Le consommateur et les services publics au Québec Marie-Eve ARBOUR 1 et Caroline PLANTE 2



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Transcription:

Le consommateur et les services publics au Québec Marie-Eve ARBOUR 1 et Caroline PLANTE 2 Introduction...1 1. Le droit de la consommation et les services publics...3 a) Qui est le commerçant québécois?...3 b) Les exclusions implicites et explicites prévues à la L.p.c...5 2. Le droit commun et les services publics...7 a) Du droit des obligations aux contrats nommés...7 b) L affaire Glykisc. Hydro Québec...9 3. Particularités du droit des utilisateurs de services publics...11 4. Les modes juridictionnels de résolution des litiges entre les utilisateurs et les prestataires de services publics...12 5. La saine alternative : les modes non juridictionnels de résolution des litiges...14 6. Le rôle des organisations de consommateurs et la gestion des services publics...15 ***** Introduction De manière générale, le phénomène de déréglementation des marchés emporte avec lui la libéralisation du rapport contractuel. Il n en reste pas moins que la prestation de certains services demeure l apanage d entités étatiques ou paraétatiques, dès lors que le marché se révèle à lui seul incapable de pourvoir à une forte demande d un produit ou d un service de première nécessité. Sur la scène nord-américaine, le Québec constitue encore aujourd hui l exemple paradigmatique d un marché largement configuré par l intervention étatique. Malgré le désengagement progressif de l État que marquent les années 1990 3, les services par lui dispensés foisonnent toujours : l on pensera ici à l éducation, aux services de soins de santé, au service postal, au transport en commun, à la production et la fourniture d électricité ou à la voirie, pour ne nommer que les plus essentiels. Malgré la configuration particulière de cet amalgame de droit public et de droit privé, le droit des services publics n est toujours pas, au Québec, une discipline ayant acquis son autonomie. Historiquement, les rapports qui unissent les citoyens aux différentes entités gouvernementales ont d abord été appréhendés à travers la discipline du droit administratif, un domaine ancré dans une tradition de common law 4. En parallèle, néanmoins, les rapports entre particuliers s érigeaient sur un Code civil de matrice napoléonienne 5 ; il s agit là d un 1 Professeure de droit civil à la Faculté de droit de l Université Laval, Québec et professeure de droit privé comparé, Università del Salento (Lecce), Italie. 2 LL.B. (Laval), étudiante au Barreau du Québec. 3 Selon Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, Yvon Blais, Cowansville, 2002 : «Depuis quelques années, nous assistons au développement progressif et rapide du contracting out, c est-à-dire des ententes portant sur la gestion privée d un service ou d un programme qui est sous la responsabilité d une autorité publique». Il s agit, par exemple, de l éclairage des rues, la gestion des aéroports et de la navigation aérienne, les parcs industriels, les services de loisirs ou la gestion des déchets. 4 Signalons qu au lendemain du Traité de Paris de 1763, les colonies françaises sont passées entre les mains de la Grande-Bretagne et furent donc soumises à la common law; le droit civil y a toutefois été réintroduit en 1774 par l Acte de Québec, créant à cette occasion un système juridique mixte. 5 Il s agissait en l occurrence du Code civil du Bas-Canada de 1866. Rapport québécois Services publics - Page 1/16-

droit civil qui s est progressivement appliqué à la Couronne 6, donnant naissance à une sorte de «droit civil public» 7. Au Québec comme ailleurs, cependant, la prémisse de symétrie contractuelle sur laquelle s érigeait le premier Code civil de 1866 a toutefois été grandement ébranlée par un fort mouvement consumériste durant les années 1970, lequel a donné naissance à la Loi sur la protection du consommateur 8. Au même moment, l accroissement de l Etat providence (notamment alimenté par l idéal d une abondance de ressources naturelles) marquait le point de départ d une forme parallèle de consumérisme préconisant une sorte de dimension étatisée du rapport contractuel 9. Il en découle qu au Québec, la thématique des services publics est régie à la fois par le droit commun (soit le Code civil), et par plusieurs lois particulières, dont la L.p.c. Cette dispersion législative pose un problème de cohérence juridique dès lors qu il s agit de préciser le statut des cocontractants à un contrat ayant pour objet la prestation d un service public. Précisons d entrée de jeu que dans le contexte d une prestation de services publics, le vocable «consommateur» est quasi absent tant du langage courant que du vocabulaire juridique 10. Il sera plutôt d usage de qualifier le destinataire d un service public de «bénéficiaire», «d usager», de «patient», «d élève», «d étudiant», de «client», de «débiteur de service» ou encore «d abonné» 11. En omettant de qualifier le destinataire d un tel service de «consommateur», le législateur a-t-il voulu créer une pluralité de rapports contractuels sui generis, de manière à circonscrire par la même occasion le champ d application des lois particulières? Rien n est moins certain. Car si le mot «consommateur» n est que très rarement employé au regard du service public, en revanche, toutes les lois particulières ne font pas nécessairement échec à l application de la L.p.c., du contrat d adhésion (art. 1379 C.c.Q.) ou des nouvelles dispositions du Code civil visant le contrat de service ou d entreprise 12. 6 En vertu de la Loi d interprétation, L.R.Q., c. I-16, le terme Couronne vise le souverain du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, et chef du Commonwealth» (art. 61). 7 L art. 300 de l actuel Code civil du Québec, L.Q., 1991, c. 64 (ci-après «C.c.Q.»), art. 1378. Il prévoit expressément l assujettissement de l État à ses prescriptions : l arrêt Laurentides Motels c. Beauport (Ville) 1989 IIJCan81 (C.S.C.) estemblématique à cetégard. 8 Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40 (ci-après «L.p.c.») dont la première version a été adoptée en 1971. La L.p.c. actuelle date de 1981. Sur son contexte d adoption, voir en particulier Claude MASSE, «Protection du consommateur», (1989) 30 C. de D., p. 834. 9 La nationalisation de l électricité, en 1963, effectuée par une offre publique d achat, est fort évocatrice de cette période d apparente abondance des ressources naturelles. Il est aujourd hui question de la nationalisation des ressources éoliennes. 10 On retrouve le terme «consommateur» aux articles 22.0.1 et 24.1 de la Loi sur Hydro-Québec, L.R.Q., c, H-5, en référence à la Loi sur la Régie de l énergie, ch. R-6.01, qui, utilise le vocable «consommateur» pour désigner celui qui bénéficie de la fourniture d électricité ou de gaz. 11 Cette taxonomie émerge de la lettre des lois et règlements encadrant les modalités de dispensation de ces prestations de service : soit, «bénéficiaire» (Règlement no 663 d Hydro-Québec établissant les tarifs d électricité et les conditions de leur application, R.Q. c. H-5, r.4) ; «usager» (Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2) ; «patient» (Loi sur l assurance maladie, L.R.Q. c. A-29); «élève» ou «étudiant» (Loi sur l instruction publique, L.R.Q., chapitre I-13.3); «abonné» (anciennement utilisé dans le Règlement n o 411 établissant les conditions de fourniture de l électricité, (1987) 119 G.O. II, 1918, art. 99 mais non repris par le règlement le remplaçant) ; «abonnement». (Règlement numéro 634 sur les conditions de fourniture de l électricité, R.Q. c. H-5, r.0.2, art. 3 et plusieurs autres) ; «client» : (Règlement no 663 d Hydro-Québec établissant les tarifs d électricité et les conditions de leur application, R.Q. c. H-5, r.4) ou encore «débiteur de service» (Loi sur le mode de paiement des services d électricité et de gaz dans certains immeubles, L.R.Q. c. M-37). 12 Il s agit des art. 2098 à 2129 C.c.Q. (voir infra). Rapport québécois Services publics - Page 2/16-

Il devient alors possible d envisager une superposition de status pour désigner les cocontractants, et, par là, de poser l hypothèse que «le consommateur de services publics» est bel et bien un protagoniste du droit québécois. C est sur cette toile de fond que sera donc abordé l obscur statut d un consommateur qui doit se buter à la complexité de l état du droit québécois en la matière, que cause l éparpillement des sources du droit en la matière. Dans cette optique, il convient de traiter de l interface entre le droit de la consommation et les services publics (section 1) et de celle du droit commun et des services publics (section 2). Les sections suivantes (sections 3-6) ont pour but de mettre en relief les aspects périphériques du droit de la consommation qui configurent néanmoins le droit des services publics. 1. Le droit de la consommation et les services publics D une facture poreuse, l article 1384 C.c.Q. prévoit que «Le contrat de consommation est le contrat dont le champ d'application est délimité par les lois relatives à la protection du consommateur [ ]». Si sa lettre suggère que le droit de la consommation puisse, outre la L.p.c., englober d autres lois spéciales destinées à rétablir l équilibre contractuel, force est d admettre que c est néanmoins la L.p.c. qui demeure la référence ultime en matière de droit québécois de la consommation. Au demeurant et en raison de la position souvent monopolistique (ou à tout le moins oligopolistique) des prestataires de services publics, le droit applicable aux services publics doit nécessairement être appréhendé à travers le filtre du droit de la consommation. Or l analyse révèle que certaines variables, telles que l extension du domaine du droit de la Loi sur la protection des consommateurs par l élargissement de ses champs d applications rationae personae (a) et rationae materiae (b) concourent à redéfinir les rapports qu entretiennent entre elles les lois particulières visant la prestation de services publics et les règles issues du Code civil. Soulignons qu a priori et tel qu expressément prévu par la loi 13, les règles issues de la L.p.c. s appliquent aux consommateurs de services publics -au même titre, d ailleurs, qu aux autres catégories de consommateurs de tout autre service-, dans la mesure où ces services sont fournis par des instances de palier provincial. Les dispositions législatives de la L.p.c. sont d ordre public de protection 14 et visent, de manière tautologique, à protéger les cocontractants considérés comme étant les plus vulnérables lors de la formation d un contrat que l on présume asymétrique. a) Qui est le commerçant québécois? 13 À l instar du Code civil, les entités publiques et parapubliques provinciales lui sont assujetties : selon l art. 4 : «Le gouvernement, ses ministères et organismes sont soumis à l application de la présente loi». L impact de la structure fédérale canadienne sur la dynamique contractuelle est ici conditionnée par le partage des compétences entre l instance fédérale et celle des provinces, dont le Québec. Voir à ce sujet N., ARCHAMBAULT, «Champs d application de la Loi sur la protection du consommateur», Formation permanente du Barreau, (1980-81) 54, p. 10, C. MASSE, C., Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, cit., p. 96, et Société de crédit agricole du Canada c. Smyth, [1994] R.J.Q. 1107 (C.S.). Ainsi les règles prévues à la L.p.c., une loi de nature provinciale, ne s appliqueront au gouvernement fédéral que s il enfreint une disposition pénale de cette loi. 14 Art. 261, 262 et 270 L.p.c. Rapport québécois Services publics - Page 3/16-

La notion de «consommateur» a été introduite dans la L.p.c. en 1971. Si son étendue demeure aujourd hui équivoque 15, la loi en définit néanmoins certains paramètres - par la négative- dès son premier article. Ainsi savons-nous ce que le consommateur n est pas, soit «un commerçant qui se procure un bien ou un service pour les fins de son commerce» 16. En parallèle, le Code civil du Québec définit expressément le consommateur comme étant «une personne physique qui acquiert, loue, etc ou utilise un bien ou un service, provenant d un commerce ou d une entreprise, à des fins personnelles, familiales ou domestiques» 17. Malgré l apparente symbiose unissant ces deux définitions, il faut noter que certains problèmes de coordination entre le Code civil et la L.p.c. subsistent, dans la mesure où cette dernière ne propose curieusement aucune définition du commerçant. Dans un souci de préserver l unicité du droit privé, l interprète se tourne alors vers le Code civil, qui n offre pas davantage de solution. De fait, le Code civil de 1994 a inséré une notion analogue qui sert d expédient interprétatif dans l exercice de définition du vocable «commerçant». Celle-ci semble indiquer un important changement de paradigme de tout le droit de la consommation : il s agit de la notion d exploitation d une d entreprise, que le législateur définit comme étant «l'exercice, par une ou plusieurs personnes, d'une activité économique organisée, qu'elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services» 18. Parce que qu elle fait l économie de l idée de profit, une telle définition semble élargir le spectre de la notion de commerçant en présentant le potentiel d y assimiler certains professionnels (ou encore des artisans). Cette observation est particulièrement pertinente sachant, notamment, que la L.p.c. aménage des garanties de durabilité et de qualité qui se rattachent aux biens meubles 19 : l équation entre le commerçant et le professionnel permettrait donc de tenir ces derniers responsables du préjudice causé par le défaut de sécurité d un bien. D une banalité apparente, cette évolution pose néanmoins le potentiel d étendre le champ d application de la L.p.c. à certaines catégories de services publics qui demeuraient jusqu'alors exclus du droit de la consommation. L on pensera, par exemple, aux prestations de soins de santé qui comportent de plus en plus l utilisation de dispositifs médicaux, ou encore aux pharmaciens impliqués dans un traitement pharmacologique particulier. Un tel 15 La notion de «consommateur» demeure l objet de critiques de la part de nombreux auteurs : cfr. surtout Pierre-Claude LAFOND, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, Montréal, Thémis, 1996, N. L HEUREUX, Droit de la consommation, Cowansville, Québec, Yvon Blais, 2000 ; Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, Cowansville, Yvon Blais, 1999 ou l ouvrage précurseur d Antonio PERREAULT, Traité de droit commercial, Tome II, éd. Albert Lévesque, Montréal, 1936, p. 604. 16 Art. 1 L.p.c. 17 Art. 1384 C.c.Q.L art. 2 précise qu il s agit de «tout contrat conclu entre un consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce et ayant pour objet un bien ou un service». Voir à ce sujet P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, cit., p. 18 et 32, Nicole L HEUREUX, Droit de la consommation, cit., p. 71, Jean-Louis BAUDOUIN, «La protection des consommateurs et la formation des contrats civils et commerciaux» (1975) 35 R. du B. 31, p. 32, Nicole L HEUREUX, «L identification du consommateur, son besoin de protection», (1979) R. du B. 41, p. 50 et 55, Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, cit., p. 27 et 28, Albert BOHÉMIER et Pierre-Paul CÔTÉ, Droit commercial général, Tome I, 3 ème éd., Montréal, Thémis, 1985, p. 32. 18 Art. 1525, al. 3 C.c.Q. 19 Art. 38, 53 et 272 L.p.c. Rapport québécois Services publics - Page 4/16-

résultat se pose néanmoins en porte-à-faux d une dynamique qui repose traditionnellement sur l idée de lucre que l on accole au contrat de vente 20 ; un attribut absent du droit professionnel (ou du moins, en théorie). b) Les exclusions implicites et explicites prévues à la L.p.c. Par-delà ce flou, la L.p.c. s applique indistinctement aux contrats de vente et aux contrats de service. Cependant, elle exclut partiellement ou totalement de son champ d application certaines typologies de contrats, ce qui limite sa pertinence au regard du thème dont il est question. Ce sont, par exemple, les services de distribution d électricité ou de gaz 21 (exclus pour le titre touchant aux contrats relatifs aux biens et aux services), les services à exécution successive fournis par une commission scolaire ou un établissement d'enseignement sous son autorité, un collège d'enseignement général et professionnel (CEGEP), une université, un ministère du gouvernement et une école administrée par le gouvernement ou un de ses ministères ou une municipalité 22. À ces exclusions non équivoques s ajoute la situation nébuleuse de la prestation de soins de santé déjà évoquée. Alors que certains auteurs affirment que celle-ci devrait être assujettie au droit de la consommation afin, notamment, de garantir la qualité du service et des renseignements qui seront fournis 23, d autres suggèrent que la «gratuité» apparente de cette prestation de service qui est prise en charge par le système public de soins de santé 24 - ferait obstacle à la qualification d un acte d acquisition et, pour cette raison, exclurait les soins de santé du domaine de la L.p.c. 25. Chargé de l application de la loi, l Office de la protection du consommateur préconise cette dernière position et considère hors de sa compétence toute question relative à une prestation de services accomplie par un établissement de santé public 26. La loi ne réfère, rappelons-le, qu à «tout contrat conclu entre un consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce et ayant pour objet un bien ou un service» 27. À la lumière de cette définition, rien ne laisse présumer que le consommateur 20 La référence est ici l action rédhibitoire prévue aux art. 1726 et suiv. C.c.Q. 21 Art. 5 b) L.p.c. 22 Art. 188 a), b), c), g), h) L.p.c. 23 Selon Thierry BOURGOIGNIE, «Faute ou risque, patient ou consommateur, obligation d indemniser ou droit à obtenir réparation? Jalons pour un régime de réparation des dommages causés par les accidents thérapeutiques au Québec», Accidents thérapeutiques et protection du consommateur, Cowansville, Yvon Blais, 2006 : «La relation thérapeutique entre ainsi dans le champs d analyse du droit de la consommation. Le patient est perçu comme un consommateur de soins de santé et partant déclaré titulaire des droits et des mécanismes de protection communément définis à l égard des consommateurs au sein du système économique et social» (p. 7, nos italiques). En sol européen, cette opinion est d ailleurs partagée par d autres : voir notamment Nadine FRASELLE, Du patient au consommateur, Bruxelles, Bruylant, 1996 et INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION, «Les relations patients-médecins de demain», Actes de VIIIe journées du droit de la consommation des 6 et 7 décembre 1993, INC Hebdo no 866 (hors-série) (8 juillet 1994). 24 Loi sur l assurance hospitalisation, L.R.Q. c. A-28, art. 2 et Loi sur l assurance maladie, L.R.Q. c. A-29, art. 3. 25 Selon au auteur : «Ne sont pas compris dans le champ de la consommation, les services de soins de santé sous la gouverne du ministère des Affaires sociales, car le bénéficiaire en profite gratuitement, donc ne les acquiert pas» ; P.-C. LAFONT, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, cit. 26 Entrevue informelle réalisée avec un employé de cette institution. 27 Art. 2 L.p.c. Rapport québécois Services publics - Page 5/16-

ne doive s acquitter du paiement visant la prestation de service (à supposer, au préalable, que sa qualité de contribuable ne suffise pas établir l existence d une contrepartie monétaire ). D ailleurs, une décision de la Cour supérieure semble militer en faveur de l application de la L.p.c. malgré que le paiement soit en définitive acquitté par un tiers, puisqu en définitive, «[l]e fait que le coût de cet instrument médical soit assumé par l'état ou un plan d'assurance santé ne change rien, le porteur en est le dernier acquéreur 28». L interprétation du Code civil semblerait confirmer cette possibilité, dès lors que la définition de commerçant, rappelons-le, vise celui qui «offre de tels biens ou services dans le cadre d une entreprise qu il exploite», soit une «activité économique organisée, qu elle soit ou non à caractère commercial, consistant [ ] dans la prestation de services 29». Il devient ainsi difficile de nier la qualité de «consommateur» au «patient» 30 ; en revanche, faut-il souligner qu une telle solution se poserait en porte-à-faux de l évolution plus générale du droit civil, qui a récemment rejeté la dynamique contractuelle en tant que fondement à la prestation de services de soins de santé, lui préférant la thèse des obligations légales 31. Peu nombreux, donc, sont les services publics visés intégralement par la L.p.c. Cette situation a pour effet de soumettre chaque service public à une pluralité de registres juridiques, posant ainsi un obstacle à une approche permettant d appréhender ce thème de manière transversale. Dans l hypothèse où le consommateur utilise un service visé par la L.p.c., il bénéficie de protections juridiques importantes. En outre, signalons qu à la différence du Code civil, la L.p.c. a introduit le concept de lésion entre majeurs en droit québécois 32, notion que les tribunaux utilisent surtout afin de sanctionner des clauses abusives 33. Par ailleurs, le consommateur d un service public qui n est pas exclu du champ d application de la Section IV touchant les contrats de service à exécution successive bénéficiera, notamment, du formalisme accru qu impose la loi au stade de la formation des contrats 34. Les tribunaux ont d ailleurs jugé que la L.p.c. renferme son propre régime compensatoire pour dommages et intérêts, indépendant du régime général de la responsabilité civile québécois 35, bien que cette indépendance n emporte pas pour autant l élimination de l exigence du Code civil du Québec voulant qu un préjudice doive exister pour qu un 28Thibault c. St. Jude Medical Inc., 2004 IIJCan 21608 (QC C.S.), autorisant l exercice d un recours collectif contre l entreprise pharmaceutique. Cette solution est par ailleurs en harmonie avec la position préconisée par la Cour de justice des communautés européennes dans l affaire Henning Veedfald v. Århus Amtskommune du 10 mai 2001, aff. C-203/99, Rec. 2001 p. I-03569. La Cour rejette la thèse suivant laquelle le fait que les soins médicaux soient financés par des fonds publics conduirait à la non-applicabilité de la directive produits défectueux (1985/374/CEE). 29 Art. 1525, al. 3 C.c.Q.(nos italiques). L art. 2717 de l Avant projet de Code ajoutait d ailleurs la locution «même sans but lucratif» : voir Claude MASSE, «Protection du consommateur», (1989) 30 C. de D., p. 834. 30 Art. 1384 C.c.Q., Art. 1 L.p.c. 31 Hôpital de l Enfant-Jésus c. Camden-Bourgault, [2001] R.J.Q. 832 (C.A.), où la Cour rejette la dynamique contractuelle en tant que fondement juridique à la responsabilité de l hôpital pour la faute du médecin. 32 Suivant les termes de l art. 8 L.p.c. : «Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu elle équivaut à l exploitation du consommateur, ou que l obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante». Cette disposition est inapplicable en matière de service de vente d électricité ou de gaz. 33 Voir OFFICE DE LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR, Pour une réforme du droit de la consommation au Québec : actes du colloque du 14 et 15 mars 2005, Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 117 et suiv. 34 Art. 190 et s. L.p.c. 35 Mathurin c. 3086-9069 Québec Inc., 2003 IIJCan 19131 (QC C.S.) Rapport québécois Services publics - Page 6/16-

recours soit accueilli 36. Enfin, l article 272 L.p.c. permet l octroi de dommages-intérêts punitifs en cas de manquement à l une des obligations édictées par la L.p.c. 37 ; mais il n en demeure pas moins que cette forme de sanction a été infligée à de nombreuses reprises par eux, ce qui porte à croire, d un point de vue empirique, que le consommateur ordinaire est sujet à de nombreux abus de la part des commerçants 38. 2. Le droit commun et les services publics En revanche et puisque la plupart des utilisateurs de services publics sont liés aux prestataires de ces mêmes services par contrat 39, l inapplicabilité de la L.p.c. renverra le consommateur aux articles de droit commun des contrats 40 et aux autres règles spécifiques contenues aux lois particulières propres à chacun des secteurs d activités visés (a). Une décision de la Cour suprême du Canada illustre toutefois les difficultés de coordination entre les dispositions générales du Code civil et celles issues des lois particulières qui aménagent la prestation de services publics (b). a) Du droit des obligations aux contrats nommés La prestation de services publics est visée à la fois par les dispositions relatives au droit des obligations et celles portant sur les contrats nommés : pensons ici à la vente, au louage, ou au contrat de service ou d entreprise. Laissant de côté la théorie générale du droit des obligations, il convient surtout de mettre en relief certaines particularités du droit 36 Ata c. 9118-8169 Québec inc., 2006 QCCS 3777, opinion basée sur la lecture de l art. 271 L.p.c. D ailleurs et même si le libellé de l article indique que le choix du recours appartient au consommateur, celuici doit être fait avec discernement et être approprié à la situation de chaque cas d espèce : voir Beauchamp c. Relais Toyota inc, [1995] R.J.Q. 741 et Nicole L HEUREUX, Droit de la consommation 4 e éd. Cowansville, Yvon Blais, 1993, p. 363. 37 Ce privilège est significatif puisqu au Québec, très peu de lois accordent le droit de réclamer des dommages de cette nature, lesquels n ont jamais été érigés en un principe d application générale. Nous en avons recensé quatorze, dont la Loi concernant les services de transport par taxi, L.R.Q. c. S-6.01, art. 83 et 127, la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12, art. 49 al. 2. De l avis des tribunaux, ces dommages punitifs ne devraient être accordés qu en présence de dommages réels et prouvés : voir à ce propos Laurent NAHMIASH, «Le recours collectif et la Loi sur la protection du consommateur : le dol éclairé et non préjudiciable», Développements récents sur les recours collectifs, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Éditions Yvon Blais, 2004. 38 Voir, par exemple, Duval c. Koolatron, 2005 IIJCan 22036 (QC C.Q.) ; Frappier c. Les Courtiers Automobiles Norsud Inc., 2003 IIJCan 17464 (QC C.Q.) ; Dion c. Institut d enseignement ostéopathique du Québec, 2002 IIJCan 24783 (QC C.Q.) ; F.-Dupuis c. Toyota pie IX Inc., 2002 IIJCan 12946 (QC C.Q.) ; Lambert c. Minerve Canada, compagnie de transport aérien Inc., (1998), R.J.Q., p. 1740 (C.A) ; Bélisle c. KIA St-Léonard, 2006 QCCQ 7342 (IIJCan). En doctrine, voir Claude MASSE, La Loi sur la protection du consommateur, cit, : selon l auteur, «Ces dommages exemplaires n exigent pas nécessairement la preuve de mauvaise foi de la part du commerçant mais si une preuve de mauvaise foi est faite, ces derniers peuvent être alors plus importants. Il suffit donc que la conduite du commerçant démontre une insouciance face à la loi et aux comportements que la loi cherche à réprimer pour que de tels dommages soient accordés» (pp. 1000 et 1001). Voir également N. L HEUREUX, Droit de la consommation, cit, pp. 364 à 369. 39Art. 1385 C.c.Q.; qu il s agisse de contrats verbaux (ex. patients dans un établissement de santé, abonnement à Hydro-Québec dans certains cas prévus par la loi voir le Règlement numéro 634 sur les conditions de fourniture de l électricité, D. 607-96, art. 7.) ou de contrats écrits (ex. sous la forme d une inscription dans un établissement scolaire ou collégial, d un pur contrat d abonnement, par exemple avec Hydro-Québec. 40 Art. 1377 et suiv. C.c.Q. Rapport québécois Services publics - Page 7/16-

québécois en matière de contrat de service 41 ; signalons au passage que la notion de «client» semble être interprétée par les tribunaux indépendamment de la notion de profit, peut-être dans un souci de conformité avec le paradigme de «l exploitation d une entreprise» ci-avant évoqué 42. Les dispositions relatives au contrat de service prévoient expressément la responsabilité du prestataire de service pour les fautes commises par les tiers qu il s adjoint, consacrant par là la responsabilité dite d entreprise (art. 2101 C.c.Q.). Le Code civil prévoit un droit de résiliation singulier dont peuvent respectivement se prévaloir les cocontractants à différentes conditions 43 ; si ce droit de résiliation est mis en échec par certaines lois particulières, la question de savoir si les parties peuvent, de manière conventionnelle, en réduire la portée ou l exclure complètement demeure un sujet d actualité en droit québécois. En marge de ce contrat nommé qu est le contrat de service, certains contrats seront qualifiés de contrats d adhésion. Rappelons que ces derniers sont, en droit québécois, ceux dont «les stipulations essentielles [ ] ont été imposées par l une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, sans pouvoir être librement discutées» 44. Il ne fait aucun doute que les dispositions reliées à la notion de contrat d adhésion s appliquent à l État et ses mandataires 45, surtout si c est l entité publique partie au contrat qui a rédigé le règlement prescrivant les modalités contractuelles obligatoires 46. En d autres termes, puisqu une société d État a le pouvoir de réglementer elle-même le contenu de ses contrats, ceux-ci seront généralement qualifiés de contrats d adhésion 47, à moins qu il ne soit prouvé que le consommateur avait la possibilité véritable de négocier la clause litigieuse. Il est prévu, en ce cas, qu une clause externe mentionnée dans un tel contrat est nulle si, au moment de la formation du contrat, elle n a pas été expressément portée à la connaissance de l adhérent ou du consommateur 48. Par contraste, les articles contenus dans des lois et règlements ne constituent pas des clauses externes au contrat mais font de 41 Celui-ci est défini à l art. 2098 C.c.Q.comme suit : «Le contrat [ ] de service est celui par lequel une personne [le prestataire de services], s engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s oblige à lui payer». 42 Voir par exemple Cabana c. Labrecque, 2006 QCCQ 14934 (CanLII), où la relation patient-dentiste est qualifiée de contrat de service. 43 Suivant l art. 2125 C.c.Q. (et sous réserve du respect des règles relatives à la bonne foi et de l abus de droit), le client «peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise». Par contraste et selon l art. 2126 C.c.Q., le prestataire de services «ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux et, même alors, il ne peut le faire à contretemps; autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation. Il est tenu, lorsqu il résilie le contrat, de faire tout ce qui est immédiatement nécessaire pour prévenir une perte» (nos italiques). 44 Art. 1379 al. 1, C.c.Q. 45 Voir en ce sens Hydro-Québec c. Surma, [2001] R.J.Q. 1127(C.A.). 46 Société en commandite Gaz métropolitain c. Banque Scotia, [2003] R.J.Q. 981 (C.Q.) 47 Il s agissait, en l espèce, d Hydro-Québec. D ailleurs, les auteurs Baudouin et Jobin indiquent que «Les contrats d adhésion ont connu depuis un siècle une extraordinaire croissance et de nos jours la grande majorité des conventions de transport, de fourniture de biens par des services publics (eau, électricité, gaz, etc.), d assurances, de service sont des contrats d adhésion. La force économique des grandes entreprises ou la détention de monopoles leur permet de dicter littéralement leur volonté à celui qui est économiquement plus faible» : Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel, JOBIN, Les Obligations, 5 ième édition, 1998, Yvon Blais, Cowansville, p. 66-67 (nos italiques). 48Art. 1435 al. 2 C.c.Q. Rapport québécois Services publics - Page 8/16-

facto partie du contenu obligationnel de celui-ci, en application de l article 1434 du Code civil. Elles n ont donc pas à être portées à la connaissance du cocontractant. Cette dernière affirmation illustre particulièrement bien la vulnérabilité du cocontractant qui, lorsqu il contracte avec un fournisseur de service public, est confronté à une multitude de lois et règlements. Par ailleurs, le Code civil du Québec prévoit que la clause illisible ou incompréhensible pour une personne raisonnable sera nulle si le consommateur ou l adhérent en souffre un préjudice 49. Finalement, la clause abusive d un contrat d adhésion (ou de consommation) sera nulle et l obligation qui en découlera, réductible 50. Par exemple, la Cour d appel a reconnu qu une clause contraignant le cocontractant à renoncer non seulement aux réclamations découlant d une éventuelle interruption de service par Hydro-Québec mais encore à toute demande future de compensation (contractuelle ou extracontractuelle) est abusive, et, par conséquent, nulle au sens du Code civil du Québec 51 ; d autant plus abusive, selon la Cour, que cette compagnie à fonds social détient un monopole 52. Il va de soi qu en marge de ces protections particulières le consommateur pourra toujours, à titre de cocontractant, se prévaloir des règles du Code civil du Québec régissant l inexécution d une obligation 53, le cas échéant (article 1590 C.c.Q.). Toutefois et parce que les personnes morales de droit public sont d abord régies par leur loi constitutive, des solutions alternatives aux sanctions traditionnelles peuvent y être prévues. Une décision rendue par la Cour suprême en 2004 illustre les difficultés de coexistence entre le droit commun et ces lois particulières 54. b) L affaire Glykis c. Hydro Québec L arrêt a été rendu dans le contexte de l interruption de l alimentation en électricité par la société d État Hydro-Québec envers un client en demeure de payer, à un point de service différent (sa résidence principale) de celui où le compte était en souffrance (un immeuble locatif duquel il est propriétaire). L article 99 du Règlement no. 411 établissant les conditions de fourniture de l électricité prévoit pour Hydro-Québec 55 la possibilité d interrompre le service ou de refuser de livrer l électricité si, notamment, «le client ne paie pas sa facture à échéance». Force est d observer que la relation contractuelle est configurée par la présence du «client», soit, selon ledit règlement, «une personne, une corporation ou un organisme titulaire d un ou de plusieurs abonnements 56». Quant à elle, la prestation de service est dispensée à «un point de livraison» donné, soit «un point situé immédiatement 49Art. 1436 C.c.Q. 50Art. 1437 C.c.Q. 51Allendale Mutual Insurance Company et Kruger c. Hydro-Québec, C.A. Mtl, no. 500-09-006603-989, 6 décembre 2001, par. 41, voir aussi Brown c. Hydro-Québec, [2003] R.R.A. 769. 52 Ibid., voir également ING. Groupe commerce c. Hydro Québec, [2005] R.R.A. 149, par. 25 et suiv. 53 Art. 1590 C.c.Q. 54 Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285. Le pouvoir d interruption de service existait dès 1898, en vertu de la Loi amendant et refondant la loi constituant en corporation la compagnie royale d électricité, S.Q. 1897, 61 Vict., ch. 66. Faut-il mentionner que les modalités d interruption prescrivent de faire précéder la cessation du service public d un avis de 8 jours francs au client en défaut. Une telle interprétation est d ailleurs fidèle à un précédent rendu dans le domaine de la distribution du gaz, lors de l affaire Montreal Gas Co. C. Cadieux, [1899] A.C. 589, où le Conseil privé de Londres articule son raisonnement autour du rapport fournisseur-client, se posant ainsi en porte-à-faux de l affaire Cadieux c. Montreal Gas Co, (1898) 28 R.C.S. 382. 55 Ce règlement a été remplacé par le Règlement no. 634 établissant les conditions de fourniture de l électricité, cit. 56 Art. 3 du Règlement no. 311. Rapport québécois Services publics - Page 9/16-

après l appareillage du comptage et du distributeur et à partir duquel l électricité est mise à la disposition du client [ ]», lequel correspond à un abonnement distinct. A priori, aucune disposition n empêche (ni n autorise) Hydro-Québec à interrompre le service à un point de service différent de celui pour lequel il est en souffrance. Cette affaire soulève en réalité d importants problèmes d interprétation des dispositions législatives pertinentes. Elle témoigne également d un désordre qui subsiste entre les sources du droit. La Cour suprême se lance dans un parcours interprétatif téléologique par lequel elle conclut que l adéquation entre le point de service et l abonnement ne s oppose pas à ce que l interruption de service soit plutôt rattaché au non-paiement d «une» facture, laquelle peut regrouper plusieurs abonnements 57. Suivant l opinion majoritaire, une telle interprétation dérivée, par ailleurs, du principe plus général de l exception d inexécution se justifierait notamment en raison de l impossibilité, pour Hydro-Québec, de choisir ses clients : aussitôt qu un citoyen satisfait aux conditions réglementaires, celle-ci a l obligation de contracter un abonnement avec lui. Cette prolifération normative conduirait à retirer à Hydro-Québec sa liberté contractuelle. Pour cette raison, il apparaît justifié qu une sanction particulière vienne pallier à ce déficit d autonomie. De l opinion la Cour : La disposition est indéniablement à l avantage d Hydro-Québec. Elle ne sert pas seulement à limiter l endettement. Elle offre par ailleurs un moyen efficace de faire pression sur les clients défaillants et de les inciter au paiement des montants dus. [ ] Dans la mesure où le fournisseur de service ne choisit pas les clients avec qui il fait affaire, j estime que l interruption éventuelle du service n est pas une mesure exorbitante ou draconienne 58. Elle agrée donc la thèse de la suprématie des lois particulières lorsque des personnes morales de droit public sont visées : une hypothèse que expressément prévue par le Code civil lorsqu il édicte que «Les personnes morales de droit public sont d abord régies par les lois particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables [ ] 59». En particulier, la Cour semble agréer l idée que le contrat intervenu entre les parties ne saurait être qualifié de contrat d adhésion au sens de l article 1437 C.c.Q. Curieusement, elle suggère au contraire que précisément parce qu il s agit d un contrat dont le contenu obligationnel est dicté par la loi, «un juge ne peut donc le contourner ou réduire les obligations en découlant au motif qu il s agit d un contrat d adhésion [ ]». De plus, l application du Code civil est écartée au regard de l opportunité d alléguer la nonconformité de la sanction réglementaire au principe général de l exception d inexécution consacré à l article 1591 C.c.Q. (et plus précisément sa condition de la proportionnalité de l inexécution corrélative). Une telle interprétation aurait sans doute permis de conclure qu une interruption de service ne saurait advenir qu au point de service pour lequel le client est en défaut 60. 57 Selon la Cour, si le législateur n avait voulu viser que le lieu pour lequel le compte est en souffrance, l utilisation des termes «abonnement» ou «point de livraison», aurait été suffisante (par. 13). 58 Id., par. 33. 59 Art. 300 C.c.Q. 60 Cet argument avait d ailleurs été retenu par la Cour d appel : Hydro-Québec c. Québec (Conseil des services essentiels), 1991 IIJCan 3161 (QC C.A.). Rapport québécois Services publics - Page 10/16-

C est ce dernier parcours qu auraient emprunté les juges dissidents de la Cour suprême, en suggérant que l interprétation exégétique préconisée par la majorité équivaut à conférer à Hydro-Québec un moyen de pression issu d une création judiciaire. Ils auraient préconisé une heureuse interprétation symbiotique entre les dispositions visant la théorie générale du droit des contrats et celles issues des lois et règlements particuliers. En définitive, la position de la majorité est particulièrement contestable au regard des autres institutions du droit privé qui cherchent à contrebalancer les asymétries contractuelles ; telles le contrat d adhésion. Sous cet angle, la prestation de service public apparaît s éloigner considérablement du droit des obligations. 3. Particularités du droit des utilisateurs de services publics L état du droit veut que l on ne puisse sanctionner judiciairement la décision d une autorité administrative d offrir ou non un service public : là est tracée la mince ligne qui sépare l exercice d un droit de la prise d une décision politique 61. En revanche et dès qu un prestataire de services publics s engage à assumer un service pour ses citoyens, il est tenu de le faire sans défaillances 62. Puisque le service public couvre souvent des services jugés d intérêt général, une grande part de ceux-ci, nommés «services essentiels», ne pourront être interrompus même si une inexécution contractuelle est constatée de la part du bénéficiaire. Il s agit là d une protection intrinsèque à ce type de service qui s explique par le fait qu une interruption, par exemple, pourrait porter atteinte à un droit fondamental si elle met la vie, la santé ou la sécurité d un citoyen en danger. Ce principe, reconnu en droit québécois depuis 1965, est notamment issu du droit du travail 63 et est maintenant codifié dans plusieurs lois concernant les conflits de travail visant les grèves 64. À ce sujet, il existe une interaction palpable entre la dynamique contractuelle et l exercice de droits fondamentaux prévus par les chartes des droits et libertés de la personne applicables au Québec 65. Une décision célèbre décision rendue par la Cour suprême rendue en 2005 permet d observer ce point de contact entre ces deux disciplines 66. Cette décision est née du désir des demandeurs (un médecin et un patient) d obtenir la 61 Laurentides Motels c. Beauport (Ville), précité. 62 Ibid., Patrice GARANT, Essai sur le service public au Québec : élaboration d une théorie générale et d un droit moderne des services publics, thèse, 1966 : «Un principe aussi fondamental que celui du fonctionnement efficace et sans défaillance du service public ne saurait qu avoir une application très vaste» (p. 105). 63 Communauté urbaine de Montréal c. Fraternité des policiers et policières de la communauté urbaine de Montréal inc., 1995 IIJCan 4732 (QC C.A.) 64 Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux, L.R.Q. c. M-1.1, Loi sur les substituts du procureur général, L.R.Q. c. S-35, art. 12.6, Code du travail, L.R.Q. c. C-27, Chapitre V.1. 65 Il s agit, en l occurrence de la Charte des droits et libertés de la personne, laquelle jouit d un champ d application horizontal et, dans la mesure où l État est impliqué, la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. 66 Chaoulli c. Québec (Procureur général) [2005] 1 R.C.S. 791. Les dispositions visées par le pourvoi étaient l art. 15 de la Loi sur l assurance maladie, L.R.Q., ch. A-29, selon lequel «Nul ne doit faire ou renouveler un contrat d assurance [ ] par lequel un service assuré est fourni ou le coût d un tel service est payé à une personne qui réside ou est réputée résider au Québec [ ]» et l art. 11.1 de la Loi sur l assurance-hospitalisation, L.R.Q., ch. A-28 : «Nul ne doit faire ou renouveler un contrat [ ] par lequel a) un service hospitalier compris dans les services assurés doit être fourni à un résident ou le coût doit lui en être remboursé; b) l hospitalisation d un résident est la condition du paiement; [ ]. Voir à ce sujet l excellente critique de Marie- Claude PRÉMONT, «L affaire Chaoulli et le système de santé du Québec : cherchez l erreur, cherchez la raison», (2006) 51 McGill L.J., p. 167. Rapport québécois Services publics - Page 11/16-

déréglementation des services publics de soins de santé au motif que les listes d attentes devenues trop longues enfreignent les droits et libertés des individus. Ceci, considérant qu il est interdit aux Québécois de s assurer dans le but d obtenir du secteur privé des services par ailleurs dispensés par le régime public. La Cour admet d entrée de jeu que l un des outils utilisés par les pouvoirs publics pour contrôler la progression de la demande de soins de santé est la gestion des listes d attente, et que «ce choix relève de l État et non des tribunaux 67». Néanmoins, elle parvient tout de même assez timidement- à la conclusion que la longueur des listes d attentes porte atteinte au droit à la vie et à la sécurité de la personne garanti par l article 7 de la Charte des droits et libertés de la personne 68. En réponse à cette décision, le Gouvernement du Québec a récemment privatisé une partie des services de soins de santé, créant de ce fait un système de santé à deux vitesses. 4. Les modes juridictionnels de résolution des litiges entre les utilisateurs et les prestataires de services publics Le législateur québécois a adopté, en 1971, la Loi favorisant l accès à la justice 69, créant ainsi une nouvelle division à la Cour du Québec, chambre civile, nommée «Division des petites créances». Par cette réforme, le législateur entendait favoriser le recouvrement de petites créances 70. Le consommateur désirant introduire une action en justice le fera donc généralement devant la Cour des petites créances, puisque celle-ci a désormais la juridiction exclusive pour trancher les litiges touchant le recouvrement d une créance de 7000 $ et moins 71 : il est, en effet, plutôt rare qu un problème de droit de la consommation donne ouverture à des réclamations supérieures à ce montant. Malgré les règles plus souples de cette juridiction (édictées spécifiquement afin de favoriser le citoyen dans ses démarches judiciaires), plusieurs obstacles se dressent encore sur le chemin du consommateur souhaitant intenter un recours contre le prestataire de services public. En premier lieu, sa compétence limitative de la Cour du Québec ne permet pas au consommateur de requérir une exécution spécifique, une injonction, un jugement déclaratoire ou un autre moyen de redressement non monétaire 72. Il faut également admettre qu à l interdiction de représentation par avocat (visant à diminuer les frais reliés à l accès à la justice), s ajoute l inconvénient de l indisponibilité courante des citoyens durant horaire de fonctionnement des tribunaux, lequel favorise d une manière plus marquée la profession juridique et les entreprises. Laissé à lui-même dans ses démarches judiciaires 73, le 67 Chaoulli c. Québec (Procureur général), id., par. 2. 68 Une forte dissidence a été enregistrée par les juges minoritaires, dont certains signalent que «la thèse des appelants repose non pas sur le droit constitutionnel mais sur leur désaccord avec le gouvernement québécois au sujet d aspects particuliers de sa politique sociale. C est à l Assemblée nationale qu il appartient de discuter et d établir la politique sociale du Québec» (id., par. 176 nos italiques). 69 L.Q. 1971, c. 86 70 P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, cit. Selon l auteur : «Les objectifs poursuivis par la création de ce nouveau tribunal sont clairs : rendre la justice accessible aux citoyens en procurant un moyen d adjudication peu coûteux et expéditif, dépouiller la justice d un formalisme excessif, procurer un moyen de conciliation susceptible d assurer la paix sociale» (p. 115). 71 Code de procédure civile, L.R.Q. c. C-25, art. 953. 72 P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, précité, p. 122. 73 Id., p. 123. Rapport québécois Services publics - Page 12/16-

consommateur, n est que très rarement familier avec les règles rattachées à l administration de la preuve 74. Si l on ajoute à ces difficultés la faible somme en jeu dans la plupart des litiges nés du consumérisme, force est de constater que le consommateur moyen préfèrera souvent subir une injustice plutôt que de s investir dans une procédure qui demande temps et énergie 75. En dépit des efforts fournis par le législateur pour faciliter l accès aux tribunaux pour les justiciables aux prises avec de faibles réclamations, la situation actuelle place encore le consommateur devant la complexité du système judiciaire québécois. Le recours collectif offre alors une avenue fort prometteuse en matière de droit de la consommation. D origine anglo-saxonne, le recours collectif fut introduit en droit civil québécois en 1978. Il est aujourd hui inclus dans les dispositions du Code de procédure civile 76 et doté d une loi qui lui est propre 77. Il s agit d un véhicule procédural qui permet d introduire une seule action pour le bénéfice de plusieurs demandeurs, dont les recours respectifs soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes, mais dont la jonction d action est difficilement applicable 78. Puisque la prestation d un service public vise assurément un large bassin de consommateurs, un défaut dans la prestation de service est plus susceptible de toucher un grand nombre de personnes. C est à ce moment que l intérêt de se réunir afin d intenter une action collectivement survient : «si la réclamation de chacun s avère trop modeste pour justifier une poursuite individuelle, le total des réclamations peut s élever à un niveau suffisamment important pour abattre au moins les barrières économiques» 79. Le recours collectif permet, entre autres, de répartir le poids des contraintes économiques entre les membres du groupe, de désengorger les tribunaux en rendant un seul jugement applicable à plusieurs personnes vivant la même situation et en rééquilibrant les forces entre les deux parties. À ce sujet, P.-C. Lafond observe : Treize dossiers de recours collectifs dans le secteur des services publics à la consommation ont été présentés devant les tribunaux dans les quinze premières années d application de la loi. Ce nombre équivaut à 14,6% des recours collectifs sollicités ou exercés en droit de la consommation. Ce résultat n a rien d étonnant, car les problèmes reliés aux services d utilité publique se caractérisent par l un des plus fort taux d intervention des consommateurs par rapport à l ensemble des problèmes signalés 80. De plus en plus populaire, cette forme d action n est toutefois pas exempte d inconvénients : il s agit d une procédure complexe qui ne peut convenir à tous les types de litige de consommation. Néanmoins, son efficacité a été démontrée dans plusieurs situations, incluant des litiges intentés contre des personnes morales de droit public 81. 74 Id., p. 124 et 126. 75 Id., p. 129. 76 Art. 999 et s. C.p.c. 77 Loi sur le recours collectif, L.R.Q. c. R-2.1 78 Art. 1003 C.p.c 79 P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, précité, p. 87. 80 P.-C. LAFOND, Le recours collectif comme voie d accès à la justice pour les consommateurs, précité, p. 123. 81 Voir, par exemple, l autorisation d exercer un recours collectif accordé à l encontre de Poste Canada qui aurait, selon les demandeurs, vendu un abonnement à Internet dont le service fut interrompu et la publicité trompeuse : Lépine c. Société canadienne des postes, 2003 CanLII 9270 (C.S.). Rapport québécois Services publics - Page 13/16-

5. La saine alternative : les modes non juridictionnels de résolution des litiges Il convient de spécifier qu aucun mécanisme de règlement à l amiable des conflits n existe spécifiquement en matière de droit de la consommation, ni en matière de différends auprès de la personne publique. Les modes non juridictionnels de traitement des litiges entre les utilisateurs de services publics et leurs prestataires se résument en un système de réception et de traitement des plaintes plutôt complexe, basé sur le statut que l on aura conféré au type de service public. Ainsi, il existe trois catégories dominantes d institutions aptes à recevoir les plaintes d un consommateur insatisfait ou encore victime d une injustice : soit l Office de la protection du consommateur, les Ombudsmans et le Protecteur du citoyen. Ainsi, les consommateurs de services publics non exclus de la totalité de l application de la L.p.c. pourront s adresser directement à l Office de la protection du consommateur. Quant aux prestataires de services y expressément exclus (le gouvernement fédéral, les commissions scolaires et universités, les municipalités, etc..), ils aménagent des instances qui leur sont propres et que l on nomme familièrement Ombudsmans. Enfin, les établissements de soins de santé verront les plaintes les concernant transmises à la Protectrice du citoyen. L Office de la protection du consommateur est institué par la L.p.c., dont il fait la promotion auprès des différents intervenants en matière de consommation et en surveille l application 82. Il reçoit les plaintes des consommateurs et est investi de larges pouvoirs d enquête afin de régler les situations litigieuses 83. L Office de la protection du consommateur possède également le pouvoir de requérir une injonction s il constate une pratique interdite 84. Dans le cadre de sa mission, il doit transmettre un rapport annuel au ministre responsable de l application de la loi, qui le déposera à l Assemblée nationale 85. Mais n étant pas un tribunal, il peut seulement inciter les commerçants à se soumettre à l application de la loi et leur formuler des recommandations. Facilement accessible grâce à ses bureaux régionaux, l Office de la protection du consommateur constitue somme toute un bon moyen visant à régler une situation problématique sans avoir recours au système judiciaire. Toutefois, il s agit d un organisme de protection qui vise tous les consommateurs et qui, en conséquence, concentre ses efforts sur les cas les plus problématiques de consommation (tels que les agences de recouvrement, les ventes de véhicules automobiles, les studios de santé, etc ). La faible part des services publics tombant sous la compétence de l Office de la protection du consommateur (transport en commun, vente d électricité lorsque les situations n entrent pas dans les exclusions prévues à la L.p.c.) en fait un piètre représentant. D autant plus qu il n est composé que de dix membres devant exécuter l ensemble de sa mission 86, laquelle touche plusieurs centaines d entreprises et de commerces. Plus nombreux sont les services publics expressément exclus de l application de la L.p.c. (Hydro-Québec dans certaines situations, les municipalités, les services fournis par le gouvernement fédéral, les Commissions scolaires et universités, voir supra). Les plaintes 82 Art. 291 et 292 L.p.c. 83 Art. 292 b) L.p.c. et 305 L.p.c. Voir également Loi sur les commissions d enquête, ch. C-37, art. 7. 84 Art. 316 L.p.c. 85 Art. 303 L.p.c. 86 Art. 294 L.p.c. Rapport québécois Services publics - Page 14/16-

visant ces services devront être adressées à l Ombudsman du prestataire de service à l origine de l injustice. Il s agit d une personne indépendante qui traitera la plainte dans un souci d équité, en favorisant la conciliation entre les deux parties. Il n est habituellement investi que d un pouvoir de recommandation. S il est relativement facile d entreprendre des démarches pour loger une plainte contre une université 87, un service gouvernemental fédéral 88 ou une municipalité 89, il demeure difficile de comprendre la procédure mise en place dans les commissions scolaires pour traiter les plaintes, celle-ci étant souvent embryonnaire, voir même inexistante 90. Quant aux services de soins de santé, ceux-ci entrent dans la sphère de protection de la Protectrice du citoyen, qui s est vue décerner la fonction du Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux en avril 2006 91. Il s agit en fait d une exception à sa juridiction initiale, qui lui permet normalement de traiter uniquement des plaintes concernant l action de fonctionnaires nommés selon la Loi sur la fonction publique 92. Toutefois, depuis ce changement législatif, la Protectrice du citoyen peut intervenir en cas d injustice dans la prestation d un service de soins de santé, mais dans la seule mesure où le consommateur a d abord saisi les institutions locales ou régionales créées à cet effet 93. Dans le cas d une plainte visant un établissement de santé et de services sociaux ou un foyer d accueil partenaire, la plainte doit être dirigée au commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l établissement en question 94. Si la plainte concerne plutôt les services donnés par des résidences qui détiennent un permis du ministère de la Santé et des Services sociaux ou d un organisme affilié, elle doit alors être adressée à l Agence de la santé et des services sociaux de la région. Le processus de traitement des plaintes est ainsi subdivisé de manière à ce que les plaintes soient prises en compte d abord à un premier niveau avant d être transférées à la Protectrice du citoyen en cas d insatisfaction dudit traitement, ou si aucune suite n est donnée dans les 45 jours. Dans son rôle de Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux, la Protectrice du citoyen est investie des pouvoirs d enquête des commissaires d enquête 95. 6. Le rôle des organisations de consommateurs et la gestion des services publics Les procédures de formulation de plaintes et d introduction d un recours judiciaire peuvent sembler complexes au consommateur moyen. Celui-ci n est heureusement pas 87 Soit l Université de Montréal, l École Polytechnique de Montréal, l École des Hautes Études Commerciales, l Université Laval, l Université du Québec à Montréal et l Université Concordia. 88 Soit le Ministère de la défense nationale, Passeport Canada et Postes Canada. 89 Soit Ville de Montréal, Ville de Québec, Ville Saguenay, Ville de Gatineau. 90 Voir «Les comités de parents veulent un Protecteur de l élève», Le Devoir, 19 février 2007. 91 Loi sur le protecteur du citoyen, L.R.Q., ch. P-32, art. 13 al. 3. et Loi sur le protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux, L.R.Q., c. P-31.1, art. 1. 92 Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1., Loi sur le protecteur du citoyen, L.R.Q., ch. P-32, art. 14. 93 Loi sur le protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux, L.R.Q., c. P-31.1, art. 8. 94 http://www.santesaglac.gouv.qc.ca/7993_fr.html 95 Supra, note 96, art. 9 et Loi sur les commissions d enquête, ch. C-37, art. 7. Rapport québécois Services publics - Page 15/16-

laissé à lui-même. Une multitude d associations se sont formées au fil du temps 96, lui permettant d obtenir l information et l aide qui lui sont nécessaires dans ses démarches. Des structures sectorielles ou régionales, ainsi que les associations sont une référence de marque en matière de consommation. Toutefois, leur rôle demeure limité par les faibles ressources financières dont elles disposent, ainsi que par le déni de la capacité nécessaire pour ester en justice ou de l intérêt requis pour agir 97 auquel elles sont souvent confrontées. Dès lors, leur seule arme consiste à commenter publiquement les agissements préjudiciables pour les consommateurs ou exercer une pression médiatique sur commerçants dont les pratiques laissent à désirer. ***** 96 Il existe, entre autres, 18 Associations Coopérative d Économie Familiale (ACEF) organisées sur une base régionale, ainsi que plusieurs autres organismes d importance différente, dont les plus connus sont Option consommateur et l Union des consommateur. 97 À l exception d Option consommateur, qui se porte demandeur au sein de plusieurs litiges en droit de la consommation : voir par exemple Option consommateurs c. Novopharm Ltd, 2006 QCCS 118, Option Consommateurs c. Easyhome Ltd., 2005 CanLII 20102 (QC C.S.), Option Consommateurs c. Union canadienne, 2005 CanLII 42425 (QC C.S.), Option Consommateurs c. Bell Mobilité, 2007 QCCS 862, etc. Rapport québécois Services publics - Page 16/16-