CESSION D ACTIONS OU DE FONDS DE COMMERCE : LA NOUVELLE OBLIGATION D INFORMATION DES SALARIÉS INSTAURÉE PAR LA LOI ESS
La loi n 2014-856 du 31 juillet 2014 sur l économie sociale et solidaire 1 (Loi ESS) instaure un nouveau droit d information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise recouvrant (i) un droit d information général et (ii) un droit d information en cas de projet de cession. Ces dispositions qui ont comme objectif de favoriser la transmission des entreprises à leurs salariés vont alourdir les obligations pesant sur les sociétés et leurs actionnaires et ne sont pas sans soulever de questions sur le calendrier des opérations et leur confidentialité. A la différence du processus d information-consultation du comité d entreprise prévu par le Code du travail, les salariés n auront pas d avis à émettre sur le projet d opération qui leur sera exposé mais uniquement une faculté de proposer une offre de rachat sans que le cédant ne soit tenu de la retenir et ce quelles qu en soient les conditions. La présente note synthétise les principes fixés par la Loi ESS qui restent sujets à la parution des décrets d application. (i) Droit d information général Les sociétés commerciales de moins de 250 salariés sont tenues d informer, tous les 3 ans, les salariés sur les conditions juridiques de la reprise d une entreprise par ses salariés ainsi que sur ses avantages et ses difficultés et les dispositifs d aide 2. Le contenu et les modalités de cette information (indépendante de celle visée au (ii) ci-dessous) seront ultérieurement définis par décret. (ii) Droit d information en cas de projet de cession La Loi ESS instaure une obligation d information préalable des salariés en cas (a) de cession d un fonds de commerce 3 ou (b) en cas de cession de parts sociales, d actions ou de valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital 4. Date d entrée en vigueur : Ces dispositions s appliquent «aux cessions conclues trois mois au moins après la date de publication de la présente loi» 5 soit le 2 novembre 2014. Sociétés concernées : Sociétés qui n ont pas l obligation de mettre en place un comité d entreprise. Sociétés considérées comme des PME 6 c est à dire celles qui, d une part, occupent moins de 250 personnes et, d autre part, ont un chiffre d affaires annuel n excédant pas 50 millions d euros ou un total de bilan n excédant pas 43 millions d euros. 1 JO 1er août 2014, p.12666 2 Article 18 Loi ESS 3 Article 19 Loi ESS 4 Article 20 Loi ESS 5 Article 98 Loi ESS 6 Au sens de l article 51 de la loi n 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l économie par renvoi au décret n 2008-1354 du 18 décembre 2008 2
Sociétés exclues : Sociétés qui comptent plus de 250 salariés. Sociétés qui comptent moins de 250 salariés mais qui ne sont pas considérées comme des PME. Sociétés faisant l objet d une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires. Opérations exclues : Opérations réalisées en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial. Cessions à un conjoint, à un ascendant ou à un descendant. Moment de l information : Dans les sociétés de moins de 50 salariés (ou celle de 50 à 249 salariés pour lesquelles un procès-verbal de carence de CE a été établi) : le cédant doit informer les salariés au plus tard 2 mois avant la cession. La cession peut toutefois intervenir avant la fin de ce délai dans l hypothèse où tous les salariés ont informé le cédant de leur décision de ne pas présenter d offre. Dans les sociétés de 50 à 249 salariés le cédant informe le chef d entreprise qui lui-même porte à la connaissance des salariés la notification dudit projet au plus tard en même temps que l information-consultation du CE (qui doit elle-même être réalisé avant que le projet ne soit définitif) 7. L information doit être renouvelée lorsque la cession intervient plus de 2 ans après l expiration du délai d information des salariés. Modalités de l information : L information doit être effectuée par tout moyen de nature à rendre certaine sa date de réception par ses derniers. Les salariés sont tenus à une obligation de discrétion sauf à l égard des personnes dont le concours est nécessaire pour leur permettre de présenter au cédant une offre de rachat. Sanction : Le défaut d information est sanctionné par la nullité de la cession qui peut être demandée par tout salarié. 7 Article L.2323-19 du Code du Travail 3
L action se prescrit dans un délai de 2 mois à compter de la publicité de l opération ou de l information de l ensemble des salariés. Eléments restant à préciser par les décrets d application Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent se faire, le cas échéant, assister par un représentant de la chambre de commerce et de l industrie régionale, de la chambre régionale d agriculture, de la chambre régionale de métiers et de l artisanat ou par toute personne désignée par eux. Les modalités de l information. La Loi ESS alourdit donc considérablement les obligations pesant sur les sociétés en cas d opérations de cession en ce que ses dispositions, qui s ajoutent à celles relatives à l informationconsultation du Comité d Entreprise, imposent de nouveaux délais qui risquent de ralentir la réalisation des opérations sans pour autant conférer un droit de préférence en faveur des salariés (le cédant restant libre dans son choix de l offre). Par ailleurs, certaines incertitudes subsistent quant aux modalités de sa mise en œuvre : La loi prévoit que ces dispositions s appliquent «aux cessions conclues trois mois au moins après la date de publication de la présente loi» 8 : la notion de «cessions conclues» vise-t-elle la date de signature d un projet définitif (signing) ou la date de réalisation (closing). La prudence recommande de retenir la 2 ème option. Comment considérer les sociétés holding au regard du nombre de salariés employés : si une holding n a aucun salarié mais que ses filiales en ont moins de 250, l obligation d information doitelle s appliquer? A l inverse si une société holding compte moins de 250 salariés doit-t-on comptabiliser ceux de ses filiales? A quel stade de l opération (projet, acquéreur identifié, lettre d intention signée...) l information doit-elle être effectuée? Quelle doit être l étendue de l information donnée (identité de l acquéreur, conditions économiques de l opération, accès à une éventuelle data-room?) En présence d un Comité d Entreprise de quel délai les salariés doivent-ils disposer pour proposer une offre sachant que l information des salariés peut être réalisée au plus tard en même temps que l information-consultation du CE (qui lui-même, sauf expertise, se prononce dans un délai d un mois)? Les opérations exclues visent les cessions à un conjoint, à un ascendant ou à un descendant mais qu en est-il dans les groupes de sociétés en cas de cession à une société sœur, à une société fille ou encore à une société mère? Une partie de ces interrogations trouveront probablement une réponse dans les décrets d application à sortir. Néanmoins, les projets d opérations nécessiteront d être examinés au cas par cas afin de répondre aux exigences de la Loi ESS sans en pénaliser le déroulement. 8 Soit le 2 novembre 2014 4
Contacts Jean-Marc Coblence jmc@coblence-avocat.com Alexandre Brugière ab@coblence-avocat.com Ludovic Dorès ld@coblence-avocat.com