LES CHARPENTES DE L'ÉGLISE DE LA BUSSIÈRE-SUR-OUCHE



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Transcription:

LES CHARPENTES DE L'ÉGLISE DE LA BUSSIÈRE-SUR-OUCHE par M. Jean-Michel MAHOUZÉ Plouvier a décrit l'intérieur de l'église de La Bussière, construite à partir de 1140 et consacrée en 1172 à Notre-Dame des Trois Vallées *, II en ressort assurément une impression d'unité, que ni l'agrandissement précoce du chœur, au début du xm e siècle, par une travée voûtée à cinq parties, ni l'amputation de la nef, ne peuvent modifier sensiblement. Le volume général de la partie ouest, où le comble de la nef englobe les bas-côtés en s'aplatissant simplement un peu, évoque les granges cisterciennes, fréquentes dans nos pays, et conforte le sentiment d'un bâtiment sans histoires. Néanmoins, Marcel Aubert dans son Architecture Cistercienne en France, tome I, page 370, précise qu'en 1683, le clocher de l'église s'est écroulé lors d'un incendie qui gagna une partie des voûtes et n'épargna que celle de la croisée, qui subsiste. On devrait alors en conclure qu'à la lin du xvn e siècle, les voûtes auraient été refaites à l'identique. De même, le clocher, visible en 1579 sur le plan en forme de tibériade, d'euvrard Bredin, aurait été repris en copie exacte ; démarche bien étonnante, et peu conforme à l'esprit du temps. Une confirmation pouvant être donnée par la datation de la charpente, j'ai entrepris d'explorer celle-ci. Cette démarche a apporté quelques certitudes, mais aussi de nombreux points d'interrogation supplémentaires. La croisée du transept laisse une impression de maladresse. En effet, si la flèche, que nous connaissons actuellement, et qui ressemble fort à celle de 1579, est de fort belle exécution, elle est posée sur un amoncellement informe de bois, dont certains de très grosse section (60x60 cm environ). Une partie de ces bois reposent sur la voûte d'arêtes de la croisée, soit par l'intermédiaire M IIe 1. PLOUVIKH (M.), «lïssai d'histoire et de restitution architecturale des bâtiments de l'abbayo cistercienne de Lu Bussière», dans Mémoires de la Commission, t. XXXII, p. 291-293.

IVM.IICAN-MICHKL MAHOUZE de cales, soit par des piles en maçonnerie maladroite, mais les plus fortes poutres viennent s'appuyer sur quatre murs-diaphragmes surplombant les arcs périphériques de ladite croisée. Est-ce le terme exact : s'agissait-il bien de murs diaphragmes au simple rôle de supports, ou nous trouvons-nous en présence des murs d'un clocher primitif en pierre de plan can;é, d'assise beaucoup plus large que l'actuel, comme on en trouve à quelques lieues de là, à Vandenesse, à Bligny-sur-Ouchc ou à Vic-des-Prés? Regardant autour de nous, nous sommes en effet attirés par les charpentes des deux bras du transept et des deux tiers est de la nef. Celles-ci, comme le montre le plan qui matérialise les emplacements des fermes, sont composées de travées successives rapprochées de 80 cm environ, et toutes identiques ; elles assurent à la fois la rigidité de la charpente et le support de la couverture, sans l'aide d'aucun autre élément que le voligeage. Cette disposition, proche de celle, de nos fermettes actuelles, mais d'une autre section puisque les bois ont. un demi-pied de côté, est baptisée chevrons portant ferme (lig. 1) ; elle est utilisée en Bourgogne jusqu'au premier quart du xvi siècle, mais les détails d'assemblage de celles-ci (assemblages j\ mi-épaisseur du bois, en forme de queue : ri! t,.! U.511 M! -,; &..,,,_ l'in. I, Serolee Départemental (le i'architecture. Clioviims poi'laiil l'crinc sur nef.

LA I3USS1ÈRI3 195

196 JEAN-MICHEL MAROUZE d'aronde, chevilles taillées à bout carré, etc.) attestent des méthodes abandonnées dès le xm e siècle. Ses défauts même attestent son ancienneté : le bas de ces fermes s'est écarté, poussant les murs par l'intermédiaire de sablières plates entaillées en sabot, ou creusées en forme de L pour former butée. Afin d'éviter ce grand écart, des renforts ont été apposés, sortes d'échelles dont celle d'axe s'appuie sur la voûte par des pièces courbes d'un très bel effet, malgré son caractère hérétique au regard des bonnes techniques. L'ensemble ainsi créé, ménage des perspectives très heureuses. Il convient enfin de remarquer que ces fermes, sur les côtés nord, est et sud, s'arrêtent contre les murs du clocher mentionnés plus haut, et que le remplissage entre ces points et les côtés de la flèche sont traités de façons très différentes, tant par les modes d'assemblage et la taille des bois, que par la conception générale. Ce manque d'unité confirme à la fois l'ancienneté de notre charpente qui, si elle ne date pas de la construction même de l'église, ne peut être postérieure à celle-ci de plus d'un siècle, et la reprise d'un clocher de forme différente. Après cette forêt de chevrons, le comble du chœur paraît vide (fig. 3) et nous apprécions d'autant plus l'élégance de la conception : les entraits choisis dans des arbres courbes pour éviter la clé de voûte, les pannes supportant cinq ou six travées de chevrons, le poinçon élégi en partie basse, le raidissement, ou contreventement, longitudinal assuré par un faîtage et ses liens inclinés, montrent le chemin parcouru en quelques siècles. Nous sommes là sans doute à la fin du xvi e siècle, ou au xvn e ; cela sera à préciser. Du côté de la jonction avec le clocher, les pannes et chevrons semblent identiques aux autres, ce qui attesterait que le chœur a été refait après la flèche, sinon en même temps qu'elle. Il ne nous reste plus qu'à nous transporter à l'autre extrémité de l'église, où le xvm e siècle a vu la suppression des quatre travées occidentales, dont ne subsistent que les murs latéraux arasés. La façade étant remontée, il est vraisemblable que les chevrons portant ferme du derniers tiers de la nef subsistante étaient en mauvais état, ou trop déversés pour être conservés. Une ferme neuve vint les remplacer ; de conception bâtarde (entrait reposant sur la voûte, bois mal choisis, etc.), elle ne mérite pas que l'on s'y attarde. En effet, par un étroit passage et une échelle, il nous tarde de descendre dans le comble du bas-côté nord : «et si sa charpente était ancienne»? Eli bien non, elle est sans intérêt, de guingois, irrégulière. Par contre, l'examen du haut des murs révèle la pré-

LA HUSSIKRK 197 Eût. I5E LA BU5Si fer; ne StHVÎCt sur DGF 1 N ' JSL Fig. 3. Service Départemental de Ferme sur chœur. l'architecture. sence d'une corniche martyrisée pour poser des chevrons et de modillons intacts semblables à ceux des autres faces de l'église, avec lesquels ils se raccordent d'ailleurs à l'angle nord-est. Il faut en conclure que le haut du mur de la nef était à l'extérieur du comble. Quelle pouvait être la forme de celui-ci? un appentis moins pentu serait logique mais la couverture actuelle passe déjà au ras du dessus des voûtes, ce qui aurait nécessité que l'égout soit plus haut ; c'est très improbable, une couverture à deux versants, redescendant dans un chéneau encaissé contre la nef? C'est possible, car un élargissement du mur, au ras du sol, peut rappeler le fond de ce chéneau. Mais on ne trouve pas trace des ancrages d'une telle charpente dans le mur du transept ; aurait-on eu affaire à une couverture en laves, sans charpente, posée directement sur la voûte? Je ne le crois pas car la largeur du bas-côté semble bien importante pour ce type de solution.

198 JEAN-MICHEL MAROUZÉ Dernier point : on constate encore la présence de pièces de bois, bien alignées, qui dépassent du mur à quelques décimètres de son sommet (ce mur n'est pas aussi homogène qu'on l'imagine, car une reprise, en appareil plus haut et avec un alignement un peu différent, existe à 1,30 m de l'arase de la corniche). Ces pièces de bois sont-elles le support d'un chéneau en bois, le soutien d'un faîtage adossé, ou simplement des éléments d'échafaudage restés en place? La solution de cette énigme expliciterait la forme du comble. Nous voilà au bout de la visite. Un clocher trapu, une nef longue, des bas-côtés séparés, l'église de La Bussière avait peut-être une allure toute différente de celle que nous lui connaissons, peut-être plus basse, moins romantique, mais certainement empreinte d'une grande majesté. D'autre part, à La Bussière, cohabitent trois formats de tuiles plates, dont deux beaucoup plus grands que les types habituels bourguignons. Ces tuiles, sans doute produites à la tuilerie voisine qui dépendait de l'abbaye, sont proches de celles retrouvées au Clos de Vougeot et à Oigny, près de Baigneux-les-.Iuifs, autres fondations monastiques. Y a-t-il donc un «module cistercien» de tuiles? Ceci est une autre histoire, et la recherche est ouverte.