Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains. Avertissement

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Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains Kwong Hing Foon Avertissement Cette étude est la dernière que Kwong Hing Foon ait mise au point, moins a" un an avant sa mort. Le texte en a été rédigé en chinois pour être présenté devant les congressistes de la Conférence internationale sur la littérature populaire en Chine qui s'est tenue à Taipei du 4 au 7 septembre 1989. Il a été publié dans les actes de cette conférence (Minjian wenxue guoji yantaohui lunwen zhuanhao, dans Hanxue yanjiu, 8-1.juin 1990,2 volumes, 812 pages), sous le titre «Xiandai minjian chuanshuo de Wang Zhaojun», «Wang Chao-chûn in Present-day Folktales» (volume 2, pp. 461-487). Kwong Hing Foon avait entrepris de traduire ce texte en français pour Études chinoises. Elle n'a pu rédiger que le tiers environ de cette traduction (l'introduction et le premier chapitre, intitulé «Les sujets»), non sans apporter de sensibles retouches au texte original. J'avais pu l'aider, avant son hospitalisation, à mettre au point cette première partie de la traduction, qui est reproduite ici sans changements. J'ai dû terminer seul le travail, en suivant de plus près le texte chinois, sans m'astreindre toutefois à en donner une traduction littérale. Jai ajouté parfois quelques notes, toujours accompagnées du sigle «N.d.T.». Études chinoises, vol. XI, n 1, printemps 1992

Kwong Hing Foon Depuis la mort de notre maître Paul Demiéville, je n'avais plus connu l'épreuve de la préparation d'une publication posthume. Puisse celle-ci rappeler le souvenir d'une sinologue de grand talent,fauchée dans la fleur de l'âge par un sort aveugle. J.-P. Diény Wang Zhaojun était au ciel une immortelle. Sur l'ordre impérial de l'auguste de Jade, elle descendit sur terre pour apaiser les conflits armés qui opposaient les deux peuples des Han et des Xiongnu. Ayant parcouru un long chemin depuis le grand désert septentrional, le chanyu vint [à la cour des Han] pour y recevoir la main de Zhaojun. [Au retour] le couple, bravant le vent et la neige qui emplissaient le ciel, arriva au bord de la rivière Noire, où mugissait le vent du Nord : déchaîné, celui-ci faisait voler les pierres et le sable. Impossible d'avancer : la chevauchée ne put que s'arrêter sur place. Zhaojun descendit alors de son cheval et commença à jouer du pipa. Immédiatement, le vent se calma, la neige cessa de tomber. Dans le ciel se déployèrent des nuages colorés et s'enroulèrent des nues de bon augure ; sur la terre fondirent la glace et la neige. Tous les êtres ressuscitèrent. En moins d'un moment, partout poussèrent des herbes vertes, tendres et fraîches, et naquirent d'éblouissantes fleurs sauvages. Au loin, le mont Obscur verdit ; tout près, la rivière Noire s'éclaircit Arrivèrent aussi des alouettes, des coucous, des pies innombrables, qui tournoyèrent et chantèrent au-dessus de la caravane de Zhaojun et du chanyu... Le chanyu et le peuple des Xiongnu, extrêmement heureux, décidèrent de s'installer définitivement à cet endroit. Par la suite, Zhaojun et le chanyu parcoururent les régions qui environnaient le pied de la montagne Yin, ainsi que le nord et le sud du Grand Désert. Là où allait Zhaojun, les eaux et les prés s'épanouissaient, les hommes et les animaux domestiques prospéraient Arrivant en un lieu sans herbe ni eau, Zhaojun traçait un trait avec son pipa, et sur la terre apparaissaient aussitôt un cours d'eau comme une ceinture de jade et des prairies semblables à des tapis verts. Zhaojun avait aussi une jolie sacoche en brocart, de laquelle elle sortit quelques graines qu'elle jeta à terre. C'est alors qu'au delà des passes apparut l'agriculture. Elle sortit de sa sacoche une paire de ciseaux d'or et découpa dans une peau de mouton des charrues, des chars, des moutons et des chevaux qui à peine posés à terre devinrent des charrues de fer et des chars de bois autour desquels se formèrent des troupeaux de moutons, des troupeaux de chevaux, des troupeaux de chameaux. 8

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains Beaucoup d'années passèrent. Une nuit, avec un bruit énorme, une lumière rouge passa soudain sur la terre comme un éclair, Le lendemain on s'aperçut qu'à cet endroit, sur la terre plate, s'était élevé un tertre au-dessus duquel erraient des nuages flottants de cinq couleurs. Les gens dirent que Zhaojun, ayant accompli la mission que l'auguste de Jade lui avait confiée, était remontée au ciel. Ce tertre est l'actuelle tombe de Zhaojun... Ce récit a été relevé dans un livre intitulé Zhaojun yu Zhaojunmu (Zhaojun et la tombe de Zhaojun), compilé par le professeur Lin Gan de l'université de la Mongolie intérieure et publié en 1979 (pp. 69-70). À ceux qui connaissent l'histoire traditionnelle de Wang Zhaojun, à travers les œuvres classiques ou populaires, poétiques ou musicales, romanesques ou dramatiques, je ne sais quelle impression peut produire un tel récit : nouveauté? étrangeté? C'est tout récemment qu'en Chine continentale ont été publiés deux recueils consacrés exclusivement à la légende de Wang Zhaojun à partir de sources orales et populaires peu connues. Le premier, compilé et publié en 1980 par la Maison de la Culture du district de Xingshan de la province du Hubei (Hubeisheng Xingshanxian wenhuaguan), était plutôt une publication locale dont le premier tirage n'a compté que trois mille exemplaires. Le second livre, compilé par Wu Yihong, membre de la Société de littérature populaire (Minjian wenxue yanjiuhui) de Pékin, et par Wu Biyun, a été publié en 1983 et largement diffusé jusqu'à Paris. La plupart des contes du premier recueil sont inclus dans le second. Outre ces deux publications, le premier chapitre du Xingshan minjian gushi chuanshuo ji (Les contes populaires et les légendes du district de Xingshan, 1983) est aussi consacré à l'histoire de Wang Zhaojun. Dans ces trois recueils, après avoir éliminé les doubles et les variantes sans intérêt, j'ai relevé trentecinq titres indépendants dont quatre comportent chacun deux versions différentes 1. Ces récits ont été recueillis dans trois régions où ils circulaient, à savoir le district de Xingshan, la Mongolie intérieure et la province de 1 La liste des trente-cinq contes est donnée dans l'appendice 2 : on y trouvera la transcription des titres enpinyin. Les trois recueils qui viennent d'être présentés seront désormais désignés respectivement par les lettres B, A, C, suivies des paginations ; leurs titres seront donnés dans la bibliographie (N.d.T.). 9

Kwong Hing Foon l'anhui. Le nombre des récits rassemblés varie d'ailleurs beaucoup d'un site à l'autre (vingt-huit à Xingshan, six en Mongolie intérieure, un seul dans l'anhui), mais chacun des trois ensembles a son intérêt propre. Cela dit, dans la légende de Zhaojun telle qu'elle est racontée aujourd'hui, s'observent, malgré la diversité des anecdotes, certaines idées et préoccupations communes. Ce fait n'est pas dû au hasard. Rappelons pour commencer quelques données historiques concernant le personnage central. Sous le règne de Yuandi (48-33 av. J.-C), le chanyu Huhanye qui régnait sur les Xiongnu, un peuple nomade du Nord, vint rendre hommage à la cour de Chine et demanda à s'allier par mariage à la famille impériale pour consolider la paix. WangZhaojun, une jeune femme issue du peuple qui demeurait alors à la Cour latérale (yeting) du palais dans l'attente des ordres impériaux, fut choisie pour cette union. C'est ainsi qu'en 33 av. J.-C. elle quitta la Chine en compagnie du souverain des Xiongnu. Elle devait terminer sa vie au delà des passes septentrionales sans qu'on puisse préciser la date de sa mort. Malgré l'indigence de ces données historiques, Wang Zhaojun a traversé toutes les époques de l'histoire de Chine comme une figure privilégiée de la littérature aussi bien classique que populaire. Bien que le mariage ait été conclu dans la réalité comme une œuvre de paix, l'histoire de Zhaojun apris dans la littérature une tonalité généralement tragique 2. C'est avec son image traditionnelle que nous confronterons la Zhaojun des récits populaires de notre temps. Les sujets Les récits du district de Xingshan L'actuel Baopingcun (le village du Terrain précieux), à sept li à l'ouest du chef-lieu du district de Xingshan, s'appelle également le «Village de 2 Pour les faits historiques, voir les «Annales de Yuandi» et la «Monographie des Xiongnu» dans le Hanshu (ch. 9 et 94b), ainsi que la «Monographie des Xiongnu du Sud» dans le Hou Hanshu (ch. 89). À ce personnage, j'ai consacré précédemment une étude d'ensemble (Wang Zhaojun, une héroïne chinoise de l'histoire à la légende, Paris, Collège de Franee/IHEC, 1986). 10

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains Zhaojun» 3. C'est là, dit-on, que Zhaojun est née. Il est donc bien naturel que son histoire se soit répandue dans cette région en liaison avec certaines particularités locales. En effet, les vingt-huit récits qui ont trait à cette région rapportent tous, à une seule exception près - celui qui s'intitule «La Sacoche en brocart de Zhaojun» -, des légendes sur l'origine de sites, de sources, de richesses naturelles, etc. Voici quelques exemples : Sur l'origine et la dénomination des lieux Le récit intitulé «L'Origine du Terrain précieux» raconte l'histoire de la dénomination du village qui nous occupe. Dans le village natal de Zhaojun, la vie était très dure. Les villageois avaient besoin de travailler jour et nuit pour nourrir leurs familles. Comme ils défrichaient une terre inculte au flanc d'une colline, en face de chez Zhaojun, par une nuit sans clair de lune ni étoiles, il se produisit un grave accident qui fit de nombreux blessés. Zhaojun, qui étudiait tard elle aussi, entendit des cris douloureux et fut profondément touchée. Dès le lendemain elle alla prier le dieu du Sol pour la protection des villageois. Sa sincérité obtint une réponse divine. Après sept jours et sept nuits on vit pousser une aleurite miraculeuse : sa lumière allait éclairer pendant la nuit le défrichement, de sorte que les villageois ne risqueraient plus désormais de courir des dangers dans l'obscurité. Non seulement le labour fut un succès, mais encore ce nouveau champ devint extrêmement fertile. Trois récoltes par an y étaient toujours assurées, tandis qu'ailleurs on n'en espérait que deux au maximum. C'est pourquoi ce lieu fut nommé le «Terrain précieux». Sur les paysages On raconte que Zhaojun était une brodeuse de génie qui réalisait tout ce qu'elle voulait avec son aiguille et ses fils de couleur. Pourtant elle fut très embarrassée un jour, pour avoir promis de broder un phénix d'or. Elle n'avait jamais vu un phénix de sa vie et avait du mal à dessiner cet être fabuleux. Mais voici qu'un matin, comme elle était à court d'idées, apparut à sa fenêtre un oiseau d'or qu'elle jugea semblable à un phénix. Mais l'oiseau 3 Cf. Wu Daozhou, Zhaojun guli, Hubei renmin chubanshe, 1984 (Hubei ltlyou congshu), pp. 5-9. 11

Kwong Hing Foon s'envola. Elle se précipita à sa poursuite et parvint à une terrasse, au sommet d'un mont, où elle perdit complètement sa trace. Or, en jetant ses regards sur une montagne où éclataient les rayons du soleil levant, elle fut saisie par la beauté de ce spectacle qui évoquait merveilleusement un phénix lumineux en plein vol. Pendant dix jours elle revint admirer le lever du soleil et exécuta sa broderie sur place sans manquer aucun détail. Sans qu'elle s'en doutât, assise sur la terrasse tout en haut du mont, sa silhouette élégante et ses gestes gracieux rehaussaient encore le paysage aux yeux des passants. Par la suite, le lever du soleil sur la Terrasse de l'épouse impériale fut considéré comme l'un des huit paysages les plus prestigieux du district de Xingshan. Sur les constructions Dans le village il y avait un pavillon où l'on aimait à admirer la lune en se souvenant de Zhaojun. Il est dit en effet que Zhaojun aimait passionnément la lune, car elle était née lors de la fête de la mi-automne, où brille la pleine lune. Ses parents avaient fait construire un pavillon pour qu'elle pût y étudier, jouer de la musique ou broder en admirant la lune. De là vint l'appellation de ce pavillon : «Pavillon pour la Contemplation de la lune». Sur les productions locales On cultive dans cette région une espèce de maïs qui ne demande que cent jours de croissance pour parvenir à maturité. On dit que cette espèce provient d'un don de Zhaojun qui, vivant loin de son pays natal et toujours préoccupée du bonheur de ses compatriotes, fit transporter cent grains de ce maïs par cent pigeons, depuis la terre étrangère jusqu'au village natal, en un voyage de cent jours. Les villageois appellent cette espèce de maïs le «retour au pays en cent jours» (bairi huanxiang) ou le «parfum de cent jours» (bairi huanxiang) car cette plante exhale un parfum exceptionnel. Sur les mœurs Chaque année, on célèbre la fête des «lanternes sur larivière» la quinzième nuit du septième mois lunaire. On danse en groupes, on fait claquer des 12

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains pétards, on bat du tambour, on frappe des gongs. Quant aux enfants, ils se jettent dans la rivière Parfumée (Xiangxi) en portant des lanternes de formes et de couleurs variées. À cette fête locale est également attaché le souvenir de Zhaojun. On dit en effet qu'au moment où elle fut choisie pour entrer au palais impérial, son départ pour la capitale dut avoir lieu à une heure faste au milieu de la nuit du quinzième jour de la septième lune. Craignant qu'elle ne vît pas clair et qu'il ne lui arrivât un accident, les villageois étaient venus l'éclairer avec des lanternes en faisant résonner les tambours et les gongs. Certains des lieux ainsi mentionnés, soit occasionnellement soit à titre de sujet principal du récit, figurent déjà dans des monographies locales depuis l'époque des Song au plus tard. Cela ne prouve évidemment rien quant à l'ancienneté des récits en question. Car si ces monographies attestent une relation étroite entre Zhaojun et ces lieux-dits, elles ne fournissent que des informations très brèves et ne développent aucun récit. Par exemple, à propos du mont de la Terrasse de l'épouse impériale (Feitaishan), le Hubei tongzhi nous apprend simplement que celui-ci est situé au sud du district de Xingshan et qu'on l'appelle aussi le «mont Méridional du district» (Xiannanshan). Quant à la terrasse, il est dit que sa construction est due aux habitants du village qui, regrettant l'absence de Zhaojun, y montaient dans l'espoir de l'apercevoir au loin 4. Mais il n'est fait aucune allusion à la broderie du phénix. D'autre part, les événements locaux associés à la légende de Zhaojun sont souvent traités pour eux-mêmes, sans rapport étroit avec l'héroïne ellemême. Les récits sur les «fleurs-pigeons» (gezihua) en sont un bon exemple. L'un d'eux raconte qu'en quittant la Chine Zhaojun avait comme compagnons deux pigeons blancs qu'elle devait charger plus tard d'annoncer aux Chinois la bonne nouvelle de la paix retrouvée. Ces pigeons voyageurs regagnèrent d'abord le palais des Han pour y déposer un message en seize caractères écrits sur une pièce de soie par Zhaojun elle-même : 4 Pour plus de détails sur les sites liés au souvenir de Zhaojun, voir le chapitre qui les concerne dans Wang Zhaojun, une héroïne chinoise..., op. cit., pp. 140-159. 13

Kwong Hing Foon À la frontière la paix, Hu et Han vivent en harmonie ; Armes et cuirasses déposées, Au pays la prospérité, au peuple la sécurité. Il fallut aux pigeons six jours de plus pour arriver au village natal de Zhaojun. Ses parents et les villageois reçurent également un message en seize caractères : À la frontière la paix, Chers patriarches, tranquillisez-vous. Hu et Han vivent en harmonie, La fête est pour tout le peuple. Très émus et heureux, ils voulurent remercier les deux pigeons messagers qui, avant qu'on se souvînt d'eux, étaient allés se reposer sur un arbre dans la montagne Wanchao. En s'approchant, les villageois ne trouvèrent que deux grossesfleursblanches, parfaitement semblables à deux pigeons prêts à s'envoler, les ailes ouvertes. Depuis lors, chaque année, entre la fin du printemps et le début de l'été, la montagne Wanchao se couvre de fleurspigeons. Celles-ci éclosent sur l'arbre gongtong, également nommé «Parbre-aux-pigeons» (gezishu, A 75-80). Outre cette belle histoire sur les fleurs-pigeons, il en existe une autre, très pathétique, qui n'a rien à voir avec Zhaojun. Il s'agit de la légende de Gao furen, l'épouse de Li Zicheng. Installée dans le district de Xingshan avec une troupe de résistants contre les Mandchous, celle-ci voulut demander l'assistance des Chinois de Taiwan afin de chasser les envahisseurs étrangers. Huit pigeons blancs furent chargés de transmettre cet appel. Mission accomplie, ils rapportèrent en réponse une grande pièce d'étoffe sur laquelle étaient brodés transversalement huit caractères dorés : Que les Qing soient renversés, les Ming restaurés ; Ensemble nettoyons les monts et les fleuves. Malheureusement, arrivés dans le ciel de Xingshan, les pigeons furent attaqués par l'armée des Mandchous et obligés de s'enfuir. Ils trouvèrent 14

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains refuge sur un arbre dans la montagne Wanchao et donnèrent naissance aux fameuses fleurs blanches (C 32). Dans ces deux récits, mêmes pigeons messagers, même montagne Wanchao, intrigue analogue à des fins différentes. Sur le même sujet les «fleurs-pigeons», il était facile de greffer la légende de Zhaojun, ainsi que celles de Gao furen ou de quelques autres femmes, pourvu qu'il existât un lien entre ces personnages et la région. L'arbre dit gezishu est d'une espèce unique au monde qui ne subsiste qu'à quelque quatre cents exemplaires à proximité de la montagne Wanchao 5. Un trésor pareil, d'autant plus précieux que son aspect est singulier, a inspiré et continue d'inspirer l'imagination des habitants de la région. S'ajoutant à l'élément immuable du récit qu'est le pigeon transformé en fleur, la participation de Wang Zhaojun ou de Gao furen n'est donc qu'une circonstance fortuite. De même, dans un bon nombre de récits impliquant le personnage de Zhaojun, celle-ci ne tient qu'un rôle de catalyseur. Prenons les deux versions de l'histoire du «poisson-fleur-de-pêcher» (taohuayu). Il s'agit, selon l'une des deux versions, d'une amie intime de Zhaojun, appelée Taohua m}l, dont le nom se comprenait plutôt au sens de taohua # &, car cette jeune fille cultivait avec talent des pêchers et avait toute la beauté de leur floraison. Avant d'aller chez les Xiongnu, Zhaojun était revenue au village pour dire adieu à ses parents et à ses compatriotes. À son retour, comme elle descendait larivièreparfumée, la foule se pressait tout le long desrives.taohua, qui s'y trouvait aussi, agitait une branche de pêcher et tout en courant appelait Zhaojun pour lui annoncer la bonne nouvelle de la floraison des pêchers. Miracle! Derrière elle, sur tous les chemins poussaient des pêchers sur lesquels éclosaient immédiatement des fleurs rouges. Emportés par le vent, les pétales tombèrent dans l'eau tout autour du bateau de Zhaojun qui, émue, prit son pipa et joua un morceau appelé «L'Adieu desfleursde pêcher» (Taohuasong). Sous l'effet de la musique, les pétales se métamorphosèrent finalement en une escorte de poissons colorés (A 62-67). L'autre version concerne une jeunefilleappelée également Taohua mais qui n'était pas originaire du village. Elle était venue de la frontière septentrionale où les conflits armés entre les Han et les Xiongnu avaient 5 D'après une note qui accompagne le récit concernant Zhaojun (A 75). 15

Kwong Hing Foon rendu la vie impossible pour les habitants. Malheureusement, elle n'avait pas trouvé non plus la paix dans sa vie de réfugiée. Un propriétaire terrien la força à devenir sa concubine. Taohua préféra mourir plutôt que de partager la vie de ce personnage odieux et se noya dans la rivière Parfumée, la veille du départ de Zhaojun pour le palais impérial. Avant de se jeter à l'eau, Taohua exprima le regret de ne pouvoir attendre un jour de plus pour dire adieu à Zhaojun, envers qui elle avait beaucoup de gratitude. Le lendemain, lorsque Zhaojun s'embarqua, elle vit nager autour de son bateau beaucoup de poissons, dont l'un, tout blanc, sortit de l'eau et sauta à bord. Zhaojun eut l'impression d'apercevoir Taohua, sanglotant et tout de blanc vêtue. Elle remit le poisson dans l'eau puis y jeta une poignée de fleurs de pêcher. Les poissons mangèrent les fleurs et devinrent tout rouges. Telle est l'origine du «poisson-fleur-de-pêcher». Cette légende comporte deux éléments fondamentaux, la fleur de pêcher et le poisson. Dans les deux versions que nous venons de présenter, ceuxci sont unis à travers les vies différentes de deux jeunes filles nommées toutes les deux Taohua. Mais pour qu'ils entrent dans le cadre de la vie de Zhaojun, c'est à celle-ci qu'est confié le soin d'assurer la métamorphose. En réalité, il paraît que ce prétendu poisson est une sorte de méduse qui se montre chaque année dans la rivière Parfumée au moment de la floraison des pêchers 6. Ces petits êtres aquatiques intéressent sans doute beaucoup les habitants des bords de la rivière. C'est en effet leur image et celle des villageois en train de les pêcher qui ont été choisies pour illustrer la page relative à la rivière Parfumée dans une revue censée présenter les paysages et les productions de la circonscription administrative de Yichang, dont fait partie le district de Xingshan 7. Les récits de la Mongolie intérieure La légende de Wang Zhaojun est connue dans la Mongolie intérieure, en particulier aux environs de la Grande rivière Noire (Da Heihe), près de Huhehot, et sur larivesud du fleuve Jaune près de Baotou, où se situent 6 Cf. Zhaojun guli, p. 34. 7 Cf. Sanxia mingzhu Yichang, 1985, p. 15, publication non commercialisée. 16

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains des tombes qui lui sont attribuées. Comme nous l'avons dit, les récits recensés dans cette région qui figurent dans les recueils étudiés sont peu nombreux. Encore faut-il ajouter que sur un total de six, il n'y en a que trois dont Zhaojun soit vraiment le personnage central. Voici un résumé de ces trois récits. a) «Le Pont de Zhaojun» À l'occasion de son mariage avec le chanyu, Zhaojun demanda à celuici de construire un pont sur la Grande rivière Noire pour que les Chinois puissent venir au pays des Xiongnu et assister aux cérémonies. Ce pont permit aux deux peuples de communiquer en temps de paix, mais il finit par s'effondrer pour empêcher les armées des deux côtés de traverser le fleuve quand les conflits devinrent inévitables. b) «La Poudre de Zhaojun» Les femmes des Xiongnu ne savaient pas se maquiller. Leurs visages rayonnants reflétaient simplement les murs blancs de leurs maisons, qui étaient peints d'une poudre blanche produite par le mont du Fard (Yanzhishan). Mais depuis longtemps, bien avant le mariage de Zhaojun, le mont avait cessé de produire cette poudre car il avait été brûlé et détruit par la guerre. Les visages des femmes étaient devenus sombres et peu plaisants, de sorte que leur souverain préféra demander la main d'une Chinoise. Telle avait été la cause de la venue de Zhaojun qui, généreuse, apporta avec elle une poudre de maquillage, qu'elle offrit aux femmes des Xiongnu pour leur rendre leur beauté perdue. Sa bonne intention toucha le Ciel qui restitua au mont du Fard ses anciens pouvoirs. Les femmes des Xiongnu purent désormais non seulement repeindre les murs de leurs maisons mais aussi se parer le visage. c) «Le Millet et les serpents de Zhaojun» Au delà des passes et sur la rive sud du fleuve Jaune existe une tombe qu'on appelle habituellement la tombe occidentale de Zhaojun (Xi Zhaojunmu). Aux alentours vivent de petits serpents verts nommés les «serpents de Zhaojun» {Zhaojunshè) : c'est elle, dit-on, qui les fît venir dans la région. Avant son arrivée chez les Xiongnu, ce peuple nomade ignorait l'agricul- 17

Kwong Hing Foon ture et ne se nourrissait pas de céréales. Zhaojun apporta de Chine une espèce de millet qu'on commença à cultiver sur les bords dufleuvejaune. L'opération fut magnifiquement réussie mais malheureusement des moineaux, venus du monde entier, profitèrent de la récolte avant les habitants auxquels il ne resta rien. Comme toujours, Zhaojun se montra soucieuse du bonheur du peuple. En voyant par hasard un montreur de serpent nourrir son protégé d'un moineau, elle trouva la solution. Elle fit apporter dans les champs de petits serpents verts du mont Obscur (Yinshan) pour protéger la moisson contre les moineaux voleurs. Après sa mort, les serpents continuèrent leur tâche de gardiens des champs et demeurèrent sur sa tombe au bord du fleuve. Dans les trois derniers récits, Zhaojun n'est plus le personnage principal ; elle n'apparaît même pas en personne. Il s'agit d'événements survenus autour de ses tombes, qu'on considère comme des manifestations miraculeuses de son pouvoir divin. d) «La Baie de l'homme-de-pierre» Devant la tombe de Zhaojun près de Huhehot il y avait une statue de pierre. Autrefois, ce gardien, appelé familièrement l'homme-de-pierre, pouvait se déplacer à son gré. Ce qui lui plaisait le plus était d'aller travailler bénévolement dans les familles les jours de noce. Les mariés qui avaient la chance d'obtenir son aide étaient destinés à réussir leur vie conjugale. Mais les bénéficiaires de ce prodige étaient avertis en rêve par Zhaojun de ne jamais prononcer le nom de l'homme-de-pierre en sa présence : Zhaojun estimait en effet qu'un bienfaiteur ne doit pas laisser connaître son nom. Si cette règle n'était pas suivie, l'homme-de-pierre perdrait sa mobilité. D'un autre côté, il y avait un démon qui, à l'opposé de l'hommede-pierre, ne supportait pas de voir des couples vivre en bonne harmonie et tentait toujours d'attiser la discorde. Comme l'homme-de-pierre lui faisait obstacle, ayant appris le secret, il alla à la rencontre de celui-ci et prononça son nom à haute voix. Aussitôt l'homme-de-pierre s'immobilisa. Mais par la suite il y eut de plus en plus de gens pour venir habiter autour de lui. Telle est l'origine du village appelé la «Baie de l'homme-de-pierre». 18

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains e) «Le Temple de Zhaojun» Autrefois, il n'y avait pas de temple auprès de la tombe de Zhaojun, sur la rive droite dufleuvejaune. Les terres des environs appartenaient à un propriétaire méprisable qui ne faisait qu'exploiter et opprimer ses employés et ses métayers. Quant à son fils, il était comme un loup pour les femmes de la région. Un jour, un jeune homme traversa le fleuve et vint s'installer dans le pays. Indigné du comportement du propriétaire, il rassembla une bande de jeunes, pauvres comme lui, pour aller mettre sa maison à sac. Passant par la tombe de Zhaojun, ils lui demandèrent sa bénédiction et firent le vœu de lui construire un temple en cas de succès de leur entreprise. C'est ce qui fut fait. f) «Le Poulain d'or» On raconte qu'au fond de la tombe de Zhaojun, près de Huhehot, il y avait un poulain d'or dont les habitants entendaient souvent résonner les clochettes. Pendant l'occupation, cinq soldats japonais, tentés par ce trésor, violèrent la tombe. Quatre d'entre eux perdirent la vie dans des accidents étranges. Le cinquième, épargné, fit venir une troupe entière qui tomba à son tour dans une embuscade de guérilleros chinois, que protégeaient miraculeusement les roseaux de la tombe de Zhaojun. Après cet événement, plus jamais les Japonais n'osèrent revenir dans cet endroit Le récit de la province de l'anhui Le seul récit qui concerne cette région commence par l'élévation de Zhaojun au rang de princesse impériale, après qu'elle eut accepté d'être unie au chanyu Huhanye. Pendant son voyage vers le pays du Nord elle rencontra une déesse, la Fille-mystérieuse-des-neuf-cieux (Jiutian xuannii), qui lui offrit un habit d'immortalité contenant 9 999 aiguilles d'argent ; cet habit devait la protéger à la fois du froid et des agressions humaines. Arrivée chez les Xiongnu, Zhaojun fut l'objet des plus grandes attentions de la part du chanyu qui regretta tout de même de la trouver un peu triste. Zhaojun lui demanda trois faveurs pour lui permettre de vivre dans le pays sans souci : premièrement, la construction d'un pont sur la rivière Baiyang 19

Kwong Hing Foon où elle pût prier la Fille-mystérieuse-des-neuf-cieux ; deuxièmement, la mort de Mao Yanshou, un traître à la nation et son ennemi personnel ; troisièmement, une assurance de paix pour la Chine. Toutes ces conditions furent acceptées. Sur le nouveau pont, après l'exécution de Mao Yanshou, Zhaojun fit une prière et vit apparaître sur un nuage la déesse qui, souriante, agita son «balai de nuée» (yunzhou). Aussitôt les aiguilles d'argent se séparèrent de l'habit et tombèrent dans la rivière où elles se transformèrent en petits poissons fins et argentés. Ces «poissons-aiguilles-d'argent» (yinzhenyu) revinrent en Chine en suivant le courant et se fixèrent dans la région des lacs Chao et Wafu de la province de l'anhui. Quant à Zhaojun, bien que vivant dans une contrée septentrionale, elle n'avait jamais froid et son entourage trouvait toujours une douceur printanière dans sa personne. Après sa mort, les herbes qui poussaient sur sa tombe restèrent vertes en toute saison. Les gens voyaient dans ce prodige un effet surnaturel de l'habit aux aiguilles d'argent. Jetons maintenant un coup d'œil d'ensemble sur les récits des trois régions : ceux de Xingshan et de la Mongolie intérieure sont des anecdotes qui, teintées de couleur locale, représentent chacune un moment donné de la vie de Zhaojun ; celui de l'anhui est plus détaillé, comme pourrait l'être une biographie. Les deux premières régions sont liées historiquement à deux étapes de la vie de Zhaojun : son adolescence joyeuse et volontaire en Chine, puis son règne de souveraine aimée et bienfaisante dans un pays étranger. Pourtant les récits de la première région sont beaucoup plus nombreux que ceux de la seconde : vingt-huit d'une part, six de l'autre. C'est sans doute que Xingshan a toujours été habité par des Han qui dans l'ancien temps pleuraient sur le destin de Zhaojun et sont aujourd'hui fiers d'elle. Quant à la Mongolie intérieure, bien qu'elle ait été l'un des lieux d'activité du chanyu Huhanye, elle n'est plus habitée depuis longtemps par le peuple des Xiongnu. Les Mongols qui l'occupent actuellement n'éprouvent pas le mêmeenthousiasmepournotre héroïne. Notons d'ailleurs que les six récits présentés ci-dessus ont été recueillis par des Han dans des zones où ceux-ci sont particulièrement nombreux. Historiquement, l'anhui n'arienqui puisse se rapporter à Zhaojun. Le conte de l'habit aux aiguilles d'argent s'inspire en réalité directement ou 20

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains indirectement d'un roman des Qing, le Shuangfeng qiyuan (La merveilleuse union prédestinée de deux phénix), fréquemment adapté dans les styles régionaux de la plupart des provinces de Chine pour le théâtre ou le chant. Dans l'intrigue du conte, il est fait allusion à des faits inexpliqués. Cette négligence de l'auteur, sans doute involontaire, peut se comprendre comme une preuve de la popularité du roman 8. Nous aurons l'occasion de revenir au roman plus en détail au moment de discuter de son influence, notamment sur les récits du district de Xingshan. Les personnages et les intrigues Les relations qu'entretiennent les personnages et les situations auxquelles ils ont à faire face sont les éléments constitutifs de l'intrigue. Je classe ceux-ci, du point de vue de leur rôle dans l'action, en quatre catégories : 1. Le personnage de Zhaojun. 2. Les amis et les proches. Il s'agit de personnages qui ont avec Zhaojun des relations d'amitié ou de bonne entente. Ce sont soit des collectivités (les villageois, les Xiongnu), soit des individus (Xihua l'orpheline, le chanyu), soit d'autres êtres vivants (les carpes, les pigeons blancs). 3. Les adversaires et les obstacles. Ce sont des personnes qui oppriment Zhaojun ou ses amis, et dont les intérêts sont opposés aux leurs, ou des phénomènes qui engendrent des difficultés et des catastrophes : des fonctionnaires qui abusent de leurs pouvoirs, des chefs de famille, de riches propriétaires ; des gens simples non exempts de reproches : un père aux 8 Par exemple, il est dit au début du récit que l'empereur, après avoir vu Zhaojun, se rendit compte qu'il avait été dupé par Mao Yanshou, car il n'y avait pas de tache noire sur le visage de la jeune fille. Pourquoi cette tache noire? Qui est Mao Yanshou? Comment l'empereur a-t-il été dupé? Aucune explication n'est donnée. Il s'agit d'événements relatés dans le roman, que l'auteur estimait sans doute connus de ses lecteurs. 21

Kwong Hing Foon idées «féodales», un pêcheur cupide et fourbe, un chasseur grossier ; des dragons, des moineaux, qui troublent la paix et causent des malheurs ; des sécheresses, des tempêtes, qui affectent les populations. 4. Des êtres surnaturels. Il s'agit d'apparitions de divinités ou de manifestations de leur action : le grand immortel Shennong (Shennong daxian), leseigneur-du-grand-astre-blanc(taibaixingjun,laplanètevénus),lafillemystérieuse-des-neuf-cieux, l'immortel-du-vide-de-jade (Yuxu xianzi), les génies tutélaires, ou encore les flux et reflux surnaturels des eaux fluviales. Les rapports de ces quatre sortes de «personnages» peuvent être représentés sous la forme d'un schéma où le signe + indique une relation de bonne entente et le signe - une relation conflictuelle. Zhaojun M Amis W [-] Divinités H Adversaires Ces quatre sortes de personnages entrent en action par groupes de deux, de trois ou de quatre acteurs, et déterminent ainsi des intrigues relativement simples ou complexes. On peut distinguer six combinaisons principales en trois types de récits. 22

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains Récits impliquant la mise en relation de personnages de deux catégories 9 : 1. Zhaojun - Divinités. Les récits dont l'intrigue principale se borne à mettre en présence Zhaojun et des divinités sont peu nombreux. Ils se rapportent tous à des divinités aquatiques. C'est ainsi que les divinités du palais des eaux rendent hommage à Zhaojun («Ne me saluez pas», A 68-70). Ou que le roi Dragon, accompagné de ses fils et petits-fils, accourt de la mer de l'est pour faire ses adieux à Zhaojun («Le Ruisseau aux Galets multicolores», C 1-4). 2. Zhaojun - Amis. Dans ses relations avec ses amis, qu'il s'agisse de collectivités ou d'individus, Zhaojun prête volontiers son aide et ne ménage pas sa peine : ainsi, elle brode un phénix pour le compte d'une vieille femme («La Terrasse de l'épouse impériale au lever du soleil», A 42-45). Ses compatriotes ont confiance en elle et la révèrent ; ils lui confient leurs peines et conservent à jamais son souvenir : ainsi dans le récit intitulé «La Fête des lanternes sur la rivière» (C 4-5). 3. Amis - Adversaires. Ces récits ont tous pour arrière-plan la tombe ou le temple de Zhaojun. Si la présence de celle-ci n'y était indirectement affirmée, on ne saurait parler de récits relatifs à Wang Zhaojun. Exemples : «Le Temple de Mingfei» (B 65-68), «Le Poulain d'or» (A 118-120). Récits impliquant la mise en relation de personnages de trois catégories : 4. Zhaojun - Divinités - Amis. Pour améliorer les conditions de vie de ses amis, Zhaojun implore l'aide des dieux, qui l'exaucent. Les amis gravent son nom en souvenir d'elle. Ainsi dans «La Falaise au Caractère Wang» (C 28-29). 9 Ce schéma s'inspire, avec quelques modifications, du modèle proposé par J.-P. Diény dans Le monde est à vous. La Chine et les livres pour enfants, Paris, Gallimard, 1971, p. 89. 23

Kwong Hing Foon 5. Zhaojun - Amis - Adversaires. Les amis de Zhaojun, se trouvant en danger ou subissant l'oppression, obtiennent son secours : ainsi dans «La Pierre aux Marques depieds» (A 34-37). Il arrive aussi qu'aux bienfaits de Zhaojun s'opposent les méfaits d'autres personnes. Mais celles-ci ne réussissent pas dans leurs entreprises et sont punies : ainsi dans «Le Pic du Chameau et la grotte au Peigne» (C 6-10). Seuls font exception les récits intitulés «Les Poissons-fleurs-de-pêcher» (C 6-10) et «La Baie de l'homme-depierre» (A 112-114). Récits impliquant la mise en relation de personnages de quatre catégories : 6. Zhaojun - Divinités - Amis - Adversaires. Ce type d'association donne des intrigues plus complexes et plus variées. Parfois les divinités commencent par accorder à Zhaojun une faveur qui lui permet de faire le bonheur du peuple, mais des obstacles se présentent et de nombreuses complications surviennent. En fin de compte tout s'arrange à merveille. Ainsi dans «La Sacoche en brocart de Zhaojun» (A 53-56). Parfois les adversaires oppriment les amis, et Zhaojun, non contente d'engager ses propres forces, implore l'appui des dieux ; ou bien les dieux, sous l'influence de l'esprit de Zhaojun, manifestent leur puissance, comme dans «Le Défilé Stérile» (A 13-16). Parfois, la position de Zhaojun différant de celle des adversaires, elle devient elle-même l'objet de leurs avanies. Mais Zhaojun fait front avec une astuce incomparable et bénéficie de nouveau de la protection divine, comme dans «Le Ruisseau de la Boîte en bois» (A 28-33). Les récits qui mettent en œuvre les combinaisons 5 et 6 sont les plus nombreux : ils représentent ensemble les deux tiers du total. Les relations qui s'établissent entre les personnages reflètent d'une part des phénomènes conflictuels, comme les outrages infligés au faible par le fort, l'exploitation du pauvre par le riche et l'oppression du peuple par les fonctionnaires ; d'autre part, elles mettent en lumière la personnalité exceptionnelle de Zhaojun. Il faut spécialement remarquer les relations de bonne amitié que celle-ci entretient avec le chanyu et les Xiongnu. Le Ciel et les hommes se félicitent pareillement de la cohabitation pacifique des peuples Han et Hu. 24

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains Données sur la personnalité de Wang Zhaojun Sa naissance et son origine Une naissance surnaturelle : la nuit de la mi-automne, le quinzième jour du huitième mois, sa mère rêva que la pleine lune entrait dans son sein. C'est ainsi qu'elle conçut et mit au monde Zhaojun («L'Origine du Terrain précieux»). On raconte aussi qu'alors que sa mère la portait dans son sein, elle retarda sa naissance pendant deux nuits et trois jours entiers, et attendit résolument la pleine lune du quinzième jour du huitième mois pour tomber à terre, vagissante! De là le nom de lait qui lui fut donné : Clair de lune («Le Pavillon pour la Contemplation de la lune»). Au moment de sa naissance, elle sortit aussi du ventre de sa mère avec une perle précieuse, gage de protection («Le Dragon d'or à la perle»). Quant à son origine familiale, bien qu'elle naquît dans un village, il n'est pas certain que son père fût un paysan. Du moins n'était-il pas dans la misère. Bien au contraire, il devait être assez fortuné pour avoir eu les moyens d'édifier un «pavillon pour contempler la lune», où sa fille pût lire et peindre, jouer de la cithare et broder («Le Pavillon pour la Contemplation de la lune») 10. Devant le belvédère il établit aussi un étang pour la «libération des êtres vivants», avec une montagne artificielle et des balustrades sculptées, le tout d'un travail délicat et raffiné («La Carpe échouée sur un banc de sable»). Sa famille édifia le pont du Pipa, creusa le puits du Nanmu, traça le gué de Zhaojun, recueillit et éleva un bébé abandonné ; elle accumulait les bonnes actions («La Pierre aux Marques de pieds») et remboursait les dettes d'autrui. Zhaojun avait également un frère aîné qui commandait en chef les troupes de la commanderie («Les Poissons-fleurs-de-pêcher», C). Elle avait aussi une sœur cadette. Ses qualités et ses vertus Zhaojun était belle et intelligente, laborieuse et studieuse ; elle jouait de la cithare et peignait, elle lisait assidûment les poètes et prosateurs. C ' était 10 L'illustration qui accompagne ce récit représente un haut pavillon avec une large terrasse, où Wang Zhaojun brûle de l'encens en hommage à la lune. 25

Kwong Hing Foon une jeune fille pleine de talent («L'Origine du Terrain précieux», «Le Pavillon de la Contemplation de la lune»). Elle avait la main aussi adroite que son esprit était vif ; elle excellait dans la broderie («La Terrasse de l'épouse impériale au lever du soleil»). Elle aimait la nature, les monts et les rivières ; au bord des ruisseaux et des sources, elle se peignait et se lavait, penchée sur l'eau ; au milieu des fleurs, elle pinçait la cithare et chantait («Le Ruisseau de la Boîte en bois»). Bref, elle était saine et joyeuse. Par son attitude à l'égard des gens et sa relation au monde, elle méritait plus d'éloges encore. Pour venir en aide aux pauvres et aux faibles, elle alla jusqu'à sacrifier la perle précieuse qu'elle avait apportée à sa naissance et la perle-clair-de-lune que Huhanye lui avait offerte («Le Dragon d'or à la perle» ; «Le Trou d'eau à la Perle précieuse»). Oiseaux, poissons et quadrupèdes, tous recevaient ses bons soins («La Carpe échouée sur un banc de sable» ; «Le Thé de la grue blanche»). À l'égard de ses aînés ou des étrangers, elle se montrait respectueuse et effacée ; même lorsque son précieux pipa fut brisé, elle n'en conçut aucune irritation («Le Pont du Pipa»). Elle se souciait constamment de l'intérêt commun et s'inquiétait des souffrances du peuple. Comme les villageois cultivaient la terre en pleine obscurité, elle accrocha en l'air une lampe à huile, afin de les éclairer. Les récoltes, au village, restant insuffisantes, elle fit parvenir de loin des semences («Le Parfum de cent jours»). Lorsque le gonflement du torrent eut interrompu la communication entre les deux rives, elle laissa derrière elle son précieux cheval pour assurer le passage («Le Trou d'eau du Cheval-Dragon»). Elle avait de l'audace et de l'expérience, et savait comment combattre la perfidie des puissants («Le Défilé Stérile»). Son ambition L'intelligence et la beauté de Zhaojun n'ornaient que sa seule personne ; ses luttes contre le mal et pour le bien ne concernaient encore que son seul village. Mais elle avait aussi, et c'est l'essentiel, une ambition peu ordinaire : pour assurer la paix des frontières et la cohabitation harmonieuse des peuples Han et Xiong, elle se leva et sortit de chez elle dans l'intention de s'unir par mariage avec le chanyu («Les Fleurs-pigeons»). Devenue 26

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains «l'émissaire céleste de la politique d'union matrimoniale», elle reçut les hommages de Vénus, l'astre éblouissant («Le Pont du Pipa»). Les génies de la montagne et les dieux tutélaires se réjouirent de sa mission («La Terre aux Trois récoltes»). Elle enseigna aux populations pastorales des pays du Nord à labourer, semer, récolter et protéger les cultures («Le Millet et les serpents de Zhaojun»). Elle aima les femmes des pays du Nord et les voulut aussi belles qu'elle-même («La Poudre de Zhaojun»). Les ruisseaux et les sources des pays nordiques s'emplirent de ses larmes ; bœufs et moutons, chameaux et chevaux, naquirent des découpages de ses ciseaux d'or, ce qui lui valut le titre de «yanzhi, la bienfaitrice des Hu» («La Sacoche en brocart de Zhaojun») u. Tradition, imitation, innovation Wang Zhaojun dans les œuvres littéraires traditionnelles Le thème littéraire de Wang Zhaojun a une longue histoire. À toutes les époques les poètes ont chanté cette héroïne avec émotion. Le théâtre, le roman, ont raconté son histoire. Les récits du Qincao et du Xijing zaji ont solidement établi le sens de son aventure : l'histoire de Wang Zhaojun est une tragédie, Wang Zhaojun est une victime. Le roman à épisodes des Qing mentionné ci-dessus (p. 21), intitulé Shuangfeng qiyuan, embrasse le contenu entier des œuvres antérieures, tout en y introduisant quelques nouveaux matériaux. Malgré sa complexité, l'intrigue de ce roman est en accord avec les modifications apportées à l'histoire par les autres ouvrages populaires et les représentations scéniques. Dans l'évolution des rapports entre les personnages apparaissent aussi des situations nouvelles qui peuvent alimenter une comparaison avec les récits contemporains. Mentionnons les épisodes fondamentaux. Rencontre en rêve. Zhaojun et l'empereur Yuan des Han se rencontrent en rêve et s'éprennent aussitôt l'un de l'autre. Sur l'ordre de l'empereur, 11 Yanzhi : appellation de l'épouse principale du chanyu (N.d.T.). 27

Kwong Hing Foon Mao Yanshou se rend dans la famille de la jeune fille pour se renseigner (elle habite à Yuezhou et non à Xingshan!) 12. Le portrait. Mao Yanshou, sous prétexte qu'il doit faire trois portraits de la belle pour les présenter à l'empereur, exige d'être payé. Mais Wang Zhaojun exécute elle-même les portraits. Mao Yanshou, plein de rancune, ajoute à chaque portrait une tache noire sous l'œil. Le palais Froid. Mao Yanshou ramène Zhaojun à la capitale et choisit d'autre part, pour l'accompagner, lafilled'un certain Sire Lu, nommée Lu Jinding. 11 accuse faussement la tache du visage de Zhaojun d'être la «trace des larmes de celle qui nuit à son mari», et d'annoncer «la ruine de l'état». Puis il recommande chaudement Lu Jinding à l'empereur, et avec la complicité de cette dernière il fait enfermer Zhaojun dans le palais Froid. Dans le palais, Zhaojun joue du pipa pour exprimer son amertume ; elle émeut l'impératrice, qui la fait libérer, et elle devient pourfinirune épouse impériale de second rang. Fuite à l'étranger. Son plan ayant échoué, Mao Yanshou s'enfuit dans le Nord. Il présente au chanyu un portrait de Zhaojun et l'engage à attaquer les Han pour s'emparer de la belle. Le franchissement des passes. L'armée des Han est défaite et Zhaojun contrainte de s'accorder avec le barbare. En chemin elle passe par le temple de la Fille-mystérieuse-des-neuf-cieux, qui lui fait cadeau d'un manteau de plumes, pour la protéger de toute atteinte à sa vertu. La construction du pont. Le manteau magique fait saigner qui le touche et le chanyu est incapable d'approcher Zhaojun. Celle-ci prétend vouloir prier les dieux de faire cesser le maléfice et demande au chanyu de faire construire un pont au-dessus du fleuve Baiyang. La construction du pont demande seize ans, dur temps d'attente pour le chanyu! 12 Yuezhou (Zhejiang ou Guangdong) : nom d'une préfecture qui n'existait pas encore sous les Han (N.d.T.). 28

Wang Zhaojun dans les contes populaires contemporains La noyade. Le jour de l'achèvement du pont, Zhaojun y monte pour prier le Ciel et la Terre, puis elle se jette dans le fleuve et meurt. Son corps remonte le courant et retourne à la terre des Han. Pacification. Zhaojun a une sœur cadette nommée Sai Zhaojun, «Celle qui égale Zhaojun». Ayant grandi, elle prend la succession de son aînée et devient l'impératrice de Yuandi. Dès son enfance elle est instruite par la Fille-mystérieuse-des-neuf-cieux dans l'art militaire. Elle conduit une campagne dans le Nord et capture le roi du pays, avec l'intention de venger sa sœur. Mais l'âme de Zhaojun lui apparaît : se souvenant des égards que lui avait témoignés le roi pendant seize ans, celle-ci demande sa grâce et obtient qu'il soit libéré et rentre dans son pays. Zhaojun elle-même s'élève jusqu'au monde des immortels. Parmi ces personnages, il y a également des divinités (la Fille-mystérieuse-des-neuf-cieux), des amis (l'impératrice Lin, Sai Zhaojun), des adversaires (Mao Yanshou, Lu Jinding). Mais les deux rôles clés tenus par Yuandi et le chanyu ne se laissent pas aisément définir en termes de faveur ou défaveur ; ils sont à la fois ennemis et amis. Yuandi aime Zhaojun mais il lui ordonne de se rendre au delà des passes chez les barbares ; le roi des barbares use de violence et de contrainte, mais il se montre aussi plein d'égards et de retenue. Ce jeu de la faveur et de la défaveur évoque ce qu'on appelle aujourd'hui le triangle amoureux. Et comme Mao Yanshou incarne le génie du mal, les relations de ces quatre personnages peuvent être ainsi représentées : Zhaojun Yuandi [-] chanyu 29

Kwong Hing Foon La position de Wang Zhaojun n'est pas stable : honneur et déshonneur lui sont imposés par autrui. Prise dans un enchevêtrement de sentiments d'amour et de haine, ce n'est que par le sacrifice de sa vie qu'elle se libère. Et ce n'est qu'après sa mort qu'elle devient une puissance divine. Tel est son destin. Vestiges de la tradition dans les contes populaires Bien que par leur contenu les contes populaires diffèrent beaucoup des œuvres anciennes, tout lecteur familier de celles-ci est à même de découvrir dans les contes, ici ou là, des éléments connus, qui prouvent que les œuvres anciennes se sont profondément inscrites dans l'esprit des gens. Entrées dans la mémoire collective, elles laissent percer le bout de l'oreille, intentionnellement ou non. Il a été dit plus haut que l'histoire de l'habit aux aiguilles d'argent dérive d'une œuvre du «système» Shuangfeng qiyuan. Cette relation est assez évidente pour qu'il soit inutile d'y revenir, d'autant plus que F Anhui n'a pas joué un grand rôle dans l'histoire des contes relatifs à Wang Zhaojun. Nous arrêterons plutôt notre attention sur les deux régions de Xingshan et de la Mongolie intérieure. Wang Zhaojun avait pour nom de lait «Lune blanche» («Le Pavillon pour la Contemplation de la lune», A 4) ; son père s'appelait Wang Zhong («Le Pavillon pour la Contemplation de la lune», A 5 ; «Les Fleurspigeons», A 79) ; sa sœur cadette, Wang Ping («Les Fleurs-pigeons», A 79). Dans son village, il y avait un riche propriétaire nommé le Sire Lu («Le Défilé Stérile», A 13 ; «Le Ruisseau de la Boîte en bois», A 30), ainsi qu'une villageoise nommée Jinding («Le Puits de la Reine», A 17). Tous ces noms apparaissent dans le roman Shuangfeng qiyuan et y désignent des personnages de même statut Parfois, le père s'appelle Wang Xiang («Les Poissons-fleurs-de-pêcher», C 6), du nom que lui donne le Qincao. Bref, lorsque les contes donnent les noms des personnages, ils les tirent des anciens récits. La naissance surnaturelle de Wang Zhaojun n'est pas non plus une nouveauté : dans la pièce de Ma Zhiyuan intitulée Hangongqiu, la mère de Zhaojun est également enceinte après avoir rêvé que la lune pénétrait dans son sein. Dans le conte de la Mongolie intérieure intitulé «Le Temple de Zhaojun» apparaît une Sai Zhaojun qui, après 30