Vers le miroir vert. Mercredi 04 JANVIER 1898



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Vers le miroir vert Mercredi 04 JANVIER 1898 En cette fin d'après-midi brumeuse, j'avais rendez-vous avec un ami pour une histoire de contrat. Nous avions décidé de nous retrouver à l'heure du thé et j'en profitais pour me rendre chez le cordonnier pour doubler une clef. Habitant à l'opposé du lieu de retrouvailles, je pressai le pas. J'entrai dans une petite ruelle sombre où je trouvais habituellement mon cordonnier. Je poussai la porte de l'échoppe. La petite clochette tinta pour signaler ma présence et le vieil homme sortit de l'arrière-boutique. «Je peux peut-être vous aider, commença-t-il. Bonjour, pouvez-vous me faire un double de cette clef? demandai-je en lui présentant. Naturellement, c'est mon métier! Donc... je peux vous la laisser? Évidemment. A quel nom? Mr James. Bien. Et je peux venir les chercher... Ce soir», me coupa-t-il. Il n'avait pas l'air de bonne humeur. L'aurais-je dérangé? Sortant ma montre à gousset, je m'aperçus de l'heure tardive et, pour ne pas faire attendre mon ami, quittai la boutique et me rendis au rendez-vous. Mon camarade et moi nous séparâmes vers 18h30 et je retournai chez le cordonnier. Une fois de plus, la clochette tinta et il sortit de derrière le comptoir. Lorsqu'il me vit, il désigna un petit paquet en papier kraft près de la caisse. «Vos clefs, me dit-il. Ah! m'exclamai-je, et bien, merci beaucoup. Je vais fermer, dépêchez-vous!» me cria-t-il. Je m'apprêtai à saisir mon paquet mais m'arrêtai brusquement. En effet, un paquet identique se trouvait aux côtés du premier. «Lequel est le mien? Le premier, celui avec le sceau de cire violet, me lança-t-il. Merci, bonne soirée.» Je sortis. Il m'avait semblé que l'autre paquet portait un sceau de cire vert émeraude mais, après tout, quelle importance? Indifférent, je rentrai chez moi. La seconde clef était très réussie. Les petites incrustations qui l ornaient semblaient presque même mieux que sur l'originale. Tout en m'extasiant sur mes clefs, je me rendis compte que j avais oublié de payer le cordonnier. Peut-être était-il encore là... M'élançant dans la nuit froide, je retournai le payer. Chose étrange, je ne retrouvai pas la boutique cette nuit-là. Comme si elle s'était volatilisée... Un peu perturbé par les évènements, je rentrai me coucher. Jeudi 05 JANVIER 1898 Je me réveillais avec un terrible mal de crâne. J'étais en sueur, comme si je sortais d'un cauchemar. Je fis venir un médecin qui me prescrivit et fournit quelques pilules d'une étrange couleur vert clair et me fit une piqûre.

«Aïe!!! Voilàaa... Ce produit peut avoir des effets secondaires nocifs mais il vous soulagera, du moins pour l'instant, je pense. Ah, vous pensez, et... c'est tout? m'exclamai-je, un brin ironiquement. Oui, c'est tout. Pourquoi donc? En voulez-vous à nouveau? Sans façon, merci. Reposez-vous bien!» me lança-t-il avant de partir. Je restais là, seul, avec mes trois pilules et mon pansement à l'endroit où sa seringue avait perforé ma peau quelques secondes auparavant. Ma veine me faisait très mal. J'eus beau essayer de me reposer, rien n'y fit. J'avais trop chaud et lorsque je me levais, j'avais froid. Puis vinrent les hallucinations. La fièvre, sans doute... Des rats vinrent prendre le thé et m'en proposèrent. Je ne répondis pas alors ils haussèrent les épaules et continuèrent à préparer des bouilloires et des bouilloires de thé. Un véritable océan! Une colombe, avec ses œufs, vint cuisiner. Elle prépara des sablés et les enfourna. Pendant qu'ils cuisaient, elle fit le glaçage. Un gros chat de gouttière prit le relais avec un Pudding recouvert de caramel crémeux et d une petite griotte au sommet. La colombe peignait de beaux motifs sur ses biscuits. Je nageais dans le thé des rats mélangé avec des torrents de sueur. Je me levai et me dirigeai vers les rats, leur demandant de leur breuvage pour avaler mes pilules: ils refusèrent. J'avais froid et des cristaux de glace se formaient autour de moi. J'allai dans la cuisine, engloutis mes médicaments et mis ma tête sous l'eau du robinet. Je m'évanouis en écrasant le chat. Je me réveillai vers 16h, en pleine forme mais dans ma salle de bain. Je me changeai et décidai de sortir payer le cordonnier. En descendant, je croisai ma concierge. «Il y a deux lettres et un paquet pour vous. Je sors. Gardez-les jusqu'à mon retour. Je ne serai pas long. Ne les oubliez pas. Ne vous inquiétez pas pour ça.» L'échoppe du cordonnier séparait le magasin de musique et la librairie la veille encore. Or, ces deux magasins n'étaient plus séparés; l'échoppe avait bel et bien disparu. Une petite fontaine avait poussé là, au milieu de la ruelle. M'asseyant sur le bord pour reprendre mes esprits, je la scrutais, absorbant comme une éponge tous ses moindres détails, au cas où elle disparaîtrait aussi. Trois serpents s'entremêlaient en colonne pour ne former qu'un. Il crachait une eau pure, limpide et claire qui s écoulait sur ses écailles. Dans le fond du bassin, une serrure (ou une sorte de cadenas) se découpait, encadrée par de petits serpents. Une sorte de porte, en fait. Une petite voix me conseilla: «Il y a une solution bien précise pour savoir si tu as rêvé.» Bien sûr: la clef! Je retournai en hâte chez moi, montai les escaliers vers mon appartement, en passant rapidement par la loge de ma concierge pour le courrier. Je déverrouillai et ouvris ma porte... Je restai cloué sur le seuil. Mon paquet tomba bruyamment au sol, suivi par mes lettres, elles, moins bruyantes. En effet, tous les tiroirs de tous mes meubles avaient été ouverts et vidés, les vêtements par terre, le secrétaire en désordre, la vaisselle cassée... Bref, le bazar partout! En tout cas, les cambrioleurs avaient trouvé ce qu'ils cherchaient: ma nouvelle clef! Le paquet avec le sceau couleur aubergine gisait au milieu de la pièce, déchiré. «Mais je n'ai pas rêvé, c'est bien le motif de l'enseigne du cordonnier!» Je ne savais pas si c'était la réponse que j'attendais. Tout était plus désordonné dans ma tête que dans mon appartement. «Bah! Il y a bien des fontaines qui apparaissent toutes seules!» me répétait ma petite voix. Après avoir rangé mon appartement, je posai mon courrier sur mon bureau et partis prendre

un bain pour me changer les idées... J'essayais de ne plus penser à rien pendant que des bulles parfumées éclataient autour de moi. Le paquet fut mon premier centre d'attention: une énorme clef de la taille d'un bras d'homme avec des serpents enroulés sur la base et incrustés tout autour. La clef elle-même était un serpent, plus vrai que nature. Je regardais sur le paquet s il n'y avait pas une adresse d'expéditeur, car je doutais que cette clef me fût destinée. Rien. Pas d'adresse de retour. Je saisis la première lettre qui tomba sous ma main: une enveloppe noire scellée par de la cire argentée sans tampon. Une étrange lettre. Je l'ouvris et en sortis un carton noir sur lequel se détachaient des lettres argentées: Black Letter «Black Letter?» C'était tout? Qu'est-ce que ça voulait dire? Je refermai l'enveloppe et la posai sur le paquet. La seconde enveloppe était blanche et parcheminée. Un sceau de cire rouge en défendait l'ouverture. Le motif du tampon me rappelait celui de...du...du cordonnier! Mr James, Il faut que je vous voie pour régler cette grave situation. Il y a deux possibilités: Soit vous avez reçu la Black Letter, dans ce cas, venez dans l'immédiat. Soit vous ne l'avez pas, ça ne devrait donc pas tarder. Venez le plus vite possible. De toute façon, la situation est des plus graves. Amenez la clef du serpent. Votre modeste cordonnier. Cette fois, je ne rêvais pas. Je ne pouvais pas rêver! Même si je pensais devenir fou, je sortis en courant avec mon paquet et mes lettres sans prendre le temps de fermer mon appartement ou d'éteindre la lumière de mon bureau. Je courus jusqu'à la ruelle. Pas de cordonnier ni de magasin. Juste la fontaine. Quel idiot! Quel naïf! Quelqu'un avait juste voulu me faire un mauvais tour... Je m'appuyais sur la fontaine, essoufflé. Un frisson manqua de me faire vomir... Je me rendis compte que je n'avais rien mangé depuis la veille, à l'heure du thé! Il faisait nuit, ma vue se brouillait, je m'évanouis encore une fois... Un bruit me réveilla: le cordonnier accourait vers moi, poursuivi par d'étranges hommes en uniformes. Je n'eus pas le temps de prononcer un mot qu'il me prit la clef du serpent, la planta dans la serrure de la porte au fond du bassin, tourna la clef et me saisit par le bras. «Je suis désolé, ça risque d'être douloureux. Surtout que c'est votre première fois, n'est-ce pas? me dit-il en souriant. Pardon?» Je me sentis aspiré, le vide autour de moi. Puis, plus rien. Vendredi 06 JANVIER 1898 (?) Un bruit de porte me réveilla. J'avais peur d'ouvrir les yeux quand une voix d'homme m'appela: «Je sais que vous ne dormez pas. N'ayez pas peur d'ouvrir les yeux, ça signifie avoir peur de la vie. J'ai peur de la mort», dis-je.

J'entendis l'homme s'esclaffer de rire avant de prononcer quelques mots. Je compris quelque chose comme: «Un vrai gamin!» ou autre phrase humiliante. J'ouvris les yeux. Il me semblait que tout était nacré et brumeux autour de moi, pendant un instant. Le cordonnier se pencha au dessus de moi. Je me dressai sur mon séant, bel et bien réveillé! «Où suis-je? Que s'est-il passé? Pourquoi je... Doucement les questions! J'entends tes pensées et je vais y répondre.» dit-il. Et il posa deux doigts sur mon front. Une sorte de film ou de succession d'images se succéda dans ma tête alors qu'il commençait ses explications... «Un monde parallèle au vôtre existe derrière le miroir vert. Le miroir vert est un miroir qui reflète votre alter-égal dans ce monde. Il est connu, dans des légendes, comme le miroir de la vérité ou autres chimères du genre. Ici, les humains ne sont pas admis. Les seuls êtres vivants qui ont le droit de se balader entre ces deux mondes sont les animaux. Les humains ont tous un alter-égal ici et c'est pour cela que c'est dangereux que les deux soient dans le même monde. Je suis humain. Mon alterégale est partie dans le monde des humains: nous avons échangé nos places. Le gouvernement de notre monde m'avait accordé un petit laps de temps pour que je puisse retourner un peu dans mon monde natal. Je suis donc devenu momentanément cordonnier. Personne avant vous ne m'avait remarqué... Bref, l'alter-égale d'un homme sera une femme et vice-versa. Il sera le contraire de nous-mêmes, disons... dans le style, le caractère, la façon d'être... - Oh! Et vous allez me faire croire ça? Pour les preuves, j'y viens. Patientez un peu. Pour tuer quelqu'un ici, il faut d'abord tuer son alter-égal. Il y a une police secrète chez vous qui connaît l'existence de notre monde et s'occupe des règlements de comptes. Et figurez-vous que... Mon alter-égale a eu des problèmes, c'est ça? Écoutez, j'ai autre chose à faire que de... NE M'INTERROMPEZ PAS! Vous avez deviné, oui, elle a des problèmes. Ne croyez pas que je vous ai sauvé pour vous sauver, Mr James. Je vous ai sauvé pour LA sauver! Vous avez reçu la Black Letter: c'était un avertissement! Lorsque nous nous sommes engouffrés dans la porte de passage, ils étaient là! Ils vous cherchaient pour vous tuer. C'était vos fameux «étranges hommes en uniformes»!!! Vous désirez des preuves, vous les aurez! Simon!» appela-t-il. Un gros chat de la taille d'un enfant, debout sur ses pattes arrière, entra dans la pièce, avec un plateau. Je restai éberlué. «Voilà le thé! nous lança-t-il joyeusement avant de sortir. Merci Simon. Peux-tu nous dire où nous sommes, quand et le nom de l'autre monde, je te prie? lui demanda le cordonnier. Bien, maître : nous sommes à Serdnol dans le monde de l'erret et nous sommes Iderdnev 05 Reivnaj 1898. Il est 06h27, ce matin. Quant à l'autre monde, nous le nommons letidretni. Merci maître! Je t'en prie. Tu peux disposer. Convaincu?» ajouta-t-il en se tournant vers moi. Je me précipitai dehors et passai devant Simon en train de discuter avec une chienne grise habillée en bonne. J entendis le cordonnier m'appeler. J'ouvris brutalement une fenêtre et scrutai le paysage. Un ciel couleur sépia dominait ma vue. A la place des nuages, passaient de gros et longs dirigeables noirs. La Tamise était devenue une grande fosse béante et vide où avançaient de grands vaisseaux grâce à des espèces de petites ailes qui ramaient dans le vide. La grande Big Ben, dont les aiguilles tournaient à l'envers, était désormais enveloppée d'arcs-en-ciel translucides et bariolés de couleurs sombres et vaporeuses. Des rails parcouraient le ciel et, de temps en temps, un wagonnet pendu par le haut les traversait à toute allure, laissant derrière lui des fumerolles tantôt violettes,

tantôt vertes. C'était une mode, ces couleurs? Les sceaux colorés sur les paquets du cordonnier, le miroir vert, mes pilules vert clair, le liquide mauve dans la seringue... Je baissai la tête et regardai la rue en dessous. Des gens, presque communs, marchaient dans la rue. Je dis «presque» parce qu ils avaient tous, plus ou moins, un drôle de style. Des gothiques, des étrangers en tenues traditionnelles... Je voyais des gens totalement excentriques (des couleurs jusque dans les cheveux, de drôles d'accessoires pendant à leurs ceintures...) et d'autres très sobres. Incroyable! Puis ma petite voix m'interpela: «A quoi ressemble donc mon alter-égale?» J'aimerais bien le savoir! Je ne savais plus quoi penser... «Alors je suis vraiment dans ce monde bizarre? Je ne rêve pas? Non, me répondit le cordonnier, et ici tu es en danger. Suis-moi. Il faut que tu te changes et que l'on parte de cet endroit en vitesse. Ils vont me localiser. Oui. Et ce sera d'autant plus simple puisqu ils sont dans leur monde et qu'ils fonctionnent ici. Pourquoi voulez-vous la sauver? Je t'expliquerai. Dépêche-toi!» Je le suivis dans une salle pleine de vêtements. La chienne grise s adressa au cordonnier : «J'ai réuni ici toutes vos tenues de jeunesse, maître. Merci, Jane. Et vous, choisissez une tenue et changez-vous. VITE!!» Parmi tous les vêtements, je pris celui qui me sembla le moins ridicule et, m'approchant d'un miroir accroché au mur, j'ajustais ma tenue. J étais vêtu d'un pantalon noir, d'une chemise blanche et d'un affreux nœud papillon avec des motifs de pamplemousses jaune-orangé-rosé sur fond vert foncé... Beurk! Je portais, par dessus, une longue veste en queue de pie: style chef d'orchestre. Mais avec mon splendide nœud, on n aurait pas accepté de me faire rentrer dans un opéra... quel qu'il soit. Un peu honteux, je cherchais un autre ruban moins «tarte» pour orner mon cou, en vain. Je sortis donc et ce fut là que je la vis. Je savais que c'était elle, je ne pouvais pas me tromper de toute façon, puisque c'était quand même une partie de moi. Elle parlait à Jane lorsqu'elle s'interrompit et se tourna lentement vers moi. Dans mon monde, j étais vraiment son contraire. J étais James, j'avais environ une trentaine d'années. J étais sobre et assez sérieux. Je vivais parce que je ne pensais pas vraiment avoir le choix. Je m'habillais toujours en sombre car mon tailleur disait que cela correspondait mieux au climat pollué de Londres. J étais grand et avais le poids d'un homme normal. J'avais les yeux sombres, la peau claire et les cheveux foncés. Effectivement, mon alter-égale était tout mon contraire. Je ne connaissais pas encore son nom. Elle avait peut-être mon âge mais elle faisait plutôt adolescente avec la façon dont elle s'habillait. Elle n'avait pas l'air très sérieux, elle faisait plutôt espiègle. Elle portait des vêtements très colorés, rapiécés et déchirés. Elle n'était pas vraiment très grande mais loin d'être minuscule. Elle avait les yeux vairons: l'un bleu, l'autre rouge. Sa peau était légèrement rose et ses cheveux étaient verts... avec de petits reflets violets (c'était la mode, je vous dis!). A côté d'elle, j'avais l'air vraiment maussade. Elle me dévisagea, interrogatrice, puis s'esclaffa, morte de rire. Je demandai, un peu gêné : «Ai-je quelque chose sur le visage qui vous amuse?» Elle n'arrivait pas à me répondre, pliée en deux. Elle montrait mon visage, non, mon cou! J'essayais de cacher mon nœud papillon avec mes mains, trop tard. Je devins écarlate et dissimulai ma honte avec de la colère. «Puisque vous vous moquez, tentez donc de trouver un autre nœud dans la friperie de la pièce d'à côté! Et puis, vous vous êtes vue? Avec toutes vos drôles de couleurs! Vous ressemblez à un

prestidigitateur comique!!» Dans le mille! Elle s'arrêta de rire et rougit en regardant ses chaussures. Ses yeux brillaient de larmes. J étais peut-être allé trop loin. Je changeai de sujet : «Où est le cordonnier? Jane, Simon, où est votre maître? Il arrive, il est aussi allé se changer, me répondit Simon. Tout à fait, confirma Jane. Il ne devrait plus tarder. Me voilà, pardon pour l'attente. Ah, Same-J, dit-il en se tournant vers mon alter-égale, tu es là! Parfait, parfait! Amène-nous au lieu prévu!» Same-J (presque l inverse de James, prononcez Same-jee) éclata en sanglots en disant qu'elle n'était pas une simple prestidigitatrice, que même si elle en était une, elle était différente des autres, que elle, au moins, elle ne faisait pas ça comme métier mais comme passion et qu'elle, elle jouait de la musique mieux que les autres... avec des cascades de larmes. Bref, une vraie gamine du genre «pourrie-gâtée». Le cordonnier se tourna vers moi et haussa les épaules. Il s'approcha de Same-J, qui se frottait les yeux et se mouchait dans un pan de sa robe déchirée, et lui parla doucement. Puis il descendit au rez-de-chaussée et remonta aussitôt avec une petite Harpe, une Lyre en ébène, accrochée à une sangle, et la passa autour des épaules de Same-J. Il la calma et lui redemanda de bien vouloir nous conduire rapidement à l'endroit prévu. Il lui parlait comme à un enfant de 3 ans qui ferait un caprice. Nous sortîmes et nous nous rendîmes à une station de wagonnets aériens : apparemment cela s'appelait l Ortém. La vue était splendide et j'avais l'impression de voler, de filer comme un oiseau. J'appris que le cordonnier s'appelait Xavier-Pierre Eurydice - je ne pouvais m'empêcher de sourire en imaginant le nom de son alter-égale - et que Same-J avait le même âge que moi. Me tournant vers elle, je me surpris à ne plus pouvoir décoller mon regard de son visage jusqu'au moment où elle se tourna vers moi et me tira la langue! Nous descendîmes au terminus, avant de marcher pendant une bonne heure dans les ruelles. Un peu «lent à la détente», je me rendis compte au bout d'un long moment que nous étions dans mon quartier. Nous nous arrêtâmes devant mon bâtiment et rentrâmes dans mon appartement. «C'est chez moi! m exclamai-je. Tu rêves, me répondit Same-J, c'est chez MOI! Ici, c'est chez Same-J, justifia Mr Eurydice, dans l'autre monde, c'est chez vous, Mr James. Vous pensez la même chose, et quand le miroir vert vous sépare, vous faites presque les mêmes choses, juste en inversé. Si un des deux vient dans le monde de l'autre, vous êtes toujours un peu perdus. Si on me tuait, Same-J disparaîtrait mais si Same-J est tuée, que deviendrai-je? Les Humains sont la partie dominante, me répondit-elle, si je meurs, vous serez libre de vos mouvements. C est vraiment pas juste! Et en plus, c est pas logique! Allez-vous enfin me dire pourquoi vous désirez sauver cette... gamine? demandai-je une nouvelle fois. Bien, bien, bien... Same-J est mon assistante. Elle sculpte les clefs à l'identique, lorsqu'elle en reproduit une, elle est capable de la refaire car elle les mémorise toutes. Je suis payé par le gouvernement de notre monde comme ça. C'est ça qui me maintient en vie : serrurier. Sauf que je suis obligé de mystifier tout le monde autour de moi. Et elle accepte de travailler pour moi. Mais... le miroir... les mouvements identiques... Same-J a sa vie ici aussi. J'ai dit que vous faisiez PRESQUE les mêmes mouvements. Connaîtrais-je votre double, par hasard?

C'est possible...» Un grand coup déplaça la porte. Puis un second. Encore et encore. Je me tournai vers Same-J, elle avait l'air paniqué. Sa mine faisait peur à voir. Elle hurla : «Ils sont là! Ils savent! Dépêche-toi, idiote! lui cria Mr Eurydice. Tu as le pouvoir de le faire!» Mais elle n'entendait plus. La peur l'enfermait dans une bulle. Elle avait le regard dans le vide. Son esprit était déjà loin. La porte tomba et les espèces de mannequins sans visage et en uniformes entrèrent lentement dans la pièce. Le cordonnier s'interposa. Un mannequin le prit par les épaules et le rapprocha de son visage. Une grande bouche souriante se dessina sur son visage et le mannequin l'ouvrit en laissant apercevoir d'énormes crocs. Il se mit à rire diaboliquement et engloutit le cordonnier. Les autres mannequins émirent un sifflement que j'interpréterais comme un rire. La bouche pleine de sang et la marche saccadée comme une poupée désarticulée, le pantin maléfique s'approcha de nous. Je pris Same-J dans mes bras comme si cela pouvait la sauver. Je lui murmurai des excuses, en attendant l'impact. La Lyre noire tomba au sol dans un bruit presque cristallin. Je perdis connaissance. Lorsque je me réveillai, j étais chez moi, ou chez Same-J? Je criai son prénom avant de me demander si je n'avais pas rêvé. Non! Elle me raconta tout : la Lyre était tombée, elle avait repoussé les pantins en dehors de l'appartement et ensuite Same-J avait retrouvé des forces pour barricader la porte. «Les Sreicilop sont encore dehors, ils veulent rentrer par tous les moyens. Les... quoi? Les mannequins sans visage, on les nomme comme ça. Ah...» Elle prit sa Lyre et commença à jouer, c'était vraiment magnifique. Elle chantait en même temps. Une harmonie parfaite! Le paysage tourbillonna et nous revînmes au point de départ : le même appartement. Sauf qu'il y avait quelque chose d'étrange cette fois... Oui! Nous étions revenus dans mon monde! Un grand sentiment de soulagement m'envahit... Enfin, retour à la réalité. Je me tournai vers mon double, elle paraissait un peu étonnée. Elle courut vers la fenêtre. J'imaginais qu'elle serait surprise de voir le paysage, comme moi dans son monde... Quelque chose tomba bruyamment de sa poche : la reproduction de ma clef! Je m'esclaffai! «Ne fais pas semblant d'être surprise de voir le paysage! Oh! Euh... Oui, désolée... je... bredouilla-t-elle en rougissant. Alors comme ça, c'est toi qui m'as cambriolé! Petite voleuse! la grondai-je en lui tirant l'oreille. Ne m'en veux pas : je devais rentrer en contact avec toi... J'aime quand même ce paysage...» Nous regardâmes longtemps le paysage avant de nous apercevoir que nous nous tenions par la main. Elle paniqua et se dégagea. Je l'entendis murmurer : «Sacrilège». Elle me regarda longuement puis s'adressa à moi : «On va être puni pour ça. Puni? Pourquoi? Pour les sentiments qu'on a l'un pour l'autre. Quels sentiments? Attends! Depuis Narcisse, qui a vu son reflet dans l eau et qui en est tombé amoureux, ils ont failli détruire notre monde car il est interdit de s aimer soi-même. Ils sont partout, ils ont vu. On a pas le droit, cria-t-elle, ON A PAS LE DROIT!! Ils vont nous tuer... Ils vont TOUS nous tuer!!! Same-J!» Elle pinça une note puis disparut. Je restai seul. Toujours habillé avec les vêtements de Mr

Eurydice. Il était vraiment mort, alors...? Je tenais toujours la clef dans ma paume de main. Tout était allé si vite. Je tentai de me rappeler de tous les détails. Après cette action, j étais bien décidé à retourner dans l'autre monde pour voir une dernière fois Same-J. Je n'eus pas besoin de le dire deux fois. Je fus aspiré là où je voulais aller grâce à l écho de la musique que j entendais encore. J'arrivai dans un monde où tout le monde était hors service, comme des robots, parce que nous avions violé une règle. Same-J était là. Devant moi. Elle s'approcha de moi et me planta un long poignard dans le cœur. Je crachai du sang, elle aussi. La lame ressortit dans son dos et pas dans le mien!? Pendant que son monde se démantibulait, nous tenions notre ultime conversation. «Tu avais le droit de m'en vouloir. Sauf que je ne peux PAS t'en vouloir. Je t'aime. Moi aussi, dis-je en l'enlaçant, moi aussi. Je l'ai compris quand tu m'as parlé de Narcisse. Finalement on est pareil. Oui. Et on peut le dire maintenant. Je crois. J'ai été heureux de... Tais-toi et va-t-en. Idiot. Adieu, Same-J. Au revoir, James.» Jeudi 05 JANVIER 1898 Mes poumons me lâchaient, et je sortis en vitesse ma tête de la fontaine serpent où je m'étais évanoui. Je n'avais rien dans les mains, je ne savais plus ce qui s'était passé, ni pourquoi j étais là. Je rentrai chez moi. Il n'y avait pas de courrier chez la concierge. Je détestais cuisiner et pourtant, une douce odeur de pudding et de sablés sortait de mon four. Une partition de Lyre était posée sur ma table: La prestidigitatrice pour Harpe celtique, de concert ou Lyre. Emma ADDA, Louise BARRE, Quentin PULZE, et Ugo ROMERO (4 e 6)