moment très important parce qu'ils se retrouvent à discuter de problèmes de scénario non en tant qu'élève d'un cours, mais en tant que membres d'un staff qui a la tâche de corriger le travail des autres et donc avec de nouvelles responsabilités. Le travail mené dans les deux écoles, à cause également des caractéristiques du groupe et du contexte social et opérationnel, donne des résultats différents et, dans un cas, le scénario regroupe trois histoires au caractère bien défini, de véritables épisodes, dans l'autre une seule histoire articulée autour de deux noyaux internes. Durant le travail d'élaboration du scénario on commence à raisonner sur le processus de réalisation du film et à repérer à l'intérieur du groupe le domaine d'intervention dans lequel chaque jeune travaillera sur le plateau, en référence aux figures professionnels du cinéma : réalisation, photographie, musique, costumes, décors etc. On pousse ainsi les élèves vers les connaissances spécifiques de l'industrie cinématographique, et vers l'identification des tâches à accomplir et des compétences dont l'acquisition est requise. jeunes». Ibidem 4

Une fois le scénario terminé, on passe à la préparation du tournage où chaque étudiant se voit assigné un rôle précis à jouer à l'intérieur de l'équipe. Chaque jeune est donc responsabilisé parce que la qualité d'une partie du travail dépend de son engagement, et de façon déterminante. Le parcours de formation est désormais à un stade avancé et le groupe en trois mois d'activité a consolidé une méthode et atteint une certaine entente qui permet de planifier la réalisation des prises de vues, dans la mesure du possible et néanmoins avec des différences insurmontables, comme cela se produit dans une situation normale de tournage d'un film. On a créé un groupe avec des affinités culturelles, des objectifs communs, une syntonie opérationnelle, pour obtenir ce que l'on peut appeler une communauté créative, rappelant le concept de communauté interprétative formulé par Stanley Fish 14. On procède au choix des lieux de tournage, le plus souvent à l'extérieur de l'école, on fait le casting, on élabore le planning de prise de vues, le budget, on affronte les problèmes des autorisations, on imagine les difficultés qui peuvent survenir durant le travail. Au staff s'intègre alors de nouvelles figures de professionnels, tels que le directeur de la photographie, l'ingénieur du son, l'électricien, le cadreur et un autre étudiant avec des compétences en montage. Il faut mettre en évidence le fait que, par rapport aux projets de media education dans les écoles, qui sont normalement menés par des professeurs non spécialisés, passionnés par la matière, ou par des éducateurs et, dans le meilleur des cas, aidés d'un technicien, dans le projet en question l'activité de formation est entièrement confiée à des professionnels du secteur, qui forment une équipe où sont présentes des compétences méthodologiques des processus de formation, créatives et techniques. De même, les étudiants universitaires qui participent au stage, ont une formation dans le domaine cinématographique déjà structurée, même si elle n'est pas encore professionnellement développée. Pour chaque école dix jours sont dédiés au tournage plus quelques jours supplémentaires pour refaire des scènes mal réussies ou pour intégrer les rushes. Par rapport aux phases précédentes de travail, celle du tournage est organisée de façon totalement nouvelle, parce que l'activité ne se déroule pas dans l'enceinte de l'école, mais à l'extérieur dans des contextes réels et que l'occupation quotidienne est bien supérieure, conformément aux horaires standard d'un plateau cinématographique, à peu près neuf heures par jour, cinq jours consécutifs par semaine. Le groupe a désormais pleinement conscience que le travail qu'il réalise n'est plus un simple exercice, un essai de fin de cours mais bel et bien un film qui aura presque sûrement une vie autonome une fois terminé le parcours de formation. C'est un fait très important car il comporte un autre sentiment de responsabilité de la part des jeunes et des stagiaires conscients de leur propre rôle, non marginal, dans la réussite du produit. Désormais arrivés à la fin de l'année scolaire, les jeunes retournent à leur routine d'étudiants alors que le staff travaille à la postproduction. Étant donné la nature du travail, difficilement réalisable en classe avec des élèves, la sélection des scènes et le montage sont dirigés en atelier par l'enseignant-réalisateur et par le monteur, effectuant en présence des élèves uniquement quelques séances à caractère exemplaire et préparées de façon appropriée. Le montage prévoit dans un premier temps l'achèvement de deux films correspondants au travail spécifique effectué dans les deux écoles pour arriver à un film unique qui regroupe les différentes histoires dans un développement où les scènes s'alternent. L'avant-première, et donc la première rencontre avec le spectateur, ce passage fondamental pour que le film devienne cinéma, un produit culturel spécifique, se passe dans une salle de cinéma, lors d'une projection réservée aux participants du projet et à leurs familles et amis. La grande salle est bondée et le public enthousiaste. Dès les premières images, on se rend compte d'être en train de regarder du vrai cinéma et c'est là l'aspect qui étonne un peu tout le monde, en premier lieu les enseignants qui pensaient qu'il s'agissait de l'un de ces innombrables projets génériques d'éducation au cinéma fait dans les écoles 15, puis les parents, perplexes face au temps perdu 14 Stanley Fish, C è un testo in questa classe? L interpretazione nella critica letteraria e nell insegnamento [Is There a Text in This Classe? The Authority of Interpretive Communities, Harvard College, Cambridge (Mass.), 1980], Einaudi, Torino, 1987. 15 Comme on disait au début du texte, ces dernières années, grâce aussi à la large diffusion d'instruments numériques de haute qualité à prix modérés, le nombre d'interventions de media education à caractère créatif et productif, où l'on réalise des "messages" (film, spots pubblicitaires, journaux, animations), a grandi, mais à cette croissance de la production ne correspondait pas une large opération de formation des opérateurs qui, trop souvent encore, sont de simples passionnés qui agissent dans un contexte où les gens sont méfiants envers ces activités. L'absence d'une formation spécifique et les difficultés de travail dans le milieu scolaire, en plus du fait que, pour beaucoup de gens, le statut de cette matière est plutôt flou, semblent autoriser n'importe qui à se sentir compétent à sa façon, et à réaliser des projets dont les résultats ne sont pas toujours satisfaisants. Voir Antioco Floris, Michela Secchi, 5

par leurs enfants à jouer au cinéma au lieu d'étudier les matières importantes 16. Et la stupeur est extraordinaire parmi les élèves, aussi bien les jeunes que les stagiaires universitaires : les premiers voient sur écran géant quelque chose qu'ils ne croyaient pas possible en ces termes ; les seconds se rendent compte qu'ils ont participé avec un rôle actif à la réalisation d'un vrai film. L'enthousiasme de l'avantpremière se répète et s'intensifie au moment où ils apprennent que le film a été sélectionné au Festival de Venise où nombre des protagonistes seront présents. L'expérience qui a mené à Tajabone est donc intéressante sous divers aspects. D'un côté parce qu'elle connecte plusieurs sujets concernés, pour différentes raisons, par la formation cinématographique : les établissements de formation comme l'école et l'université, une maison de production, l'administration régionale. D'un autre côté, parce qu'elle permet d'observer une exemple concret de politique de formation dans le domaine cinématographique qui, en partant de la formation de base, a des retombées à caractère professionnel. D'un autre côté encore, parce qu'elle propose un modèle d'enseignement du cinéma articulé à plusieurs niveaux et avec différentes issues possibles. Les sujets impliqués selon leur niveau de motivation et de participation ont eu la possibilité de grandir avec des résultats considérables également en ce qui concerne les aspects professionnels. Pour les étudiants universitaires, en particulier, le fait de prendre acte que, pendant ce qu'ils considéraient un simple stage, ils ont été capables de contribuer à la réalisation d'un produit d'une telle importance qu'il a été sélectionné au Festival de Venise (et de voir présenter au Festival de Rome le documentaire du backstage) a été la confirmation du savoir-faire acquis déjà au niveau universitaire dans les cours théoriques et les ateliers de mise en pratique. Le niveau de professionnalisation atteint a permis à plusieurs participants à cette expérience d'être engagés dans l'équipe qui travaille à la réalisation de Bellas Mariposas, le long métrage de Salvatore Mereu tourné en partie là où Tajabone avait été tourné 17. Il faut souligner que l'on est parvenu à élaborer un projet comme celui-ci à la suite d'expériences pluriannuelles menées soit dans le domaine académique soit dans des établissements de formation du primaire et du secondaire. Et en quelques sortes, l'activité dont je parle peut être considérée comme le point d'arrivée de longues réflexions et expériences dans lesquelles on a mis en pratique une méthodologie de plus en plus soignée et affinée. À la base du projet, élaboré à l'intérieur de l'université et de la maison de production cinématographique, il y avait trois buts précis. Le premier était justement de susciter chez les jeunes une sensibilité pour la communication cinématographique et audiovisuelle, à travers le développement d'un intérêt pour le visionnage des films et une meilleure maîtrise des processus de production, en fonction de futures options professionnelles. Le deuxième but était plutôt à caractère productif, lié à l'exigence du réalisateur d'entrer en contact avec un univers qui deviendrait protagoniste dans son prochain film. Selon un modèle adopté par plusieurs auteurs par exemple Vittorio de Seta pour Banditi a Orgosolo (1961) et Diario di un maestro (1972), ou Laurent Cantet pour Entre les murs (2008) - le réalisateur a jugé nécessaire de s'immerger dans le milieu où se déroulent les faits de son prochain film, qui voit comme protagonistes deux jeunes adolescentes qui vivent en banlieue, dans des quartiers caractérisés par un fort malaise social. La moyen choisi pour s'immerger dans ce milieu consiste à travailler avec les jeunes de l'école pour arriver à raconter avec eux le monde où ils vivent, mais aussi pour connaître le territoire, et trouver des personnages qu'on puisse impliquer, dans plusieurs rôles, dans la réalisation du nouveau film. Le troisième but, aussi important que les autres, était de mettre à disposition des participants des instruments pour une lecture et une réinterprétation de son Didattica dell immagine dans Anna leone, Giovanni Moretti, Formazione degli insegnati e competenze didattico disciplinari, Cagliari, CUEC 2010, pp. 152-169. Dans les années 2000-2003, les IRRE (institutions régionales de recherche pédagogique) dans toute l'italie ont organisé le Piano nazionale per la promozione della didattica del linguaggio cinematografico e audiovisivo nella scuola, conçu et dirigé par Lino Micciche. L'objectif de ce plan était de former des enseignants pour permettre l'introduction du langage audiovisuel et cinématographique en tant que matière scolaire. Après les deux premières années, les changements de cadre de politique nationale ont effectivement empêché le projet d'atteindre ses objectifs. Voir : Michela Costantino (a cura di), Educare al film. II Piano nazionale per la promozione della didattica del linguaggio cinematografico e audiovisivo nella scuola, Franco Angeli, Milano 2005. 16 Pendant le déroulement du projet, certains parents ont jugé que le temps dédié à ce travail était excessif et éloignait les jeunes de l'étude de matières plus importantes, et ils ont retiré leurs enfants du projet. 17 Bellas Mariposas (2012), réalisé par Salvatore Mereu, présenté en concours à la 69ème édition du Festival du Cinéma de Venise, section Orizzonti, dédiée aux nouvelles vagues du cinéma mondial. 6

propre contexte de vie, à travers l'utilisation des instruments audiovisuels. Cette expérience a permis de vérifier les hypothèses de formation élaborées et expérimentées au fil des années, en utilisant des méthodologies actives inspirées du travail de Paulo Freire, de l'école de Barbiana et de la Cineteca Sarda. Le choix de faire appel à la didactique de laboratoire et au modèle du learning by doing de John Dewey, l'utilisation des techniques de brainstorming et de debriefing, est donc une conséquence des parcours de formation suivis depuis longtemps, qui sont maintenant facilités par la disponibilité des nouvelles technologies numériques, éclectiques et à bon marché. Le modèle adopté, suite à cette expérience également, a atteint un niveau de cohérence à la hauteur des meilleures pratiques de la film literacy, tel qu'il peut être utilisé en de nombreuses autres occasions de formation en l'adaptant aux exigences du contexte. Parce qu'il est évident que l'on ne pourra presque jamais avoir un retour à ce point positif que l'on pourra présenter le produit du travail pour concourir dans un festival international. Mais la structure et l'articulation du processus, les modalités de proposition des contenus et d'implication des participants, l'interaction entre différents niveaux de compétences restent quelque chose de résolument valide. 7