DARROUY, rugbyman international, arrive au Bataillon de Joinville Le footballeur Jean-Marie COURTIN fait sa toilette Le docteur TALBOT ausculte Richard TYLINSKI LE BATAILLON DE JOINVILLE UN CLUB FRANCE EN UNIFORME Reportage de FERNAND ALBARET - Photos de ROGER KRIEGER Il n y a pas de miracle. Si l'athlétisme français, après un inquiétant piétinement, retrouve vigueur et allégresse, il doit bien y avoir une raison. Et cette raison est sans doute dans un dossier rose, ou vert, ou bleu, dans le bureau du Commandant Jean Gisclon, au Bataillon de Joinville. Ce dossier révèle le passage au B.J. de Jazy, de Seye, de A. Syrovatski, vainqueurs aux Internationaux Militaires de 1957, à Athènes, de Delecour et de pas mal d autres athlètes. Et sur le tableau des effectifs actuels, nous relevons les noms de : R. Bogey, E. Battista, P.-Y. Lenoir, J. Caprice, F. Alard, C. Piquemal, Ch. Ramadier, G. Lagorce. J Bertozzi, L. Syrovatski, J-M. Kling, etc. En fait, le B.J. comptait, le mois dernier, 64 athlètes qualifiés parmi ses «pensionnaires». D autres sont arrivés le 4 novembre qui vont faire leurs classes à Bellefontaine, en Algérie. Toutes les têtes sous le même béret Qu est le Bataillon de Joinville? Au tableau d effectifs de l Armée, il s agit d un bataillon d infanterie du type normal placé sous le commandement d un colonel l actuel chef de corps est le Lieutenant-Colonel Pierre Deschamps - et qui bénéficie d un aménagement interne conjuguant la mission militaire et la mission sportive. Créé par décision ministérielle du 25 juillet 1956, en remplacement du Centre Sportif des Forces Armées dissous, le B.J. «tend à participer aux opérations de pacification en Algérie et à maintenir en bonne condition physique. Les sportifs de valeur internationale ou nationale qui servent sous son drapeau, tout en leur donnant une solide instruction militaire». La raison de la mutation tient dans cette explication officielle : «En premier lieu, l opinion publique considérant, souvent bien à tort, que les sportifs sous les drapeaux échappaient à la règle commune de service en Afrique du Nord. D'autre part, il devenait urgent de
donner à l'armée la possibilité de s'intégrer le plus largement possible à la vie sportive nationale.» Sur le plan du recrutement, les officiers et sous-officiers des cadres sont affectés au B.J. par le Ministre des Armées, sur proposition du Service Central des Sports que dirige le Colonel H. Debrus. Quant aux recrues, elles comprennent les jeunes gens affectés aux services généraux (20 % environ de l effectif) et ceux qui se sont fait remarquer par leur grande valeur sportive et qui sont proposés par les Fédérations et par le Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Il s agit, en résumé, d un judicieux dosage des disciplines militaire et sportive dans le cadre idéal du plateau de Gravelle, à deux pas des installations de l l.n.s. Dans ce milieu où tout est mouvement, où le commandement s affirme avec souplesse, la vedette rentre dans le rang et toutes les têtes sont coiffées du même béret noir et bleu. Un club dont les membres portent l uniforme Le curieux est que le Bataillon de Joinville est sans doute plus connu à l étranger qu en France. A l extérieur de nos frontières il est en effet une entité. Chez nous, ses individualités sont dispersées sous leurs étiquettes d origine. Voilà deux ans, pour toute l Amérique du Sud, le Bataillon de Joinville, c était Alberto, Wendling, Siatka, Novak, Ferrier, Cossou, Wisnieski, Mekloufi, Douis, Théo, Fulgenzy, Goujon, Maouche, Ziemczack, etc. Pour les Français, Alberto était alors monégasque, Wendling toulousain, Siatka rémois, Wisnieski lensois, Douis lillois, etc. Le B.J. c était et c'est aussi Christian d Oriola, vainqueur aux J.O. de Melbourne, Michel Rousseau, autre champion olympique. Roger Rivière, champion du monde de poursuite et recordman de l heure, le quinze de rugby vainqueur de quatorze matches sur quatorze, et encore François Bonlieu, vainqueur du Kandahar, Lionel Grossain, champion d Europe de judo, Montserret, recordman d'europe du 1.500 m. nage libre, Abdesselem, gagnant du pentathlon militaire, Jazy et Seye, vedettes aux Internationaux d Athènes, puis Lenoir, Battista, Bogey, Juncker, Younsi, Renaud. Barabino, Cazaban et Dordé, médailles d or aux Jeux Méditerranéens de Beyrouth, etc. Les hommes du Bataillon assistent à une messe dite à la mémoire de ceux du B.J. morts en Algérie. Le sprinter CAPRICE (à gauche) a un solide coup de fourchette. COURTIN, sur son lit, écoute la radio. Le stage de perfectionnement le plus profitable Au demeurant, le B.J. est un véritable club dont chaque membre porte l uniforme et défend l écusson aux trois anneaux bleu, blanc et rouge durant plus de deux ans. Un club qui n a pas son pareil au monde et dont de nombreux observateurs étrangers sont venus, à Joinville, étudier le mécanisme. Un club qui a ses
installations à demeure et ses terrains de jeu devant la porte. Un club où les footballeurs professionnels R. Tylinski, F. Heutte, J. Bonnel et D. Devaux vivent au coude-à-coude, mangent et jouent avec l escrimeur Ph. Cazaban, les athlètes M. Le Trionnaire et J. Meunier, les basketteurs J. Christ et Ph. Baillet, les cyclistes Guy Claud et H Duez, les rugbymen R. Gensanne et L. Camberabero, le skieur L. Lacroix, etc. Un club, enfin, où les responsables vivent en communauté avec les membres actifs, partagent la même nourriture et participent aux mêmes travaux. En partant de cette vérité première que tout Français normalement constitué doit effectuer, à l orée de sa majorité, le service militaire, le Bataillon de Joinville doit être considéré comme l unité idéale où se rassemble l élite du sport national. De son incorporation à sa libération, c est-à-dire pendant vingt-huit mois, la recrue effectue un stage de perfectionnement parallèlement à son service militaire, le plus profitable qui soit. Certes, les recrues ne vont pas au B.J. les mains vides puisque c est leur talent propre qui les fait recommander à l'autorité militaire par les fédérations ou les services de M. Herzog. N'empêche qu un entraînement intensif, bien dosé, reposant sur une discipline stricte et dirigé par les meilleurs spécialistes nationaux, militaires et civils, ne peut manquer de fixer le sujet sur son objectif et de parfaire son perfectionnement. Même les footballeurs professionnels, habituellement soumis dans le civil à un entraînement poussé, trouvent au Bataillon des raisons et des moyens d amélioration, surtout sur le plan athlétique. Il n est pas douteux, en effet, que le régime auquel les soumet l adjudant-chef Roger Fornès comporte une présence et une intensité supérieures au travail rationnel dirigé par les entraîneurs de clubs. Il ne fait pas de doute également, que les rugbymen, aussi bien sous les ordres de leur moniteur militaire que sous la direction de l entraîneur du Racing, Poulain, «cavalent» beaucoup plus sur les terrains de l I.N.S. qu ils ne le faisaient et qu ils ne le feront dans leur club. Et il en est de même pour toutes les disciplines. Sur le plan technique, tout est mis en œuvre au même titre que sur le plan athlétique. C est ainsi, et ceci en tant qu exemple, que le sprinter Jean Meunier, de l Armée de l Air, est «travaillé» au millimètre depuis que l on s est aperçu qu il vire mieux que tous les autres. Et ce soin spécial, à objectif précis, fera peut-être de Meunier le quatrième homme de l équipe française de relais 4x100 en vue des J.O. de Rome. Le paradoxal est que si le Bataillon de Joinville pense à ces proches Jeux Olympiques, il le fait par pur esprit de compétition. Car les services de la rue de Châteaudun n ont pas encore répondu à la lettre du Colonel H. Debrus qui, en septembre 1958, demandait des directives quant à l organisation de la préparation olympique au sein de l Armée. La «planque» n existe pas au Bataillon de Joinville Soldat durant cinq jours, le Joinvillais bénéficie d'une permission de compétition de 48 heures par semaine, en cours de saison. Il quitte le Bataillon le vendredi soir et rentre le lundi matin. Le Colonel Deschamps a fait envoyer une circulaire à tous les clubs intéressés afin qu ils prennent livraison des permissionnaires dès le samedi matin. Et il leur a bien recommandé de les réexpédier le dimanche soir afin, dit-il, «qu ils ne se gaspillent pas après les matches». Il n y a pas de «planque» au B J. Chacun prend la semaine et la garde à son tour, participe aux corvées et se plie à toutes les disciplines. Les recrues, dès leur incorporation qui s effectue d habitude hors saison, sont dirigées vers le Centre d instruction de Bellefontaine, en Algérie, où elles font quatre mois de classes. Jusqu au 31 octobre, cette instruction s était faite au camp de Frileuse. Le Bataillon est, en permanence, «à cheval» sur l Afrique du Nord et Joinville. Deux compagnies «Terre» et une section «Air» étant implantées en Algérie, cette
présence commande à chaque homme d aller passer trois fois quatre mois dans la zone opérationnelle. CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR DU BATAILLON DE JOINVILLE L EFFECTIF DU BATAILLON s élevait à 1.096 hommes (dont 45 de l'armée de l'air) au 1 er novembre dernier. Etaient présents à Joinville : 674 ; à Frileuse (classes) : 187 ; en Afrique du Nord : 235. SUR LES 1.096 SOLDATS de l'effectif, 433 appartiennent aux services généraux et les 663 autres sont des sportifs dont 484 qualifiés. 25 DISCIPLINES SPORTIVES sont représentées à la caserne de Gravelle. La plus importante en nombre : l'athlétisme (64 qualifiés). Les moins étoffées : le tir et le patinage (2 membres chacune). UNE EQUIPE DU B.J. participe en permanence à une compétition nationale : celle de rugby à treize. DES EQUIPES SONT FORMEES dans le cadre national en vue de la participation à certaines épreuves. C'est ainsi que le B.J. a engagé une formation dans la Route de France et gagné individuellement, en 1957, avec R. Mastrotto. L'ETAT-MAJOR DU B.J. est constitué par des officiers de toutes armes. Les voici : Lieutenant-Colonel Pierre Deschamps (Train), chef de corps ; Commandant Dominique Taddeï (Tabors marocains) ; Capitaine Georges Burignat (Aéroportés) ; Capitaine Roland Capeyron (Légion étrangère), directeur sportif ; Lieutenant Claude Merviel (Air) ; Capitaine Ladevie (Infanterie de marine), cdt la 4ème Cie ; Capitaine Bapst (Infanterie), cdt la 3 ème ; Capitaine Gulin (Artillerie anti-aérienne), cdt la C.C.S. ; Capitaine Gaudefroy (Légion étrangère), cdt la Cie d instruction à Bellefontaine ; Capitaine Massoni (Infanterie), cdt la Cie opérationnelle ; Commandant Gisclon (Air), chargé de presse. Pour les clubs, le Bataillon est une pension Les temps sont révolus où les sportifs d élite dépendaient, durant leur temps de service militaire, du bon vouloir d un chef de corps. Aujourd hui, les clubs peuvent considérer que leurs membres sont au B.J. comme en pension. Ils peuvent compter sur leurs soldats du Bataillon pour participer aux compétitions. A ce propos, un protocole a été établi en avril 1958 entre l'armée et la F.F.F. Il fixe, pour les cas de simultanéité, l ordre de priorité suivant : 1. Matches internationaux de l équipe de France. 2. Matches internationaux de l équipe de France militaire. 3. Compétitions officielles civiles (coupe ou championnat). 4. Championnat ou rencontres amicales militaires. C est ainsi que le 11 novembre dernier, le directeur sportif du B.J., le Capitaine Capeyron, a dû tenir compte des sélections civiles de Heutte, Herbin, Chorda, Taillandier, R. Tylinski, Sauvage, Bordas, Arteleza, Loncle et Giner avant de former l équipe qui devait jouer à Alger au bénéfice du Mouvement de Solidarité Féminine Algérie-Sahara. Mais comme l adjudant-chef Fornès disposait en tout de 18 professionnels et de 21 amateurs qualifiés, il lui était toujours possible d aligner une formation très valable.
Activités physiques en tous genres L'activité physique est grande au Bataillon de Joinville qui groupe la fine fleur du sport français en uniforme. Sur ces photos on peut reconnaître à l'entraînement : les rugbymen Hoche, Gérard Krotoff, Alberto, les cyclistes Duez, Claud, Lacombe, les footballeurs Perrin, Bonnel, Leborgne, des crossmen courant aux côtés des trotteurs le long de l'hippodrome de Vincennes, l'escrimeur Cazaban prenant la leçon à la salle d'armes.
Dix athlètes du Bataillon, parmi les plus cotés, représentant dix sports différents. De bas en haut : Lenoir (athlétisme), Baillet (basket), Leberre (judo), Claud (cyclisme), Paupardin (hokey sur glace), Cazaban (escrime), Zaegel (handball), Mauduy (rugby XV), Huette (football), Gruppi (jeu à XIII). On est tout surpris de découvrir sous le béret du B.J. et montant la garde avec un air martial, Alain Giletti, le patineur prodige.
La classe 59 aura des abdominaux si l on juge par cette photo prise au petit jour dans le bois de Vincennes. De corvée de chambrée, Alain Giletti se souvient qu il est patineur et il n a pas son pareil pour faire briller la «piaule».
Il y a Indéniablement quelque chose de changé Voilà plus d un siècle que le sport est entré dans les préoccupations de l Armée française. N est-ce pas en 1852 que fut créée l Ecole Normale de Gymnastique et d Escrime, la fameuse Ecole de Joinville qui devait, après la guerre de 1914, semer la bonne parole dans tout le pays? Dissoute en 1939, mais vivante dans la clandestinité, l Ecole de Joinville a eu par la suite des filiales à Antibes (Ecole d athlètes) et à Pau (E.N.E.P.M.). Mais, la guerre finie, le Commandant Debrus obtenait de l Armée qu une annexe de Pau, le Centre Sportif des Forces Armées, s'installât au Fort Neuf de Vincennes. VEDETTES EN KAKI Les grands noms du B.J. dans l'actuel effectif : Athlétisme : E. Battista, R. Bogey, P.-Y. Lenoir, L. Syrovatski, P. Alard, J. Caprice, C. Piquemal, C. Ramadier J. Meunier, etc Football : R. Tylinski, F. Heutte, A. Chorda, J. Taillan dier, R. Herbin, J. Bonnel, P. Sauvage, A. Cornu, etc. Neige - glace : F. Bonlieu, L. Lacroix, A. Giletti, etc. Rugby XV : M. Hoche, J. Dupuy, R. Gensanne, G. Mau- duy, F. Ma s, Krotoff, Darrouy, Gujbert, Casaux, L. Camberabero, etc. Judo : L. Grossain, J. Leberre, A. Bourreau, Decap, etc. Cyclisme : G Claud, R. Lacombe, H. Duez, F. Hamon, M. Delattre, R. Surrugue, etc. Boxe : R. Younsi, M. Libeer, Saluden, etc. Basket : J. Christ, B. Mayeur, J.-C. Mayeur, F. Sarrazin, J. Ré, Ph. Baillet, etc. Canoé - kayak : M. Garnier. Le Bataillon de Joinville, véritable unité pilote, devait prendre forme en juillet 1956. Dans son aspect actuel, cette unité est la synthèse modernisée de tout ce qui a été fait dans le passé et révolution est telle que, considérée sur l ensemble de son programme, elle peut être placée au tout premier rang sur le plan mondial. L Armée, en permettant cette réalisation et en soutenant, avec ses énormes moyens, le noyau de spécialistes qui œuvrent au B.J-, entretient maintenant un véritable conservatoire du sport- Certes, il manque encore une piscine aux abords de la redoute de Gravelle, mais l essentiel a été fait Nous avons pu, en ce qui nous concerne, assister aux premières séances d entraînement dirigées par Buffière dans la nouvelle salle de basket, complément nécessaire du complexe. Les hommes sont logés dans de vastes bâtiments, clairs et aérés, construits en surplomb de la cour d honneur. Les chambrées portent des noms célèbres : Jean Bouin, Géo André, Georges Hébert, Yves du Manoir, Capitaine Lartigue, Adjudant Noël, etc. Un grand réfectoire d une impeccable propreté et un foyer, très bien compris font oublier les vieilles conceptions du casernement. Le sport est bien logé au Bataillon de Joinville. Il y trouve sa force et sa fierté. Sa joie aussi, de pouvoir ainsi s exprimer en uniforme. Fernand ALBARET.