SERGIO MONTERISI Le GEANT EGOÏSTE CREATION FRANÇAISE OPERA DE NICE Saison 2008/2009 Orchestre Philharmonique de Nice Directeur, Marco Guidarini LE GEANT EGOÏSTE Conte musical de Sergio MONTERISI sur un texte d Oscar Wilde CREATION FRANCAISE C était un grand et ravissant jardin avec une douce herbe verte. Çà et là, sur l herbe, il y avait de belles fleurs qui ressemblaient à des étoiles, et il y avait douze pêchers qui, au printemps, s épanouissaient en délicates floraisons couleurs de rose et de perle, et, en automne, portaient des fruits magnifiques. Les oiseaux, assis sur les arbres, chantaient si joliment que les enfants s arrêtaient de jouer pour les écouter. «Comme nous sommes heureux ici!» s écriaient-ils. Un jour, le Géant revint. Il était allé visiter son ami, l Ogre de Cornouailles, et était resté sept ans avec lui. Au bout de sept ans, il avait dit tout ce qu il avait à dire, car sa conversation était limitée, et il avait décidé de retourner dans son château. Quand il arriva, il vit des enfants jouer dans le jardin. «Que faites-vous ici?» s écria-t-il d une voix rude, et les enfants s enfuirent.» Mon jardin à moi est mon jardin à moi», dit le Géant ; «tout le monde peut comprendre cela, et je ne laisserai personne d autre que moi y jouer.» Il construisit tout autour un mur très haut et mit un écriteau : Violons Alto Violoncelle Contrebasse Piano Flûte Hautbois Clarinette Cor Percussions Récitant Igor Binello direction musicale Sergio Monterisi DEFENSE D ENTRER SOUS PEINE D AMENDE Golem C était un Géant très égoïste. Les pauvres enfants n avaient plus d endroit pour jouer. Ils essayèrent de jouer sur la route, mais la route était très poussiéreuse et pleine de gros cailloux et ils n aimaient pas cela. Après avoir appris leurs leçons, ils erraient autour du mur en parlant du beau jardin qui était à l intérieur. «Comme nous y étions heureux!» disaient-ils entre eux. Puis vint le printemps, et partout dans les champs, il y avait de petites fleurs et de petits oiseaux. Dans le seul jardin du Géant Egoïste c était encore l Hiver.
Les oiseaux se souciaient peu d y chanter, puisqu il n y avait pas d enfants, et les arbres oubliaient d y fleurir. Un jour, une belle fleur sortit sa tête de l herbe, mais quand elle vit l écriteau, elle fut si peinée pour les enfants qu elle se glissa de nouveau dans la terre et se remit à dormir. Les seuls satisfaits étaient la Neige et le Gel. «Le Printemps a oublié le jardin, s écriaient-ils, de sorte que nous vivrons ici toute l année.» La Neige couvrit l herbe de son grand manteau blanc et le Gel peignit d argent tous les arbres. Puis ils invitèrent le Vent du Nord à demeurer avec eux, et il vint. Il était enveloppé de fourrures, mugissait tout le jour dans le jardin et renversait les cheminées. «Voilà un endroit délicieux, dit-il, il faut que nous invitions la Grêle.» Et la Grêle vint. Tous les jours, pendant trois heures, elle crépitait sur le toit du château jusqu à ce qu elle brisât la plupart des ardoises, puis elle courait tout autour du jardin aussi vite qu elle pouvait. Elle était habillée de gris et son haleine était comme de la glace. «Je ne comprends pas pourquoi le Printemps tarde tant à venir, disait le Géant Egoïste, tandis qu il restait assis près de la fenêtre et regardait son jardin froid et blanc. J espère que le temps va changer.» Mais le Printemps ne vint jamais, pas plus que l Eté. L Automne donna des fruits d or à tous les jardins, mais n en donna aucun au jardin du Géant. «Il était trop égoïste», disait-il. Aussi l Hiver y régnait-il toujours et le Vent du Nord, la Grêle, le Gel et la Neige y dansaient-ils parmi les arbres. Un matin, le géant était éveillé dans son lit quand il entendit une musique ravissante. Elle résonna si agréablement à ses oreilles qu il pensa que ce devait être les musiciens du Roi qui passaient par là. En réalité, ce n était qu un petit linot qui chantait dehors, près de la fenêtre, mais il y avait si longtemps qu il n avait entendu un oiseau chanter dans son jardin, que cela lui parût la plus belle musique du monde. Alors la Grêle s arrêta de danser au-dessus de sa tête, le Vent du Nord cessa de mugir, et un doux parfum monta jusqu à lui par la fenêtre ouverte. «Je crois que le Printemps est enfin venu», dit le Géant ; et il sauta du lit et regarda dehors. Que vit-il? Il vit le plus merveilleux spectacle. A travers un petit trou dans le mur, les enfants s étaient glissés à l intérieur, et ils étaient perchés sur les branches des arbres. Dans chacun des arbres qu il apercevait, il y avait un petit enfant. Et les arbres étaient si contents du retour des enfants, qu ils s étaient couverts de fleurs et agitaient doucement les bras au-dessus de leur tête. Les oiseaux voletaient et gazouillaient avec délice, et les fleurs regardaient à travers l herbe verte et riaient. C était un bien charmant spectacle, mais dans un seul coin, c était encore l Hiver. Niki de Saint Phalle Baguier / Mosaïque en miroir et Monstre de mosaïque, jardin des Tarots L arbre
C était le coin le plus reculé du jardin, et il y avait là un petit garçon. Il était si petit qu il ne pouvait atteindre les branches de l arbre, et il errait tout autour en pleurant amèrement. Le pauvre arbre était encore tout couvert de neige et de givre, et le Vent du Nord soufflait et mugissait au-dessus de lui. «Grimpe, petit garçon» disait l Arbre, et il abaissait ses branches aussi bas qu il pouvait, mais l enfant était trop petit. Et le cœur du géant s émut en regardant dehors. «Comme j ai été égoïste, dit-il, maintenant je sais pourquoi le Printemps ne voulait pas venir ici. Je vais mettre ce pauvre petit garçon tout en haut de l arbre. Je démolirai le mur et mon jardin sera à jamais la cour de récréation des enfants.» Il était vraiment très fâché de ce qu il avait fait. Alors, il descendit sans bruit l escalier, ouvrit très doucement la porte et pénétra dans le jardin. Mais quand les enfants le virent, ils furent si effrayés qu ils s enfuirent, et dans le jardin, ce fut de nouveau l hiver. Seul le petit garçon ne s enfuit point, car ses yeux étaient si pleins de larmes qu il ne vit pas le Géant s approcher. Et le Géant s avança sans bruit derrière lui, le prit doucement dans sa main et le posa dans l arbre. L arbre se couvrit aussitôt de fleurs, les oiseaux vinrent y chanter, et le petit garçon étendit ses deux bras et les jeta autour du cou du Géant et l embrassa. Et quand les autres enfants virent que le Géant n était plus méchant, ils revinrent en courant, et le Printemps revint avec eux. «C est votre jardin, maintenant, petits enfants» dit le Géant, il prit une grande hache et fit tomber le mur. Et quand tous les gens allèrent au marché à midi, ils virent le Géant en train de jouer avec les enfants dans le plus beau jardin qu ils eussent jamais vu. Il jouèrent tout le jour, et le soir, ils vinrent dire au revoir au Géant. «Mais où donc est votre petit compagnon, demanda-t-il, celui que j ai posé dans l arbre?» Le Géant l aimait mieux parce qu il l avait embrassé. «Nous n en savons rien, répondirent les enfants, il est parti». «Il faut que vous lui disiez de venir demain», dit le Géant. Niki de Saint Phalle La Fontaine Stravinsky Mais les enfants répondirent qu ils ne savaient pas où il habitait et ne l avaient jamais vu auparavant. Le Géant en fut très triste. Tous les après-midi, après l école, les enfants vinrent jouer avec le Géant. Mais on ne revit jamais le petit garçon que le Géant aimait. Le Géant était très bon pour tous les enfants, mais il désirait revoir son premier petit ami et parlait souvent de lui. «Comme j aimerais le voir!» disait-il.
Les années passèrent, le Géant devint très vieux et très faible. Il ne pouvait plus jouer, de sorte qu il restait assis dans un fauteuil immense, regardait les yeux des enfants et admirait son jardin. «J ai beaucoup de belles fleurs, disait-il, mais les enfants sont les plus belles fleurs de toutes.» Un matin d hiver, il regardait par la fenêtre en s habillant. Il ne détestait plus autant l Hiver, car il savait que c était simplement le Printemps endormi, et que les fleurs se reposaient. Soudain, émerveillé, il se frotta les yeux et regarda fixement. C était certainement une vue merveilleuse. Dans le coin le plus reculé du jardin, il y avait un arbre tout couvert de ravissantes fleurs blanches. Ses branches étaient toutes dorées et des fruits d argent y étaient suspendus, au-dessous, se tenait le petit garçon qu il avait aimé. Dans sa joie, le Géant descendit en courant l escalier et pénétra dans le jardin. Il traversa l herbe en toute hâte et arriva près de l enfant. Quand il fut tout près, son visage rougit de colère, et dit : «Qui a osé te blesser?» Car sur les paumes de l enfant il y avait l empreinte de deux clous, et il y avait aussi l empreinte de deux clous sur ses petits pieds. «Qui a osé te blesser? s écria le géant, dis-le-moi afin que je prenne mon grand sabre et que je l abatte.» «Non, répondit l Enfant, car ce sont les blessures de l Amour.» «Qui donc es-tu?», dit le Géant, une crainte étrange s empara de lui, et il s agenouilla devant le petit enfant. L Enfant sourit au Géant et lui dit : «Un jour, tu m as permis de jouer dans ton jardin ; aujourd hui c est toi qui m accompagnera dans mon jardin, qui est le Paradis.» Et ce jour-là, quand les enfants coururent au jardin, dans l après-midi, ils trouvèrent le Géant couché sous l arbre, mort et tout couvert de fleurs blanches. Oscar Wilde, 1854-1900 Ecrivain irlandais Niki de Saint Phalle Enfants et cerfs-volants Long Live Love L Amour
L ORCHESTRE Musicalement, le conte d Oscar Wilde est accompagné par un orchestre de chambre formé de toute la famille des cordes frottées (le quatuor à cordes) et du piano, instrument à cordes frappées. La famille des bois est presque complète avec la flûte, le hautbois et la clarinette. Le seul instrument présent de la famille des cuivres est le cor, qui représente le personnage du Géant. Les percussions complètent l orchestre. Qu est-ce qu un orchestre de chambre? L effectif de l orchestre de chambre est plutôt restreint. Mais ce terme est vague, car il peut s appliquer à des formations très différentes. L orchestre de chambre classique est constitué généralement d un groupe prépondérant de cordes (violons, altos, violoncelles et contrebasses) auquel on ajoute les vents - bois et cuivres - en nombre limité. Les cordes frottées Le quintette à cordes, pour cette œuvre, est constitué de 2 violons, l alto, 1 violoncelle et 1 contrebasse Le violon est le plus élégant des instruments. Sa forme n a pas varié depuis 250 ans. On dit que c est le roi des instruments. Son étendue est presque illimitée dans l aigu et ses qualités expressives très riches. On peut en jouer en pinçant les cordes, mais on en joue, le plus souvent, avec un archet, baguette souple et résistante sur laquelle est tendue la mèche faite de crins de chevaux de Hongrie. L alto est un peu plus grand, plus grave que le violon. Sa sonorité est plus chaude, plus mélancolique. Le violoncelle est un grand violon mesurant 1,25m. On doit l appuyer au sol à l aide d une pique en métal pour jouer. Sa sonorité est ample et chaude. La contrebasse, le plus grand instrument de l orchestre, il est plus haut que l instrumentiste qui en joue! Moins agile que les autres instruments de la famille, est capable de décrire l orage, ou d être plus bougon. Il peut aussi décrire des scènes dramatiques ou comiques. Un instrument à cordes frappées Le piano aussi possède des cordes, mais on ne les voit pas, elles sont à l intérieur de la caisse. Il existe encore de nos jours des pianos droits que l on trouve dans les appartements ou des pianos à queue, principalement dans les salles de concerts. A l intérieur, se trouve tout un mécanisme complexe fixé sur un cadre métallique, relié au clavier et aux pédales. Les cordes sont frappées par de petits marteaux garnis de feutre. Grâce à son toucher et aux pédales, le jeu du pianiste peut se nuancer à l infini. La souplesse, la discrétion et la puissance jointes à sa grande étendue, du grave à l aigu, font du piano un instrument soliste qui peut rivaliser avec tout un orchestre. La famille des bois La flûte est formée d un tube en métal percé de trous fermés par des clés. Elle a une sonorité claire et brillante dans l aigu, pleine de charme et de poésie dans le medium, chaude et douce dans le grave. Le hautbois, construit en bois, se termine par un pavillon légèrement évasé. Il possède un mécanisme compliqué d une vingtaine de clés et produit des sons nasillards, plaintifs ou rêveurs. C est le canard de Pierre et le Loup. La clarinette ressemble de loin au hautbois, elle est ébène aussi, mais le tube est cylindrique et le bec différent. Les clarinettes sont souples et agiles, elles ont une sonorité brillante dans l aigu, des sons feutrés dans le grave. La famille des cuivres Elle est représentée dans cet orchestre par le cor. Très reconnaissable car son long tuyau est enroulé sur lui-même. Le son qu il émet est voilé, poétique, quelquefois charmeur, mais peut être violent et dur quand il joue fort. Les autres instruments de la famille sont la trompette, le trombone et le plus grave, le tuba. La famille des percussions Les percussions sont variées à l infini et on en invente encore. Ce sont tous les instruments qu on percute pour les faire sonner. Certains donnent des sons déterminés, parce qu on peut dire quelle note ils donnent, comme les xylophones, le célesta, les cloches ou les timbales. D autres donnent des sons indéterminés comme les tambours (grosse caisse, caisse claire et tambourin) les cymbales, les castagnettes, le gong, le fouet, le triangle.
Il est peut-être un peu osé de rapprocher le conte d Oscar Wilde et les œuvres rondes et colorées de Niki de Saint Phalle, mais la sculptrice franco-américaine a su recréer, elle aussi un univers imaginaire et poétique comme l affectionnent les enfants, un monde propice aux légendes et aux contes. Ce monde est familier aux niçois depuis que Nanas, totems et autre jazzman ont débarqué à Nice en 2002 pour une rétrospective au MAMAC, autour de la donation exceptionnelle faite à la Ville de Nice. Le monde enchanté de Niki de Saint Phalle abrite des créatures fantastiques et terrifiantes, des créations ludiques faites d ombre et de lumière, destinées aux fontaines, aux places et aux jardins auxquels elle donne une âme. Des monstres parfois sanguinaires, comme le «Golem» (tête géante de monstre avec une langue-toboggan), ou des dragons inoffensifs, des sculptures qui semblent venir d un monde enchanté et respirent la joie de vivre. L artiste découvre Gaudí à Barcelone, les formes souples et l utilisation de matériaux divers. Rejoignant l inspiration des «ready-made», elle participe au courant du nouveau réalisme qui réutilise les objets usagés, rebuts de la société, les déconstruit pour les reconstruire. SERGIO MONTERISI Né dans le sud de l Italie en 1970, Sergio Monterisi est un musicien complet : diplômé de piano, de musique vocale de chambre, de musique chorale, de direction de chœur, d instrumentatin pour orchestre d harmonie, de composition et de direction d orchestre. Il a, en outre, une licence de lettres Modernes. Il a dirigé plusieurs créations de Nino Rota, compositeur connu, notamment, pour ses musiques de films comme La Strada ou La Dolce Vita de Fellini. Il a dirigé de nombreux concerts et des ouvrages lyriques en Italie et en Europe. En 2002, il est nommé «Resident Conductor» et directeur musical de la NEC Sinfonietta à Boston. Il a dirigé plusieurs enregistrements pour la radio allemande, la télévision américaine et la chaîne ARTE. Depuis 2005, Sergio Monterisi, tout en poursuivant une carrière internationale, est nommé assistant musical de marco Guidarini, à la direction musicale de l Orchestre Philharmonique de Nice. SERGIO MONTERISI ET LE GEANT EGOISTE Conversation avec le compositeur Pourquoi avez-vous choisi un conte pour enfants? Ce conte d Oscar Wilde m a toujours fasciné parce qu il explique, à travers une histoire, que chacun d entre nous progresse, s enrichit et devient meilleur grâce à l attention et à l amour des autres. Pourquoi avez-vous mis ce conte en musique? J avais envie d écrire une œuvre qui permette aux enfants de se rapprocher de l univers de l opéra et de le découvrir. Je suis convaincu que l opéra, par le mélange de la musique, de la poésie et de l action qui se déroule, peut être facilement compris des enfants, et qu il fait découvrir le monde par l image, la magie, la comparaison avec d autres situations. Il permet aussi de rêver. Est-ce qu on aime les contes même quand on est adulte? Les contes ont toujours été le reflet d un pays, d une époque ; ils sont les messagers d une culture. Ils nous parlent à tous, chacun peut les comprendre et les apprécier. La musique aide-t-elle à rêver, ajoute-t-elle quelque chose à l histoire? La musique, et l opéra surtout, sont des moyens privilégiés pour rêver, imaginer et entrer en contact avec une réalité différente. Dans le Géant Egoïste, il n y a que l orchestre, pas de voix chantée? Il existe deux versions de cette œuvre : une pour deux chanteurs, chœur d enfants et orchestre de chambre. Dans l autre version, le conteur raconte l histoire et les instruments jouent les mélodies destinées aux chanteurs. Est-ce qu il y a un instrument (ou plusieurs) qui représente le Géant, l Hiver, le Vent, le Gel ou les enfants? Le Géant sera représenté, tout au long du conte musical par un seul instrument, le cor, qui permet, à la fois, d obtenir une couleur très sombre et très douce.