COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 155



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COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 155 PICHETTE, Jean-Pierre (1993) L oeuvre de Germain Lemieux, s. j.: bilan de l ethnologie en Ontario français, Sudbury, Prise de parole et Centre francoontarien de folklore, 529 p. (Actes du colloque «L oeuvre du père Germain Lemieux, s. j.: bilan de l ethnologie en Ontario français», qui a eu lieu à l Université de Sudbury, les 31 octobre, 1 er et 2 novembre 1991) Les 31 octobre, 1 er et 2 novembre 1991, des chercheurs de l Acadie, de l Ontario, du Québec et de l Europe se sont réunis à Sudbury pour rendre hommage à la carrière exemplaire de l ethnologue Germain Lemieux, chercheur, pédagogue, animateur et auteur d une cinquantaine de livres et de brochures consacrés en entier à la recherche et à la diffusion du patrimoine oral des Canadiens français. La date même de ce rassemblement s avérait tout à fait opportune, car l année 1991 marquait le cinquantième anniversaire du début de son illustre carrière et l achèvement de sa monumentale collection Les vieux m ont conté, dont le trente-deuxième et dernier tome venait de paraître. La reconnaissance due à cette oeuvre exceptionnelle, qui demeure le témoignage le plus éclatant de toute la production de Germain Lemieux, ainsi qu aux travaux impressionnants qu il mène depuis maintenant plus d un demi-siècle pour repérer et consigner toute trace des traditions populaires du peuple franco-ontarien, a revêtu en fait la forme d un colloque organisé en son honneur par le département de folklore de l Université de Sudbury et le Centre franco-ontarien de folklore. Une trentaine de spécialistes réputés du Canada et d ailleurs ont pris la parole à cette occasion pour étudier les multiples aspects caractérisant l oeuvre de Germain Lemieux dans le cadre de six séances consacrées aux diverses facettes de ses activités et recherches. Deux ans plus tard, la publication des actes du colloque venait assurer la diffusion de cet ensemble de communications, allocutions et hommages rendus à celui dont l oeuvre a été le catalyseur de ce grand rassemblement. Quiconque essaie de rédiger le compte rendu d un recueil de vingt-cinq communications écrites par vingt-six auteurs différents se retrouve normalement face à un dilemme: comment dégager de cette diversité de visions une unité qui ne soit pas factice et autour de laquelle il serait possible d organiser

156 CAHIERS FRANCO-CANADIENS DE L'OUEST, AUTOMNE 1994 ses observations? Une lecture attentive de ces textes, tout en faisant ressortir de prime abord une très grande variété de perspectives, permet néanmoins de dégager quelques fils conducteurs: une série de communications dresse l histoire de la recherche ethnologique au Canada français; une autre série présente des analyses formelles de contes, de chansons et d autres manifestations de la culture traditionnelle; certains autres articles ouvrent des voies à l exploitation du patrimoine oral dans les domaines de la pédagogie ou des arts, ou sondent l avenir de la culture populaire au coeur du monde moderne. À partir de ce premier tri, des champs lexicaux se précisent: histoire, ethnologie, culture traditionnelle d une part; ouverture, avenir, monde moderne, de l autre. Ce choix de mots est plus que pertinent, car il nous permet de voir les deux pôles autour desquels gravitent, de façon continue, les propos des conférenciers: d abord, la recherche des traditions orales du passé, c est-à-dire le retour aux sources pour édifier la conscience collective d un peuple en donnant les preuves de son rayonnement d autrefois, ensuite, l exploitation de ces ressources au moyen de techniques renouvelées pour assurer le développement culturel du peuple à l avenir. Voilà ce qui constitue, à notre avis, un des objectifs de ce colloque: il se présente comme le point de convergence de ces deux démarches complémentaires qui, se succédant dans le temps, s enracinent dans le même terreau des traditions orales du Canada français. Autre objectif qui se précise: tout en oscillant entre les deux pôles recherche du passé et ouverture sur l avenir, les conférenciers puisent dans les témoignages des communautés unies par les dynamismes de la tradition pour nous offrir des recherches qui, loin d être circonscrites par des considérations purement ethnologiques, s ouvrent sur toute une gamme de disciplines. Ainsi ce recueil, qui pourrait être considéré principalement comme un bilan d études ethnologiques régionales, devient-il en même temps un inventaire très riche de possibilités d exploitation du folklore offertes non seulement aux ethnologues mais aux historiens, pédagogues, écrivains, artistes, musiciens, littéraires, linguistes, sociologues, médiévistes, muséologues et autres encore. Un résumé succinct de chacune des six séances nous permettra de repérer les multiples éléments de recherche qui visent ces diverses disciplines.

COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 157 La première séance, intitulée «L homme et son oeuvre», s insère nettement dans une perspective historique. Elle a pour but de faire connaître le contexte de production de l oeuvre ethnologique de Germain Lemieux. À titre d introduction, Gaétan Gervais prend la parole pour montrer comment l oeuvre du père Lemieux s insère dans une longue lignée de contributions de religieux, lignée qui débuta dès les premières décennies du XVII e siècle. Jean Du Berger, à son tour, situe cette oeuvre dans le contexte général des premières études de folklore au Canada français, en évoquant les travaux de trois hommes: Marius Barbeau, Félix-Antoine Savard et Luc Lacourcière, ainsi que les contextes d élaboration de leurs projets. André Girouard analyse par la suite les influences décisives dans la vie de Germain Lemieux et signale les principales étapes de sa carrière de folkloriste. Charlotte Cormier, pour clôturer la séance, compare l oeuvre de l Acadien Anselme Chiasson avec celle de Germain Lemieux, en considérant l influence qu ont eue sur leur carrière respective leur origine, leur vocation religieuse, et aussi leur mission de cueillette et de diffusion de données folkloriques. Chapitre riche en éléments historiques, donc, où sont évoqués maints compagnons de route de Germain Lemieux, compagnons qui, comme lui, se portaient témoins et transmetteurs des créations dont l homme ordinaire dispose pour s inscrire dans l espace social. Le point de départ de la deuxième séance est fourni par les paroles que Germain Lemieux lui-même avait énoncées dans le premier volume de son ouvrage Les vieux m ont conté, et qui figurent en tête de ce chapitre: Notre but est d abord, redisons-le, de faire connaître notre littérature orale à un plus grand public, de façon à rejoindre, un jour ou l autre, un artiste qui se laisse gagner par la poésie de ces récits. Il en résultera un roman, une opérette, un programme radiophonique, une comédie... ou toute autre pièce artistique inspirée par la tradition ancestrale (Les vieux m ont conté, vol. 1, p. 20). Ainsi, l objectif de ce chapitre est-il clairement précisé: s adressant aux artistes, aux écrivains, bref, à toute personne qui serait touchée par la littérature orale au point d en faire sa muse, les conférenciers de la deuxième séance considèrent la matière folklorique en tant que source d inspiration pour les créateurs qui, à leur façon, rendent au peuple la substance qu ils lui ont empruntée.

158 CAHIERS FRANCO-CANADIENS DE L'OUEST, AUTOMNE 1994 Déjà, dans les allocutions précédant les communications, les artistes Claire Guillemette-Lamirande et Maurice Gaudreault avaient évoqué la capacité d inspiration transmise par des traditions orales en décrivant l influence des contes cueillis par Germain Lemieux sur leur travail créateur. Cette même perspective est reprise et approfondie dans ce chapitre par des chercheurs qui, eux aussi, en les étudiant, sauvegardent les traditions orales contre l usure du temps. Le domaine littéraire est tout d abord mis en valeur par Roger Le Moine qui, dans son étude du roman Les anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé, explique la manière dont ce dernier, auteur québécois nourri de légendes et de chansons dès son enfance, rattache son oeuvre littéraire d une façon fondamentale à la tradition orale. Suivent deux études qui livrent des appréciations sur les retombées de la matière folklorique dans les domaines voisins de la poésie et de la musique. André Gaulin, après avoir signalé l influence de la chanson sur la poésie québécoise contemporaine, montre à quel point la tradition orale a marqué les compositions des musiciens, tels qu André Gagnon et Alain Lamontagne, qui s inspirent d airs traditionnels pour renouveler le matériau sonore mélodie, rythme, timbre et les formes qui le modèlent. Dujka Smojé, abordant le domaine de la musique universelle, présente de nombreux exemples de compositeurs qui ont eu recours à la poésie, au conte populaire et au chant folklorique à des périodes différentes de l histoire musicale soit pour affirmer leur identité nationale et culturelle, soit pour renouer avec les racines originelles et humaines de la musique et retrouver le sens premier de son existence. Elle souligne en plus la tendance marquée de la musique contemporaine à vouloir renouer avec les traditions ethniques des cultures des plus diverses pour renouveler l écriture musicale et en même temps retrouver sa vocation originelle, celle du rite et du mystère. Le dernier article de ce chapitre est consacré par Aurélien Boivin à des appréciations sur l utilisation pédagogique du conte. Boivin le voit comme un moyen privilégié mis à la disposition de l enseignant pour initier les élèves à l art du récit. Le conte, porteur des valeurs humaines et miroir d une société à une époque déterminée, contribue, par sa diversité même, à enrichir les lecteurs de même qu à stimuler chez eux la création,

COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 159 car il répond au besoin du merveilleux de l individu ainsi qu au développement de la fonction symbolique. Font suite à ces considérations artistiques et pédagogiques trois séances, réunies sous le titre commun de «L impact scientifique de l oeuvre», qui proposent justement d en mesurer la portée scientifique dans les sphères de la tradition orale que Germain Lemieux lui-même privilégiait: le conte, la chanson et les coutumes. La première série de ce regroupement est entièrement consacrée à l étude du conte populaire. En premier lieu, Catherine Velay-Vallantin compare de multiples versions européennes du conte La fille aux mains coupées pour ensuite leur opposer des versions franco-canadiennes afin de bien saisir le jeu des échanges entre l oral et l écrit. Georges Bélanger souligne, au début de son article, le manque de recherches consacrées au style oral, qui s avère pourtant d une importance capitale dans la transmission du conte oral, et se sert d un texte audio-visuel de Barbaro-les-grandes-oreilles, conté par Aldéric Perrault, pour montrer comment mieux percer l univers complexe de la gestualité et de la physionomie du corps. Noël Simard s interroge, à son tour, sur la valeur morale de ce genre littéraire parfois très peu «orthodoxe», et Donatien Laurent reprend une perspective globale pour étudier la place du conte populaire français d Amérique dans la tradition orale de la francophonie. La diversité dans la nature des articles dont se compose la deuxième série de ce regroupement la quatrième séance permet une réflexion sur les divers apports de la chanson de tradition orale dans la vie d une collectivité. Monique Vachon et Maurice Carrière, par le biais de souvenirs personnels et à partir de l évocation du Chansonnier canadien d Uldéric Allaire, mettent en valeur le rôle du chansonnier dans la transmission de la mémoire populaire ainsi que celui du folkloriste qui, par ses enquêtes, contribue à la réalisation d un mémorial reflétant la sensibilité particulière d un peuple. Conrad Laforte, après avoir signalé la richesse du répertoire recueilli par Germain Lemieux (3 118 chansons), analyse le texte d une chanson énumérative, L amant laid, pour montrer que toute chanson d un tel répertoire révèle un patrimoine national inestimable. René Dionne se livre à une analyse textuelle de plusieurs versions de La complainte de Cadieux, ce qui permet de mesurer à quel point la mémoire collective peut transformer un texte folklorique pour refléter les

160 CAHIERS FRANCO-CANADIENS DE L'OUEST, AUTOMNE 1994 goûts littéraires qui changent avec les époques et les générations. Enfin, Roger Pinon fait une analyse thématique de la chanson populaire Le siège de Mons, qui se présente alors comme un document historique rempli de renseignements sur l état de l opinion et la propagande politique à l époque. Somme toute, ce chapitre fournit des éclairages intéressants sur la chanson de tradition orale, genre négligé de nos jours, pour ne pas dire dédaigné pendant quelque temps, qui en vient ici à reconquérir un peu de son prestige d autrefois en tant que reflet des comportements humains et sociaux depuis plusieurs siècles. Les articles proposés à la cinquième séance, consacrée principalement à la culture matérielle et sociale, traitent des domaines de l ethnologie canadienne qui intéresseraient particulièrement sociologues, historiens et linguistes. En tête de la série, Jean-Claude Dupont puise dans l histoire pour évoquer l instauration d un réseau d artistes forgerons aux XVII e et XVIII e siècles, son fonctionnement aux XIX e et XX e siècles, et enfin l image que ces artisans ont projetée d eux-mêmes dans cette dernière période. Toujours dans la perspective sociologique, Jean Simard étudie le patrimoine religieux d un groupe minoritaire en proposant une réflexion sur la façon dont les croix des cimetières nous renseignent sur les frontières culturelles des francophones du Canada. Viennent compléter cette série l article de Gaston Dulong qui, dans la perspective dialectologique, fait un survol de la langue populaire retrouvée dans les seize premiers volumes de la série Les vieux m ont conté pour préciser ses diverses composantes lexicales et morphologiques, ainsi que l article de Gary Butler qui présente la performance des ethnotextes comme un événement communicatif, donc un processus d interaction sociale fondée sur une réalité culturelle partagée. Optique fort intéressante qui permet par la suite d identifier comment la culture se manifeste au niveau expressif et comment l expression des notions culturelles sert à renforcer et à consolider l identité collective d un groupe. La toute dernière séance du colloque, s interrogeant sur les «Perspectives d avenir de l oeuvre», est fondée sur une série de questions reliées à l avenir de la culture populaire dans le monde moderne. Bernard Genest, partant d une réflexion sur la possibilité de faire des enquêtes encore plus poussées sur le patrimoine ethnologique des Franco-Ontariens, pose un regard

COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 161 critique sur le Macro-inventaire du patrimoine québécois et étudie son applicabilité en Ontario français. Cyril Simard, tout en avouant de prime abord que tourisme culturel et patrimoine sont fragilement conciliables, considère néanmoins cette combinaison comme économiquement et culturellement rentable, et propose l «économusée» comme modèle de tourisme culturel permettant de conserver et de mettre en valeur, dans l optique d une ouverture au monde, les savoir-faire traditionnels des collectivités, leur patrimoine et leur environnement. Roger Bernard, constatant de lui-même la fragilité de la communauté franco-ontarienne qui vit actuellement, par la voie de la bilinguisation, la dégradation de l identité culturelle canadienne-française, fait valoir l impossibilité d asseoir une culture sur une langue étant devenue, pour toutes fins pratiques, la langue seconde de la communauté. De son côté, Jean-Pierre Pichette, sur un ton bien plus optimiste, reconstruit un lien ferme entre le passé et l avenir en s interrogeant sur les perceptions courantes du folklore. Le regard nostalgique que nous posons sur les traditions du passé, nous rappelle-t-il, ne devrait pas nous faire négliger les traditions actuelles qui continuent le passé. Comme dans tout organisme vivant, des traditions nouvelles surgissent pendant que d autres vieillissent et tombent dans l oubli ou bien, très souvent, s adaptent en se modernisant. C est ainsi que les traditions du «bon vieux temps» finissent par alimenter un patrimoine vivant, formé à l image de l homme contemporain dont les goûts ont changé mais dont les besoins restent pourtant les mêmes. Il revient au médiéviste Benoît Lacroix de présenter la conférence de clôture. Synthèse du colloque, elle soulève des questions-clés déjà posées par certains conférenciers et fournit des éclairages nouveaux auxquels les communications ont donné lieu. Lacroix, reconnaissant les changements profonds qui ont marqué les milieux franco-canadiens au cours des dernières décennies, adopte une optique évaluatrice du domaine ethnologique au Canada français pour interroger l avenir à son tour. Qu en est-il de la culture populaire au Canada français jusqu en ces dernières années? Que deviendra l enquête folklorique à l avenir? Si le folklore n est pas étudié, enseigné, à titre savant et critique, dans les universités et les écoles supérieures, quelles seront ses chances de vie et de survie? Les réponses apportées à ces questions sont trop

162 CAHIERS FRANCO-CANADIENS DE L'OUEST, AUTOMNE 1994 complexes pour qu on puisse faire autrement qu en effleurer l essentiel. Contentons-nous de résumer en disant que, pour favoriser la transmission du patrimoine, il faut prévoir non seulement un renouvellement des enquêtes folkloriques mais aussi de nouvelles approches. Il faut reconnaître, par exemple, que, dorénavant, le folklore s associera davantage à la vie urbaine qu à la vie rurale et que l avenir culturel du folklore appartient aux folklores comparés, favorisés par l immigration de plus en plus massive de citoyens de divers pays. Malgré les défis lancés par la société contemporaine, l auteur reste convaincu que la tradition folklorique survivra aussi longtemps que des chercheurs, tels que Germain Lemieux, soucieux des valeurs culturelles et éducatrices, poursuivront leurs enquêtes sur les traditions populaires pour les transmettre aux générations futures. Car «ce qui, en effet, rend folklorique, au sens savant du mot, un récit, un texte, un métier ou un fait, c est moins son usage populaire que sa transmission, sa réappropriation [...] en un mot la tradition» (p. 510). Ne trouve-ton pas, dans cette définition, l évocation du geste concrètement illustré par les travaux de Germain Lemieux? En somme, les actes du colloque, consacrés au point de départ à la mise en valeur de l oeuvre de Germain Lemieux, objectif fort valable en soi, se distinguent principalement par ce que le lecteur y découvre au point d arrivée. Il va sans dire que, par la grande variété de leurs perspectives, ces textes témoignent premièrement du caractère largement pluridisciplinaire du domaine ethnologique et confèrent à l ouvrage le rôle de bilan conduisant à une synthèse des multiples études, existantes ou en cours, portant sur les traditions populaires du Canada français. Mais l ouvrage dépasse largement le cadre dans lequel il s était initialement inscrit. Les processus d investigation entrepris ici font découvrir en même temps toutes sortes de possibilités d exploration ou d exploitation offertes à tous ceux qui désirent transmettre sous une forme renouvelée les gestes quotidiens d une collectivité inscrits dans le passé. En plus d être un bilan, l ouvrage joue le rôle d un carrefour à partir duquel théoriciens et praticiens, chercheurs et artistes appartenant à des disciplines variées choisiront entre diverses voies pour transformer la culture populaire d autrefois en une réalité d aujourd hui. À tous les niveaux, la richesse de son contenu assure à la personne qui consultera cet ouvrage un large éventail de points de vue

COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES 163 ondoyants et divers, à l image des contes, des chansons et des coutumes qui en constituent le fondement. Tatiana Arcand Collège universitaire de Saint-Boniface ROQUE, Marie (1993) Etuk et Piqati, Saint- Boniface, Les Éditions des Plaines, 44 p. (illustrations de Lindsay Boutet) Tous les enfants un peu solitaires s inventent un compagnon imaginaire, qui les comprend, les réconforte, leur fait découvrir les merveilles du monde qui les entoure... Transposé dans le Grand Nord, au pays des Inuit, ce scénario devient, sous la plume de Marie Rocque, Etuk et Piqati, la courte histoire de l amitié entre un jeune garçon inuit et son compagnon de fraîche date, un inukshuk à forme humaine. Les inuksuit sont ces amoncellements de pierres que l on trouve çà et là dans la toundra et qui, comme nous l apprenons avec Etuk de la bouche de Piqati, ont tous une signification précise selon leur forme, leur orientation et leur localisation: celui qui peut interpréter leurs messages pourra toujours s orienter dans cet environnement hostile. Ainsi, grâce à cette leçon de survie donnée par son ami de pierre, Etuk va enfin pouvoir se déplacer seul dans la toundra et retrouver le chemin de son village. Marie Rocque, avec la collaboration de Lindsay Boutet pour les illustrations, nous propose donc un conte d initiation très intéressant qui, malgré un ton didactique qui casse parfois le rythme du récit, devrait plaire aux jeunes lecteurs... et à leurs parents! Laurence Véron Collège universitaire de Saint-Boniface