AUTOUR DES EXPOSITIONS



Documents pareils
La Joconde. ( , 0,77x 0,53 m) de Léonard de Vinci TEMPS MODERNES

Galerie de photos échantillons SB-910

Rousseau Nadia. Abécédaire

«LA FRANCE EST CAPABLE DE GRANDS ÉVÉNEMENTS. LA FRANCE A BESOIN DE SE PROJETER»

Autoportraits photographiques. Il s agit de se photographier soi-même (ce n est pas un portrait pris par un autre)

LIVRET DE VISITE. Autoportraits du musée d. musée des beaux-arts. place Stanislas

PARTICIPER À UNE VENTE AUX ENCHÈRES D ŒUVRES D ART

NON MAIS T AS VU MA TÊTE!

La micro be. Image Sébastien PLASSARD, Baigneuse 2014

BAROMÈTRE EUROPÉEN DU RAPPORT AUX PAIEMENTS

EN 2015, CRÉEZ L ÉVÉNEMENT

«Quand le territoire devient source d inspiration et souffle d expression créative : Présentation du Festival Art-Pierre-Terre»

Nous avons besoin de passeurs

été 1914 dans la guerre 15/02-21/09/2014 exposition au Musée Lorrain livret jeune public 8/12 ans

001_004_VIVRE.qxd 21/07/ :35 Page 1 Vivre avec soi

UN COURS DE PHOTO. le cadeau idéal pour progresser en photo. en 4 heures pour une personne. Des cours collectifs à choisir parmi 8 thèmes :

Là où vont nos pères1

DIRECTION DE LA COMMUNICATION ET DES PARTENARIATS DOSSIER DE PRESSE E-GUIDEZ VOUS! LA NOUVELLE APPLICATION DU CENTRE POMPIDOU

B Projet d écriture FLA Bande dessinée : La BD, c est pour moi! Cahier de l élève. Nom : PROJETS EN SÉRIE

Livret du jeune spectateur

ENERGY BRUNOHOUDAYER BARCELONA PHOTOGRAPHE

ANNE VICTOR Studio All Rights Reserved

C était la guerre des tranchées

COMMUNIQUÉ LA CULTURE AUTREMENT. Pour diffusion immédiate

Livret-jeu à partir de 11 ans

Et avant, c était comment?

Rencontres au Castelnau ou.. quand les auteurs s en vont au champ. Sandrine Trochet. Enseignante Castelnau Barbarens.

Pour travailler avec le film en classe Niveau b Avant la séance...4 L affiche...4 La bande-annonce...4 Après la séance... 5

Le Centre Georges Pompidou, Paris.

Seul à sol Création 2005

HARCÈLEMENT CRIMINEL. Poursuivre quelqu un, ce n est pas l aimer!

La philosophie Ludi. recréer cet esprit chaleureux et amical afin de faire passer des bons moments à ses internautes autour d une même passion.

Les Éditions du patrimoine présentent La tenture de l Apocalypse d Angers Collection «Sensitinéraires»

ALAIN-DOMINIQUE GALLIZIA

Organisme indépendant dont la mission consiste à mieux sensibiliser la population à l'histoire et à la citoyenneté canadiennes. Chaque année, plus de

Utilisation des portables en classe, des problèmes et des solutions.

2015 ADOBE DESIGN ACHIEVEMENT AWARDS

Abd Al Malik: Ça c est du lourd!

La caméra Embarquée et subjective

Partager ses photos sur Internet

RENAN LUCE, On n'est pas à une bêtise près (3 36)

DOSSIER DE PARTENARIAT

Quelqu un qui t attend

METHODE IDENTIFIER LA NATURE D UN DOCUMENT

Nom : Prénom : Date :

Ministère des Affaires étrangères et européennes. Direction de la politique culturelle et du français. Regards VII

REGISTRE DE LA MÉMOIRE DU MONDE. Journal d Anne Frank

GRAVER LA PAIX Projet de création artistique collective dans le cadre des Rencontres de Genève Histoire et Cité Construire la Paix (

7, rue Jules Ferry Bagnolet contact@riofluo.com

Questionnaire pour connaître ton profil de perception sensorielle Visuelle / Auditive / Kinesthésique

Le mécénat d entreprise

ANALYSE D UNE OEUVRE DE ROBERT COMBAS. Bony - Richard - Gwladys - SImon - Megane Kouamela Rapenne Le Roy Bareyt Tandin

XPIR de Thomas Tudoux 29 février au 13 mars 2012 / Abribus République et Plélo Colombier

Un univers coloré et vivant

Poste 4 le montage. Le montage

du 24 janvier au 1er février 2015

5 clés pour plus de confiance en soi

ARCANE DE LA MONTAGNE DOMAINE DE SAINT SER. Exposition du 26 mai au 31 décembre Horaires : tous les jours 10h00 à 18h00

Guide d accompagnement à l intention des intervenants

Ce site intègre des technologies et fonctionnalités à la fois simples et très innovantes pour offrir une interface pratique et performante.

Compte rendu : Bourse Explora Sup

Danseur / Danseuse. Les métiers du spectacle vivant

L écoute ritualisée au cycle 3

Rapport de fin de séjour Mobilité en formation :

TÂCHE 1 - INTERACTION FICHE Nº 1

Exposition des photographies de. du 1 er septembre au 22 octobre Commissaire de l exposition : Françoise Masson

N 6 Du 30 nov au 6 déc. 2011

Bureau D Accueil des Artistes et Professionnels Etrangers (BAAPE)

Collection de photos échantillons

«Source» - Elena PAROUCHEVA, installation monumentale, Amnéville-les-Thermes, Concours Européen Supélec Sciences et Technologies dans l'art Européen

Loin de mes yeux. Chaque personne apprivoise la mort à sa façon, ce qui apporte à cette dernière

LES CONSEILS CRÉATIFS DE DOUG HARRIS ET DAN O DAY

Stromae Alors on danse

«la mouche» : 1958 / 1987, l'adaptation au travers des affiches.

Anne-Lise Seusse. Née en 1980 à Lyon (F) Vit et travaille entre Lyon et Paris (F) Pour Rendez vous 11, présente :

les Carnets du p a ra d oxe

La créativité avec une tablette

Les ZOOMS 2014 PROCLAMÉS!

Pony Production. mise en scène : Stéphanie Marino. Texte et Interprètation : Nicolas Devort. création graphique : Olivier Dentier - od-phi.

Présentation du programme de danse Questions-réponses

L enfant sensible. Un enfant trop sensible vit des sentiments d impuissance et. d échec. La pire attitude que son parent peut adopter avec lui est

Dossier de presse. Mai 2015

Rencontre avec un singe remarquable

Championnat du Monde de ricochets fluorescents

«La Fuite en Egypte» Nicolas POUSSIN «Les Saints préservant le monde de la colère du Christ» Pierre Paul RUBENS

Projet pour la création de nouveaux ateliers d artistes à Marseille, Association ART 13. I Etat des lieux

En UEL uniquement. Jour/ horaire. Programme. Découverte du langage musical autour du piano. Musique à l école. Création sonore et radiophonique

Rappels. Prenons par exemple cet extrait : Récit / roman

JE NE SUIS PAS PSYCHOTIQUE!

Pourquoi? Caroline Baillat CPC EPS Céret / Elisabeth Maroselli CPC EPS P3 Page 1

Communauté. Découverte. Collaboration. Plan stratégique de la Bibliothèque publique de Winnipeg

Elisabeth Vroege. Ariane et sa vie. Roman. Editions Persée

TEST QUEL VOYAGEUR ETES-VOUS?

La poste éclair. CONSTRUIRE N o 26, 28 juin 2005

TECHNIQUES D ÉDUCATION À L ENFANCE

L Art est un jeu. Tant pis pour celui qui s en fait un devoir! * Water Walk

Fiche de préparation. Intitulé de séquence : le portrait

SOMMAIRE. Présentation du projet Programmation 3 ème édition. Le Mot du Producteur. Informations pratiques. Demande d accréditation

Si c était une machine, ce serait un ordinateur génial pour voyager dans le temps et vers les autres continents.

Transcription:

L EXPOSITION p. 4 / 5 VISUELS PRESSE p. 6 / 7 SHINJUKU (EXTRAIT CATALOGUE) p. 8 LE CATALOGUE p. 9 BIOGRAPHIE p. 10 DAIDO MORIYAMA ET LA FONDATION CARTIER p. 11 L EXPOSITION p. 14 / 15 VISUELS PRESSE p. 16 / 19 BIOGRAPHIE p. 20 AUTOUR DE CALI p. 21 CALI CLAIR-OBSCUR (EXTRAIT CATALOGUE) p. 22 / 23 LE CATALOGUE p. 24 AUTOUR DES EXPOSITIONS LES SOIRÉES NOMADES p. 26 LE JEUNE PUBLIC p. 27 LE JARDIN DE LA FONDATION CARTIER p. 28 INTERNET p. 29 PROCHAINES EXPOSITIONS / HORS LES MURS p. 30 INFORMATIONS PRATIQUES p. 31 PARTENAIRES p. 32

3

L EXPOSITION Après avoir, en 2003, fait découvrir en France l œuvre noir et blanc de Daido Moriyama, la Fondation Cartier pour l art contemporain organise une nouvelle exposition consacrée à l œuvre en couleur de l artiste, figure mythique de la photographie contemporaine japonaise. L exposition Daido Tokyo révèle ainsi une partie méconnue et pourtant essentielle de l œuvre de Daido Moriyama depuis deux décennies. À l instar de ces images en couleur, Dog and Mesh Tights, un diaporama de photographies en noir et blanc créé spécialement par Daido Moriyama pour l exposition, dévoile la fascination de l artiste pour l environnement urbain et ses habitants. Commissaires de l exposition : Hervé Chandès et Alexis Fabry DAIDO MORIYAMA Marquée par les changements spectaculaires du Japon dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, la génération de photographes à laquelle appartient Daido Moriyama contribue à l invention d un langage visuel nouveau, voulant saisir les mutations d une société nippone qui oscille entre tradition et modernité. Après des études de graphisme à Osaka, Daido Moriyama décide de se consacrer à la photographie et rejoint Tokyo en 1961. Il est profondément influencé par les photographes d avant-garde de l agence Vivo, notamment par Shomei Tomatsu et Eikoh Hosoe. Il retient du premier la fascination pour la rue et apprend chez le second le goût de la théâtralisation et de l érotisme. À la même période il découvre William Klein et Robert Frank et s imprègne de la grande liberté photographique qui les caractérise ; c est notamment d eux qu il tient sa manière de capturer ses sujets en mouvement, se servant de l appareil photo comme d un véritable prolongement du corps. Cette combinaison d influences se lit dans ses débuts, en tant que photographe indépendant à partir de 1964, puis dans les projets qu il réalise pour Provoke revue qu il rejoint en 1968. Ses images d avant-garde, transgressives et pulsionnelles reflètent la contestation et la prise de conscience japonaise. Sa première monographie Japan: A Photo Theater (1968) puis son livre d artiste Farewell Photography (1972) lui valent une notoriété immédiate. Son travail connaît dès lors un grand retentissement dans le milieu artistique tant au Japon que dans le reste du monde. Révélant le goût de l artiste pour les cadrages chancelants et les textures, ses photographies en noir et blanc très contrastées constituent l essence de son travail et contribuent à sa renommée internationale. 4

IMAGES DE TOKYO Fasciné par l étrange, l inhabituel et l extraordinaire du flux urbain, Daido Moriyama photographie la population de Tokyo et notamment celle du quartier de Shinjuku où il vit. On trouve, dans l ensemble des photographies présentées, des panneaux publicitaires défraîchis, des vitrines miroitantes, des tuyaux aux formes insolites, ou encore des profils de Tokyoïtes saisis sur le vif. Comme prises à la hâte, ces photographies témoignent de l esthétique de l instantané chère à l artiste, qui utilise un appareil photo compact qu il brandit au fil de ses balades, tel un véritable chasseur d images. Plutôt que de préparer et de cadrer avec soin ses clichés, il déclenche spontanément sans regarder dans son viseur, se servant de son corps et de ses humeurs pour capter la réalité qui l entoure. Indifférent aux techniques académiques de composition et de tirage, Daido Moriyama livre des photographies d une grande force expressive. COULEUR Dès les années 1970, Daido Moriyama prête une attention particulière à la photographie couleur, un intérêt qui va croissant jusqu à l apparition des premiers appareils numériques. Depuis le début des années 2000, il prend presque uniquement des photographies en couleur avant de les convertir en noir et blanc. Entre 2008 et 2015, l artiste réalise ainsi plusieurs milliers d images numériques puis choisit d en conserver certaines dans leur forme originelle, en couleur ; un grand nombre de ces clichés est aujourd hui présenté à la Fondation Cartier. Cette longue exploration de la photographie couleur témoigne de la pratique de l artiste et de son évolution au cours des deux dernières décennies. Loin de s opposer, les photographies couleur et noir et blanc se complètent dans l œuvre de Daido Moriyama. Si pour l artiste les photographies en noir et blanc sont empreintes d onirisme, la couleur parle sans équivoque de la réalité, du monde et des gens qui l entourent lorsqu il marche dans les rues de Tokyo : «Le noir et blanc exprime mon monde intérieur, les émotions et les sensations que j ai quotidiennement quand je marche sans but dans les rues de Tokyo ou d autres villes. La couleur exprime ce que je rencontre, sans aucun filtre, et j aime saisir cet instant pour ce qu il représente pour moi. Les premières sont riches en contraste, dures et reflètent pleinement ma nature solitaire. Les secondes sont polies, sages, comme je me présente au monde.» Nées de la confrontation directe avec la ville, ces photographies reflètent la vision du monde de Daido Moriyama, où se mêlent l intime et le réel. DOG AND MESH TIGHTS Avec le diaporama Dog and Mesh Tights conçu spécialement pour l exposition, le regard de Daido Moriyama se porte sur ce qui passe souvent inaperçu au sein du tumulte urbain. Composant un véritable journal de bord, l artiste capte ses sujets dans les ruelles désertées ou sur les murs des bâtiments lors de ses errances urbaines quotidiennes. Pendant près de neuf mois (de juillet 2014 à mars 2015), Daido Moriyama a pris des clichés dans toutes les villes qu il a visité, Tokyo, Hong Kong, Taipei, Arles, Houston et Los Angeles. Conçue comme un puzzle qui se parfait et s enrichit sans cesse, cette série forme une carte photographique du monde reflétant les relations complexes des individus avec leur environnement urbain. 5

VISUELS PRESSE 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Tokyo Color, 2008-2015 Série de 86 photographies couleur Tirages chromogènes 111,5 149 cm ou 149 111,5 cm Daido Moriyama Photo Foundation 6 10 11

12 13 14 15 16 17 18 19 20 IMAGES À TÉLÉCHARGER SUR PRESSE.FONDATION. CARTIER.COM 21 22 23 Dog and Mesh Tights, 2014-2015 Diaporama de 291 photographies noir et blanc, 25 min Musique de Toshihiro Oshima Daido Moriyama Photo Foundation 7

«SHINJUKU», PAR DAIDO MORIYAMA (Extrait du catalogue de l exposition) Lorsque je marche le soir, mon appareil photo à la main, du Kabuki-chõ à Kuyakusho-dori, puis d Okubo-dori à la gare de Shin- Okubo, il m arrive parfois de sentir un frisson courir le long de mon dos. Il ne s est rien passé de particulier, et pourtant je perçois en moi comme un mouvement de recul. Sous les néons et les enseignes lumineuses, ou dans l obscurité au fond des ruelles, se reflète une foule grouillante à la présence fantomatique. Et les réactions de ces ombres humaines, aussi subtiles que celles des insectes, se transmettent à la manière d impulsions électriques à l œil du petit appareil photo que je tiens à la main. Sous le coup de la tension, les cellules de mon corps s agitent un peu, tandis que je capte dans l air environnant ces grésillements qui précèdent l orage. Lorsque je rôde dans tous les recoins de ce quartier, enveloppé d une vague atmosphère de violence, je me répète, comme pour me défendre de ma crainte, qu aux yeux d un photographe comme moi, finalement, le seul sujet qui vaille la peine, c est Shinjuku. Pourquoi? Parce que ce quartier est unique, et qu il a conservé l allure d un gigantesque faubourg. En 1997, aussitôt après avoir terminé mon livre de photographies d Osaka, je me suis dit : «Bon, cette fois, il serait temps que je m attaque à Shinjuku!», et cette idée s est imposée à moi naturellement, mais aussi avec la sensation presque palpable d une évidence. Je venais, pendant toute une année, de photographier Osaka, une ville caractérisée par une puanteur et des contours particuliers et, peu à peu, mon intuition m avait mené à la conclusion qu un seul endroit, par sa réalité dense, pouvait l égaler et même la surpasser : cet endroit n était autre que Shinjuku. En d autres termes, pour moi chez qui déambuler dans les rues et regarder partout, un appareil photo à la main, est une seconde nature, le seul territoire encore plein de vitalité à Tokyo, ce n est évidemment ni Shibuya ni Ikebukuro, et encore moins Ginza, Ueno ou Asakusa, mais Shinjuku. Et pour un photographe de rue comme moi, il serait inconcevable de marcher dans Tokyo en portant le regard ailleurs que vers ce quartier, boîte de Pandore débordant de mythes contemporains. Shinjuku est une véritable ville, et j ai beau la fréquenter depuis près de quarante ans, elle demeure énigmatique à mes yeux. Chaque fois que je m y pose pour la contempler, elle semble, telle une chimère, me dérober sa véritable nature, et brouille ma perspective mentale comme si je m étais égaré dans quelque labyrinthe. Il serait faux de dire que je la déteste, mais quand on me demande : «Vous l aimez donc vraiment?», tout à coup je me sens réduit au silence. D autres quartiers de Tokyo comme Ginza ou Asakusa peuvent me plaire plus ou moins, mais dans le fond mes relations avec eux restent assez insignifiantes, tandis qu avec Shinjuku, c est tout autre chose : il s agit d un attachement exclusif, qui ne fait que croître. [ ] Shinjuku, qui pour moi s étend jusqu au quartier de hautes constructions connu sous le nom de «nouveau centre urbain», se projette devant mes yeux tantôt comme une toile de fond géante, tantôt comme une vaste fresque dramatique, tantôt comme un bidonville installé là pour l éternité. Et, curieusement, dans cet espace je n arrive pas à découvrir de dimension temporelle. Car à Shinjuku, on ne peut pratiquement pas trouver trace du passage du temps, ce temps qui, à sa façon, s accumule dans toute grande ville. Loin de moi l idée d esquisser un parallèle avec New York ou Paris, mais dans ces cités-là demeurent quelques marques ou formes temporelles qui permettent, dans une certaine mesure, de décrypter leur histoire. Bien sûr, on ne peut nier que certains facteurs séparent ces villes : différences de culture ou de mentalité, restes ou non de ravages dus à la guerre Mais chez ce monstre du nom de Shinjuku, les repères géographiques sont mouvants, et les repères temporels indistincts. Ce quartier, métamorphosé en bête inquiétante dont l épiderme parcouru de soubresauts va de mue en mue, engloutit tout ce qui se présente mais allez savoir pourquoi n a pas besoin de se repaître du temps. À une exception près : le 21 octobre 1968, point culminant des troubles politiques qui rayonnèrent depuis cet endroit à la fin des années 1960, dont la date est restée gravée dans les mémoires. Mais aussi bien avant qu après cet événement, le temps a entièrement disparu de Shinjuku. [ ] Pendant les quelque deux années que j ai consacrées à photographier ce quartier, toutes sortes de gens m ont demandé : «Mais pourquoi Shinjuku?» J improvisais toujours une réponse, parfois assez plausible, mais en fin de compte voici la formule qui résume le mieux ma pensée : «Tout simplement parce que Shinjuku était là.» Qu ajouter de plus? Car le Shinjuku dont je parle se reflète aujourd hui encore dans mon regard comme un faubourg immense, un sacré lieu de perdition. Les nombreux autres quartiers qui constituent la mégalopole de Tokyo ont, depuis l après-guerre, franchi d un bond toutes les décennies pour former selon moi, une fois pour toutes, des paysages aseptisés. En revanche, Shinjuku s affirme toujours comme un monstre aux couleurs franches, débordant de vie, parcouru de constants soubresauts. 8

LE CATALOGUE Le catalogue réunit l ensemble des photographies présentées dans l exposition, offrant une occasion unique de découvrir le travail récent de Daido Moriyama. Un texte de l artiste invite également à mesurer sa passion pour Shinjuku, quartier underground de la ville de Tokyo dans lequel il aime déambuler. Daido Moriyama, Daido Tokyo Édition Fondation Cartier pour l art contemporain, Paris Disponible en librairie, à la Fondation Cartier et sur fondation.cartier.com (rubrique e-shop) Version bilingue français-anglais Relié, 18 27 cm, 248 pages 377 reproductions couleur et noir et blanc Prix : 35 ISBN : 978-2-86925-122-9 ÉDITION LIMITÉE La Fondation Cartier édite deux lithographies réalisées par l atelier Idem à Paris. Imprimées à 60 exemplaires chacune, ces lithographies (45 59 cm) sont numérotées et signées par Daido Moriyama. Disponibles à la librairie de la Fondation Cartier et sur eshop.fondationcartier.com 9

BIOGRAPHIE DAIDO MORIYAMA Né en 1938 à Ikeda, Osaka Vit à Tokyo 1959 Diplômé de graphisme à Osaka, Daido Moriyama travaille brièvement comme graphiste avant de s initier à la photographie chez le photographe Takeji Iwamiya. 1961 Daido Moriyama déménage à Tokyo où il espère collaborer avec l agence photographique d avant-garde Vivo, mais arrive malheureusement peu avant la séparation du groupe. Il assiste alors le photographe Eikoh Hosoe sur sa série Ordeal by Roses réalisée avec l écrivain Yukio Mishima. Durant cette période, il découvre le travail de William Klein, Robert Frank, Shomei Tomatsu ou encore Andy Warhol, chacun d entre eux ayant eu une profonde influence sur son œuvre. 1967 Daido Moriyama reçoit le «New Artist Award» de la Japan Photo Critics Association. 1968 Parution du livre Japan: A Photo Theater (Muromachi-Shobo, Tokyo, 1968), premier livre d artiste de Daido Moriyama, suivi de la publication en 1972 de Farewell Photography (Shashinhyoronsha, Tokyo, 1972). Ces deux livres lui valent une notoriété immédiate et son travail connaît dès lors un grand retentissement dans le monde. 1969 Daido Moriyama rejoint la revue d avant-garde Provoke, fondée l année précédente par Takuma Nakahira et Koji Taki. Il participe aux 2 e et 3 e numéros avec notamment deux séries : la première est composée de nus flous pris dans un hôtel (Provoke 2, 1969), la seconde est un ensemble de photographies de bouteilles de soda, de boîtes de lessive et de bouteilles de V-8 (Provoke 3, 1969). 1970 Daido Moriyama présente sa première exposition personnelle, Scandal, au Plaza Dick de Tokyo. 1974 Le Museum of Modern Art de New York organise l exposition collective New Japanese Photography qui présente notamment 36 photographies de Daido Moriyama. Les années qui suivent sont une période de grande activité pour l artiste : en plus de nombreuses expositions et publications, il anime des ateliers de photographie et dirige une galerie appelée CAMP, exposant les œuvres d étudiants en photographie. Parallèlement, Daido Moriyama expérimente différentes techniques de reproduction comme la photocopie, la sérigraphie ou encore la photographie couleur. 1983 Daido Moriyama est élu «Photographer of the Year» par la Photographic Society of Japan. 1984 Publication de son autobiographie Places in My Memory: Memories of a Dog (Asahi Shimbun, Tokyo, 1984), dans laquelle Daido Moriyama explique l ancrage de sa pratique artistique dans des références majeures comme Eugène Atget, Jack Kerouac, Nicéphore Niépce, William Klein, Shomei Tomatsu, Andy Warhol ou encore Weegee. 1987 Ouverture de la galerie Room 801 dans le quartier de Shibuya à Tokyo rebaptisée un an plus tard Foto Daido. 1999 Daido Moriyama fait l objet d une importante rétrospective intitulée Daido Moriyama: Stray Dog au San Francisco Museum of Modern Art. 2002 Daido Moriyama remporte le «Mainichi Art Award» pour sa série Shinjuku (2002). Ces dernières photographies représentent la quintessence de sa pratique photographique. Constituée de scènes de rue, de vues de parkings, de voies ferrées, de rues désertes, d affiches déchirées, de sex-shops et de multiples détails urbains, cette série présente un portrait intime et fiévreux de ce quartier de Tokyo cher à l artiste. 2003 La Fondation Cartier pour l art contemporain organise une grande exposition consacrée à Daido Moriyama. 2011 L exposition Daido Moriyama: On the Road organisée au National Museum of Art à Osaka présente pour la première fois les photographies couleur récentes de Daido Moriyama. L ouvrage Color publié à la suite de cette exposition, regroupe 191 photographies couleur sélectionnées par l artiste parmi plus de 30 000 clichés pris entre 2008 et 2012. 2012 La Tate Modern organise une exposition intitulée William Klein + Daido Moriyama, montrant la relation étroite entre ces deux photographes. 2015 Présentée à la galerie Sozzani de Milan, l exposition Daido Moriyama in Color dévoile 130 photographies couleur prises par l artiste entre la fin des années 1960 et le début des années 1980. 2016 La Fondation Cartier pour l art contemporain organise une nouvelle exposition avec Daido Moriyama. Intitulée Daido Tokyo, elle présente des photographies couleurs récentes, ainsi qu un diaporama noir et blanc spécialement réalisé pour la Fondation Cartier. 10

DAIDO MORIYAMA ET LA FONDATION CARTIER POUR L ART CONTEMPORAIN EXPOSITION En 2003, la Fondation Cartier a consacré une importante exposition à l œuvre noir et blanc de Daido Moriyama, réunissant 200 photographies des années 1960 à nos jours. Première exposition majeure du photographe en France, cette exposition rassemblait plusieurs de ses séries parmi les plus significatives, comme Platform (1971), Lumière et Ombre (1981-1982), Hysteric (1992) et Shinjuku (2002), ainsi que l installation Polaroid Polaroid (1997). LA COLLECTION Suite à cette exposition, la Fondation Cartier acquiert pour sa collection un ensemble de 25 tirages de l artiste en très grand format, ainsi que l installation Polaroid Polaroid (1997), qui propose une reconstitution de son atelier à travers 3 262 clichés polaroïds. Cette œuvre unique a notamment été présentée en 2006 dans l exposition Collection of the Fondation Cartier pour l art contemporain au Museum of Contemporary Art de Tokyo, en 2012-2013 à la Tate Modern à Londres dans une importante rétrospective consacrée à l artiste et en 2014 dans l exposition Mémoires Vives célébrant les trente ans de la Fondation Cartier. ÉDITIONS La Fondation Cartier a déjà publié deux ouvrages, réalisés en étroite collaboration avec l artiste : Daido Moriyama 2003 Catalogue de l exposition, avec un entretien entre Daido Moriyama et Nobuyoshi Araki Yashi 2008 Édition limitée de 500 exemplaires, publiée par la Fondation Cartier pour l art contemporain et Taka Ishii Gallery, Tokyo 11

13

L EXPOSITION Du 6 février au 5 juin 2016, la Fondation Cartier pour l art contemporain présente la première rétrospective européenne consacrée à Fernell Franco, figure majeure et pourtant méconnue de la photographie latino-américaine. Photojournaliste de profession, Fernell Franco réalise en parallèle un travail personnel expressif dédié à la précarité et aux contrastes urbains de Cali, ville où il a vécu et travaillé presque toute sa vie. L exposition réunit plus de 140 photographies issues de 10 séries différentes réalisées entre 1970 et 1996, et met en lumière l importance du travail de Fernell Franco au sein de la riche scène artistique de Cali qui émerge au début des années 1970. En hommage à Fernell Franco, l artiste colombien Oscar Muñoz réalise une nouvelle œuvre spécialement pour l exposition. Commissaires de l exposition : Alexis Fabry et María Wills Londoño LES DÉBUTS «La nuit, à la campagne, on assiste au spectacle des étoiles dans le ciel. Ce que j ai compris en arrivant à Cali, c est que les étoiles étaient sur Terre.» Fernell Franco Enfant pendant la guerre civile, la Violencia qui fait rage en Colombie entre 1948 et 1953, Fernell Franco fait partie des milliers de réfugiés qui fuient la campagne pour s installer dans les quartiers pauvres et marginalisés de Cali. Il commence très tôt à travailler et apprend la photographie en autodidacte alors qu il est coursier pour un studio photographique, puis en tant que fotocinero (photographe professionnel ambulant). En 1962, il travaille comme photoreporter pour El País et Diario Occidente, puis comme photographe de mode et de publicité pour des magazines comme Diners et Elite. Son métier le confronte alors quotidiennement à la violence et aux inégalités de la société colombienne l artiste documente ainsi tout autant les émeutes urbaines et les violences du pays, que les cocktails de l élite de Cali. Stimulée par l arrivée de réfugiés fuyant la Violencia et par l essor de l industrie sucrière, Cali connaît à 14

cette époque une forte croissance démographique et économique ainsi que de nombreuses mutations urbaines. C est à ce moment qu émerge une communauté artistique extraordinairement riche, transformant l ancienne périphérie de la ville en important centre culturel. Rapidement intégré à cette scène artistique dynamique grâce à son travail de photoreporter, Fernell Franco y côtoie l écrivain Andrés Caicedo, les cinéastes Luis Ospina et Carlos Mayolo ou encore les artistes Ever Astudillo et Oscar Muñoz avec lesquels il partage une fascination pour la culture populaire et un intérêt pour la ville des thématiques alors encore peu explorées dans l art, la littérature et le cinéma colombiens. AU-DELÀ DE LA PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE : UN NOUVEAU LANGAGE VISUEL «J étais à la recherche de choses banales des choses qui se passaient dans la ville au quotidien, qui arrivaient dans la vie des gens normaux. Des choses différentes du travail que je faisais dans la publicité et la photographie de mode.» Fernell Franco Poussé par une recherche artistique intime, Fernell Franco réalise plusieurs séries photographiques saisissantes consacrées aux communautés marginalisées, aux destructions, aux transformations urbaines. Son style se différencie de celui de la photographie documentaire sociale qui prédomine alors en Amérique latine où l image transmettait son message de la façon la plus directe possible. L artiste invente un langage visuel plus suggestif, fait de ruines décrépites (Demoliciones), de paysages marins déserts (Pacífico), de ballots ficelés (Amarrados), de bicyclettes (Bicicletas), d architectures et de lieux populaires (Interiores, Billares, Color Popular). Mettant l accent sur la qualité expressive de ses photographies, il accentue les contrastes entre ombre et lumière, joue sur le grain de ses tirages et intervient souvent sur ses photographies en les rehaussant au crayon ou à l aérographe. Influencé par les effets de clair-obscur des films noirs américains et par le cinéma néoréaliste italien qu il a découverts enfant, Fernell Franco confère à ses œuvres une dimension cinématographique en y intégrant des éléments de narration et de temporalité. Prostitutas (1970) est l une de ses plus célèbres séries : elle met en scène des femmes et des jeunes filles travaillant dans l une des dernières maisons closes de la ville de Buenaventura. En choisissant le noir et blanc et en se servant du photomontage, Franco construit un récit qui décrit la vie quotidienne des prostituées dans toute sa véracité et évoque les forts sentiments de répétition et d enfermement qui s en dégagent. Les séries Interiores, Billares et Demoliciones explorent la rapidité de la modernisation, de l urbanisation et de la destruction du centre-ville de Cali. Pour Interiores (série qui marque le début de sa collaboration avec Oscar Muñoz), Fernell Franco photographie les intérieurs autrefois majestueux des vieilles demeures abandonnées et transformées en logements pour les populations pauvres et réfugiées de la Violencia. Avec Billares, il cherche à capturer l esprit des anciennes salles de billard de Cali, à un moment où ces importants lieux de sociabilité et de loisirs cèdent la place à des bars à cocktails «modernes». Dans la série Demoliciones, le photographe pointe son objectif sur les bâtiments en ruine de Cali afin de rendre compte des violences liées aux cartels de la drogue qui engendrent des destructions massives du patrimoine architectural de la ville. En photographiant ces lieux chargés d histoire, Fernell Franco évoque non seulement les violences et déplacements subis par la population colombienne mais également la difficulté de préserver la mémoire collective d un pays. Contrairement à un grand nombre de ses contemporains dont l œuvre photographique traduit directement la réalité sociale, les séries de Fernell Franco au croisement de la photographie, du cinéma et de la peinture sont métaphoriques et quasi picturales. Repoussant les limites de cette photographie traditionnelle, l artiste s extrait du paradigme documentaire pour constituer une œuvre singulière traduisant son expérience personnelle et subjective du monde contemporain. Après Paris, l exposition sera présentée au Mexique, du 27 juillet au 2 novembre 2016 au Centro de la Imagén à Mexico. 15

VISUELS PRESSE AMARRADOS «La série Amarrados a sans nul doute un lien avec des images de violence mais aussi avec ce que je voyais lorsque je m asseyais sur la place du marché en pleine activité : les bâches des étals et les choses qu on y empaquetait, qu on couvrait, qu on protégeait et qu on gardait ainsi. En travaillant à la photographie d objets inanimés, je me suis rendu compte que cette façon d envelopper avait quelque chose à voir avec celle de ficeler et d isoler la mort. Avec la façon dont on empaquette le mort pour le couvrir, pour le retirer de la vue des vivants.» 3. Série Billares, 1985 Tirage gélatino-argentique, 11,8 23,3 cm. Tirage d époque. Collection Leticia et Stanislas Poniatowski 1. Série Amarrados, 1976. Tirage gélatino-argentique, 24,6 36 cm. Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection privée, Paris 4. Série Billares, 1985 Tirage gélatino-argentique, 11,9 23,5 cm Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection Motelay BILLARES «Les billards étaient de beaux lieux que je connaissais bien et qui commencèrent à disparaître au début des années 1970, avec la rénovation de Cali. Ils furent remplacés par des bars sans alcool qu on appelait des «fontaines à soda», qui ne durèrent pas non plus. Ils répondaient à un concept importé qui sombra pour cette raison même dans l oubli.» 5. Série Billares, 1985 Tirage gélatino-argentique, 12,3 22,4 cm. Tirage d époque. Collection Naima et Bertrand Cardi, Paris 2. Série Billares, 1985 Tirage gélatino-argentique, 15,3 23,2 cm. Tirage d époque. Collection privée 6. Série Billares, 1985 Tirage gélatino-argentique, 13,9 22,1 cm Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection privée 16

COLOR POPULAR «Nous aimions tous la salsa et nous allions faire la fête dans des lieux très populaires où l on écoutait cette musique. Ce genre de choses, pour quelqu un comme moi qui venais des faubourgs, avait un sens.» 9. Série Interiores, 1979 Tirage gélatino-argentique, 7,6 18,7 cm. Tirage d époque. Collection privée 7. Série Color popular, c. 1980 Tirage chromogène, 27,8 28,6 cm. Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection Leticia et Stanislas Poniatowski INTERIORES «Avec Oscar Muñoz, nous entrions dans de vieilles bâtisses, autrefois majestueuses et converties en immeubles de rapport après le départ des gens fortunés, qui avaient abandonné le centre de Cali pour les nouveaux appartements à la mode américaine. Armés de nos appareils, nous allions y photographier l entassement des classes pauvres et des déplacés qui commençaient à peupler les lieux.» 10. Série Interiores, 1979 Tirage gélatino-argentique, 7,2 12,7 cm. Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection Evans Haji-Touma PROSTITUTAS «Au bout de quatre années passées à travailler pour l agence de publicité, j ai commencé à réaliser la série des prostituées. Ce fut ma première proposition personnelle. Ce thème des prostituées, je n aurais pu le photographier qu en noir et blanc. Ce que je cherchais en elles, c était la vérité de la vie lorsqu elle n est pas maquillée, même si elle était rude et violente. Je ne cherchais que des choses ordinaires, de celles qu on vit quotidiennement dans la ville, de celles qui surviennent dans la vie des personnes normales. Quelque chose qui soit vraiment différent de ce que je faisais dans la publicité et dans la mode.» 8. Série Interiores, 1979 Tirage gélatino-argentique, 18,7 13,7 cm. Tirage d époque. Collection privée, Paris 11. Série Prostitutas, 1970-1972 (collage) Tirage gélatino-argentiques, 50,7 73 cm Tirage d époque. Collection privée, Paris 17

VISUELS PRESSE RETRATOS DE CIUDAD «Dans mes premiers portraits de ville, j ai expérimenté la répétition des images urbaines dans un même format, et cette ville, généralement, c est Cali. Le ton des manifestations était donné à Cali, théâtre de nombreux scandales, qui se répercutaient ensuite dans les autres régions du pays.» 12. Série Prostitutas, 1970-1972 (collage) Tirage gélatino-argentique, 21,9 23,5 cm Tirage d époque. Collection privée, Paris 14. Série Retratos de ciudad, 1994 Tirage gélatino-argentiques, 18,7 24,1 cm Tirage d époque. Collection privée, Paris PACÍFICO «L atmosphère de forêt humide qui enveloppe Buenaventura est angoissante ; la pauvreté et la déchéance y languissent dans une atmosphère brutale dont l invasion des plantes et le délabrement des maisons sont la marque perceptible. C est une ville étrange, esclave de problèmes qui semblent n avoir pas de fin.» 13. Série Prostitutas, 1970-1972. Tirage gélatino-argentique, 30,5 23,5 cm. Tirage d époque. Collection Leticia et Stanislas Poniatowski 15. Série Pacífico, 1994 Tirage gélatino-argentiques, 120 104 cm Tirage d époque. Collection privée, Paris 18

BICICLETAS «Ceux qui venaient avec leur vélo ne s en séparaient pas pour dormir. Cela me rappelait ma jeunesse de coursier à vélo, et je pensais que lorsqu on est ainsi tenu à son instrument de travail pour subsister, celui-ci devient comme une extension de soi, comme une partie de son corps.» DEMOLICIONES «De la si belle architecture pratiquée dans les années 1930 et 1940, il ne reste presque plus rien. Lorsque j ai vu l ensemble de cette série de photographies, j ai compris que ce qu elle contenait dépassait les limites de Cali, même si elle avait pris naissance dans la tristesse qu avait éveillée en moi la destruction de ma ville natale. Toutes les villes d Amérique du Sud connaissent, d une façon ou d une autre, les mêmes problèmes.» 16. Série Bicicletas, 1975. Tirage gélatino-argentique, 16,4 21,4 cm. Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection Leticia et Stanislas Poniatowski GALLADAS «Chez moi, un appareil photo était quelque chose d exotique. J avais une bande d amis de quartier avec lesquels je sortais danser la salsa. L un de ces camarades de bringue et de castagne travaillait dans un laboratoire photographique, Arte Italia, et il me proposa de devenir l assistant d un des photographes. C est ainsi que je fis connaissance avec la photographie, comme coursier et comme assistant de laboratoire.» 18. Série Demoliciones, c. 1992 Tirage gélatino-argentique, 10,4 9,1 cm et 10,2 7 cm Tirage d époque rehaussé par l artiste. Collection privée, Paris Cali Clair-obscur Fernell Franco Courtesy Fundación Fernell Franco Cali / Toluca Fine Art, Paris 17. Série Galladas, 1970. Tirage gélatino-argentique, 13,7 19,4 cm. Tirage d époque. Collection privée, Paris 19

BIOGRAPHIE FERNELL FRANCO Né en 1942 à Versalles Décédé en 2006 à Cali 1951 La Violencia, guerre civile qui fait rage en Colombie entre 1948 et 1953, conduit Fernell Franco et sa famille à fuir leur village de Versalles pour s installer à Cali. 1954 Fernell Franco découvre le cinéma auquel il voue rapidement une véritable passion, fréquentant quotidiennement les salles de la ville de Cali. Le cinéma mexicain, le film noir et le néoréalisme italien ont, par la suite, une grande influence sur son travail photographique. 1956-57 Fernell Franco commence à travailler pour le studio photo Arte Italia comme coursier à bicyclette puis en tant que fotocinero (il photographie les passants dans la rue et leur vend leur portrait). 1962 Fernell Franco devient reporter-photo pour les journaux El País et Diario de Occidente, et couvre les violences et inégalités de la société colombienne ainsi que la chronique mondaine. Quelque temps plus tard, Fernell Franco commence à travailler comme photographe de mode pour l agence publicitaire d avant-garde de Hernán Nicholls. Il y rencontre de nombreux artistes, notamment les cinéastes Luis Ospina et Carlos Mayolo. Il découvre au même moment le travail du photographe Richard Avedon. 1970 Fernell Franco commence sa série Galladas, consacrée aux bandes de jeunes «galladas» en argot de la ville de Cali alors en pleine modernisation. 1971 Le 6 juillet, s ouvre à Cali un espace indépendant et pluridisciplinaire appelé Ciudad Solar. Créé à l initiative d Hernando Guerrero et Miguel González, cet espace comprend notamment un ciné-club, un laboratoire photographique et une salle d exposition, et devient peu à peu, pour des artistes comme Fernell Franco, Oscar Muñoz, Ever Astudillo, Andrés Caicedo, Luis Ospina ou Carlos Mayolo, un espace de rencontre et d échanges. 1972 Fernell Franco expose sa série Prostitutas au Ciudad Solar. Cette série met en scène des femmes et des jeunes filles travaillant dans l une des dernières maisons closes de Buenaventura. Dans une démarche expérimentale, il utilise les procédés du virage et de la solarisation pour accentuer les contrastes dans ses photographies, les zones d ombres devenant une métaphore de l oubli et de l enfermement. Soucieux de conserver la mémoire des espaces urbains en voie de disparition, Fernell Franco commence à photographier au début des années 1970 les vieilles demeures abandonnées et transformées en logements de fortune pour les populations pauvres et réfugiées. C est le début de la série Interiores pour laquelle Fernell Franco collabore pour la première fois avec Oscar Muñoz. 1978 Au cours de ses promenades dans les marchés de Colombie et d Amérique latine, Fernell Franco photographie les marchandises et étals ambulants empaquetés et ficelés donnant ainsi vie à sa série intitulée Amarrados. Fernell Franco participe à une grande exposition dans le cadre du Premier Colloque de la photographie latinoaméricaine au Museo de Arte Moderno de Mexico, au cours duquel la photographie de ce continent acquiert une dimension historique. Le livre Hecho en Latinoamérica, dans lequel sont reproduites des œuvres de la série Interiores est publié à cette occasion. 1979 Une exposition de photographies de Fernell Franco au Museo de Arte Moderno La Tertulia, à Cali, aux côtés d œuvres d Oscar Muñoz et d Ever Astudillo, met en lumière les similitudes et affinités tangibles entre les recherches plastiques de ces trois artistes. 1980 Fernell Franco commence sa série Demoliciones, dont les photographies documentent la démolition des bâtiments historiques qui cèdent la place à de nouveaux édifices plus modernes, financés en partie par les cartels de la drogue. 1981 Une grande exposition consacrée à la photographie colombienne est organisée lors de la Biennale de Venise. Intitulée Colombia en Blanco y Negro, elle réunit 23 artistes parmi lesquels Gertjan Bartelsman, Carlos Caicedo, Hernán Diaz et Fernell Franco. 1982 Une sélection de photographies présentées dans le cadre du Premier Colloque latino-américain de photographie à Mexico est présentée au Centre national d art et de culture Georges Pompidou, à Paris. 1984 L œuvre de Fernell Franco présentée à l occasion de la première Biennale de la Havane est récompensée. 1985 Fernell Franco commence sa série Retratos de Ciudad qu il réalise à Cali et dans des villes nord-américaines comme New York ou Houston 1992 Les œuvres de Fernell Franco sont exposées lors du festival international Fotofest de Houston, Image and Memory, Photography from Latin America. 2001 La conservatrice María Iovino démarre une série d entretiens avec Fernell Franco. Cet unique témoignage de l artiste a été publié en 2004 à 20

AUTOUR DE CALI l occasion de l exposition Fernell Franco: Otro Documento, présentée simultanément dans six lieux de Cali, dont le Banco de la República. 2009 L America s Society de New York organise une exposition consacrée à la série Amarrados. 2011 L exposition Cámara Ardiente : Prostitutas de Fernell Franco organisée dans le cadre du Festival PhotoEspaña présente une cinquantaine de tirages issus de la série Prostitutas. 2014 De nombreuses photographies de Fernell Franco sont présentées dans l exposition collective Urbes Mutantes : Fotografía Latinoamericana à International Center of Photography de New-York. 2016 La Fondation Cartier pour l art contemporain organise la première rétrospective européenne de l œuvre de Fernell Franco. Album réalisé par Ever Astudillo durant les années 1970. LE GROUPE DE CALI Au début des années 1970, une communauté artistique particulièrement dynamique s impose dans la ville de Cali. En 1971, la création du premier espace artistique alternatif de Colombie, le Ciudad Solar, marque le véritable changement culturel de la ville. Fondé par Hernando Guerrero dans un manoir du xix e siècle que sa famille possède dans le centre de Cali, le Ciudad Solar comprend une galerie d art, une chambre noire, un atelier de gravure, un magasin de produits artisanaux et des logements pour les artistes, dont la présence confère au lieu une atmosphère communautaire. Le Groupe de Cali est le nom donné aux artistes associés au Ciudad Solar, comme le grand écrivain colombien Andrés Caicedo ou les réalisateurs Luis Ospina et Carlos Mayolo. Tous ces artistes partagent un intérêt pour la culture populaire et la ville des sujets jusque-là peu explorés dans l art, le cinéma ou la littérature colombienne. Parmi ces artistes visuels qui s intéressaient à des sujets liés au cadre urbain, se trouvaient Ever Astudillo (1948-2015) et Oscar Muñoz (1951). Le travail de ces deux derniers est présenté ici à travers une série de photographies et de dessins de la ville de Cali réalisés par Ever Astudillo, ainsi qu une installation commandée spécialement par la Fondation Cartier à Oscar Muñoz en hommage à Fernell Franco. S étant progressivement liés d amitié, Fernell Franco, Ever Astudillo et Oscar Muñoz exploraient souvent la ville ensemble pour leurs différents projets artistiques. Une exposition collective organisée au Museo de Arte Moderno La Tertulia, à Cali, en 1979, a révélé les nombreuses affinités artistiques entre ces trois artistes. OSCAR CAMPO Le documentaire Escritura de luces y sombras réalisé par le cinéaste colombien Oscar Campo en 1995 et présenté dans l exposition donne la parole à l un des photographes les plus inventifs du continent sudaméricain. En rencontrant ainsi Fernell Franco dans son atelier ou au détour de ses errances dans la ville, le visiteur découvre les influences et inspirations de l artiste ainsi que ses techniques photographiques novatrices et expérimentales. SALSA C est dans le Barrio Obrero, quartier populaire de Cali et berceau de la salsa caleña ou «Cali style», que Fernell Franco s installe après avoir quitté son village natal de Versalles avec sa famille. Passant le plus clair de sa jeunesse à arpenter la capitale, il s imprègne de l esprit et du rythme endiablé de la salsa. Pour l exposition de sa série photographique Prostitutas au Ciudad Solar en 1972, Fernell Franco souhaitait intégrer de la musique dans l exposition afin de recréer l ambiance animée et l allégresse caractéristique des bistrots, restaurants, discothèques et maisons closes de Cali. 21

CALI CLAIR-OBSCUR PAR MARÍA WILLS LONDOÑO (Extrait du catalogue de l exposition) VOLEUR DE BICYCLETTE Comme de nombreux jeunes provinciaux en Colombie, Fernell Franco a grandi dans un quotidien chargé de violence. La guerre entre conservateurs et libéraux, qui faisait rage au milieu du xx e siècle, a bien évidemment marqué la création artistique de l époque, concentrée en une modernité élaborée à partir de la peinture et de la sculpture. Franco n était alors qu un enfant de la campagne, vivant dans un village nommé Versalles, où son père travaillait à différentes affaires (il fut même le notaire du village) et s occupait du domaine familial, tandis que ses opinions libérales lui valaient les menaces constantes des conservateurs. Lettres anonymes, coups de machette frappés à sa porte, multiplication des assassinats politiques poussèrent la famille à s exiler en ville. Franco n avait alors que huit ans. De ses souvenirs d enfance, celui de sa rencontre avec la ville demeure, dit-il, l un des plus marquants : «En termes visuels, la ville signifia pour moi que la nature s absentait de mon environnement, que je perdais l horizon auquel je m étais habitué étant enfant ; c était un changement brutal pour ce que les hommes avaient construit, édifié.» La ville en croissance rapide qui accueillit Franco fut Cali, dont la proximité avec la côte Pacifique lui permettait de recevoir cette brise de mer tant vantée par les artistes et de s ouvrir largement aux influences culturelles, car elle était plus proche qu aucune autre du plus grand port de Colombie à l époque, Buenaventura. [ ] C est à l âge de douze ans, lorsqu il commença à travailler comme coursier à bicyclette pour le compte d un laboratoire photo tenu par des immigrants italiens, que Franco découvrit la diversité des conditions socioculturelles qui sont la marque de l urbain. Sur le trajet de ses courses, il appréhendait, dans l indéfinissable émerveillement qui naît du désordre, les dimensions de la ville et les contrastes sociaux qu elles engendrent. Ainsi décrit-il cette découverte : «Dans chacun des métiers que j ai exercés, je me suis rendu compte qu on n en finissait jamais de déchiffrer les codes d une ville. Si je me suis attaché à la compréhension de cet espace, c est parce que ma rencontre soudaine avec le monde urbain a marqué ma vie. Ce fut toute une énigme, que j ai tenté de résoudre en même temps que je me l appropriais 1.» Plus qu un lieu, la ville fut dès lors pour Franco un amplificateur de sensibilité ; son caractère tranquille et patient lui permettait de voir ce que les autres ne percevaient pas : les coins et les fissures, les personnages solitaires et les architectures oubliées. Franco voulut, sans conteste, être le photographe d atmosphères condamnées à disparaître. Le délabrement et la ruine qu il percevait lors de ses trajets ou de ses promenades dans les villes qui commencèrent à bicyclette lui permirent de saisir les espaces des limbes des «nonlieux», pour reprendre le nom donné par l anthropologue Marc Augé aux espaces de transit qui, s ils n avaient pas existé dans ses photographies, eussent sombré dans l anonymat. [ ] PREMIER AMOUR, PREMIÈRE ŒUVRE Le premier amour de Franco fut le cinéma. Quand il avait douze ans et n avait pas d argent, il parvenait à convaincre des spectateurs d acheter deux billets, et il restait des jours entiers, fasciné, devant l écran. Son esthétique naquit de son expérience des quartiers populaires, dans la gaîté, les danses, les mélodrames de leurs 1. María Iovino, Fernell Franco, otro documento (2004). habitants, mais aussi dans les scènes du cinéma populaire mexicain, qui montraient une réalité toute proche pourtant faite art. Le cinéma était alors, sans aucun doute, l art le plus familier au peuple et à la multitude. On peut affirmer que l œil de Franco fut formé par le cinéma. Il y trouva son université de l image, qui lui enseigna comment, d une abondance culturelle trop luxuriante, naissait la commune condition de la ville latino-américaine, mélange paradoxal d humour, de tragédie et de pauvreté. Comme il le souligne lui-même : «Les fêtes populaires d alors n étaient pas comme aujourd hui des fêtes privées. La musique s entendait dans toute la rue et tout le quartier était ainsi invité à participer. Un quartier très pauvre et, quoiqu il n y eût aucune violence, qui était aussi celui des prostituées.» Le film noir américain, avec sa façon particulière de traiter la rencontre de l ombre et de la lumière, le passionnait également. C est néanmoins avec le néoréalisme italien que l identification fut la plus forte. Ce cinéma, qui montre la réalité et la pauvreté avec une grande poésie, captiva Franco et le poussa certainement à photographier les immeubles de rapport, les lieux abandonnés, les filles de joie, les bars, ainsi sans doute qu à réaliser une série sur la bicyclette. Il voyait dans le néoréalisme le contrepoint des films américains, où le monde est maquillé et déguisé, comme il l est dans la publicité, domaine dans lequel il avait travaillé en tant que photographe. [ ] Auparavant, c était dans la publicité que son regard créatif et affranchi des règles allait le mieux s imposer. Sous la houlette des responsables d agence Carlos Duque et Hernán Nicholls, il put faire valoir un point de vue original. La publicité était alors en Colombie une discipline naissante et la photographie apprenait à illustrer ses logos et ses slogans pour produits commerciaux. L agence Nicholls Publicidad ne pouvait être comparée à aucune autre, pour la bonne raison qu Hernán Nicholls était un pionnier. Ses studios devinrent un champ d expérimentation pour les artistes, stylistes et graphistes ; il était 22

l ami des jeunes espoirs du cinéma et de la littérature de Cali, comme l écrivain avant-gardiste et critique Andrés Caicedo, mort à l âge de vingt-cinq ans, ou comme les cinéastes Carlos Mayolo et Luis Ospina, qui bénéficièrent de sa générosité et purent utiliser son matériel pour certains de leurs tournages. C est dans cet univers que prit forme le projet qui allait changer la vie de Franco : la série Prostitutas (1970-1972). Las de la frivolité du monde de la mode et de la publicité, le photographe profitait de son temps libre pour se rendre au port de Buenaventura, dont le délabrement le fascinait. On pourrait dire qu il a découvert son style en photographiant la ruine, l oubli, la «noire dégradation» que laissent voir les villes des tropiques, où la pauvreté et le sous-développement sont des plaies endémiques contre lesquelles toute lutte semble vaine 2. Franco connaissait depuis les années soixante-dix les maisons closes du quartier de Pilota, à Buenaventura. Il y avait rencontré le côté obscur de la sexualité féminine marchandisée, mais y avait aussi trouvé une complicité avec des femmes de chair et d os, dans un quotidien souvent drôle au cœur de leur tragédie 3. Avec cette timidité qui est plus une qualité qu un défaut, il parvint à les photographier dans toute leur sensualité, la plupart allongées sur un lit, en négligé, révélant leur corps 2. «Après avoir terminé la série Prostitutas se souvient Franco, j allais encore à Buenaventura, pour tenter de comprendre la singularité du lieu, tellement étonnante dans sa noire dégradation. La touffeur de forêt humide qui enveloppe Buenaventura est angoissante ; la pauvreté et la déchéance y languissent dans une atmosphère brutale dont l invasion des plantes et le délabrement des maisons sont la marque perceptible. C est une ville étrange, esclave de problèmes qui semblent n avoir pas de fin.» 3. Le texte de présentation de l exposition Prostitutas, à la galerie caleña de la Ciudad Solar, est écrit par Nicolás Buenaventura : «Ce sont des images artistiques parce qu elles démasquent ou démontent toute la machinerie sadique de l idéologie officielle journalistique et qu elles produisent tout à coup de la réalité : les putains de Buenaventura cessent d être des putains non pas tant dans l exposition que dans la vie réelle et tous leurs accessoires cessent d en faire des marchandises ; il se produit qu elles sont des êtres humains, de beaux visages purs, enfantins, féminins, encore vierges. Et les objets qui les entourent, leurs portes, leurs murs, leurs lits, leurs vêtements sont légitimes, ils ont la dimension humaine de l artiste.» réel, bien loin de la fausse perfection qu il voyait dans sa vie de photographe de mannequins posant pour de grandes marques de vêtements. Les images qui composent la série Prostitutas sont le fruit d une démarche presque ethnographique par laquelle Franco s est immiscé dans la culture tropicale et musicale du port. Caché derrière son appareil, il parvint à se fondre dans le décor tragique de la prostitution, non pour offrir une version sensationnaliste de la misère, mais pour faire apparaître la beauté qui se manifeste dans la dégradation des villes de la modernité frustrée. Par son office des ténèbres, Franco révèle cette obscurité, captée dès la prise de vue, accentuée au laboratoire, comme symptôme de la disparition et de l oubli. Avec cette série, il confirmait sa puissance artistique et usait de la photographie en malmenant ses règles intrinsèques et traditionnelles, pour créer une expérience plastique où la lumière est un moyen d exploration, où des zones d obscurité totale deviennent la parfaite métaphore de l oubli. Il se servait aussi du virage et de la solarisation dans une démarche expérimentale, car il ne prétendait pas au contrôle absolu, mais cherchait au contraire, paradoxalement, à mettre en place une dérive de l image. Nous voyons des plis, des courbes et des visages dont les tonalités révèlent une esthétique «vampire» nourrie de ces personnes ambiguës : nous ne savons pas si ce sont des femmes ou des petites filles. [ ] TROIS ARTISTES, UNE SEULE CALI [ ]Franco fut le mémorialiste d espaces en voie de disparition. Ses photos de la série Interiores, qu il présenta dans l exposition de 1979, bien au-delà d un témoignage sur le quotidien et le logement dans le centre de Cali, sont de sublimes peintures d ombres et de lumières. Il saisit comme personne la portée presque métaphysique d un contraste de lumière poussé à l extrême. Et ce contraste ne l intéresse pas seulement parce qu il est intimement lié à la géographie et à la météorologie de Cali, où les lumières naturelles sont aveuglantes, mais aussi par son acception sociale, particulièrement visible dans une ville dont la croissance est si rapide, où les déplacés ne cessent d arriver de la campagne pour habiter ces lieux de passage. [ ] ATTACHER LE CONTINENT [ ] Réalisée entre 1980 et 1995 environ, née des déambulations de l artiste sur les marchés des rues et des places d Amérique latine, la série Amarrados fut présentée en 2009 à l Americas Society de New York. Les déplacements de population sont en Amérique latine une donnée commune de la condition sociale. De nombreuses personnes vivent du commerce informel et ambulant ; la place du marché, chaque jour modifiée, y apparaît donc comme l un des espaces emblématiques de la ville. Les images montrent des paquets, des ballots, des agglomérations d objets emballés dans de la toile, ficelés et ainsi mis à l isolement, protégés à l heure d être abandonnés sur les étals ou sur le pavé quand le marché ferme. Les prises de vue sont réalisées au lever du jour lorsque les lieux sont déserts et que nulle présence humaine ne vient troubler la solitude des objets, avec une pellicule noir et blanc, avant que les tirages ne soient retravaillés à l aérographe. Soulignons cette volonté d isoler l objet par le cadrage, comme le permet la photographie une possibilité qu avaient déjà explorée les surréalistes comme Brassaï, Man Ray ou Hans Bellmer. Ces photos, qui pour Franco sont une allusion à la mort et qu il associe aux momies égyptiennes, ouvrent aussi la réflexion sur les limites diffuses qui s établissent entre l espace public et l espace privé. Et quoiqu il décrive des marchés et des places publics, Franco privilégie un regard éminemment intime, qui porte une connotation de secret, de sanctuaire, d intériorité. Amarrados est une des séries qui révèle la condition latino-américaine de l artiste, dont l œuvre est d une sophistication sans exemple dans l histoire de la photographie sur le continent. 23