Documentation Loutre



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Documentation Loutre préparée à la demande du WWF-Suisse KORA Tel. 031 951 70 40 Thunstrasse 31 Fax 031 951 90 40 CH-3074 Muri info@kora.ch

Documentation Loutre Chère lectrice, Cher lecteur, Autrefois présente en nombre dans nos cours d eau, la loutre a disparu de Suisse. Les dernières traces ont en effet été trouvées sur la rive sud du Lac de Neuchâtel en 1989. L emprise croissante de l homme sur l environnement a eu raison de cette espèce emblématique non seulement dans notre pays, mais aussi dans bon nombre de contrées européennes. Pourtant depuis quelques années, des signes d amélioration sont visibles. Plusieurs populations prospèrent et accroissent leur aire de distribution, soit naturellement ou suite à des lâchers. Comme certaines d entre elles ne sont pas très éloignées de nos frontières, un retour naturel de la loutre en Suisse n est pas à exclure. La réapparition d un prédateur susceptible d interférer avec les intérêts économiques de l homme ne va pas sans heurts. Le lynx et le loup sont là pour nous le rappeler. Une bonne information est par conséquent nécessaire pour créer des bases de discussion et contribuer par la suite à la mitigation des conflits. C est dans cette optique que nous proposons à toutes personnes concernées ou intéressées par la loutre cette documentation qui leur fera découvrir les thèmes suivants: Systématique et description Distribution Signes de présence Biologie de la loutre La loutre et l homme La loutre en Suisse Statut légal de la loutre Toutes les rubriques sont brèves afin que vous puissiez en prendre connaissance rapidement. Elles sont toutefois incomplètes. Pour obtenir une vision plus complète du sujet, vous devrez inévitablement vous pencher sur cette thématique de façon plus approfondie. Les références qui se trouvent en fin de document peuvent vous aider à y parvenir. En outre, vous pouvez obtenir auprès de KORA d autres articles et des références bibliographiques portant sur les prédateurs indigènes. Vous pouvez nous atteindre à l adresse suivante: KORA, Thunstrasse 31, CH-3074 Muri Jean-Marc Weber Tél: 031 951 70 40 Fax: 031 951 90 40 E-mail: jmweber@bluewin.ch

Systématique et description La loutre européenne (Lutra lutra), aussi connue sous le nom de loutre eurasienne, appartient à la famille des mustélidés tout comme la belette, l hermine, le putois, la martre, la fouine et le blaireau. Vu la diversité de ses membres, la famille des mustélidés est subdivisée en cinq sous-familles, dont celle des lutrinés. La loutre européenne y est inclue en compagnie d une douzaine d autres espèces de loutres parmi lesquelles on peut citer la loutre de mer (Enhydra lutris), la loutre géante du Brésil (Pteronura brasiliensis), la loutre du Canada (Lontra canadensis) et la loutre à joues blanches (Aonyx capensis). Le corps de la loutre, allongé et fuselé, mesure en moyenne 70 cm chez le mâle et 65 chez la femelle. Il est pourvu d une queue épaisse et longue atteignant près de 50 cm chez le mâle et environ 40 cm chez la femelle. Le poids varie de 7 kg (femelle) à 10 kg, voire exceptionnellement 14 kg (mâle). Le dimorphisme sexuel est donc important. La tête est aplatie et le museau, garni de moustaches longues et dures, est large. Les oreilles sont petites. Le pelage est brun foncé, à l exception de la gorge, de la poitrine et du ventre qui sont grisâtres. Certains individus peuvent présenter des taches blanches de grandeur variable sur la gorge. La loutre est une espèce très bien adaptée à la vie aquatique. La forme allongée de son corps lui garantit un hydrodynamisme parfait. Telle une rame, sa queue épaisse et musclée assure la propulsion subaquatique. Elle joue également le rôle de gouvernail lors des déplacements rapides. Dotées d une palmure, les quatre pattes sont utilisées lorsque la loutre nage en surface. Pour accélérer, elle effectue des mouvements ondulatoires avec la partie postérieure du corps, de haut en bas, les pattes avant plaquées le long des flancs. Sa nage ressemble alors à celle d un dauphin. L épaisse fourrure on a dénombré environ 60'000 poils par cm 2 de peau! - comprend deux types de poils : les poils fins, d une longueur de 10 à 15 mm, forment une couche dense dans laquelle les bulles d air sont retenues, assurant ainsi l isolation thermique du corps lors de la nage. Plus longs (env. 25 mm), les poils de garde sont imperméables grâce aux sécrétions graisseuses des glandes cutanées. En plongée, les oreilles et les narines se ferment hermétiquement. De plus, un mécanisme lui permet d adapter la courbure de l iris d une manière telle que sa vue demeure performante en eaux claires. En eaux troubles ou de nuit, ses longues vibrisses l aident à s orienter et à détecter ses proies. Elle reste en général peu de temps sous l eau. Les plongées durent de 10 à 40 secondes. En surface, l odorat de la loutre est très performant. Lorsque le vent est favorable, elle peut, expérience faite, repérer un homme à plus de cent mètres. Sur terre, la loutre est moins agile. Elle se déplace en marchant ou par bonds.

Distribution Historiquement, l aire de répartition de la loutre s étendait de l Irlande au Japon et du nord de la Finlande à l Afrique de nord et à l Indonésie. Au cours du siècle dernier, les effectifs de loutre se sont effondrés dans de nombreuses régions, entraînant sa disparition dans plusieurs pays. En Europe à l heure actuelle, la loutre est encore répandue au nord et dans la plupart des pays de l Est, dans l ouest et le centre de la France, en péninsule ibérique, ainsi que sur une grande partie des îles britanniques (figure 1). Elle a disparu de la zone centrale du continent. Pour renforcer certaines populations, des réintroductions ont été effectuées durant la dernière décennie, notamment en Angleterre, en Espagne, dans le nord de l Italie, en France (Alsace) et en Tchéquie. Un programme de réintroduction est actuellement en cours au Pays-Bas. Fig. 1 : Distribution actuelle de la loutre en Europe.

Signes de présence De part sa nature discrète et ses moeurs nocturnes sur la majeure partie de son aire de répartition, la loutre est un animal difficile à observer. Certes, il existe des régions qui offrent aux naturalistes de bonnes opportunités de voir leur espèce favorite en action comme la côte ouest écossaise, les îles Shetlands et Orcades en sont -, mais généralement on doit se contenter des signes de présence. Les crottes, plus connues sous le nom d épreintes, sont des indices fréquemment découverts dans les habitats colonisés par la loutre. Les épreintes fraîches sont en principe noires et elles dégagent une odeur musquée assez doucereuse et très caractéristique. De taille et de forme variables, elles ressemblent à un petit amas gluant contenant les restes indigestes des repas (par exemple écailles et vertèbres de poissons, os d amphibiens). Elles peuvent atteindre 6 cm. Avec le temps, en séchant, les épreintes se décolorent et se désagrègent progressivement. La loutre dépose ses excréments sur de petits promontoires, bien en évidence pour marquer son territoire. On peut les trouver sur de gros cailloux émergeant des cours d eau ou le long des rives, sur de vieilles souches, sur des touffes d herbes ou sur les rebords bétonnés situés sous les ponts. Les épreintes servent aussi à marquer l entrée de la catiche. Les traces sont également des indices utiles pour mettre en évidence la présence de la loutre. Assez arrondie, l empreinte du pied antérieur mesure environ 6 cm de long sur 6 de large. La taille du pied postérieur, plus allongé, est de 6 x 7,5 cm. Les empreintes supérieures à 6,5 cm appartiennent selon toute vraisemblance à des mâles, alors que celles qui sont inférieures à 4,5 cm laissent supposer la présence de jeunes. Idéalement, sur un substrat mou par exemple, les cinq doigts des pieds, les griffes, la pelote plantaire et quelquefois la palmure sont visibles (figure 2). Toutefois, il arrive souvent que seuls quatre ou même trois doigts sont discernables, car les externes, de plus petite taille, ne marquent pas le substrat (figure 3). Dans ces circonstances, une caractéristique permet de distinguer une trace de loutre de celle d un chien ou d un renard : l empreinte de la loutre n est pas symétrique. En effet, la moitié gauche n est pas l image miroir de la droite. La longueur du pas est d environ 35 cm lorsque la loutre marche et les empreintes se superposent pratiquement. Lorsqu elle galope, le pas est de 50 cm et les empreintes sont bien distinctes. Lors des déplacements par bonds, les quatre pieds sont regroupés et la distance entre les groupes d empreintes varie de 80 à 100 cm (figure 4). Il existe d autres types d indices révélateurs de la présence de la loutre. Les coulées sont des passages fréquemment utilisés par l animal lorsqu il se déplace sur la terre ferme. L herbe y est très distinctement foulée. Ces coulées deviennent d impressionnants sillons dans la neige. Pour se mettre à l eau, la loutre emprunte régulièrement les mêmes couloirs, glissant littéralement le long de la rive. Ce sont les fameux toboggans qui sont également utilisés dans les phases de jeu. Lorsqu elle sort de l eau, la loutre aime se rouler dans l herbe pour essuyer sa fourrure. Ces endroits, reconnaissables à l herbe couchée, s appellent des places de ressui. Les restes de repas constituent un autre signe de présence de l espèce, à condition que l identification soit confirmée par une crotte ou une empreinte.

Signes de présence Documentation Loutre Fig. 2 : Empreintes de loutre (boue), Ecosse. photo Jean-Marc Weber Fig. 3: Empreintes de loutres (sable), Ecosse. photo Jean-Marc Weber Fig. 4 : Piste de loutre : galop, bonds et trot (in Operation Otter, P. Wayre). Source : Fetter-Keulen & Fetter-Keulen (1990)

Biologie de la loutre Habitat Les milieux susceptibles d accueillir la loutre sont variés. Elle peut aussi bien exploiter les lacs et les étangs que les grandes rivières, les canaux et les petits ruisseaux. On la rencontre également dans les estuaires et le long des côtes marines. En fait, tout habitat aquatique est favorable pour autant qu il fournisse de la nourriture et des abris en suffisance. On estime qu un cours d eau avec une biomasse de poissons supérieure à 100 kg/ha constitue un habitat optimal pour la loutre. Il devient sub-optimal si la biomasse est comprise entre 50 et 100 kg/ha, et défavorable si elle est inférieure à 50 kg/ha. La couverture végétale des rives doit être fournie pour permettre à la loutre de trouver les gîtes qui lui sont nécessaires pour se reposer ou mettre bas ses jeunes. Les roselières sont particulièrement appréciées par l espèce. On distingue plusieurs types de gîtes : les couches, les abris et les catiches. Les couches sont des places de repos à ciel ouvert et situées dans des endroits calmes. Partiellement protégés et utilisés pour le repos diurne et nocturne, voire pour la reproduction, les abris peuvent être localisés dans des crevasses de rocher, sous des buissons denses ou des racines, ou dans des structures artificielles (p. ex. constructions, carcasse de voiture!). Enfin, les catiches sont des endroits protégés, généralement situés dans des terriers aménagés ou creusés par la loutre et servant à la mise bas et à l élevage des jeunes. Si les possibilités de gîtes font défaut aux abords du cours d eau, la loutre peut s en éloigner de plusieurs centaines de mètres. Domaines vitaux et activité La taille du domaine vital d une loutre varie considérablement. Quelques centaines de mètres de rive situés en zone côtière très productive suffisent à un individu. Par contre, une loutre établie sur un cours d eau plus pauvre a besoin d un territoire linéaire de 10 à 40 km, voire jusqu à 70 km pour certains mâles. En effet, à l instar d autres espèces de mustélidés, le domaine vital des mâles est généralement plus grand que celui des femelles. Il n est d ailleurs pas rare qu un territoire de mâle englobe plusieurs domaines vitaux de femelles. En eau douce, la loutre est essentiellement nocturne alors qu en zone côtière elle est largement active de jour notamment parce que ses proies principales sont inactives à ce moment là. L activité semble donc être avant tout régulée par des considérations d ordre alimentaire. Une étude menée sur les loutres côtières a montré qu un individu passe les ¾ de son temps dans sa catiche. Lors de la phase active, près de la moitié du temps est consacré à la chasse, 25 % au repos en surface et 20 % à l entretien du pelage. Il est en effet impératif pour une loutre vivant en milieu marin de se débarrasser du sel incrusté dans ses poils par des bains d eau douce, sinon la fourrure perd ses propriétés isolantes et l animal risque une pneumonie. Communication Les épreintes que la loutre dépose sur l ensemble de son domaine vital dégagent une odeur produite par les glandes anales. Très puissante, cette odeur peut être facilement détectée par des congénères capables de discriminer entre les épreintes de différents individus. A l heure actuelle, le contenu du message colporté par l odeur n est pas encore connu, mais il pourrait donner des indications sur l âge et le sexe de la loutre ayant marqué. L épreinte signalerait également aux membres d un groupe qu un individu exploite les ressources alimentaires d une zone définie, ce pour éviter les interactions agressives. Pour communiquer, la loutre dispose d une variété de cris dont le plus connu est le sifflement. Celui-ci est utilisé par les membres d une famille pour rester en contact les uns avec les autres. Lorsqu elle menace, avertit d un danger ou est anxieuse, la loutre chuinte bruyamment.

Biologie Documentation Loutre Nourriture Les poissons forment la part prépondérante du régime alimentaire de la loutre. En Grande-Bretagne, par exemple, ils représentent les 70 à 95 % des proies habituellement consommées par ce prédateur. Dans notre pays, l analyse d épreintes récoltées sur les bords de la Schwarzwasser (BE) suite aux lâchers effectués en 1975 (voir la loutre en Suisse) donne une figure similaire : 71% des proies identifiées sont des poissons. Opportuniste, la loutre incorpore dans son régime alimentaire diverses espèces de poissons en fonction notamment de leur abondance et de la facilité qu elle a à les capturer. L anguille, la perche, le brochet et les salmonidés comptent parmi les poissons les plus fréquemment consommés en Europe occidentale. La taille des prises est généralement comprise entre 15 et 30 cm, mais il n est pas rare que des épinoches de moins de 5 cm ou, en zones côtières, des roussettes de plus 50 cm soient capturées. Dans certaines régions ou selon les saisons, la loutre se nourrit largement d amphibiens ou d écrevisses. Les oiseaux d eau, tels la foulque, la poule d eau et les canards, ainsi que certaines espèces de mammifères petits rongeurs et lapin de garenne en Ecosse apparaissent occasionnellement parmi ses proies. La loutre se situe au sommet de la chaîne alimentaire, et hormis l homme, voire le lynx et le loup, elle n a pas de prédateurs susceptibles de limiter ses effectifs. Hérons, cormorans et harles consomment les mêmes espèces de poissons que la loutre, mais, à moins d être présents en grands nombres, ils ne constituent pas un risque pour elle. Reproduction La loutre se reproduit dès l âge de deux ans. Bien que capable de produire des jeunes chaque année, seuls 60% des femelles le font, vraisemblablement en raison de contraintes liées à la qualité de l habitat ou à la densité locale de loutres. La gestation dure environ 9 semaines. Le nombre de jeunes par portée est habituellement de 2 à 3. Ceux-ci naissent aveugles, mais sont déjà pourvus de poils. En Angleterre, les naissances se produisent toute l année, alors que dans les régions plus septentrionales comme la Suède ou la Russie celles-ci ont lieu au printemps. En Allemagne, la loutre se reproduit au printemps et en été. Ces variations sont probablement liées à la disponibilité alimentaire et à la dureté du climat. Le développement des jeunes est lent. Ils ouvrent les yeux après 4 à 5 semaines et sont totalement sevrés à 3 mois. Ils restent néanmoins dépendants de leur mère pendant plusieurs mois, la quittant généralement entre 7 et 12 mois. Mortalité Potentiellement, la loutre peut vivre environ 10 ans, mais peu d individus parviennent à cet âge en nature. Les données fiables sur les causes de mortalité sont difficiles à obtenir, vu la petite taille des échantillons à disposition. Néanmoins, une étude menée aux Shetland a montré que près de la moitié des loutres examinées avaient été victimes d une mort violente. Trafic routier et noyade dans les casiers à homard étaient les facteurs principaux de mortalité. La pénurie de proies constitue la cause principale de mort naturelle. Les collisions avec des véhicules et les noyades dans des nasses ou des filets sont également les principaux facteurs de mortalité chez les loutres d Europe continentale à l heure actuelle.

La loutre et l homme La grande qualité de sa fourrure a très vraisemblablement incité l homme à chasser la loutre il y a fort longtemps déjà. Les premiers récits historiques faisant état de la valeur marchande des peaux de loutres proviennent d Irlande et datent du début du 15 e siècle. Toutefois même si le commerce de la fourrure pouvait générer d appréciables revenus, le nombre de loutres tuées exclusivement dans ce but demeure peu important dans la plupart des pays européens. La protection des ressources piscicoles constituait un facteur de motivation supérieur pour chasser la loutre. Elle était en effet souvent décrite comme un démon cruel capable des pires déprédations dans les viviers. Dès le 14 e siècle, des chasseurs spécialisés dans la chasse de la loutre firent leur apparition dans plusieurs pays d Europe. En France, on les nommait les loutriers et une prime leur était versée à chaque capture de loutre. La chasse a eu pendant longtemps un impact limité sur les populations. La situation allait pourtant changer à la fin du 19 e siècle. Outre la Suisse (voir la loutre en Suisse), d autres pays européens lancèrent une véritable campagne d extermination. En Belgique, près de 2500 primes furent versées entre 1889 et 1895. En France, 3000 à 4000 loutres étaient tuées chaque année entre 1880 et 1930. Les conséquences furent catastrophiques, les effectifs s effondrant dans de nombreuses régions. Actuellement, le statut d espèce protégée qui lui a été conféré ne met pas la loutre à l abri d actes de braconnage ponctuels. En effet dans les zones où elle est en expansion, comme en Europe centrale, on assiste à une recrudescence des conflits avec les pisciculteurs d où des risques élevés de piégeages illégaux. On a également longtemps chassé la loutre par sport. En Grande-Bretagne, chasser la loutre à l aide de meutes de chiens (otter hounds) devint très à la mode sous le règne d Elizabeth 1 ère. C est toutefois au cours du 18 e siècle que cette pratique fut considérée comme un sport en soi, et ce jusqu en 1978. Ainsi, entre 1950 et 1955, les 13 équipages recensés sur territoire britannique tuèrent 1212 loutres. L intensité de la chasse diminua progressivement et en 1976, ils n étaient plus que 9 et leur tableau de chasse se limitait à 5 loutres au total. A noter que le déclin du nombre de prises n est pas à mettre sur le compte d une chasse excessive, mais résulte de l introduction sur le marché, dans les années 1950, de nouveaux pesticides organochlorés (p. ex. dieldrine et aldrine) largement utilisés par la suite dans l agriculture. Ces toxiques ont les mêmes effets que les PCB sur les super-prédateurs qu ils contaminent par bioaccumulation (voir la loutre en Suisse). Outre la fourrure, l homme utilisait à l occasion la chair des loutres qu il tuait. Au début du 20 e siècle, la consommation de viande de loutre était autorisée durant le carême par l Eglise catholique car elle la considérait proche des poissons. En marinade, en saucisson ou en pâté, les recettes pour apprêter la loutre ne manquent pas et comme rien ne se perd, sa graisse était utilisée en pharmacopée pour ses vertus digestives! Les relations entre l homme et la loutre ne se limitent pas à des interactions prédateur-proie. Les anciens Egyptiens la vénéraient et les Celtes voyaient en elle la conductrice des âmes des morts. Dans un autre registre, l homme a tiré profit des talents de chasse de la loutre pour améliorer son rendement de pêche. Les premiers écrits relatant l utilisation de loutres entraînées à pêcher pour leur propriétaire remontent au 7 e siècle de notre ère et proviennent de Chine. Après s être étendue en Asie du Sud et du Sud-est, cette pratique atteint l Europe dans le courant du 15 e siècle. Elle y persista jusqu au 17 e siècle au moins.

La loutre en Suisse Historique Il y a plus de cent ans, la loutre colonisait tous les cours d eau de Suisse, à l exception de quelques torrents alpins. Les conditions trophiques étaient excellentes et les chasseurs montraient peu d intérêt pour ce prédateur. Occasionnellement, des individus étaient éliminés en raison des dégâts qu ils causaient, mais la population n était pas menacée. Ainsi vers la fin du 19 e siècle, on estimait à plus de 1000 le nombre de loutres présentes dans le pays. Pourtant, les choses allaient changer. Sur pression des groupes d intérêt liés au monde piscicole, une loi visant à «encourager l extermination des loutres, des hérons et des autres animaux particulièrement nuisibles pour la pêche» entra en vigueur en 1888. L utilisation de pièges devenait à nouveau légale et afin de motiver les chasseurs, un système de primes distribuées pour chaque loutre tuée fut instauré. En outre, les cantons organisèrent des cours de formation et de perfectionnement pour les chasseurs de loutres. Ces mesures entraînèrent rapidement une augmentation des prélèvements de loutres, et dès le début du siècle dernier les effectifs commencèrent à fortement diminuer (figure 5). L effondrement des populations se poursuivit jusqu en 1952, année durant laquelle l espèce fut mise sous protection par la Confédération. A cette époque, on estimait le nombre de loutres présentes en Suisse à environ 100-150 individus. Fig. 5 : Evolution du nombre de loutres tuées en Suisse. Source : Weber (1990) La mise sous protection laissait supposer que les effectifs de loutres allaient se reconstituer. Il n en fut rien. Contre toute attente, le déclin se poursuivit menant à la disparition progressive des populations locales (figure 6). En 1975, il ne subsistait dans le pays qu une quinzaine de loutres, essentiellement cantonnées sur le Plateau (régions des 3 Lacs), aux Grisons et au Tessin. Cette année-là, une tentative de réintroduction fut effectuée sur la Schwarzwasser (BE). Huit loutres en provenance de Bulgarie y furent lâchées mais l essai se révéla rapidement être un échec. En moins d une décennie, les loutres avaient disparues du secteur. L extinction de l espèce en Suisse semblait inexorable et finalement c est en 1989 que les derniers signes de présence de la loutre dans le pays furent découverts sur la rive sud du lac de Neuchâtel.

La loutre en Suisse Documentation Loutre Fig. 6 : Présence de la loutre en Suisse en 1900, 1950, 1970 et 1990. Source : Weber (1990) Les persécutions intenses subies par la loutre au début du 20 e siècle ont certes contribué à son déclin, mais elles ne sont pas directement responsables de sa disparition. En effet, un effectif d une centaine d individus aurait suffi à reconstituer une population viable pour autant que les conditions environnementales soient favorables. L étaient-elles? Une étude menée à la fin des années 1980 sur mandat de la Confédération a mis en évidence qu il existait encore dans notre pays des habitats favorables à la loutre, mais ceux-ci étaient par trop fragmentés pour assurer son maintien. La disparition de nombreux ruisseaux, la correction des cours d eau, la destruction des zones riveraines lacustres, les modifications du débit des cours d eau à cause des usines hydroélectriques, la pollution des eaux sont autant de facteurs qui ont soit provoqué une forte diminution des effectifs de poissons, soit privé tout simplement la loutre d importantes sources de nourriture. En outre, la même étude a révélé la présence, à de fortes concentrations, de polychlorobiphényles (PCB) dans les tissus des poissons. Les PCB sont des organochlorés qui entrent dans la composition de nombreuses matières plastiques notamment. Ces toxiques contaminent tous les niveaux de la chaîne alimentaires et par bioaccumulation atteignent des concentrations maximales chez les super-prédateurs. Provoquant des troubles de la reproduction chez l animal contaminé, voire la mort, ils sont par conséquent susceptibles de compromettre la survie d une population. Bien que leur utilisation ait été interdite en Suisse au début des années 1970, les PCB sont toujours présents dans notre environnement. La forte contamination des poissons par les PCB a constitué l argument qui sonna le glas des essais de réintroduction de la loutre prévus dans notre pays à la fin du siècle passé.

La loutre en Suisse Documentation Loutre Situation actuelle En 2004, plusieurs observations de loutres ont été rapportées dans la région des 3 Lacs, sans toutefois pouvoir être confirmées. Un retour naturel n est certes pas à exclure, mais les populations les plus proches des lieux d observations sont situées à plus de 100 km, et les obstacles à franchir pour les coloniser sont nombreux et souvent dangereux. De même, il paraît très peu probable qu une petite population se soit maintenue sur le Plateau et passe inaperçue pendant une quinzaine d années. Si ces observations se confirment, elles pourraient être le résultat de lâchers clandestins, donc illégaux. En examinant les conditions environnementales actuelles, on constate qu elles ne permettent toujours pas d envisager à court terme la réintroduction de la loutre en Suisse. En effet, depuis la découverte des dernières traces de loutres en 1989, un fort déclin des populations de poissons a été constaté sur la majorité des cours d eau suisses. Les raisons en sont diverses, mais le facteur «contamination chimique» ne semble pas étranger à cette situation. Dans ces circonstances, il paraît illusoire d espérer qu une population viable de loutres puisse à l heure actuelle prospérer dans nos eaux. En outre, les habitats favorables, s ils existent, sont par trop fragmentés. La revitalisation de certains cours d eau et la création de corridors reliant les milieux propices doivent être entreprises pour offrir à la loutre des possibilités de disperser.

Statut légal de la loutre La protection de la loutre européenne est régie par divers traités et lois tant au niveau international que national. a) Conventions et traités internationaux Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe (dite Convention de Berne) La loutre y est inscrite en annexe II, soit dans la liste qui lui confère le statut d espèce animale strictement protégée. Les états signataires, dont la Suisse, s engagent à interdire toute forme de captures, de détention et de mise à mort intentionnelle. Il est également interdit de détériorer ou de détruire intentionnellement les sites de reproduction et les aires de repos. Le commerce interne des animaux vivants ou morts est aussi proscrit. En outre, les pays doivent prendre les mesures législatives et réglementaires appropriées pour protéger les habitats de ces espèces et pour sauvegarder les habitats naturels menacés de disparition. Directives Habitat de l Union Européenne La loutre y est inscrite en annexe II espèces animales et végétales d intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation et en annexe IV espèces animales et végétales d intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte. La Suisse n étant pas membre de l UE, ce traité n est pas contraignant pour elle. CITES Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d extinction La loutre y est inscrite en annexe I, soit parmi les espèces menacées d extinction immédiate à cause du commerce. Le commerce et la circulation de la loutre et de sa fourrure sont interdits. b) Loi et ordonnance nationales Dans la loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages (loi sur la chasse, LChP), la loutre ne figure pas parmi les espèces chassables. Selon l article 7, tous les animaux ne faisant pas partie des espèces chassables sont protégés. Comme l aigle royal, le castor, le lynx, le loup et l ours, la loutre est une espèce qui bénéficie de dispositions spéciales dans l ordonnance sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages (ordonnance sur la chasse, OChP). Selon l article 10, la Confédération verse aux cantons 50 % des frais d indemnisation pour les dégâts occasionnés par la loutre. L Office fédéral de l environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) peut également ordonner des mesures contre des loutres si ces animaux causent des dégâts importants. En outre, l OFEFP établit des conceptions s appliquant à ces espèces et qui contiennent notamment des principes régissant la protection, le tir ou la capture des animaux, la prévention et la constatation des dégâts ainsi que le versement d indemnité pour les mesures de prévention. Un tel concept n existe pas encore pour la loutre.

Quelques références BOUCHARDY, C. 1986. La loutre. Edition Sang de la Terre, Paris. CHANIN, P. 1985. The Natural History of Otters. Croom Helm, London. FETTER-KEULEN, C. & FETTER-KEULEN S. 1990. La loutre. Education-Environnement, Liège. KRUUK, H. 1995. Wild otters: predation and populations. Oxford University Press, Oxford. REUTHER, C. & FESTETICS, A. 1980. Der Fischotter in Europa : Verbreitung, Bedrohung, Erhaltung. Aktion Fischotterschutz, Oderhaus. WEBER, D. 1990. La fin de la loutre en Suisse. Cahier de l environnement n o 128, OFEFP, Berne.