La Duchesse Marguerite de Gonzague à Gérardmer et au Hohneck



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Transcription:

La Duchesse Marguerite de Gonzague à Gérardmer et au Hohneck Par Alban Fournier. «Le bon duc Henry II» fut un habitué de Plombières, il y allait jusqu'à deux fois par an. En 1623, il vint comme de coutume, mais cette fois, avec sa seconde femme, la duchesse Marguerite de Gonzague. Celle-ci, sans doute, ne prenant pas les eaux, voulut visiter les montagnes «de Vosge» comme on disait alors : c'est le récit de cette excursion que je veux raconter aux lecteurs de l'annuaire général des Vosges. Marguerite de Gonzague, fille de Vincent de Gonzague, duc de Mantoue et d'eléonor de Médicis était par celle-ci, nièce de Marie de Médicis reine de France et par conséquent de Henri IV. Elle épousa le duc Henri II, déjà veuf, en février 1606 et fit son entrée solennelle à Nancy, le 15 juin 1606. Ce furent Polidor Ancel, conseiller d'état et auditeur des comptes, et Jean L'Hoste qui furent chargés d'organiser et de diriger ce voyage. De Polidor Ancel rien à dire ; mais Jean l'hoste est une gloire Lorraine : il prit d'abord sa licence de droit, sans trop d'enthousiasme du reste ; un jour, il lui tomba entre les mains les Éléments d'euclide, les lut et... comprit! Il fut saisi, dit Dom Calmet, de cet enchantement que produit la géométrie sur les grands esprits. C'est ainsi qu'il devint mathématicien. Les mathématiques étaient alors inconnues en Lorraine ; il en fut l'initiateur. De géomètre, il devint ingénieur et ingénieur distingué, puisqu'à son grand honneur, il construisit en partie les fortifications de Nancy et celles de Marsal. I Il ne paraît pas que le duc Henri fut de l'excursion : il resta sans doute à Plombières, d'après l'avis de son médecin Berthemin qui avait écrit, sur son ordre, un traité (1614) sur les eaux de Plombières. II

C'est le 20 juin qu'arriva, à Gérardmer, la duchesse Marguerite et sa suite. On le pense bien, ce fut un bien gros événement dans le pauvre petit village : c'est à la chapelle ornée de verdure, pavoisée de bannières aux couleurs des ducs et des princes de Mantoue que se rendit tout d'abord la souveraine ; elle allait remercier Dieu d'un voyage qui, à cette époque, n'était pas des plus faciles. Cette chapelle placée au Calvaire (cimetière actuel), construite en 1540, était dédiée aux saints Barthélemy et Gérard ; elle existe encore. On ne sait où logea la duchesse ; chez le maire, sans doute, car à cette époque il n'habitait au lieu de Gérardmer, aucun noble qui put lui offrir l'hospitalité. La suite de la noble visiteuse fut installée chez les autres habitants. Ce ne dut pas être chose facile, car, à cette époque, il n'y avait à Gérardmer que 443 habitants, dont la plupart étaient éparpillés sur la surface de son vaste territoire. Le groupe formant le centre était bien mince : c'était le Trexeau, sur la rive orientale du lac et sur le bord droit de la Jamagne ; on y voit encore des maisons portant le millésime de 1500. C'est donc dans une de ces humbles et modestes maisons que logea la princesse. Elle ne s'en plaignit pas ; nous verrons plus loin quel bon et excellent souvenir elle emporta de sa fugue aux montagnes de Gérardmer. A cette époque Gérardmer savait déjà bien recevoir les étrangers. III Le temps était magnifique ; on décida d'aller au Hohneck. Il n'y avait, à cette époque, d'autre chemin que celui qui remonte, à partir du Saut-des-Cuves, la rive gauche de la Vologne, par Xonrupt. C'est à cheval, à âne, que partit la caravane. On s'arrêta à la chapelle St- Barthélemy, perchée sur une éminence dominant le lac Longemer et entourée, comme tous les lieux consacrés des Vosges, de tilleuls. Ce fut un gentilhomme de la suite du premier duc héréditaire de Lorraine, Gérard d'alsace, qui fonda cette chapelle : Bilon, tel était le nom de ce seigneur, se décida «d'aller servir Dieu au désert le plus affreux qu'il rencontreroit dans le sein du Mont de Vosge. Il va pénétrant si profondément les vallons obscurs d'iceluy qu'enfin il se trouve en présence d'un petit lac appelé depuis Longue-mer, s'arrêtant là il y bastit une chappelle du nom de St-Bartholomei et à luy une cellule...» (Ruyr, 1056). http://www.ecrivosges.com - page 2 / 5

Dédiée à St-Barthélemy, cette chapelle est aussi sous le vocable de St- Florent, le protecteur du voyageur contre les bêtes féroces qui pullulaient alors dans cette région et également contre les attaques du diable logé dans un rocher voisin, haut placé - la Chaire du diable autrefois, et aujourd'hui : Roche du diable. Malheur au pèlerin anuité qui, revenant de l'humble chapelle de ce «Monsieur Saint-Florent» négligeait de faire le signe de la croix en passant au bas de cette roche maudite! Comme une mince feuille de bouleau, il était enlevé dans les airs et s'en allait tomber lourdement dans les eaux noires du lac de Retournemer, pendant qu'une lueur effroyable en éclairait les rives sombres et désertes. C'est dans cette chapelle que la duchesse Marguerite contempla un dévidoir fameux qui, tourné du bon côté, guérit «la colique» ; aussi ai-je employé à dessein le mot contemplé, car j'espère que ni la princesse ni aucune personne de sa suite ne se trouvaient dans la nécessité de faire tourner le dévidoir... Les dévotions faites à Saint-Barthélemy et à Saint-Florent, dont le pèlerinage était encore très fréquenté (24 août), la caravane longea la gauche de Longemer ; les trompettes qui la précédaient purent réveiller un écho merveilleux ; peut-être y en eût-il qui tentèrent de pêcher pour capturer ce brochet énorme, pris jadis par Charlemagne, auquel il fit attacher une clochette d'or et qu'il rejeta au lac ; car celui qui reprendrait ce poisson monstrueux, ou plutôt la clochette d'or, jouira de toutes les félicités possibles sur cette terre ; il y avait là de quoi tenter plus d'un courtisan. On arriva à Retournemer alors désert ; le lac, bien plus grand que de nos jours, occupait tout le fond du cirque ; il était alors, comme aujourd'hui, entouré de magnifiques hêtres. IV Là, commençait la rude montée. On dut laisser les chevaux pour aller à pied ; seules les dames restèrent sur des ânes. Plus d'une fois, il fallut mettre pied à terre, tant le chemin était difficile, mais tous étaient en joie et personne ne songeait à se plaindre. C'était le maire de Gérardmer, accompagné de ses filles et d'autres habitants, qui était le guide ; une de ses filles s'avisa de cueillir un superbe Pied de cheval des forêts (Adenostiles albifrons) et de l'offrir à la duchesse qui, enchantée, accepta avec joie ; alors, ce fut à qui se mit à cueillir de ces belles fleurs qui tapissaient le sol de la forêt. Enchantées et encouragées par la manière si gracieuse dont la princesse Marguerite avait accepté la première fleur, les femmes, les filles de Gérardmer, V http://www.ecrivosges.com - page 3 / 5

qui escortaient la caravane, se mirent à composer à leur tour un superbe bouquet de ces fleurs rares qui croissent sous la forêt et sur les gazons des chaumes et l'offrirent à la duchesse ravie qui accepta encore... C'est ainsi que l'on arriva, chargé de fleurs, au sommet du Hohneck. Le maire, faisant l'office de président du Club alpin, servit de cicérone ; le temps était d'une limpidité parfaite ; il montra tout jusqu'au Donon qui, à cette époque, passait pour le point le plus élevé des Vosges. Mais l'appétit était venue, la soif aussi : on se dirigea vers une fontaine bien connue par son eau claire et fraîche : c'est là que princesse et seigneurs s'assirent sur le gazon et se restaurèrent servis par les filles et les femmes de Gérardmer. La duchesse but de cette eau qu'elle trouva délicieuse ; elle pouvait en boire impunément malgré sa grande fraîcheur (+ 7 ), à la condition d'avaler en même temps, une feuille de ce cresson qui y croît en abondance ; par ce moyen, on évitait tout refroidissement ; mais il fallait bien se garder de mâcher, car ce cresson est si amer que l'on peut se croire empoisonné! La duchesse n'était pas la première princesse qui eut bu à cette source ; déjà, celle-ci avait eu l'honneur, soixante-deux années auparavant (1560), de désaltérer une autre duchesse, Christine de Danemark, visitant Bussang, La Bresse, Gérardmer. Aussi, depuis ce jour, était-elle appelée : Fontaine de la duchesse. Cependant la commune de La Bresse, le Club alpin ont mis à cette source - la plus élevée de la Moselotte -, une plaque rappelant que la princesse Marguerite de Gonzague s'y était désaltérée et que, depuis ce jour, on l appelait Fontaine de la duchesse. Christine de Danemark, dans son voyage, ne cherchait que des minerais ; elle n'avait pas hésité à se mettre à la tête d'une «mission exploratrice» chargée de découvrir des mines d or et d'argent. Au contraire, Marguerite de Gonzague n'était venue là que pour admirer nos belles montagnes ; aussi nos cœurs reconnaissants d'alpinistes n'ont pas hésité à infliger une entorse à l'histoire et à lui attribuer le nom donné â cette fontaine. VI Il fallut revenir : on passa par La Bresse, Cornimont pour rentrer à Nancy. L'impression, le souvenir laissés à Marguerite de Gonzague, par cette rapide visite dans nos montagnes de Gérardmer, furent si vives, qu'elle projeta de se bâtir une «maison de plaisance» sur les rives du lac ; elle demanda au duc, son mari, de lui donner la «mer de Gérardmer» comme on disait alors : VII http://www.ecrivosges.com - page 4 / 5

«Henry... notre très chére et très aymée compagne et espouse, Madame Marguerite, ayant désiré de se veoir gratifiée du lac qui nous appartient près et au dessus de Gérardmer au pied de nos Chaulmes... pour estre la contrée qui renferme ledict lac grandement delectable et se remontrer commodité d'y bastir quelque maison de plaisance... sçavoir faisons que, pour donner à icelle le contentement qu'elle auroit deu se promettre de notre affection singulière envers elle, par réciprocité de celle qu'avec excès de ses bonnes volontés elle nous tesmoigne journellement... avons pour nous et nos successeurs ducs de Lorraine, donné, concédé et transporté à Madame Marguerite de Gonzague... a perpétuité ledict lac...» (25 novembre 1622). Hélas! la duchesse ne put réaliser son projet au grand détriment de Gérardmer : le duc Henri mourut deux années plus tard (1624), sa succession au trône ducal fut l'objet de grosses difficultés et puis, la Lorraine allait entrer dans cette période des guerres du XVIIe siècle qui la dévastèrent et la ruinèrent totalement. La duchesse enfin, mourut le 7 février 1632. Ce ne fut que deux siècles plus tard que l'on commença à «bastir quelque maison de plaisance» à Gérardmer. Il est bon de rappeler ces souvenirs et de faire connaître le nom d'une princesse qui aima Gérardmer, voulut en faire un lieu de villégiature, parce qu'elle pouvait y satisfaire son amour des grands spectacles de la nature. Publié dans l Annuaire général des Vosges 1896, par Léon Louis, p. 42-46. http://www.ecrivosges.com - page 5 / 5