Café Poésie 1er samedi du mois Mairie Annexe Peïra Cava Les poèmes des poètes disparus sélectionnés par les participants au café poésie saison poétique 2007/2008 sur le thème : La Vie NJART
Sélections du 6 octobre 2007 Sylviane Bourassé Le Mot et la Chose Abbé Gabriel-Charles de L Attaignant (1697-1779) Dany Ciais Lorsque l enfant paraît Victor Hugo (1802-1885) Nelly Johnson La vie idéale Charles Cros (1842-1888)
Le Mot et la Chose Abbé Gabriel-Charles de L Attaignant (1697-1779) Madame quel est votre mot On vous a dit souvent le mot On vous a fait souvent la chose Ainsi de la chose et du mot Vous pouvez dire quelque chose Et je gagerais que le mot Vous plaît beaucoup moins que la chose Pour moi voici quel est mon mot J avouerai que j aime le mot J avouerai que j aime la chose Mais c est la chose avec le mot Mais c est le mot avec la chose Autrement la chose et le mot A mes yeux seraient peu de chose Je crois même en faveur du mot Pouvoir ajouter quelque chose Une chose qui donne au mot Tout l avantage sur la chose C est qu on peut dire encore le mot Alors qu on ne fait plus la chose Et pour peu que vaille le mot Mon Dieu c est toujours quelque chose De là je conclus que le mot Doit être mis avant la chose Qu il ne faut ajouter au mot Qu autant que l on peut quelque chose Et que pour le jour où le mot Viendra seul hélas sans la chose Il faut se réserver le mot Pour se consoler de la chose Pour vous je crois qu avec le mot Vous voyez toujours autre chose Vous dites si gaiement le mot Vous méritez si bien la chose Que pour vous la chose et le mot Doivent être la même chose Et vous n avez pas dit le mot Qu on est déjà prêt à la chose Mais quand je vous dis que le mot Doit être mis avant la chose Vous devez me croire à ce mot Bien peu connaisseur en la chose Et bien voici mon dernier mot Madame passez-moi le mot Et je vous passerai la chose
Lorsque que l Enfant paraît Victor Hugo (1802-1885) Lorsque l enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l enfant paraître, Innocent et joyeux. Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autour d un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand l enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l appelle, et sa mère Tremble à le voir marcher. Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, De patrie et de Dieu, des poètes, de l âme Qui s élève en priant ; L enfant paraît, adieu le ciel et la patrie Et les poètes saints! la grave causerie S arrête en souriant. La nuit, quand l homme dort, quand l esprit rêve, à l heure Où l on entend gémir, comme une voix qui pleure, L onde entre les roseaux, Si l aube tout à coup là-bas luit comme un phare, Sa clarté dans les champs éveille une fanfare De cloches et d oiseaux. Enfant, vous êtes l aube et mon âme est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez ; Mon âme est la forêt dont les sombres ramures S emplissent pour vous seul de suaves murmures Et de rayons dorés! Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, Car vos petites mains, joyeuses et bénies, N ont point mal fait encor ; Jamais vos jeunes pas n ont touché notre fange, Tête sacrée! enfant aux cheveux blonds! bel ange À l auréole d or! Vous êtes parmi nous la colombe de l arche. Vos pieds tendres et purs n ont point l âge où l on marche. Vos ailes sont d azur. Sans le comprendre encor vous regardez le monde. Double virginité! corps où rien n est immonde, Âme où rien n est impur! Il est si beau, l enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaisés, Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie Et sa bouche aux baisers! Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j aime, Frères, parents, amis, et mes ennemis même Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur! l été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants!
La vie idéale Charles Cros (1842-1888) Une salle avec du feu, des bougies, Des soupers toujours servis, des guitares, Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares, Où l on causerait pourtant sans orgies. Au printemps lilas, roses et muguets, En été jasmins, oeillets et tilleuls Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais. Les hommes seraient tous de bonne race, Dompteurs familiers des Muses hautaines, Et les femmes, sans cancans et sans haines, Illumineraient les soirs de leur grâce. Et l on songerait, parmi ces parfums De bras, d éventails, de fleurs, de peignoirs, De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs, Aux pays lointains, aux siècles défunts