Chapitre 8 Application du second principe à l'analyse des machines thermiques Introduction La notion d entropie a permis de comprendre le fonctionnement des machines thermiques qui sont apparues à la fin du XVII ème siècle à une époque où les seules machines susceptibles de fournir de l énergie mécanique étaient les machines hydrauliques et éoliennes. C est Carnot, dans son célèbre ouvrage au titre évocateur : «Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance» édité en 1824, qui a permis cette avancée. Il reste toujours intéressant de faire l analogie avec les machines qui existaient à l époque pour comprendre la démarche. C est ce que nous faisons ici. 1. Analogie avec les machines hydrauliques Le principe d'une machine hydraulique est représentée figure 8.1. Le système est supposé fonctionner en régime stationnaire. z 2 gz 2 DM DM z 1 gz 1 Figure 8.1 : Principe d une machine hydraulique.
57 Un flux d eau traverse un dispositif appelé turbine hydraulique entre un bassin à l altitude moyenne z 2 et un réservoir en sortie de la turbine à l altitude moyenne z 1. Ces deux bassins sont supposés être des sources d'énergie en ce sens que leur altitude moyenne est supposée indépendante des quantités échangées. Cette turbine est constituée d'une roue à aubes qui est mise en rotation par le flux d'eau qui vient percuter les aubes. On obtient ainsi de l'énergie mécanique. Ce principe est exploité depuis des siècles dans les moulins à eau. Plus récemment et avec des dispositifs beaucoup plus performants, il est utilisé pour la production d'électricité dans les centrales hydro-électriques. Il peut aussi être exploité dans l'autre sens : si on remplace la turbine par un dispositif appelé pompe, en entrainant celle-ci, on peut remonter un flux d'eau depuis le bassin du bas vers le bassin du haut. Il existe aussi des machines thermiques qui permettent de fournir de l'énergie mécanique ou auxquelles on en fournit. Sans entrer dans le détail de leur constitution pour l'instant, on peut en représenter le principe général de fonctionnement et montrer ainsi l'analogie qu'elles présentent avec les machines hydrauliques. Ces machines thermiques, supposées fonctionner en régime stationnaire, sont mises en contact avec deux sources de chaleur : une source chaude à température et une source froide à température. Deux cas se présentent (cf. figure 8.2) : le moteur thermique fournit de l'énergie mécanique : il reçoit de la chaleur de la part de la source chaude et en cède à la source froide ; le récepteur thermique reçoit de l'énergie mécanique : il reçoit de la chaleur de la part de la source froide et en cède à la source chaude. Un tel dispositif est une pompe à chaleur si on s intéresse à l effet obtenu à la source chaude et une machine frigorifique si on s intéresse à l effet obtenu à la source froide. DS e,c Moteur Récepteur Machine thermique DS e,f Figure 8.2 : Moteur ou récepteur thermiques. Précisons maintenant l'analogie entre les machines thermique et hydraulique en considérant les phénomènes au niveau des sources. La machine hydraulique est en contact avec deux bassins qui constituent des sources d'énergie de gravitation. Si un bassin à l'altitude moyenne z constante échange une masse DM d'eau pendant un intervalle de temps donné, il échange au passage l'énergie potentielle de
58 gravitation gzdm. La masse joue donc le rôle de variable extensive pour cette forme d'énergie tandis que la quantité gz joue le rôle de grandeur intensive (cf. relation (7.1) du chapitre 7). Le moteur hydraulique fournit donc de l'énergie mécanique grâce au transfert de masse (l'extensité) depuis le bassin à haute intensité gz 2 vers le bassin à basse intensité gz 1. Ce transfert peut être inversé si on fournit de l'énergie mécanique au système. La machine thermique est au contact de deux sources thermiques à et. On a vu précédemment que T est l'intensité de l'énergie thermique : on perçoit l'analogie entre la quantité gz pour la machine hydraulique et T pour la machine thermique. En ce qui concerne la variable extensive associée, c'est bien sûr l'entropie échangée au niveau des sources qui est l'analogue de la masse échangée DM : c'est le transfert de l'entropie depuis la source chaude vers la source froide qui permet à la machine de fournir de l'énergie mécanique. Si au contraire on lui en fournit, de l'entropie est transférée depuis la source froide vers la source chaude. La différence fondamentale entre les deux situations est que la masse, extensité traversant la machine hydraulique, est toujours conservative. Il n'en est pas de même de l'entropie sauf dans le cas particulier où la machine thermique fonctionne réversiblement. 1.1. Analyse de la machine hydraulique réversible Il s'agit d'une machine qui n'est siège d'aucun frottement. Dans le sens moteur par exemple, l'énergie potentielle de gravitation associée au transfert de la masse DM>0 depuis le bassin à z 2 vers le bassin à z 1 est entièrement transformée en énergie mécanique selon le bilan : Ï DMg( z 2 - z 1 ) + Rév = 0 avec DM > 0 Rév (8.1) Ó < 0 Dans le sens récepteur, l'énergie mécanique fournie est entièrement transformée en énergie potentielle de gravitation selon le bilan : ( ) + Rév = 0 avec DM > 0 Ï Ô DMg z 1 -z 2 Ó Ô Rév > 0 (8.2) Dans le cas réel, des frottements se produisent qui engendrent des pertes d'énergie mécanique : dans le sens moteur : le travail fournit par la machine est plus faible ; dans le sens récepteur : le travail à fournir est plus élevé. C'est donc toujours l'utilisateur du dispositif qui "paye" l'effet des frottements. 1.2. Analyse de la machine thermique réversible ou de Carnot La situation est similaire. Si la machine thermique est réversible, l'entropie échangée au niveau de la source chaude et celle échangée au niveau de la source froide sont égales en valeur absolue car aucune entropie n'est créée par hypothèse. Le bilan d'entropie relatif au fonctionnement de la machine pendant un intervalle de temps donné s'écrit dans ce cas : DS e,c + DS e,f = 0 avec DS e,c = Q c Rév et DS e,f = Q f Rév (8.3)
59 Le bilan d'énergie correspondant permet d'exprimer le travail réversible : Rév = -Q c Rév - Q f Rév = - DS e,c - DS e,f < 0 (8.4) Analysons par exemple le cas moteur pour lequel DS e,c > 0. Le bilan d'énergie s'exprime alors : Ï DS e,c ( - ) + Rév = 0 avec DS e,c > 0 Rév (8.5) Ó < 0 Ce résultat est bien sûr analogue au cas moteur de la machine hydraulique réversible (cf. relation (8.1)). De même, dans le cas récepteur, en prenant l'entropie échangée à la source froide DS e,f > 0 comme référence, on trouve facilement : ( ) + Rév = 0 avec DS e,f > 0 Ï Ô DS e,f - T c Ó Ô Rév > 0 (8.6) résultat analogue au cas récepteur de la machine hydraulique réversible (cf. relation (8.2)). Dans le cas des machines thermiques réelles, ces relations ne sont plus valables. Des irréversibilités viennent amoindrir leurs performances de telle façon que : dans le cas moteur, le travail fourni est plus faible que dans le cas réversible ; dans le cas récepteur, le travail à fournir est plus élevé que dans le cas réversible. 2. Performances des machines thermiques 2.1. Définition des efficacités Il est d'usage de quantifier les performances des machines thermiques à l'aide d'une notion d'efficacité construite sur le modèle suivant : Efficacité = Effet recherché Coût (8.7) Pour un moteur, l'effet recherché est le travail et le coût est l'énergie thermique fournie par la source chaude donc : r Mot = Q c (8.8) Pour un récepteur, on peut définir deux efficacités suivant qu'on exploite la machine comme pompe à chaleur ou comme machine frigorifique. Dans les deux cas, le coût est le travail dépensé. Pour la pompe à chaleur, l'effet recherché est la chaleur cédée à la source chaude :
60 r PAC = Q c (8.9) Pour la machine frigorifique, l'effet recherché est la chaleur prélevée à la source froide : r Frigo = Q f (8.10) 2.2. Performances des machines thermiques réversibles Les efficacités prennent leurs valeurs maximales pour les machines réversibles, c'est à dire exemptes de tous types de frottement. A partir des bilans (8.3) à (8.6), on peut montrer facilement les résultats suivants : efficacité du moteur réversible : r Rév Mot = 1 - ; efficacité de la pompe à chaleur réversible : r Rév PAC = efficacité de la machine frigorifique réversible : r Rév Frig = 3. Réalisation pratique des machines thermiques 3.1. Principe - ; -. Une des façons de réaliser de telles machines est de faire subir à un fluide de travail un cycle, c'est à dire une série de transformations qui ramènent périodiquement le fluide dans le même état. Vu de l'extérieur, la machine est donc un système fermé dans ce cas. Le fluide peut subir le cycle au cours du temps en restant enfermé dans une enceinte. Il est alors mis alternativement en contact avec les sources thermiques. Les quantités d énergie échangées sont alors calculées pour un cycle. Le fluide peut aussi traverser successivement plusieurs sous systèmes : il se déplace alors d'une source à l'autre. Les quantités d énergie échangées sont alors calculées pour un kg ou une mole de fluide de travail. Considérons maintenant le cas d'une machine réversible et posons nous la question : quel est le seul cycle possible pour une machine réversible? 3.2. Le cycle de la machine réversible ou cycle de Carnot Il s'agit d'une machine exempte de frottements mécaniques et d'irréversibilités associées au phénomène de transfert de chaleur. Examinons quelles transformations doit nécessairement subir le fluide de travail si la réversibilité est supposée. Pour des raisons de commodité de représentation, on se place dans le cas d'un cycle réalisé en faisant traverser au fluide quatre sous systèmes tels que représenté figure 8.3.
61 Les seules transformations faisant intervenir des échanges d énergie thermique se produisent lorsque le fluide de travail est au contact des sources chaude et froide. Pour que ce transfert de chaleur soit réversible, nous avons vu précédemment que la seule possibilité est que le fluide de travail soit exactement à la température des sources (cf. paragraphe 4.3 du chapitre 7). Les deux autres transformations sont alors adiabatiques. T 4 1 4 1 3 2 3 2 2 s Figure 8.3 : Machines et cycles de Carnot Devant être réversibles, elles sont donc nécessairement isentropiques. Ces transformations correspondent aux échanges d énergie non thermique avec l extérieur par détente ou compression. Dans le diagramme T s représentant les propriétés du fluide de travail, on obtient donc un cycle rectangulaire comme indiqué figure 8.3. Ce cycle est le cycle de Carnot : suivant qu il est parcouru dans le sens des aiguilles d une montre ou inversement, il est respectivement moteur ou récepteur. Si fluide subit le cycle au cours du temps en restant enfermé dans une enceinte, la machine est construite différemment mais le cycle subit par le fluide est le même. Il est parcouru dans le temps au lieu d être parcouru dans l espace comme dans le cas de la figure 8.3. Conclusion Ce chapitre termine la partie proprement Thermodynamique de ce document. Nous sommes très loin d avoir épuisé le sujet. Il est important de retenir le mode de raisonnement mis en œuvre (bilans, propriétés de la matière) car c est ce mode de raisonnement qu on utilise pour étudier des situations plus complexes.