MENACES SUR LE CLASSICISME

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Transcription:

MENACES SUR LE CLASSICISME "D ue Saint-Antoine, Saint-Paul-Saint-Louis vient de virer du noir absolu au blanc pur. Il en est allé de même, non loin de là, pour l'ancienne chapelle Sainte-Marie et, derrière l'hôtel de Ville, pour Saint-Gervais. De l'autre côté de l'eau, il paraît que c'est une eau plus vierge que celle de la Seine qui a également ruisselé sur l'église du Val-de-Grâce, sur le Panthéon, sur les chapelles de la Sorbonne, de Port-Royal et de l'hôpital Laënnec. Traitement rigoureux mais, assure-t-on, sans danger. Je ne demande qu'à en être persuadé. Mon propos n'est pourtant pas d'aborder à nouveau ce problème qui reste pendant. Je veux constater, au-delà des discussions techniques, que la grande toilette des églises classiques de Paris coïncide à la fois avec la grande découverte de l'art religieux des XVII e et XVIII e siècles, et avec la grande offensive qui est menée contre celui-ci par une bonne partie du clergé français. Constatations d'abord éclairantes : elles choient tout d'un coup dans l'amertume du plus assombrissant des paradoxes. * A près le XVI e siècle, l'art proprement français n'existe plus» : "^^ on rit, mais seulement depuis peu, à cette péremptoire affirmation d'un médiéviste irréductible de Fentre-deux-guerres. Et l'on a raison de passer outre, puis de partir à la découverte de l'art religieux classique «jésuite», disait-on autrefois en grondant des deux derniers siècles de l'ancien Régime. Car enfin, non seulement l'art français ne mourait point, mais l'art médiéval, très souvent, se survivait sous l'éclat des victoires de la romanité, aux lendemains triomphants de la bénéfique Contre-Réforme qui, notamment à Paris, allait donner naissance' à une extraordinaire pros-

MENACES SUR LE CLASSICISME 597 périté esthétique. OÛÏ, empressons-nous de découvrir ce qui subsiste de tout cela : nous n'arrivons pas trop tôt, mais nous pourrions bien arriver trop tard... /^e sont les historiens d'art qui vont guider nos pas, naguère si mal ^* assurés. Depuis un quart de siècle, ils ont labouré un terrain que leurs prédécesseurs romantiques avaient volontairement laissé en friche. Hors du gothique, point de salut! Loin de moi l'idée presque parricide de jeter l'anathème sur le Moyen Age... Aussi bien, celui-ci ne court-il, sur le plan intellectuel, aucun danger : il n'est, pour s'en persuader, que de jeter les yeux sur le moindre étal de libraire où resplendit jusqu'à obscurcir curieusement l'éclat du gothique, la gloire du roman, célébrée avec une ferveur de néophyte par tous les sourciers de l'archaïsme que l'on sait. Le fait nouveau, ce n'est point que l'on s'obstine à piétiner dans la «nuit des temps», mais que nombre de nos contemporains ont l'audace, novatrice celle-là, de marcher sur les routes bien ensoleillées d'une civilisation qui vient à peine de s'éteindre et qu'ils n'ont point quant à eux, la vaine impertinence de vouloir ranimer sous les feux de leurs constantes observations. M. Louis Hautecœur est un de ceux-là. Grâce à lui, grâce aux neuf volumes de sa magistrale Histoire de l'architecture classique en France (1), le classicisme n'est plus, dans tous les sens du terme, un étranger pour nous : il a conquis son droit de cité au sein de l'archéologie française. D'autres historiens de l'art ont poursuivi cette enquête essentielle qui n'en est encore qu'à ses débuts. Ainsi en est-il de M. Pierre Moisy : dans ses Eglises des Jésuites de l'ancienne Assistance de France (2), il a très exactement réhabilité ceux des édifices religieux de la période classique qui, depuis plus de cent ans, avaient subi les pires outrages matériels et moraux de la part des médiévistes. Ainsi en est-il également de Mlle Joan Evans qui a eu le singulier mérite de se pencher sur l'évolution de l'architecture monastique en France, de la Renaissance jusqu'à la Révolution une archéologue britannique se substituant, pour leur grande confusion, à ses confrères français... (3). Enfin, pour ajouter quelque chose à cette bibliographie sommaire, mais fondamentale, comment ne pas citer l'ouvrage de M. Victor-Lucien Tapie : Baroque et classicisme (4), où est analysée avec une extrême péné- 1) A. et J. Picard et Cie, Paris, 1943-1957. 2) Instltutum historicum societatis Jesu, Rome, 1958. 3) Monastlc architecture in France from the Renaissance to the Révolution, Unlver8ity press, Cambridge, 1964. (4) Pion, Pans, 1957.

598 MENACES SUR LE CLASSICISME tration cette permanente dualité de l'esprit européen qui s'est exprimée en France de la façon la plus subtile? Dans le même temps, cédaient peu à peu les traditionnels remparts du médiévisme. La Société française ^archéologie fait désormais une place chichement mesurée aux productions monumentales postérieures à la fin du Moyen Age, que jamais elle n'eût autrefois osé franchir. Symptôme encore plus prometteur, l'eteole des Chartes dépasse hardiment ses antiques frontières pour aborder aux rives des «temps modernes», je veux dire à celle.des trois derniers siècles de l'ancienne France : ce sont de jeunes chartistes (tels que MM. Jean-Pierre Babelon, Alain Erlande-Brandenburg ou Bertrand Jestaz) qui renouvellent notre connaissance des demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, ou qui se penchent sur la naissance de la Colonnade du Louvre et de l'église des Invalides. Enfin, l'etat lui-même, par le canal du Service des Monuments historiques, au ministère des Affaires culturelles, daigne étendre sa protection aux œuvres classiques qui commencent à bénéficier des avantages du «classement» officiel, jadis réservés au seul art médiéval. \T oilà, je le répète, un faisceau de faits nouveaux qui, du double " point de vue de l'érudition et de la sauvegarde, ouvrent largement une ère nouvelle, entre autre dans l'ordre de la découverte progressive de l'art religieux issu du concile de Trente. Or, voici précisément qu'en fonction du deuxième concile du Vatican qui vient de s'achever, tout est soudain remis en question. Ce patrimoine sacré des XVII e et XVIII e siècles que les historiens de l'art, que les Pouvoirs publics, que les défenseurs des monuments s'attachent lucidement à étudier, à classer, à révéler à leurs contemporains, est désormais soumis à tous les périls de la part d'un certain clergé avide de «ressourcement» immédiat et confus, et qui condamne en paroles ou, souvent, en fait, tout l'apport esthétique né du concile de Trente, considéré comme anachronique et vidé de toute substance chrétienne. A noter que les auteurs des récentes constitutions liturgiques ne sont nullement responsables de ce grave état de choses : c'est en contradiction foncière et formelle avec Rome que sont actuellement dissimulés, démontés, voire détruits ou aliénés illégalement, les autels, les retables, les statues, les tableaux classiques ou baroques qui parent encore, en dépit de nos successives révolutions religieuses, politiques et esthétiques, nos plus superbes ou nos plus modestes églises. J'ai parlé, au début dé ces lignes, de paradoxe. A la vérité, c'est un drame qui se déroule sous nos yeux. Si, dans une forte proportion, le clergé français s'est paresseuse-

MENACES SUR LE CLASSICISME 599 ment arrêté à la page médiévale, si, à l'exemple tardif de la génération romantique, il n'a pas encore consenti à feuilleter les pages suivantes du grand livre de la connaissance, n'est-ce point parce que les érudits ont trop tardé à lui révéler la grandeur matérielle et la beauté spirituelle du patrimoine chrétien que nous a légué la civilisation de l'europe classique? Retard désastreux : nous en supportons, ne serait-ce que sur le plan de l'esthétique, les formidables conséquences. Il ne sera pas comhlé de sitôt. Et ces thèses proclassiques que s'efforcent de faire prévaloir les nouvelles générations françaises, n'atteindront peut-être pas avant un demi-siècle ce clergé archaïsant qui croit, parfois en toute bonne foi, bien servir la cause de l'art en continuant, comme au siècle dernier, à sacrifier aux seules valeurs du Moyen Age et des âges les plus reculés du christianisme. Ce ne sont point les amis objectifs de l'art et de la spiritualité classiques qui font preuve d'intransigeance impartiaux et éclectiques, ils ne songent pas un instant à renier le Moyen Age mais les zélateurs du primitivisme intégral, tant clercs que laïques, qui, sous le prétexte de s'abreuver aux sources qu'ils jugent les plus pures, rejettent sans remords deux et trois siècles d'une évolution esthétique qu'ils considèrent comme éminemment peccamineuse. La caricature du passéisme, ce sont bien ceux-ci qui la dessinent, et non point ceux-là. T 'ancienne France a été, à travers son histoire, soumise plus ^ d'une fois, à la tentation du «ressourcement». Le classicisme, fruit français de la Renaissance, en marque l'un des épisodes particulièrement révélateur si l'on en considère les incidences dans le domaine de l'art sacré. Une première constatation s'impose : Paris, lentement conquis par l'italianisme ambiant, ne se livra presque jamais pieds et poings liés à son vainqueur esthétique. La «collaboration» équilibra la «résistance»... Le ciel de la capitale des Bourbons se romanise, sous lequel s'arrondissent les dômes ; les ordres à l'antique se superposent sur les frontispices de ses églises ; ici et là, mais sur des points de détail, on cède un peu à la séduction baroque. Il reste que, très souvent, la tradition nationale mesure innée, réserve constante face à tous les excès réussit généralement à l'emporter. Ne disons point, par une sorte de puéril chauvinisme, que l'art religieux parisien ne fut lui-même qu'en fonction de son attachement à ses antiques disciplines. Saint-Sulpice, sous ses habits ultramontains, n'est pas moins français que Notre- Dame ; le Val-de-Grâce, pièce italianissime de l'échiquier parisien, c'est Rome en France. Ce ne sont pas deux indéniables chefs-d'œuvre parce que le premier persiste à refléter le passé et que le se>

600 MENACES SUR LE CLASSICISME cond, se flatte d'incarner le présent, mais parce que, chacun dans son ordre, ces édifices insignes sont des réussites plus que parfaites qui ont valeur de symbole. Le Val-de-Grâce et Saint-Sulpice se situent aux deux pôles de l'architecture parisienne, de Louis XIII à Louis XV. Le plan de Saint-Sulpice, que l'on retrouve à Saint-Roch, à Saint-Louis-en-FILe ou à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, c'est celui de toutes les grandes églises médiévales vaisseaux cruciformes entourés de bas-côtés et de chapelles. A noter qu'il s'agit là d'églises séculières, dont les paroissiens à l'esprit traditionnel, voire routinier, eussent été heurtés dans leurs habitudes par l'adoption de plans trop ouvertement «révolutionnaires». En revanche, la nef unique flanquée de chapelles, le transept parfois surmonté d'un dôme procédés monumentaux qu'affectionnaient, mais non exclusivement, les architectes de la compagnie de Jésus font leur apparition à Paris dans les églises des ordres religieux nouveaux ou renouvelés, qui n'avaient pas à se plier aux exigences légitimes du service paroissial. C'est ce qu'attestent non seulement l'abbatiale bénédictine du Val-de-Grâce, mais les églises des Carmes et de l'oratoire, celles de la maison professe dès Jésuites (Saint-Paul-Saint-Louis), celles des Cisterciennes de Port-Royal (La Maternité), ou du noviciat des Dominicains (Saint- Thomas-d'Aquin). La complexité de l'art religieux français, à l'heure du classicisme, est extrême : où est le monolithisme «jésuitique» que dénonçaient vertueusement les farouches médiévistes de l'école de Viollet-Ie-Duc? La grande césure n'est pas le fait du XVII e siècle, mais celle de la seconde moitié du siècle suivant. Elle est née de 1' «archéologisme» militant des Soufflot, des Chalgrin, des Brongniart, l'antiquomanie n'étant que le prélude à la gothiquomanie du siècle dernier. Le «retour à l'antique» fut pour le XVIII e siècle ce qu'est, pour le nôtre, le «retour au roman». Ce «ressourcement» se manifesta par un abandon quasi total des disciplines esthétiques du Grand Siècle, qui avaient été tout naturellement associées à celles des siècles antérieurs : il contribua à consommer la rupture avec la vivante tradition française. L'ère du pastiche commençait. A ce titre, Saint-Philippe-du-Roule, fausse basilique romaine, est un faux-témoin comme l'est Sainte-Clotilde, fausse cathédrale médiévale. Ainsi, tout «ressourcement» massif et arbitraire ne peut se solder que par de retentissants et désolants échecs. T a fin du XX e siècle veut à son tour, sous le rapport de la "^ sauvegarde du patrimoine sacré, rompre avec des siècles chrétiens qui n'avaient jamais brutalement rompu le fil du passé et qui

MENACBS SUR LE CLASSICISME 601 s'étaient logiquement inscrits à la suite de toutes les traditions françaises. Le spectacle qu'offrent les églises de France, victimes de choix d'une épuration dont les lois religieuses et civiles ne parviennent que malaisément à briser l'élan dévastateur, ce spectaclelà nous emplit de tristesse et d'inquiétude. Il est fait d'une totale méconnaissance de ces siècles classiques que l'érudition française tente de dépouiller enfin de toutes les scories que les générations romantiques avaient jugé bon de déposer sur eux dans le dessein d'en voiler et d'en dénaturer la haute image. Timidement, le classicisme revient, non point comme un conquérant ou comme un prophète, mais comme un témoin et, peut-être, comme un ferment. Va-t-on récuser son témoignage? YVAN CHRIST