Transcription de l exposé, réunion préparatoire à la rencontre de juin 2009 «La lettre entre névrose et psychose»

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Transcription:

1 Transcription de l exposé, réunion préparatoire à la rencontre de juin 2009 «La lettre entre névrose et psychose» Monique Tricot «Quelle dynamique de l inconscient est à l œuvre dans la psychose?» demandaient Danièle Lévy et Guy Dana dans leur argument. Je vais essayer de partager avec vous la façon dont Serge Leclaire a travaillé ces questions, ceci à partir des textes situés dans le tome 2 des Autres écrits, tome dénommé «Diableries», chapitre 2 «Les psychoses», et aussi à partir de textes de Psychanalyser et de Démasquer le réel, mais tout particulièrement dans Psychanalyser, «La lettre et la jouissance». Ce n est pas le moindre paradoxe du travail mené de façon continue par Serge Leclaire de 1958 à 1994 sur la psychose, de le voir affirmer dans «Questions ouvertes» : «J ai vraiment toujours considéré que l intérêt des psychanalystes pour la psychose, de même que pour la psychanalyse d enfant, constituait pour le psychanalyste lui-même une façon d évitement des problèmes auxquels il a à faire face en tant que psychanalyste. Je crois que le domaine de la psychanalyse est celui des névroses. Que l on puisse espérer qu un certain progrès dans l élaboration de la théorie psychanalytique concernant les névroses

2 apporte quelque chose au domaine de la psychose, que l on puisse s apercevoir un jour que le clivage entre la névrose et la psychose demande à être revu ou pensé autrement on l espère, mais nous n en sommes pas là. Si bien que l intérêt du psychanalyste pour le domaine de la psychose continue à sembler légitime, dans la mesure où il constitue une bifurcation possible mais pas comme quelque chose qui fait partie en propre du champ psychanalytique.» N oublions pas néanmoins que Serge Leclaire a consacré sa thèse à la psychose, sous le titre Psychothérapie des psychoses, étudié comme personne l épisode psychotique de l Homme aux loups qu il nomme «psychose expérimentale», et donné des développements uniques sur la façon dont doit se situer le psychanalyste qui se risque à travailler avec des psychotiques. S il s engage parfois très avant dans l exploration de la structure psychotique, son travail se situe le plus souvent sur le bord externe de cette structure, la constitution de la lettre et la tentative de penser avec mais au-delà de Freud le refoulement originaire. Que le refoulement originaire soit en défaut dans les structures psychotiques, personne n en doute. Mais ce qui est plus intéressant dans les développements de Leclaire, c est d articuler ce défaut à la question de la lettre. Je vais vous donner à entendre ce qu il en dit dans l article «Les mots du psychotique» : «Dans la psychose, la lettre ne cesse pas de se rabattre sur le corps et rien ne permet alors de distinguer l espace érogène de l ordre des mots.» Une phrase plus haut, il énonçait que «l organisation psychotique se différencie d avec les organisations normales ou névrotiques par le défaut de clivage assuré entre l espace

3 littéral et le corps». (On pourrait discuter ici le choix du terme de clivage.) Citant le travail de Deleuze sur Le schizophrène et les mots, il fait remarquer que dans la psychose, la lettre qu il dénomme «anticorps», soit, défaille à laisser ouvert l espace du plaisir, soit empêche l accès à tout plaisir. Cette formulation est une formulation type de Leclaire ; ses écrits en fourmillent, écriture de la théorie qui, comme dans le fonctionnement de l inconscient, fait délibérément cohabiter les propositions contradictoires. On pourrait en suivant sa pensée ajouter que dans la psychose, la lettre défaille à sa fonction de suture. Sur la question de la suture, je renvoie à des échanges avec Jacques-Alain Miller qu on peut retrouver dans un des numéros des Cahiers de l École normale supérieure. L exemple clinique qu il nous rappelle est celui cité par Freud de la patiente psychotique de Tausk avec son amoureux tourneur d yeux, patiente disant : «Mes yeux ne sont plus comme il faut, ils me font tourner de travers.» Là où on aurait pu traduire «séducteur» ou «hypocrite» et où l hystérique tournerait vraiment les yeux sans rien dire. L on pourrait après lui aussi, et après Freud, évoquer ici le fameux «un trou est un trou», ein Loch ist ein Loch. Ce à quoi il précise : «Le mot trou ici n est pas vraiment dans sa fonction de mot, en ce sens que rien ne distingue pour le patient la fonction du mot de l écart qu il est fait pour fixer.» Il fait par ailleurs remarquer que ce qui ici chez le patient suscite l angoisse et l extase, soit la jouissance par échec du principe de plaisir vous avez reconnu l Homme aux loups c est à la fois le trou et la cicatrice.

4 Qu il s agisse ici, comme le dit Freud, de la castration comme concept inconscient d une petite chose pouvant se détacher du corps, Leclaire ne le nie pas, mais il précise que pour l Homme aux loups, cette petite chose, soit le mot, ne réussit pas à se maintenir détaché de la surface du corps. Souvenez-vous de l hallucination du doigt coupé qui vient à la place de la représentation forclose. Cette petite chose ne réussit pas à se maintenir détaché du corps car l espace de la lettre n est pas assuré, pas plus que ne s est inscrite l altérité radicale de l espace littoral par rapport à celui du corps. Il écrit : «L anticorps qui doit fixer la différence n est pas produit comme tel.» Que se serait-il passé à l aube de la construction de la vie psychique pour que ne soit pas assurée la fonction d anticorps de la lettre donnant lieu à l inconscient et au sujet? Serge Leclaire va prendre cette question du côté de l Autre et interroger ce qui a défailli chez l Autre dans sa fonction d inscripteur de la lettre. Je vous renvoie là au chapitre «La lettre et la jouissance» dans Psychanalyser, p. 159 : «Rappelons ici que l inscription de la lettre se fait à la faveur d une expérience de plaisir ou déplaisir et qu elle a comme condition à l inscription érogène que le corps de la mère soit un corps érogène et désirant.» C est à cette condition que le corps maternel peut assurer sa fonction de «portelettre». C est le beau terme qu il invente à ce propos. Il s appuie ici sur le tactile, la caresse où le doigt de la mère serait ce porte-lettre. À cette condition, le trait de la lettre se fait barre qui fixe et annule la jouissance, d où sa fonction refoulante. Celui qui deviendra psychotique aurait affaire à un Autre marqué soit par le refoulement complet du corps

5 érogène, soit à quelqu un dont l érogénéité corporelle serait non pas refoulée mais insuffisamment fixée, comme si l écart qui doit le constituer était fondamentalement incertain. Et d affirmer que la parole ne suffit pas à cette inscription de la lettre, à l opération du refoulement originaire ; il faut la marque d un corps par un autre corps, marque dont l agent est le phallus. Je pense qu il faut prendre cette histoire de «doigt porte-lettre» comme une métaphore de la façon dont pour un sujet la mère réussit ou défaille à pouvoir transmettre l inscription de la lettre. Dans le texte, «La psychose serait-elle une maladie auto-immune?», il travaille cette fonction inscriptrice à partir de l objet voix, dans ce qu il appelle le «mythe de l invention pour chacun de sa nature de parlêtre». Il précise alors que ce qui rend les mots recevables, ce sont le mode et la tonalité de la voix qui les porte. C est que ces mots ont été proférés dans une polyphonie de sens, de passions et de désirs où l enfant a pu trouver ses marques. Il s appuie ici sans la nommer sur l Ausstossung, affirmant la nécessité pour le parlêtre d avoir pu rejeter certains mots irrecevables dans l ombre de l oubli, nécessité de ce rejet pour pouvoir en accueillir d autres et entrer dans l espace du verbe. Ceux qui n auraient connu de voix qu indifférente, de mots que déshabités ne pourraient faire ce tri, les mots restant réellement des corps étrangers. Au mieux, celui-là deviendra-t-il, comme Wolfson, inventeur de langues. Celui qui deviendra psychotique, est aux prises avec un désastre qui ruine les supports naturels de la fonction symbolique, qui ruine les mots euxmêmes.

6 Il ne va pas se contenter de travailler la psychose depuis son bord externe, les exclus du refoulement originaire, les exclus de l inscription de la lettre, mais étayer sa pensée avec le concept lacanien de forclusion. À la fois, il tente de l éclairer en forgeant ses propres métaphores, éclairage précieux pour toute une génération d analystes, mais aussi il s en sert cliniquement, à la fois dans sa thèse et son travail sur l épisode psychotique de l Homme aux loups, où il lui donne un développement tout à fait personnel. La forclusion, qu il définit comme trou dans le signifiant, antérieure à toute possibilité de négation et donc de refoulement, la forclusion porte sur un donné symbolique premier. Je veux là m appuyer sur le texte À la recherche d une psychothérapie des psychoses, qui est la réécriture et le résumé de sa thèse, et partager avec vous les deux métaphores qu il nous propose. D abord celle du tissu. Leclaire nous propose de penser la psyché comme un tissu composé de fils entrecroisés. Celui dont l inconscient a trouvé abri dans le refoulement peut avoir affaire à un accroc dans le tissu, une déchirure, mais ceci toujours susceptible d être stoppé ou reprisé. Chez le psychotique, la béance est due au tissage lui-même ; il y a un trou originel jamais susceptible de retrouver sa propre substance, puisqu elle «n aurait jamais été autre que sa substance de trou». L autre métaphore qu il nous propose beaucoup la connaissent c est l historiette des hirondelles, l histoire de deux joyeux lurons qui passent une soirée fort arrosée dans le gai Paris, tellement arrosée que de cette histoire il n y aura point de souvenirs. Dans cette soirée, ces deux compères sont pour l un parisien et l autre américain. À un moment de

7 leur état éthylique avancé, ils rencontrent ce que le Parisien peut identifier comme des hirondelles, terme que l Américain ne connaît point. Il y a là pour eux deux une expérience non temporalisée, non mémorisée, ne laissant que des traces énigmatiques. On ne sait pas ce qui est advenu du Parisien, mais quant à l Américain, de retour à Chicago, il fait un délire ornithologique où il se prend pour un aigle et construit des volières dans son jardin. C est comme le retour dans le réel par l imaginaire du délire de l élément forclos hirondelle, par nature inaccessible comme tel. Après ces deux jolies métaphores qui nous permettent mieux d imaginariser le concept lacanien de forclusion, parlons de son développement concernant l épisode psychotique du l Homme aux loups, épisode qu il nomme «psychose expérimentale». Il y a lieu là sans doute à être particulièrement attentif à la différence entre structure et épisode psychotique. Aussi, si Leclaire retient le terme forclusion, il ne se sert pas ici du concept lacanien de forclusion du Nom-du-Père, mais propose celui de «forclusion de la castration» ou «forclusion du symbole phallique», suivant ici Freud de très près quant au troisième mouvement psychique de l Homme aux loups par rapport à la castration ; il l avait tout simplement rejetée. Il insiste vigoureusement sur l élément déclencheur, le don d argent de Freud, réveillant la position féminine du patient par rapport au père et la fixation anale, position féminine et fixation anale où était resté le patient malgré un premier travail sur la névrose infantile. Dans cette première tranche, l Homme aux loups pressé par Freud d en finir, n aurait

8 qu apparemment traité son rapport à la castration, mais rien ne se serait ici inscrit dans le symbolique et le don d argent aurait fait flamber l imaginaire, engageant le patient dans la voie de la solution psychotique. Leclaire suppose même que si Freud avait pu lui refuser cet argent, il aurait restauré dans le transfert une place pour le père symbolique et permis ainsi de redonner valeur symbolique au pénis. Il aurait fallu en outre qu il lui interprète le manège imaginaire entre les différents dermatologues, comme la quête d un homme qui, investi d une haute fonction symbolique, l assurerait enfin de sa virilité. Dans la suite de cette prise de position sur la conduite de la cure, je voudrais enfin, en m appuyant tout particulièrement sur les articles «Les mots du psychotique» et «La psychose serait-elle une maladie autoimmune?», partager avec vous ce que j ai trouvé tout particulièrement passionnant des propositions de Leclaire concernant la position psychique de l analyste dans le travail avec les psychotiques. Il conclut ainsi le texte «Les mots du psychotique» : «Par quelque technique que ce soit, lui rendre la parole et de ce fait l accès au plaisir, en faisant reprendre au mot sa fonction d anticorps.» Oui, mais encore car il n y a pas de technique analytique. L analyste est donc renvoyé c est moi qui le dis au savoir-faire de son inconscient en tentant de situer le transfert au point même du refoulement originaire, ce n est pas sans évoquer le point O de Bion, qui lui aussi a beaucoup travaillé sur la psychose. Mais les choses seront plus précises dans le texte «La psychose serait-elle une maladie auto-immune?» Après avoir posé l espace

9 ternaire où l analyste soutient le transfert première personne : sujet divisé, deuxième personne : interlocuteur, troisième personne : la présentification de l absence, Leclaire énonce que ce mode d approche est insuffisant pour entendre et soutenir le profond désarroi du fou. C est à partir de notre division, de notre plus secrète aliénation qui nous laisse en exil au sein même de la terre des mots ; c est par la reconnaissance de ce rejet premier, à partir de ce prix payé pour entrer dans le monde du parlêtre que se gagne la possibilité, et de vivre avec notre dette, et la capacité éventuelle d entendre les mots du psychotique, ce qu il appelle «façon de se souvenir» ou «ressentiment». Il évoque la façon dont on peut entendre d abord les mots de l Autre comme la musique d une langue étrangère, sa sonorité, son rythme. S appuyant dans une langue poétique sur le moment mythique premier de l Ausstossung ou de la Bejahung, sans les nommer, car il tente toujours de contourner pour théoriser dans sa langue les mots morts, ou ce qu il appelle les «gros mots de la psychanalyse», Leclaire insiste sur le fait que nous avons à nous tenir dans les arcanes du refoulement originaire pour proposer au psychotique un lieu de transfert. J ajouterai, mais comme une interrogation : dans notre lieu d Hilflosigkeit? là où il n y a pas de garantie dans l Autre, le lieu de la traversée du fantasme. De son côté, il écrit : «À celui qui se perd dans le discours de la ruine du symbolique, dans le désastre de tout ancrage signifiant, nous ne pouvons répondre qu en laissant ressurgir le souvenir de ce que fut notre désarroi. Ce n est que des bords de notre part maudite que nous pouvons tenter de tendre des mots afin qu au moins soit entendue la musique du

10 désir qui les anime et surtout perçu leur poids de corps.» Il parle de «mise en jeu délibéré de nos mots» et de notre «mythe individuel» quand on a affaire, non à la souffrance du sujet, soit la névrose, mais au sujet en souffrance, soit le psychotique. Ce n est qu en renonçant au très convenable refoulement de notre exil intime, des rejets premiers qui nous ont marqués, que nous avons quelque chance de reprendre langue avec ceux qui sont retranchés dans le désarroi, ou qui ont sombré dans le désastre. Avant de m arrêter tout à fait, je voudrais vous faire entendre quelques points de son échange avec Julien Bigras à partir de l analyse des rêves d un psychotique. Ce texte s appelle «La question de la socialisation de l inconscient», titre dont pour ma part je n entends pas encore le bien fondé. Aussi vais-je me centrer simplement sur ce rêve et sur la façon dont Bigras rend compte des erreurs qu il a pu faire avec ce psychotique. On pourrait relire en parallèle le premier chapitre de Psychanalyser, celui qui s appelle «Écouter». Il s agit du rêve de l iris bleu, ou de l oiseau bleu. Bigras commence par y proposer à son patient des associations du registre imaginaire : «Nous avons tous les deux les yeux bleus», «le patient se sentirait désespéré comme l oiseau du rêve», «l oiseau ne pourrait décoller de sa mère». À cette suite d interprétations, le patient hurle : «Blue Irish bird, Iris bird», c est son vrai nom d oiseau. Et Leclaire, dans le dialogue, de préciser qu il s agit en effet de son vrai nom, son vrai nom à entendre sans doute au joint du réel et du symbolique, et pas du tout dans l imaginaire. «Là où écoute l analyste, rappelle Bigras,

11 c est le rapport singulier de chacun, avec le système de la langue, où intervient l espace de l inconscient, ce qui donne au patient la possibilité de dire quelque chose de sa singularité ou de son nom propre.» Dans l argument, Danièle Lévy et Guy Dana faisaient remarquer qu à partir du moment où on pourrait travailler des rêves dans la psychose, cela supposerait la psychose guérie. Dans ce texte de Julien Bigras et Leclaire, on ne peut pas parler de psychose guérie, mais certainement avec ce rêve d un tournant important dans la cure, le surgissement du nom propre. Ne peut-on rappeler ici que Lacan disait que le nom propre est un des Noms-du-Père?