Stratégie énergétique 2050 : fausse bonne idée?



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Transcription:

FRE Fédération romande pour l énergie Case postale 194 1951 Sion Tél. +41 21 517 67 67 info@frenergie.ch www.frenergie.ch Numéro spécial 4 avril 2013 Résumé de la position de la FRE sur la Stratégie énergétique 2050 Stratégie énergétique 2050 : fausse bonne idée? Le 25 mai 2011, le Conseil fédéral décidait la sortie progressive du nucléaire, confirmée par le Parlement. L avenir énergétique de la Suisse doit être redessiné. Quels en sont les contours, mais aussi les risques? L essentiel 2 Un projet ambitieux, à remanier en profondeur 3 Baisse de la consommation d énergie et d électricité 4 Mix énergétique ou la nécessité de recourir à toutes les formes d énergie 8 Paramètres économiques 14 Conclusion 16

L essentiel Le projet Energie 2050 prévoit un changement de cap fondamental de l approvisionnement énergétique suisse, qui aura des répercussions importantes sur nos comportements en matière d énergie et notre mode de vie. En résumé, le Conseil fédéral propose : > D abaisser la consommation globale d énergie d un tiers d ici 2030 et de près de moitié d ici 2050. La consommation d électricité devrait se stabiliser grossomodo au niveau actuel, et ce d ici 2020. > D augmenter fortement l efficacité énergétique et la production d énergie renouvelable. Il s agirait par exemple de pratiquement tripler la production d électricité renouvelable d ici 2020 et de la multiplier par presque 9 d ici 2035. > De fixer d emblée les objectifs 2050 dans la loi et de les atteindre au moyen de deux paquets de mesures : Dès 2015, renforcement des mesures d efficacité énergétique existantes et développement des subventions, notamment pour les énergies renouvelables et l assainissement des bâtiments. Ce premier train de mesures permettrait de réaliser environ la moitié des buts visés. A partir de 2020, une forte taxation de l énergie serait mise en place (taxe et/ou réforme fiscale écologique), pour inciter les consommateurs à économiser l énergie. Cela nécessiterait une harmonisation internationale des politiques de réduction des émissions de CO 2 et d efficacité énergétique. 2

Un projet ambitieux, à remanier en profondeur La catastrophe nucléaire de Fukushima a provoqué une vague d émotion dans la population, traduite dans les actions politiques par la décision d abandonner progressivement l énergie nucléaire. Ainsi, «(l)es cinq centrales nucléaires actuelles doivent être mises hors service au terme de leur durée d exploitation conforme aux critères techniques de sécurité et ne pas être remplacées par de nouvelles centrales nucléaires.» (OFEN, 2012, p. 4) Cette décision du Conseil fédéral implique de transformer par étape l ensemble du système énergétique de la Suisse. Dans sa Stratégie énergétique 2050, il présente un premier paquet de mesures, avec quatre objectifs : réduire la consommation finale d énergie et d électricité, promouvoir les énergies renouvelables, diminuer les émissions de CO 2 et conserver le niveau élevé d approvisionnement énergétique fiable. Sur le moment, beaucoup ont applaudi et ont souligné le courage politique de Mme Leuthard. En quelques mois, l ensemble du projet a été ficelé et soumis à consultation aux diverses parties prenantes alors qu en temps normal, il aurait fallu plusieurs années. Toutefois, l eau a coulé sous les ponts. D après un sondage UNIVOX 2012 sur l environnement, l effet Fukushima sur les Suisses n a pas duré. Une année après, l opinion est revenue au niveau antérieur à la catastrophe. Quant à la procédure de consultation sur la Stratégie énergétique 2050, elle a soulevé plus de 300 prises de position qui ont été envoyées à l Office fédéral de l énergie 1. Si la plupart estiment que cette stratégie est une bonne base de discussion et qu elle comporte un certain nombre d opportunités de développement en la matière, un grand nombre souligne qu elle recèle encore quelques points faibles importants. Dans ce document exclusivement consacré à la Stratégie énergétique 2050 et aux réflexions qu elle nous inspire, nous allons voir tour à tour comment la Confédération a prévu d arriver à une baisse de la consommation d énergie et d électricité, quelles sont les technologies productrices prévues pour satisfaire la demande et à combien s élèveront les coûts économiques et financiers. De manière générale, nous émettons à chaque fois un certain nombre de réserves, voire d oppositions. S il est évident que la question énergétique en général, et l approvisionnement en électricité en particulier, doivent être mis sur le métier aujourd hui déjà, les solutions proposées à l heure actuelle sont selon nous peu réalistes, voire dangereuses. A trop vouloir se précipiter, la Suisse risque de faire les mauvais choix. 1 Disponibles à l adresse www.bfe.admin.ch/themen/00526/00527/index.html?lang=fr&dossier_id=05767 3

Baisse de la consommation d énergie et d électricité La Stratégie énergétique 2050 prévoit une baisse drastique de la consommation d énergie d ici 2050. «Le Conseil fédéral veut encourager la gestion économe de l énergie en général et de l électricité en particulier en renforçant les mesures d efficacité.» (OFEN, 2012, p. 4) Cette réduction de la consommation énergétique préconisée passe par le renforcement de l efficacité dans quatre domaines : le bâtiment, l industrie et les services, la mobilité et les appareils électriques. Cette politique d encouragement à une gestion économe de l énergie doit être soutenue. Toutefois, à notre connaissance, la Stratégie 2050 ne présente pas un programme chiffré sur la façon de stabiliser la consommation d énergie ces prochaines années. Elle se contente de donner des lignes directrices dans les quatre domaines mentionnés ci-dessus. Avec la Stratégie 2050, la consommation finale d énergie devrait s élever à 152 milliards de kilowattheures (152 TWh) en 2035 et à 125 TWh en 2050, soit respectivement des baisses de 35,6% et 47% par rapport à 2011. A cette date, la consommation finale d énergie en Suisse s est élevée à 236 TWh (elle était de 222 TWh en 1990). En poursuivant la politique énergétique actuelle, elle devrait s élever à 196 TWh en 2035 et à 183 TWh en 2050. Entre 2020 et 2050, le besoin de couverture croîtra de 41 TWh à cause des contrats d achat d électricité à long terme avec la France qui arriveront à leur terme et du fait que les centrales devront être remplacées. L électricité a couvert en 2011 59 TWh des besoins en énergie, dont 54% ont déjà été fournis par les énergies renouvelables, pour la majeure partie grâce à l exploitation de la force hydraulique. En poursuivant la politique énergétique actuelle, la consommation d électricité devrait passer à 64 TWh d ici 2035 et à 69 TWh d ici 2050 (et même à 75 TWh si on prend en compte l énergie pour les centrales à pompage-turbinage). Par sa volonté de sortir du nucléaire, le Conseil fédéral prévoit d élargir le parc des centrales électriques pour combler les futurs déficits de l offre. Selon les prévisions établies, avec les mesures de la Stratégie énergétique 2050, la consommation d électricité s élèvera à 55 TWh en 2035 et à 53 TWh en 2050, soit des baisses de respectivement 6,8% et 10,2% par rapport à 2011. Une telle baisse de la consommation, aussi bien en ce qui concerne l énergie en général que l électricité en particulier, n est-elle pas trop ambitieuse? L idée est en soi séduisante et nous sommes tentés de dire que si tout le monde y met de la bonne volonté, ces objectifs sont tout à fait réalistes. Par exemple, la Société suisse des ingénieurs et des architectes estime que la stratégie globale Scénarios Consommation énergétique en TWh Energie Electricité 2011 2035 2050 2011 2035 2050 Poursuite de la politique énergétique actuelle 236 196 183 59 64 69 Nouvelle politique énergétique 152 125 55 53 Source : OFEN, 2012, pp. 71 et 77 4

est intéressante et qu elle est même réalisable au niveau de l énergie. En revanche, selon eux, la question de l électricité suscite sérieusement le débat. Un certain nombre de paramètres doivent être impérativement pris en considération. Au-delà de la question des possibilités techniques et technologiques, la consommation d énergie est influencée essentiellement par le PIB, la croissance démographique, la production industrielle et l effectif des logements et des véhicules à moteur. Ces facteurs n ayant cessé de croître, à quelques petites exceptions près certaines années (voir OFEN, 8 août 2012, p.51), il est difficile de penser qu ils vont brusquement diminuer, même se stabiliser. Et serait-ce bon signe? Diminution des besoins en électricité De nos jours, le recours à l électricité est si automatique que la plupart d entre nous ne se rend même plus compte de l ensemble de ses usages. Bien que les progrès technologiques permettent de diminuer la consommation d électricité des produits que nous utilisons, comme les appareils électroniques, ils ne pourront pas à eux seuls compenser le fait que nous avons de plus en plus recours à l électricité. Il est également très fréquent que l électricité remplace d autres formes d énergie car «[e]n Suisse, la production d électricité ne génère pratiquement aucune émission de CO 2» et permet donc de jouer «un rôle-clé dans la lutte contre le réchauffement climatique.» (AES, 2012, p. 4) entreprises et qu il est extrêmement difficile de prévoir pour un horizon aussi lointain des mesures contraignantes qui ne tiendraient pas compte des évolutions dans le domaine de l efficacité énergétique. Plutôt que de leur imposer des coûts supplémentaires démesurés, il convient de préserver la compétitivité des entreprises suisses tout en les incitant à mettre en œuvre des mesures rentables. Forte baisse souhaitée de la consommation des bâtiments Nous reconnaissons que dans le domaine des bâtiments de gros efforts peuvent encore être fournis. Il est louable de vouloir accroître l assainissement du parc immobilier et remplacer l électricité ou l énergie fossile des chauffages et des chauffe-eau par des énergies renouvelables, mais c est sans compter les capacités financières des propriétaires. Les citoyens fribourgeois ont rejeté en votation populaire pas plus tard qu en novembre dernier une nouvelle loi cantonale sur l énergie qui voulait rendre obligatoire le remplacement des chauffages électriques existants d ici 2025. Quant aux Bernois, ils ont refusé à 65,3% des votants le 3 mars 2013 «que les besoins en électricité et en énergie pour le chauffage et l eau chaude soient couverts par des énergies renouvelables à moyen terme» (ATS, 4 mars 2013, p. 5). Ces refus risquent de n être qu un petit répit, mais ils montrent que même avec une conscience écologique, la population n est pas prête à renoncer à son confort ni à consentir des moyens financiers importants. Industrie et services : équilibre nécessaire entre mesures inévitables et compétitivité Les domaines de l industrie et des services sont de gros consommateurs d énergie électrique. La Stratégie 2050 table sur une diminution de 18,5 TWh alors que l Agence de l énergie pour l économie (AEnEC) indique dans son communiqué de presse du 18 avril 2012 que «le potentiel d économie d électricité est estimé à 7 TWh». Et de souligner qu il est impératif que les mesures mises en place restent économiquement rentables pour les La mobilité : un parent pauvre Selon la Stratégie énergétique 2050, la mobilité n est pas une priorité et sera prise en compte certainement dans les prochains paquets de mesures. Mais que penser d une telle prise de position alors que cette question préoccupe déjà, aussi bien les politiciens que les usagers? La population citadine qui a accès facilement aux transports publics est de plus en plus prête à abandonner des moyens de transport individuels, pour autant que les transports en commun puissent répondre à ses besoins sans altérer ses facilités de transport. Quant aux personnes vivant à l extérieur 5

des centres urbains, la voiture est encore souvent la seule option. Du côté de l économie, la mobilité représente une question centrale pour son développement, notamment du fait que les entreprises doivent souvent s implanter à l extérieur des centres urbains, là où des terrains sont encore disponibles et à des prix abordables. Au-delà du besoin des usagers et des entreprises d être mobiles, se pose la question de l énergie utilisée. Les entreprises de transport en commun reviennent à l énergie électrique, comme par exemple les TPG qui recréent un réseau de trams alors qu il avait totalement disparu du paysage. Les conducteurs choisissent également volontiers des véhicules électriques ou hybrides, bien que leur prix en retienne encore plus d un. Quant au réseau CFF, il est au bord de ses capacités dans certaines régions et de par la topographie des lieux, il est difficile de trouver des solutions et, s il y en a, elles sont extrêmement coûteuses. En résumé, cette problématique ne peut selon nous pas être simplement renvoyée aux calendes grecques alors qu elle pose de gros défis aujourd hui déjà. Cette question est certes complexe, mais la repousser à plus tard ne présente aucun avantage. Des normes de plus en plus sévères pour les appareils Pour leur part, les appareils électroménagers engendrent une consommation énergétique importante (30% de la consommation nationale d électricité est imputable aux ménages) et représente même 50% de la consommation des ménages (tiré de Eric Bush, 2003, p. 5). Les plus performants les plus économes en énergie sont plus chers à l achat, même s ils permettent des économies à long terme. Plus ils sont performants, plus leur prix est élevé, les rendant difficilement accessibles aux ménages. Tant que les exigences restent axées sur celles de l UE, nous ne pouvons que soutenir la volonté du Conseil fédéral de privilégier les appareils électriques de nouvelle génération. Des efforts pour une meilleure information de la population sont également nécessaires. Bien que le recours à de tels appareils n aille certainement pas vers une diminution, leur efficacité peut empêcher une augmentation de consommation exponentielle de l électricité dans ce domaine. Mais prendre des mesures contraignantes, qui vont au-delà de celles des pays qui nous entourent, créerait des barrières supplémentaires à la compétitivité des entreprises. 6

Réduction de la part des énergies fossiles La Stratégie 2050 traite principalement de la réduction de la consommation d électricité et ne fait qu effleurer la question de celle des énergies fossiles alors que cette dernière représente tout de même, en 2011, près de 70% de la consommation finale en Suisse (OFEN, 28 juin 2012, p. 2). vis-à-vis des importations. Mais la Confédération admet que pour éviter toute pénurie énergétique et électrique, il sera obligatoire d augmenter la production d électricité fossile thermique (centrales à gaz et à cycle combiné (CCC) et installations de couplage chaleur-force (CCF)) et même d y avoir recours au-delà de 2050. Les combustibles pétroliers et les carburants (mazout, essence, diesel, kérosène) représentent 81% des énergies fossiles utilisées. En effet, depuis les années 50, le charbon a été remplacé par les produits pétroliers. Le pétrole est même le combustible principal consommé à l heure actuelle. Par ailleurs, «si les combustibles représentaient les deux tiers de la consommation du pétrole dans les années 1970, les carburants en constituent de nos jours plus de la moitié en raison notamment de l augmentation des transports.» Quant à la consommation de gaz, elle «s est régulièrement accru[e] depuis le raccordement de la Suisse au réseau de gaz international au début des années 1970.» (OFS, 2013) La réduction de la consommation des combustibles fossiles est liée aux questions de politique climatique. Responsable en grande partie des émissions de CO 2, le recours aux énergies fossiles doit être réduit si l on veut atteindre l objectif de 1 à 1,5 tonne d émission par habitant d ici 2050. Cette diminution permettra en outre de réduire notre dépendance D un côté, le Conseil fédéral estime que les énergies fossiles utilisées pour le chauffage ou les chauffe-eau, ainsi que pour les transports, doivent être remplacées par des énergies renouvelables. De l autre, il admet que la couverture des besoins en énergie ne pourra que passer par le développement de la production électrique fossile, surtout au gaz naturel, responsable de moins d émissions de CO 2. Les mesures qu il préconise restent plutôt vagues et ne prévoient aucune amélioration des conditions d exploitation de telles centrales. L abandon des combustibles non renouvelables à long terme n est pas vraiment réglé, car après être passé du charbon aux produits pétroliers, la Suisse va glisser du pétrole au gaz, certes avec des conséquences moins graves pour l environnement, mais cela ne règle pas notre problème de dépendance. Gaz 12% Reste 9% Electricité 25% Combustibles pétroliers 19% Carburants pétroliers 35% Source : OFEN, Aperçu de la consommation d énergie en suisse au cours de l année 2011, 2012, p.3 7

Mix énergétique ou la nécessité de recourir à toutes les formes d énergie Pour compenser la sortie progressive du nucléaire, le Conseil fédéral compte sur la force hydraulique et les nouvelles énergies renouvelables. De plus, «la couverture de la future demande énergétique requiert aussi de développer la production électrique fossile par le couplage chaleur-force et probablement de mettre en service des centrales à gaz à cycle combiné. [Et d ajouter que] les importations d électricité resteront nécessaires à la sécurité d approvisionnement.» (OFEN, 2012, pp 4-5) La Stratégie énergétique 2050 privilégie ainsi certaines technologies au détriment d autres. Or, selon nous, il s agit au contraire de laisser l éventail technologique le plus ouvert possible, afin de diversifier l approvisionnement, de compenser les inconvénients d un mode de production par les avantages d un autre, et surtout de pouvoir continuer à répondre à la demande et garantir un approvisionnement fiable. Arrêtons-nous sur la question de la production d électricité. D ici 2050, les centrales nucléaires seront hors service et les droits de prélèvement privilégiés auprès de centrales nucléaires françaises ne pourront plus être exercés. Il sera ainsi nécessaire de remplacer environ 40% d électricité produite avec la technologie nucléaire, soit environ 28 TWh. Comment le Conseil fédéral compte-t-il combler ce manque? Essentiellement grâce aux nouvelles énergies renouvelables, mais également grâce à l énergie hydraulique, les centrales fossiles et l importation devant servir de béquille de secours pour garantir un approvisionnement sûr. En 2010, la production d électricité selon les moyens utilisés s est répartie comme suit : Hydraulique au fil de lʼeau Hydraulique à accumulation Nucléaire Conventionnelle et autre 38.1% Déchets et biomasse Biogaz en provenance dʼeaux usées Solaire 5.4% 3.20% 1.81% Eolien Fossile thermique 32.3% 24.2% 0.19% 0.13% 0.06% Source : Académies suisses des sciences, 2012, p.13 (basé sur OFEN, Statistique suisse de l électricité 2010, 2011, p. 3) 8

Nouvelles énergies renouvelables Selon le Rapport explicatif concernant la Stratégie énergétique 2050, «[l]a part des énergies renouvelables dans la production électrique est aujourd hui d environ 56%, dont 54% proviennent de la force hydraulique et environ 2% des nouvelles énergies renouvelables. Le vent, la biomasse et le soleil ne contribuent actuellement que pour 0,26% à la production électrique suisse.» (OFEN, 2012, p. 49) Mais en 2050, la production d électricité à partir des nouvelles énergies renouvelables (sans l énergie hydraulique) s élèvera à 24,2 TWh (soit 45,7% de la consommation totale d électricité selon la nouvelle politique énergétique). De nombreux chiffres circulent sur le développement possible des nouvelles énergies renouvelables. Selon la Stratégie énergétique 2050, il devrait connaître l évolution suivante (en TWh) : 2000 2010 2020 2030 2035 2040 2050 Total des énergies renouvelables 0.81 1.38 3.68 8.24 11.94 16.15 24.22 non couplées 0.01 0.12 1.37 4.15 7.63 11.74 19.77 Photovoltaïque 0.01 0.08 0.52 1.91 4.44 6.74 11.12 Energie éolienne 0.00 0.04 0.66 1.46 1.76 2.59 4.26 Biomasse (gaz de bois) - - - - - - - Géothermie - - 0.20 0.78 1.43 2.41 4.39 couplées 0.80 1.26 2.31 4.09 4.31 4.41 4.46 Biomasse (bois) 0.01 0.14 0.60 1.21 1.21 1.23 1.24 Biogaz 0.01 0.08 0.46 1.29 1.48 1.55 1.58 STEP 0.09 0.12 0.16 0.27 0.29 0.29 0.30 UIOM (50% ER) 0.63 0.92 1.10 1.32 1.32 1.33 1.33 Gaz de décharge 0.04 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 Source : OFEN 2012, p. 81 Les développements prévus impliquent le déploiement de moyens de production dont l ampleur est parfois colossale. Pour donner des ordres de grandeur, on peut chiffrer l effort à accomplir de la manière suivante : 10 TWh de photovoltaïque 10 mios de panneaux de 10 m2 (14 000 terrains de football ou 80% des toits bien exposés) 4 TWh d éolien 1 000 mats 4 TWh de géothermie 175 forages 1 TWh de biomasse 1 mio de tonnes de bois par an 3 TWh d hydraulique 20 centrales au fil de l eau et 2-3 centrales à accumulation 9

Comme toutes les sources d énergie, les renouvelables présentent des avantages et des inconvénients, qu il s avère indispensable de prendre en compte. Photovoltaïque A l heure actuelle, le photovoltaïque est encore peu exploité en Suisse car cette technologie reste chère, malgré la baisse constante des coûts d installation. Le potentiel de développement est important puisqu il est estimé que les surfaces de bâtiments utilisables sont de 100 à 150 Km 2. Pour atteindre les chiffres mentionnés par la Stratégie énergétique 2050, il faudrait augmenter la surface recouverte de panneaux d environ 80 à 100 Km 2. Le photovoltaïque fournit cependant environ deux tiers de sa production durant les mois d été et seulement un tiers pendant l hiver, lorsque les besoins sont les plus importants. La production fluctue en fonction de l ensoleillement et nécessite d importantes capacités de réserve et de stockage pour maîtriser ces variations. Energie éolienne Le développement de l énergie éolienne en Suisse est estimé à 4 TWh. Son apport à la production d électricité peut être important. Toutefois, sa production est fluctuante, forçant par là les autres à être plus flexibles. Et nous ne parlons pas du stockage, du transport et des réglages nécessaires, autres inconvénients de cette énergie. Géothermie Bien qu ayant un fort potentiel de développement, la géothermie en Suisse n existe pas encore. Le premier projet à Bâle a dû être interrompu à cause de tremblements de terre. Couvrir les besoins en électricité par des sources renouvelables est louable et à favoriser autant que possible. D un point de vue technologique, et en partant du principe que les baisses de consommation d électricité seront atteintes en 2050 telles que prévues par le Conseil fédéral dans sa version la plus optimiste, les nouvelles énergies renouvelables à elles seules sembleraient être en mesure de remplacer en grande partie le déficit du nucléaire (24,22 TWh contre 28 TWh). Mais comment croire qu en moins de 40 ans la Suisse aura réussi à poser 10 millions de panneaux solaires, 1 000 éoliennes, construit 175 forages, 20 centrales au fil de l eau et 2-3 centrales à accumulation et brûlé des millions de tonnes de bois? Nos doutes ne portent pas uniquement sur le volume des coûts engendrés mais aussi sur les aspects écologiques et de protection du paysage. D autant plus qu au-delà de la production se pose la question de l intégration de l électricité fluctuante dans le réseau. Cela dit, le Conseil fédéral admet qu il sera nécessaire de recourir aux énergies fossiles et aux importations. Energie hydraulique L énergie hydraulique produit annuellement 36 TWh. A l avenir, elle pourrait permettre d équilibrer la production fluctuante des énergies éolienne et solaire. Son potentiel techniquement exploitable est estimé à 42 TWh, dont 85% sont déjà utilisés. Son développement est de 2 TWh. Or le Conseil fédéral vise une augmentation de 3,2 TWh. Pour les atteindre, il serait nécessaire de développer la petite hydraulique. Biomasse La biomasse, avec une production d électricité d environ 2%, dont la moitié provient des usines d incinération, est la principale source de nouvelle électricité renouvelable. Mais elle peut également produire de la chaleur et du biocarburant. Sa contribution à la production d électricité est estimée par l OFEN à 3,8 TWh. 10

Centrales fossiles Installations de couplage chaleur-force (CCF) Ces centrales, qui fonctionnent généralement au gaz naturel mais qui peuvent le faire par toute énergie fossile, produisent aussi bien de la chaleur que de l électricité. Actuellement, les CCF ne produisent qu environ 2,5% d électricité. La stratégie 2050 prévoit un potentiel de développement de 5 à 7 TWh d énergie électrique. Le rôle des installations CCF décentralisées est de palier le manque de production électrique solaire et hydraulique en hiver et de produire selon les besoins afin de stabiliser le réseau et sécuriser l approvisionnement. Centrales à gaz à cycle combiné (CCC) La production d électricité au moyen de centrales à gaz à cycle combiné améliore grandement l efficience énergétique par rapport aux centrales à gaz classiques. Selon la Stratégie énergétique 2050, les CCC doivent permettre de garantir la stabilité du réseau et un degré élevé autoapprovisionnement (you can cut after auto-) de la Suisse. «Un nombre limité de CCC doit fournir du courant toute l année, en particulier de l énergie de réglage et de l énergie de compensation, tout en contribuant à la stabilité du réseau.» (OFEN, 2012, p. 57) Pour l instant, la Stratégie énergétique 2050 prévoit l exploitation d une seule de ces centrales jusqu en 2020. Après cette date, elle dépendra de la situation, c est-à-dire de la consommation et de la production par les autres moyens. Mais le potentiel technique est, selon les Académies suisses des sciences, limité par la capacité des conduites d alimentation en gaz. Il manque de réservoirs à gaz pour compenser plus que quelques heures l alimentation en provenance de l étranger. L exploitation de centrales fossiles, avec l inconvénient d émettre du CO 2, est actuellement la seule alternative crédible en attendant que les énergies renouvelables ou d autres puissent prendre le relais des sources d énergies conventionnelles. Ces centrales permettront de garantir l approvisionnement du pays en électricité toute l année. Mais elles vont nous rendre dépendants des importations de gaz et nous soumettre aux fluctuations des prix. Et si la demande augmente, ce qui est fortement probable, les prix prendront l ascenseur. Sans oublier les risques géopolitiques. Le pouvoir d un Etat comme la Russie qui peut subitement, comme en 2006 avec l Ukraine, interrompre la fourniture de gaz pendant trois jours et mettre tout un pays aux abois, est à garder présent à l esprit. Importations La question de l avenir de l approvisionnement en électricité est primordiale. La Suisse qui ne pourra pas se passer des importations, entrera en concurrence directe avec les besoins des autres pays qui prévoient également de compenser leur propre production de cette manière. Pour les entreprises électriques suisses, investir dans des exploitations en Europe est une option qui mérite réflexion. Mais plusieurs conditions doivent être remplies : «il faut des capacités d acheminement de l électricité vers la Suisse, le marché européen de l électricité doit être intégré, et l accès aux installations de production en question doit être assuré par un accord bilatéral sur l électricité.» (Académie suisse des sciences, juillet 2012, p. 31) En outre, pour maintenir une certaine cohérence, l électricité importée devra provenir de sources renouvelables. Mais y en aura-t-il en suffisance? Et cela ne veut-il pas dire que le pays exportateur comblera ses propres besoins par l énergie nucléaire? Vouloir être le «premier de classe» en se voilant la face ne va pas faire avancer l écologie mondiale. 11

Recours à la technologie nucléaire La Stratégie énergétique 2050 sonne le glas des centrales nucléaires qui devront être mises hors service. Nous émettons un sérieux doute sur la pertinence de la décision politique d interdire cette technologie. Il est non seulement important d exploiter les centrales existantes jusqu au terme de leur durée de vie, mais également de maintenir la porte ouverte à l éclosion de nouvelles technologies. Si le problème des risques d accidents et du recyclage des déchets peut être résolu à l avenir, le Conseil fédéral devrait pouvoir envisager la construction de nouvelles centrales. Renouvellement et développement du réseau électrique La production d électricité décentralisée et les échanges internationaux d électricité en constante progression nécessitent un développement important du réseau électrique suisse, aussi bien pour le transport que pour la distribution. Actuellement, sa réalisation est extrêmement lente pour cause de manque d acceptation des infrastructures, des longues procédures d autorisation et des recours. Le Conseil fédéral veut agir en accélérant les procédures et en accroissant la transparence de la planification des réseaux et de la sécurité des investissements. Les besoins urgents suivants pour le renouvellement et le développement du réseau électrique ont déjà été identifiés : Lignes indispensables pour la sécurité de l approvisionnement DE Autres projets de développement 1 Gemmi+ 5 2 3 Transformation Bickigen / Bassecourt Goms+ FR 4 2 9 AT 4 Bassecourt Mühleberg Romanel 7 5 6 7 8 Beznau Mettlen Transport du Bas-Valais Mettlen Ulrichen Pradella La Punt 6 1 CH 3 8 9 Mettlen Rüthi / Rüthi Bonaduz / Meiningen Rüthi IT Source : Académies suisses des sciences, 2012, p. 19 12

La modernisation et l extension des réseaux électriques sont indispensables et urgentes. Aussi, la simplification et le raccourcissement prévus des procédures d autorisation, ainsi que la limitation des recours, sont nécessaires. Un réseau performant est tout aussi important que la production d électricité elle-même. Les flux d électricité et la mise à disposition des consommateurs de l électricité en quantité suffisante et avec la tension et la fréquence requises sont des impératifs. Le réseau n est toutefois pas tout. Il faut également améliorer le stockage. Le développement des nouvelles énergies renouvelables nécessite de disposer de moyens de stockage centralisés et décentralisés. Leur production d électricité ne répond pas à un besoin immédiat. L excédent passager, essentiellement de l énergie éolienne et du photovoltaïque, dot être stocké. Sans oublier qu il sera à l avenir important de pouvoir transposer l énergie produite en été vers l hiver. L intégration de la Suisse au marché européen de l électricité est également un enjeu majeur. Nos centrales hydroélectriques produisent de grandes quantités en été, qu il faut exporter. Et en hiver, le pays a un déficit qui doit être comblé. Les lignes électriques transfrontalières permettent ces échanges avec les pays environnants et assurent la sécurité d approvisionnement. Pour continuer à jouer un rôle au sein du commerce européen de l électricité, nous devons rester intégrés au réseau européen et donc à son processus de planification. Le problème est que la Suisse n a pas encore conclu d accord bilatéral sur l électricité avec l UE, ce qui l exclut de certains comités importants qui prennent d ores et déjà des décisions en la matière, sans nous. La production d électricité va connaître de très fortes mutations ces prochaines années. Il est de notre responsabilité d assurer l approvisionnement du pays en tout temps afin que nous n ayons pas à connaître des blackouts comme aux Etats-Unis en 2003 ou en Inde en 2012. Un grand nombre de paramètres sont à considérer et il nous incombe de ne pas prendre des décisions hâtives dictées par nos sentiments ou une peur irrationnelle. Les aspects financiers et leur impact sur notre économie ne doivent pas être pris à la légère. 13

Paramètres économiques La première phase de la stratégie énergétique 2050 insiste sur les mesures d encouragement et les prescriptions en matière de réglementation. Quant à la seconde phase, elle cherche à remplacer le système d encouragement par un système d incitation. Première phase D après la Stratégie énergétique 2050, les prix de l énergie devraient augmenter en raison de l importante demande. Mais selon les analyses de la Confédération, les conséquences économiques à long terme, basées sur le premier paquet de mesures, seraient modérées et se répartiraient comme suit : Transformation et développement du parc de centrales Coûts de la promotion des énergies renouvelables Coûts de réseau 191 milliards de francs (125 pour le parc actuel et 66 pour le développement) 1,1 milliard de franc ou 1,89 ct/kwh par an 2,3 à 2,7 milliards de francs pour le développement, 4 milliards pour la rénovation du réseau de transport, 3,9 à 12,6 milliards pour les réseaux de distribution, soit 6,2 à 15,3 milliards de francs d ici à 2050 sans les mesures de rénovation Coûts économiques directs les investissements totaux annuels escomptés augmentent jusqu à 3,1 milliards de francs, soit un montant cumulé non escompté de 84,7 milliards. En contrepartie, les économies sur les importations d énergie croissent pour atteindre 1,9 milliard, soit un total cumulé non escompté de 46 milliards PIB 1% avec la politique actuelle et 0,98% avec le premier paquet de mesures Bien-être gain de bien-être de près de 0,1% Source : OFEN 2012, p. 9 En plus de ces coûts, «[i]l faut prévoir une évolution légèrement négative des chiffres de l emploi. Ces effets économiques doivent être appréciés en regard des effets positifs non monétarisés du tournant énergétique.» (OFEN, 2012, p.138) Le premier paquet de mesures compte financer ces coûts en renforçant la taxe CO 2 et la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC), qui vont passer respectivement de 36 CHF/ tonne de CO 2 à 60 CHF/tonne et 0,45 ct./kwh à 1,9 ct./kwh. La somme récoltée, soit 1,2 milliard de CHF, sera allouée aux instruments d encouragement. Le budget ordinaire servira également aux installations pilotes et de démonstration, et au programme SuisseEnergie. Ces chiffres avancés par l OFEN dans le cadre du premier paquet de mesures sont très vagues. Et s entendre dire qu il est difficile de pouvoir prévoir les retombées économiques à si long terme n est ni rassurant ni acceptable. Toutes les mesures garanties comme étant rentables sont bien évidemment souhaitables et doivent être soutenues. Mais que faire des mesures non rentables? L exemption de taxes pour les grands consommateurs s ils s engagent à économiser est positive, mais pas suffisante. 14

Les coûts et les conséquences financières n ont pas été sérieusement évalués. Se baser sur un projet extrêmement optimiste, aussi bien en ce qui concerne l efficacité énergétique que la concrétisation de la production énergétique et en particulier électrique par d autres technologies que le nucléaire, laisse craindre que la facture finale soit nettement plus douloureuse. Les répercussions d une augmentation des prix de l énergie et des taxes pourraient avoir des conséquences désastreuses sur les entreprises. Par ailleurs, il est déjà prévu que l emploi sera «légèrement» touché ; selon l évolution réelle de ces mesures, il pourrait l être encore bien plus. Ce facteur est à mettre en balance avec les retombées positives des changements proposés, mais ce qui est certain, c est que cette question doit être traitée de manière plus approfondie. Une phrase dans un rapport explicatif ne suffit pas. Cette légèreté est surprenante, pour ne pas dire sidérante. Le Conseil fédéral reconnaît que ces mesures ne permettront d atteindre que près de la moitié des objectifs fixés pour cette première phase. A partir de 2020, il semblerait que les mesures d encouragement laisseront place à un système d incitation. Deuxième phase Le deuxième paquet de mesures, qui devrait voir le jour à partir de 2020, est encore très flou. Le Conseil fédéral parle de réforme fiscale écologique. Il s agirait d une taxe énergétique prélevée sur le mazout, l essence et l électricité, qui serait redistribuée à la population et aux entreprises via la diminution d autres charges. Le but recherché est de passer du mécanisme d encouragement préconisé dans la première phase à l instauration d un système incitatif. La taxe sur le CO 2 et la RPC seraient réunies pour ne former plus qu une unique redevance sur l énergie. Les mesures qui semblent être prévues lors de cette phase sont très imprécises, ce qui inquiète les entreprises. Augmenter le prix de l énergie tout en la rationnant ne peut que nuire gravement à la compétitivité des entreprises et par voie de conséquence menacer les emplois. Pourquoi le Conseil fédéral scinde-t-il les mesures en deux? Comme la réforme fiscale écologique sera obligatoirement soumise au peuple, nous demandons que les deux paquets soient regroupés et fassent l objet d une votation. Toutes les mesures, coûts et financement doivent être simplifiés afin qu ils puissent être compréhensibles par tous. Tout en prenant en compte l ensemble des enjeux, afin que chacun puisse se prononcer en connaissance de cause. L environnement économique, politique et international dans lequel la Suisse est intégrée doit être pris en considération. La question du futur énergétique ne peut pas être uniquement soulevée à une échelle nationale et de plus sur une partie seulement des points soulevés. Vouloir être les «premiers de classe» aurait de graves répercussions sur notre santé économique, sans que cela n ait de réelles conséquences sur notre environnement et encore moins sur celui de la planète. 15

Conclusion La démarche de la Confédération, qui tend à définir une politique énergétique, est fort louable. Sur un sujet ayant donné lieu à des controverses depuis des décennies, elle a le mérite d ouvrir le débat. Mais sur plusieurs plans, la solution proposée n est pas appropriée. Si la faisabilité de la diminution de la consommation d énergie en général peut éventuellement être discutable, il semble en revanche fort peu probable que les besoins en électricité connaissent une quelconque baisse. Si cette stratégie devait être acceptée en l état, elle risquerait fort d entraîner non seulement un rationnement en énergie, mais aurait aussi un impact non négligeable sur le coût de l énergie. Sans compter les coûts additionnels d une bureaucratie forcément plus lourde à mettre en place. A combien s élèvera la facture? Comment la payerons-nous? Autant de questions ouvertes auxquelles il est indispensable de réfléchir et de répondre avant de prendre d autres décisions. Il s agit d un ensemble qui ne peut être «saucissonné». En effet, nous ne voyons pas comment une diminution des besoins en électricité pourrait intervenir. Même si tous les appareils ancienne génération étaient troqués contre des plus récents et que les utilisateurs mettaient rigoureusement en pratique tous les conseils donnés pour économiser l électricité, il n en resterait pas moins une tendance à l augmentation. Pour parvenir à un revirement tel qu attendu, il faudrait revoir la totalité de notre mode de vie et pas uniquement nos habitudes d utilisateurs. La sécurité de la population doit être mise en balance avec la sécurité de l approvisionnement, les risques nucléaires avec les risques pour le climat et les coûts et le financement avec les perspectives pour l emploi et la prospérité. La Suisse ne peut se lancer en solitaire dans une aventure énergétique. 16

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