VIVRE SANS LARYNX NECESSITE DE L'INFORMATION La "Consultation Infirmière à l'igr" Conférence du Dr LUBOINSKY Genèse de la consultation infirmière à l'institut Gustave Roussy L'institut Gustave Roussy a toujours été extrêmement préoccupé par un souci d'information. Je le répète toujours, cela est devenu un lieu commun. Dès le début de mon internat, commencé en cancérologie avec mon Maître Leroux-Robert, j'ai toujours été très marqué par les difficultés à faire appréhender au futur opéré ce que sera sa laryngectomie et ce qui en découlera dans sa vie future. J'ai eu le bonheur d'avoir des maîtres tels que MM. Leroux-Robert et Cachin qui attachaient beaucoup d'importance à cette question. Cela n'était pas la règle à cette époque, la règle était plutôt celle de la "brutalité" qui consistait à dire à l'opéré: "On va vous faire une laryngectomie totale". Point. Lorsque le malade posait des questions pour savoir ce qui allait en résulter, il s'entendait dire : "Vous verrez bien". Généralement cela se passait la veille au soir, à l'occasion de la visite du médecin qui tapotant sur l'épaule disait : "Alors, demain c'est le grand jour!". Cet état de choses me choquait beaucoup et j'essayais d'apprendre à mes patients ce qu'allait être la laryngectomie. J'avais devant moi un homme qui prenait conscience qu'il avait une maladie sérieuse et qu'il allait subir une intervention importante. Mais, chose étrange, lorsqu'on commençait à lui expliquer ce qu'allait être cette opération, il ne comprenait plus ce qu'allait être le trou, s'il y avait un trou, comment manger ou respirer. Sous le poids de l'annonce et quel que soit le temps passé à expliquer, il fermait les "écoutilles". Lorsque j'ai commencé à avoir une position de responsable à l'i.g.r. j'assistais à des controverses avec les infirmière du type : "Une fois de plus on n'a pas expliqué à M. X.. ce qu'on allait lui faire". Nous argumentions notre bonne foi mais elles répondaient : "Il y a quelque chose qui ne passe pas." Une consultation "infirmières" a été mise en place il y a une dizaine d'années au cours de laquelle l'infirmière dialogue beaucoup avec le patient, la famille, les proches. Cela a permis de dédramatiser la situation. Le patient n'était plus plongé dans l'inconnu.
Le plan d'enseignement préopératoire L'optimisation de la qualité des soins infirmiers est une des préoccupations essentielles qui passe nécessairement par une prise en charge globale du patient et de sa famille. Les actions reposent sur de larges dimensions humaines prenant en compte l'individu dans son environnement psychologique social et familial. La chirurgie du cancer du larynx et du pharyngolarynx est une chirurgie mutilante et handicapante. Elle entraîne une atteinte physique importante et tend à bouleverser la vie sociale et familiale du patient. Nous savons à présent, par expérience, que nous pouvons atténuer ce bouleversement et notre devoir de professionnels de santé est de permettre à tout individu de recouvrir la qualité de vie la plus satisfaisante possible. Notre action doit être précoce afin de permettre aux patients d'envisager avec beaucoup plus de réalisme l'avenir. Ainsi la participation active du patient à son traitement nous apparaît essentielle ; pour cela il a besoin de savoir, de comprendre, afin de ne pas subir son traitement, mais de devenir le premier collaborateur de l'équipe soignante. Comment? Par l'acquisition de connaissances que l'infirmière a le devoir de lui apporter et par les réponses qui lui seront données par l'équipe soignante. La décision thérapeutique à l'i.g.r., la proposition du traitement chirurgical, et parfois l'annonce au patient de son diagnostic, se font de façon collégiale réunissant un chirurgien, un médecin chimiothérapeute, un médecin radiothérapeute. A cette occasion le chirurgien informe le patient de l'existence d'une consultation infirmière où sont données des explications complémentaires sur la laryngectomie totale et les suites opératoires. Le patient peut alors, s'il le désire, prendre contact avec le service dans lequel il sera hospitalisé et obtenir un rendez vous avec l'infirmière. Il est souhaitable que le patient soit accompagné par un membre de sa famille ou par un proche. Actuellement tout patient qui doit subir une laryngectomie totale peut bénéficier de ce plan d'enseignement. Un délai de 5 à 7 jours nous paraît nécessaire entre la consultation infirmière et l'intervention. Cependant, ce délai n'est pas toujours respecté en raison bien souvent de l'éloignement du patient ; certains habitent en province et ne peuvent recevoir cet enseignement que 48 heures avant l'intervention. Objectifs du programme : Dans un premier temps, il s'agit de donner une connaissance réaliste de l'événement à venir, puis de favoriser une meilleure adaptation du patient à sa nouvelle situation et enfin d'aider la famille à jouer son rôle de soutien auprès de lui. Le programme d'enseignement aux laryngectomisés totaux actuellement en place dans le département ORL et chirurgie cervico-faciale fût créé dans les années 80 par des infirmières qui avaient suivi une formation interne à l'institution.
La présentation du programme d'enseignement a reçu l'approbation de l'ensemble de l'équipe médicale après discussions, concertations et négociations ce qui permit l'élaboration progressive du dossier actuel. Déroulement du plan d'enseignement : Une infirmière accueille le patient et sa famille ; ensemble ils s'installent dans un lieu calme, isolé et après une présentation mutuelle, l'infirmière donne les objectifs du plan d'enseignement. Avant de poursuivre, elle demande au patient, seul, de bien vouloir répondre à quelques questions pour évaluer le niveau de connaissance de celui ci sur la laryngectomie totale. Dans ce questionnaire, on trouve des questions sur l'anatomie du larynx, ses fonctions, sur le trachéostome etc... Un recueil d'informations sur les habitudes de vie du patient est effectué ; il s'agit, par exemple, de connaître son rythme, sa qualité de sommeil, ses habitudes alimentaires, ses loisirs, (télévision, lecture), s'il porte des lunette pour lire l'ardoise... Nous essayons de tenir compte de toutes ces informations afin de faciliter l'adaptation du patient en milieu hospitalier. Puis I'infirmière suit le plan tel qu'il est consigné dans un document écrit. Elle présente l'anatomie et la physionomie du larynx avant et après intervention à l'aide de schémas. Ceux ci sont également consignés dans des livrets qui sont remis au patient. Ainsi, il peut non seulement les regarder lui même, mais partager avec sa famille si elle n'était pas présente, lui expliquer les choses, ou lui même développer et comprendre un peu mieux. Nous parlons des techniques de soins, nous visualisons en général, nous essayons de montrer le matériel qu'il va recevoir, tel canule, sonde naso-oesophagienne, matériel d'aspiration. Nous lui expliquons, dès le lendemain de l'intervention, comment apprendre à aspirer ses sécrétions trachéales, à s'alimenter aussi seul par la sonde naso-oesophagienne et puis progressivement, chaque jour, il observera la préparation de la canule afin qu'au sixième jour post opératoire, il soit capable lui même de préparer sa canule. Tout ceci dans le but d'obtenir le plus rapidement possible une autonomie complète pour envisager le retour au domicile dans d'excellentes conditions. Le devenir du patient : Le devenir du patient, au travers de la rééducation vocale, mais aussi, grâce à l'existence des Associations, en faisant intervenir une personne bénévole laryngectomisée. Un entretien se termine par la visite d'une chambre post opératoire si le patient le désire. En général, notre entretien dure entre 50 minutes et 1 h.30, quelquefois plus.
L'évaluation de toutes ces connaissances : Lors de son hospitalisation, l'infirmière prend en charge le patient et réajuste ce qui ne semble pas avoir été compris lors de la consultation. Nous reprenons le même questionnaire de départ, celui qui avait été donné avant toute explication de façon à pouvoir comparer exactement si notre action a été efficace, si les informations données étaient suffisamment claires. Lors de l'hospitalisation nous essayons de répondre aux attentes du patient, de sa famille. Parallèlement, un plan d'action est mis en place, consigné dans le dossier de soins infirmiers et complété par toute infirmière qui a eu en charge ce patient. L'apprentissage de certains gestes tels que l'aspiration trachéale, l'alimentation par la sonde naso-oesophagienne ou encore la préparation de la canule de trachéostomie et l'autonomie s'acquièrent progressivement tout au long du séjour hospitalier. L'évaluation est permanente et permet une meilleure adaptation du patient à sa nouvelle situation. L'évaluation finale est réalisée sous forme d'un questionnaire ; il est rempli par le patient la veille de sa sortie et son but est d'évaluer le niveau d'autonomie, de sécurité du patient permettant d'envisager dans de bonnes conditions son retour au domicile. Cette évaluation permet à l'infirmière de faire avec le patient des réajustements juste avant sa sortie ; elle repose sur des connaissances d'anatomie et de physiologie, sur les modifications qui sont induites par l'intervention, sur la compréhension des soins de trachéostomie, la préparation de la canule, les mesures d'hygiène à accompagner et les précautions à prendre lors du retour à domicile, le mode d'alimentation, le filtre et nous abordons également les difficultés liées à la communication.
Analyse de quelques résultats Présence des familles a l'entretien : 58% des patients sont accompagnés et 57% des accompagnateurs sont les conjoints. L'analyse des inquiétudes des patients exprimés par les patients et leur famille : - LES INQUIETUDES DU MALADE : 95% formulent leurs inquiétudes lors de la consultation infirmières. L'inquiétude la plus souvent exprimée concerne la communication verbale, soit 37% ; elle est déterminante pour l'avenir et 15% concerne l'avenir professionnel. Le lien entre la perte de la voix et l'avenir professionnel ce très étroit viennent ensuite les inquiétudes telles que la peur de souffrir, le mode d'alimentation qui représentent chacune 10% des inquiétudes exprimées. - LES INQUIETUDES DE LA FAMILLE : concernant le retour à domicile, la prise en charge du patient lui même,, les problèmes liés à la communication, les inquiétudes par rapport à la maladie (pronostic final, traitement complémentaire, douleur) - LES CONNAISSANCES DU PATIENT : L'apport de connaissances va permettre au patient de mieux appréhender la chirurgie et ses conséquences ; la veille de sa sortie de l'hôpital l'auto évaluation nous permet de vérifier le niveau d'autonomie et de sécurité physique ou psychologie de notre patient. Les connaissances sur l'anatomie / physiologie : - 80,8 % sont capables de citer les deux fonctions essentielles du larynx - 91,6 % savent que le trachéostome est définitif A propos des connaissances techniques, - 97, 1 %savent que la canule se change au minimum une fois par jour - 71 % savent à quoi sert le filtre de protection trachéale Quant aux connaissances sur la sécurité : - 91,3 % connaissent les gestes et savent la conduite à tenir en cas de problème respiratoire 100 % connaissent les précautions à prendre au contact de l'eau. EN CONCLUSION : notre étude nous a permis de confirmer un sentiment largement partagé par l'ensemble des infirmières et de l'équipe médicale à savoir qu'un enseignement pré opératoire portant sur les suites opératoires et les modifications, qu'implique la chirurgie est capital pour la sécurité physique, psychologique et sociale du patient. Ainsi depuis que la consultation infirmière existe, l'entretien pré opératoire à permis aux patients d'exprimer leurs préoccupations, d'être écoutés et entendus. Les liens entre le patient, sa famille et le personnel soignant sont beaucoup plus étroits, et permettent d'installer une réelle confiance afin de mieux collaborer.
De plus, nous bénéficions d'un soutien incontestable et tellement important de gens bénévoles, eux-mêmes laryngectomisés qui régulièrement visitent nos patients, et viennent leur apporter leur expérience. Je veux parler de vous, Mesdames et Messieurs, membres de l'association des Laryngectomisés et Mutilés de la voix. Grâce à votre dévouement et votre générosité, nos patients parviennent à mieux entrevoir ce que sera leur vie quotidienne et la possibilité d'une vie sociale modifiée mais réelle. Ils découvrent alors avec certitude que la rééducation vocale n'est pas un leurre, que communiquer est désormais possible même sans larynx. Alors ils reprennent confiance et attendent avec beaucoup d'impatience le moment où ils pourront dire "Bonjour!" de vive voix. Conférence AG Paris / mars 1994 / Archives de l Association Les Laryngectomisés et Mutilés de la Voix de la Région Parisienne