Revue archéologique du Centre de la France

Documents pareils
Technique de la peinture

LES MOSAIQUES DU CREDIT AGRICOLE

Une religion, deux Eglises

Une religion, deux Eglises

Le Château de Kerjean est classé monument historique

Bulletin d infos et de liaison destiné aux plongeurs-archéologues de l EST

Grisaille décorative (baie 25)

CONNAISSANCE DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL ET URBAIN RAPPORT DE PRÉSENTATION

Histoire de charpente

L'ENTREPRISE À L'ŒUVRE

Un état descriptif de 1776 nous permet de mesurer la qualité de la conservation du bâtiment conçu par Mathurin Cherpitel.

Rochecorbon : l église Saint-Georges et sa charpente romane

Les Éditions du patrimoine présentent La tenture de l Apocalypse d Angers Collection «Sensitinéraires»

Anne Barrès «Poussées et équilibres»

L ÉGLISE AU MOYEN ÂGE

Jean Dubuffet AUTOPORTRAIT II

Le château de Versailles Architecture et décors extérieurs

Manuscrits du Moyen Age

Livret de visite ans. l e. âge du EXPOSITION. VILLENEUVE D ascq. Hall de la Bibliothèque Universitaire Centrale Lille 3

Mesdames et Messieurs,

Monastère de Sant Pere de Rodes. Visiter

LICENCE ARCHEOLOGIE. skin.:program_main_bloc_presentation_label. skin.:program_main_bloc_objectifs_label. Mention : Histoire de l'art et archéologie

Le bas-relief. Du dessin au modelage

La bibliothèque. Département des restaurateurs

Couplage d une base de données documentaire à une visualisation interactive 3D sur l Internet

Préparation de la visite. Visite symbolique et spirituelle Groupes: 6 e, 5 e, 4 e et 3 e (collège) Visites éducatives de la Sagrada Família

PROGRAMME DES COURS DE LICENCE

École doctorale 124. «Histoire de l art et Archéologie» (ED VI) Formation doctorale obligatoire

L EMPIRE ROMAIN. étude de cas : Lucius Aponius Cherea habitant de Narbo Martius au II siècle. Fabienne Rouffia - collège V.

2ème OPERATION Travaux d'urgence de l'eglise paroissiale et intégration architecturale de la porte des morts

Charlemagne Roi des Francs et empereur d'occident ( ).

Les biens culturels :

Vieu X. à Vieux. Il y a bien longtemps... Il y a bien long. Il y a bien longtemps... Il y a bien longtemps... bien longtem.

Prise en main par Guy BIBEYRAN Chevalier médiéval époque XIII / XIV siècle métal 75mm Atelier Maket Référence AM Sculpteur: Benoit Cauchies

ENQUETE SUR LA SITUATION DES GRANDES VILLES ET AGGLOMERATIONS EN MATIERE D ASSURANCES DOMMAGES

IL PERCORSO OCCITANO La plus belle randonnée culturelle du Piémont : la vallée Maira

LA GRAND-PLACE DE BRUXELLES ET SES ABORDS UN PATRIMOINE MONDIAL

Qu est-ce que l Inventaire?

PROJET DE RESTAURATION DE L ANCIEN COUVENT DE LA VISITATION. Monument Historique. Place de la République LE MANS

un certain recouvrement Michaële Andrea Schatt Parc du palais de Compiègne

1Meknès 2Lambèse Tazoult Paris

Mobilité du trait de côte et cartographie historique

13 Quelle est l église du Nouveau Testament?

Bureaux de Luxe : Bureaux de Direction

Préfixe "MA" ALVEOLE VI

Théâtre - Production théâtrale Description de cours

Monsieur l Adjoint délégué à la Culture et à la Tauromachie,

Pourquoi enseigner le fait religieux à l école?

THEME 2 : MONDE ANTIQUE

LES REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES guide à l usage des étudiants. sources : éléments :

SAINT-LUC TOURNAI ÉBÉNISTERIE. Enseignement Secondaire Professionnel

- A L'INTERIEUR DU SITE ARCHÉOLOGIQUE VOUS TROUVEREZ: CAFETERIA + RESTAURANT SELF-SERVICE TEL. 06/ ( ) LIBRAIRIE TOILETTES

Ci-après, la liste des masters proposés par les universités françaises pour se former, en 2 ans après la licence, à l un des métiers de la culture.

ACCORD SUR LES RELATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES ENTRE LE GOUVERNEMENT DU CANADA ET LE GOUVERNEMENT DE L'ESPAGNE

FONDS CHARLES COURNAULT ( )

La serrurerie médiévale au regard de l archéologie. Bibliographie sélective

Philippe DESMONTS 2,Voie Buée ASSENCIERES

Villa dite Saint-Cloud

Lexique. -- Lycée GABRIEL -- Architecture et habitat - Argentan - Orne - L Y C É E POLYVALENT GABRIEL ARGENTAN MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE

Tête féminine, dîte "Tête Warren". Marbre de Paros Museum of Fine Arts, Boston. Boston

DOSSIER DE PRESSE FAITES VOS JEUX! AV E C SAINT- H ONORÉ-LES-BAIN S. infos Exposition photographique jusqu au 1 er septembre 2010

moccam-en-ligne Guide de l utilisateur

Présentation renouveau école Georges Pamart

Bas-reliefs Statues, Torses & Bustes

Présentation des objets mobiliers de l Église paroissiale Saint-Pantaléon

Erol GIRAUDY et Martine ROBERT LE GUIDE JURIDIQUE DU PORTAIL INTERNET/INTRANET

Introduction : Chapitre XII Les débuts du judaïsme

Le jugement de Pâris et la pomme Par A. Labarrière 2 2

DOSSIER DE PRESSE. Rome, unique objet. Philippe Lejeune

Des mérovingiens aux carolingiens. Clovis, roi des Francs La dynastie carolingienne La fin de l'empire carolingien

Vocabulaire maisons Maisons Paysannes de Charente

SAINT-PETERSBOURG EN PETIT GROUPE MEILLEUR TARIF GARANTI 2015/2016

1S9 Balances des blancs

L impression numérique

Serrurier-Bovy Masterworks, d une collection

PORTFOLIO ETUDES D ARCHITECTURE LOUISE LEONARD

Conclusion : Voir Annexe p.33

Histoire Le Moyen-âge La société féodale

Techniques et matériaux

4.1. Faire une page de titre 4.2. Rédiger l introduction

huile sur bois 67 x 49 cm Origine : Renaissance

SRAL Saint Raphaël. Maison des associations 213, rue de la Soleillette Saint Raphaël. : : dromain.jean-pierre@neuf.

Poser un carrelage mural

SRAL Saint Raphaël. Maison des associations 213, rue de la Soleillette Saint Raphaël. : : dromain.jean-pierre@neuf.

Séminaire méthodologique Mercredi 26/01/ h-20h.

Programme national de numérisation. Ministère de la Culture et de la Communication. Appel à projets de numérisation 2010

Tout savoir avant de créer une boutique en ligne!

Dossier de Presse 5 juin L Oeuvre de Vauban à Besançon

De l Abbaye Notre-Dame-aux-Nonnains à la Préfecture de l Aube

Projet pour la création de nouveaux ateliers d artistes à Marseille, Association ART 13. I Etat des lieux

Grand Palais, Champs-Elysées Paris

Minta NEGYEDIK MINTAFELADATSOR. Javítási-értékelési útmutató az emelt szintű írásbeli vizsgához

1. F e r d i n a n d F i l l o d, q u i é t a i t - i l?

GRAVER LA PAIX Projet de création artistique collective dans le cadre des Rencontres de Genève Histoire et Cité Construire la Paix (

La micro be. Image Sébastien PLASSARD, Baigneuse 2014

COMMISSION DE SUIVI DE SITE

Couleurs du Moyen Âge

1-Notions de base sur l économie médiévale. L économie médiévale. Première orientation bibliographique

22 Nous Reconnaissons la force du pardon

Transcription:

Revue archéologique du Centre de la France Tome 45-46 2008 Varia C. Sapin (éd.), Le stuc : visage oublié de l'art médiéval (catalogue de l'exposition présentée au Musée Sainte-Croix de Poitiers, 16 septembre 2004-16 janvier 2005) Paris-Poitiers, Somogy-Éditions d Art et Musées de la Ville de Poitiers, 2004, 255 p. Elisabeth Lorans Édition électronique URL : http://racf.revues.org/866 ISSN : 1951-6207 Éditeur Fédération pour l édition de la Revue archéologique du centre de la France (FERACF) Référence électronique Elisabeth Lorans, «C. Sapin (éd.), Le stuc : visage oublié de l'art médiéval (catalogue de l'exposition présentée au Musée Sainte-Croix de Poitiers, 16 septembre 2004-16 janvier 2005)», Revue archéologique du Centre de la France [En ligne], Tome 45-46 2006-2007, mis en ligne le 08 avril 2008, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://racf.revues.org/866 Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2016. Les contenus de la Revue archéologique du centre de la France sont disponibles selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

1 C. Sapin (éd.), Le stuc : visage oublié de l'art médiéval (catalogue de l'exposition présentée au Musée Sainte- Croix de Poitiers, 16 septembre 2004-16 janvier 2005) Paris-Poitiers, Somogy-Éditions d Art et Musées de la Ville de Poitiers, 2004, 255 p. Elisabeth Lorans RÉFÉRENCE C. Sapin (éd.), Le stuc : visage oublié de l'art médiéval (catalogue de l'exposition présentée au Musée Sainte-Croix de Poitiers, 16 septembre 2004-16 janvier 2005), Paris-Poitiers, Somogy-Éditions d Art et Musées de la Ville de Poitiers, 2004, 255 p. 1 C est un art oublié ou tout du moins négligé que nous donne à voir ce beau livre, catalogue d une exposition qui s est tenue pendant l automne-hiver 2004-2005 au Musée Sainte-Croix de Poitiers et qui accompagnait la tenue d un colloque international 1. À travers l art du stuc, examiné dans la longue durée, de l Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge, s est en fait une large partie du décor architectural des édifices religieux qui est révélée, en associant d autres techniques : sculpture sur pierre, terres cuites architecturales mais aussi peintures et mosaïques afin de rendre compte des associations de matières et de couleurs, en particulier pour des constructions du haut Moyen Âge qui sont en cours de réexamen, telles que le baptistère de Poitiers ou l hypogée des Dunes. 2 Poitiers et le Poitou sont au cœur de cet ouvrage, qui met en exergue la superbe découverte de Vouneuil-sous-Biard, morceau de choix de l exposition, mais offre aussi un

2 beau tour d horizon européen. À travers une structure globalement chronologique, le lecteur parcourt en effet la Gaule, du nord au sud, l espace germanique mais aussi l Italie du Nord et la Croatie, l Espagne tenant une moindre place. Textes de synthèse et notices de sites alternent tout au long de l ouvrage conclu par un appendice consacré au regard du restaurateur, deux bibliographies (l une de nature générale sur les stucs en Europe, l autre correspondant aux notices) et un glossaire. 3 Le rapport entre productions de l Antiquité et productions du Moyen Âge constitue le principal fil conducteur de l ouvrage, qui s ouvre sur un bilan historiographique dans lequel Christian Sapin, le maître d œuvre de l entreprise, expose les conditions de l oubli, voire du mépris, dont l art du stuc fit l objet au XIX e s. et même jusque dans les années 30, Jean Hubert lui-même l ayant tenu pour une technique secondaire bon marché. 4 La redécouverte de ces réalisations fragiles et donc largement détruites au fil des siècles s est accompagnée ces dernières années d analyses physico-chimiques à même de révéler finement les différences de fabrication entre Antiquité et Moyen Âge, présentées par Bénédicte Palazzo-Bertholon. La première tradition, qui s est d abord développée en Italie du I er s. av. J.-C. au III e s. ap., est caractérisée par la présence d une ou de plusieurs couches d enduit à chaux et à sable lissés revêtues d une couche de chaux pure en surface alors que la production médiévale superpose des couches de même nature depuis la couche d accrochage jusqu à la surface : ce constat remet en cause la validité de l argument économique avancé pour l Antiquité car il paraît difficile de concevoir que les artistes du Moyen Âge aient fait le choix d une technique plus coûteuse. Les matériaux employés distinguent aussi les deux traditions, avec une diversification au Moyen Âge qui vit, sans que cela fût systématique, le remplacement de la poudre de marbre par du sable et celui de la chaux par du plâtre. La mise en forme du relief diffère également : alors que les romains employaient des moules et des formes pour réaliser toutes sortes de motifs et d éléments architecturaux, on a sculpté ou modelé à la main le relief dès le haut Moyen Âge, même si le moule demeure encore en usage. Enfin, aux stucs majoritairement blancs pendant l Antiquité, s opposent les reliefs colorés des siècles ultérieurs. Sur le plan technique, les stucs de Vouneuil-sous-Biard sont à la charnière des deux traditions. 5 Cette belle découverte réalisée en 1984-1985 à la faveur de la fouille de l ancienne église paroissiale consiste en 2500 pièces de stuc correspondant à un décor architectural associant arcades, colonnes, chapiteaux et personnages en pied, sans doute des prophètes, le tout organisé sur trois registres et couvrant une surface de 5 m par 4,80 m. On ignore si ce décor a orné une pièce de la villa plusieurs fois réaménagée entre le I er et le IV e s. et qui aurait donc perduré au-delà ou un chevet plat correspondant à un état antérieur de l église érigée au-dessus de la structure antique et dont les vestiges fouillés présentaient une abside à pans coupés avec laquelle le décor en stuc n a aucun rapport. Les auteurs de l étude penchent pour une attribution autour de la fin du V e et du début du VI e siècle, l influence des œuvres ravennates du V e s. étant la plus importante. 6 Ce décor était encore en place jusqu au VII e -VIII e s., comme l atteste l ajout d une ligne d écriture continue, peinte en rouge à main levée, exprimant la vénération de saints et de saintes, des martyrs romains dont le culte fut exalté au VIII e s., au moment de la romanisation de la liturgie et du culte. 7 L époque carolingienne occupe aussi une place de choix dans l ouvrage qui insiste sur le renouveau de la monumentalité, dans le décor comme dans la construction, en relation avec la réforme liturgique, mais aussi sur les changements techniques, avec la substitution du plâtre à la chaux. Accentuation des reliefs pour aller vers la ronde-bosse

3 (Saint-Pierre-aux-Nonnains à Metz et Saint-Benoît-sur-Loire) ou encore application de décors en stuc sur de la pierre (Paderborn, Saint-Germain d Auxerre) traduisent l évolution d un art présent dans de nombreuses réalisations carolingiennes, telles que Germigny-des-Prés ou Corvey. Des liens stylistiques sont tissés entre des œuvres de nature et d époque différentes, telles que le panneau représentant le Christ, traditionnellement associé au chancel de Saint-Pierre-aux Nonnains (ce qui n est pas assuré), et les stucs de Vouneuil-sous-Biard, et ce pour le traitement du manteau. 8 L époque romane voit toujours la prédominance des stucs dans l arc alpin et en Italie, son développement en terres germaniques se faisant dans des régions riches en gypse, mais la Catalogne est également représentée. La nécessité d étudier ensemble les différents supports apparaît bien à l examen des œuvres du début du XI e s. qui révèle des chapiteaux de pierre couverts d enduits (Notre-Dame d Étampes), des chapiteaux en stuc associant personnages et feuillages (Saint-Rémi de Reims) et des chapiteaux en pierre peints dont le traitement rappelle le stuc (Saint-Aignan d Orléans). À la question du choix final de la pierre, au détriment du stuc, est invoqué l argument de la pérennité qui vaudrait aussi pour les églises elles-mêmes. La présentation détaillée du monastère de Müstair, fondé vers 775, met en avant la difficulté de dater certaines œuvres qui ont été déplacées à la fin du XV e siècle. Tel est le cas de la pièce de choix que représente une statue en pied de Charlemagne, que la plupart des chercheurs considère comme postérieure à la canonisation de l empereur, en 1165, alors que d autres sont favorables à une attribution à l époque carolingienne ou au XI e s. 9 En résumé, cet ouvrage superbement illustré de nombreuses photographies et de dessins de restitution a redonné toute sa place à une forme de décor qui fut certainement largement répandue de l Antiquité tardive au XI e s. au moins et ce faisant a posé les bases de nouvelles enquêtes sur le décor architectural d édifices disparus, tels que la basilique paléochrétienne de Saint-Martin de Tours, ou conservés mais dont les formes anciennes du décor ont été effacées par des réalisations ultérieures. Tout au long des chapitres, le lecteur est à même d évaluer la part de continuité et d innovation de chaque période considérée et la place que tint le stuc au sein des autres techniques décoratives, qui doivent être abordées de manière globale. NOTES 1.. Les actes en ont maintenant été publiés : C. Sapin (éd.), Stucs et décors de la fin de l Antiquité au Moyen Âge (V e -XII e siècle), Actes du colloque international tenu à Poitiers du 16 au 19 septembre 2004, Turnhout, Brepols, 2007, 348 p. (Bibliothèque de l'antiquité Tardive, 10).

4 AUTEUR ELISABETH LORANS Laboratoire Archéologie et Territoires, Tours