Les lutins et le cordonnier
Les lutins et le cordonnier Un conte des frères Grimm Illustrations du domaine public Adaptation réalisée par Marie-Laure Besson pour «Le Cartable Fantastique» Charles Folkard 2 3
Un jour, sans qu il y soit pour quelque chose, un cordonnier devint si pauvre qu il ne lui resta finalement plus rien, hormis juste assez de cuir pour fabriquer une seule paire de souliers. Le soir, il découpa donc le cuir pour fabriquer les souliers le lendemain matin. Et comme il avait la conscience tranquille, il se coucha dans son lit, serein, se recommanda au Bon Dieu et s endormit. Max Lieberman 4 5
Le lendemain matin, quand il eut dit sa prière et qu il s apprêtait à s asseoir pour se mettre au travail, les deux souliers étaient déjà prêts et l attendaient sur sa table. Il s en étonna, ne sachant ce qu il devait penser de cela. Il prit les souliers dans ses mains pour les regarder d un peu plus près : c était un travail si soigné qu il n y avait pas le moindre point de travers, exactement comme si ces souliers étaient destinés à être un chef d œuvre. 6 7
Un client se présenta bientôt, et les souliers lui plurent tant qu il en donna au cordonnier plus d argent que d ordinaire, si bien que ce dernier put acheter, avec cette somme, du cuir pour faire deux paires de souliers. Le soir, il découpa le cuir, pour se remettre au travail avec des forces neuves le lendemain matin, mais il n eut pas besoin de le faire, car lorsqu il se leva, les deux paires de souliers étaient déjà prêtes ; les clients ne lui firent pas défaut non plus, et ils lui donnèrent tant d argent qu il put acheter du cuir pour fabriquer quatre paires de souliers. 8 9
Le lendemain, de bon matin, il trouva effectivement les quatre paires de souliers, toutes prêtes; et cela continua ainsi : il découpait le cuir le soir et trouvait le travail terminé le lendemain matin, si bien qu il eut bientôt des revenus honnêtes et qu il finit par devenir un homme aisé. Un soir, un peu avant Noël, comme l homme avait une nouvelle fois découpé le cuir, il dit à sa femme avant d aller se coucher : «Et si nous restions éveillés cette nuit pour voir qui nous prête main-forte de cette façon?» 10 11
L idée plut à sa femme qui alluma une bougie ; ils se cachèrent ensuite dans les coins de la pièce, derrière les vêtements qui étaient suspendus là, et ouvrirent l œil. Lorsqu il fut minuit, deux petits hommes arrivèrent, mignons et tout nus ; ils s installèrent à la table du cordonnier prirent le cuir qu il avait découpé et, de leur petits doigts, se mirent à coudre et à taper de façon si leste et si agile que le cordonnier ne pouvait détourner les yeux de ce spectacle tant il était étonné. 12 13
Ils ne s arrêtèrent qu une fois que les souliers furent terminés et posés sur la table, puis ils se sauvèrent bien vite. 14 15
Le lendemain matin, la femme dit : - Ces petits hommes nous ont rendus riches, il faut tout de même que nous leur témoignions notre reconnaissance. Ils se promènent ainsi, tout nus, sans rien sur le dos, et ils doivent avoir froid. J ai une idée : je vais coudre pour eux des chemises, des habits, des pourpoints et des petits pantalons, et tricoter aussi une paire de bas pour chacun ; et toi, fabrique leur à chacun une paire de petits souliers. - Cela me plaît bien, répondit l homme. 16 17
Le soir, lorsque tout fut prêt, ils posèrent leurs cadeaux sur la table, à la place du travail préparé pour le lendemain, puis ils se cachèrent pour observer la réaction des petits hommes. À minuit, ceux-ci arrivèrent en sautillant et voulurent aussitôt se mettre au travail. Mais quand, à la place du cuir découpé, ils trouvèrent les jolis petits vêtements, ils s étonnèrent tout d abord, puis ils manifestèrent une joie immense. George Cruikshank 18 19
Ils s habillèrent à la vitesse de l éclair, lissèrent leurs beaux habits sur eux et se mirent à chanter : «Ne sommes-nous pas des garçons beaux et fringants? À quoi bon être cordonniers plus longtemps?» Puis ils se mirent à sauter de joie et à danser, bondissant par-dessus les chaises et les bancs. Finalement, toujours en dansant, ils se dirigèrent vers la porte de la maison. 20 21
À compter de ce moment-là, ils ne revinrent plus, quant au cordonnier, ses affaires furent bonnes aussi longtemps qu il vécut, et tout ce qu il entreprenait était couronné de succès. 22 23