Pourquoi placer ici un texte concernant l histoire du jazz? Et pourquoi le Président d une Loge maçonnique a-t-il demandé à un Frère de l écrire? Comme nous l expliquons ailleurs dans ce site, si on taxe la musique de bien vouloir adoucir les moeurs, il est en tous les cas évident que c est l un des moyens de communication majeur de l homme, d autant qu elle ne transmet que des sentiments comme toute expression artistique. De ce fait, comme toute expression symbolique elle touche directement le cœur car elle est libérée de la dimension cognitive qui, il faut bien l admettre, est bien souvent un filtre important dans les relations entre les hommes. Le jazz, comme vous pourrez le lire ci-dessous, représente une partie importante de l expression musicale en raison des conditions de sa naissance, du milieu dans lequel il a évolué, de son histoire, et surtout à mon sens de sa structure même. Il est troublant de voir comment deux artistes si différents que Beethoven et Ray Charles expriment des émotions sinon identiques, du moins très proches. UNE DISCIPLINE INITIATIQUE : LE JAZZ L'étymologie du mot est incertaine, il dériverait de: GISM ou JASM, américanisme synonyme de force, exaltation. Selon certains, le terme pourrait provenir du verbe français JASER utilisé en Créole. D'autre part, les prostituées de la Nouvelle Orléans étaient appelées JAZZ-BELLES en référence à JEZABEL de la bible. En général, il y a association d'idées entre: la danse, la vitalité, l'acte sexuel. Historiquement le terme est apparu en 1917 sur le premier enregistrement phonographique de ce style musical effectué par un groupe de musiciens dénommé: "l'original Dixieland Jazz Band". Mais, qu'est ce que le jazz? Depuis plus de 70 ans que le terme est apparu, des dizaines de revues, des centaines de livres spécialisés ont essayé de répondre à cette question; les réponses n'ont vécu que quelque temps. Le jazz est en perpétuelle évolution car il est le confluent de deux conceptions de l'expression musicale: naïve et sophistiquée. Le jazz est passion et cri, culture de l'eros primitif, il est transe et extase. C'est peut être par là qu'il passionne ou choque le plus. C'est souvent à cela qu'on le reconnaît et le réduit en confondant: transe qui enchante et hystérie qui dégrade. Certaines musiques dites "classiques" de plus en plus mécanisées, mathématiques, électroniques, semblent avoir oublié que l'homme auditeur, est un être fait de chair, de sang et de sentiments. L'important étant de canaliser en nous tous les courants contradictoires pour atteindre un équilibre harmonieux, le jazz peut être un élément de cet équilibre, une des voies de la connaissance et de l'expressivité. Le jazz est liberté. Le musicien n'est pas enfermé dans le "carcan" d'une partition rigide. Les thèmes musicaux utilisés ne sont que des supports ou des prétextes à l'expression de chacun. Le jazz est une musique improvisée, le soliste donne libre court à son imagination, dans les règles de l harmonie. (L improvisation ce n est pas n importe quoi)
Le jazz est sentiment. On dira d'un soliste qu'il a fait un bon chorus si, il a joué avec ses "tripes", si, il a exprimé: ses peines, ses joies, ses amours, ses états d'ame présents. Le jazz est technique. Un musicien ne pourra s'exprimer pleinement, créer les mélodies qu'il ressent que: si, il possède parfaitement la connaissance et la maîtrise de l harmonie et de son instrument. Le jazz est création. Lorsqu'un jazzman s'exprime, il invente ses propres mélodies, création qui est fonction de l'état spirituel de l'exécutant. C'est d'ailleurs pourquoi il est pratiquement impossible de transcrire cette musique en partitions, on la viderait de sa substance. Il s'agit de créations éphémères qui ne peuvent survivre que grâce à l'enregistrement sonore. Le jazz c'est de la composition en "temps réel", de la création permanente. JOHN LEWIS (pianiste contemporain) résume cet état par une très belle citation " Tout le monde rêve d'être à l'image de Dieu, c'est pour cela que j'ai choisi le jazz". Le jazz est culturel, un grand nombre de critiques et de compositeurs classiques l'ont affirmé; IGOR STRAVINSKY par exemple : «Une des plus grandes richesses de ce mode d'expression réside dans le fait qu'il a apporté de précieux éléments à la musique en général. Il a approfondi, élargi la matière sonore, il a rappelé que l'interprétation pouvait aussi être création, que le rythme est un des éléments constitutifs des plus expressifs de la musique. Il est une dynamique école d'aisance, d'humour et de légèreté mais aussi de rigueur». Le jazz est chaîne d'union. Lorsqu'un musicien s'exprime en soliste, les autres sont là pour le soutenir, l'aider, le porter, faire en sorte qu'il se transcende. Il existe une sorte d'influx qui circule à travers tout le groupe, sans concertation préalable. Plus les musiciens sont en communion, mieux le soliste s'exprime. Le jazz est universel. De nos jours, il y a des jazzmen de toutes nationalités, de toutes confessions religieuses. Près des 2/3 des musiciens de jazz actuellement en activité sont : non américains et plus de la moitié de ceux la sont européens. Le jazz c'est tout cela à la fois, le définir parfaitement et complètement est une tâche au dessus de mes moyens. Toutefois, de manière forcément imparfaite et simpliste, on peut dire que: le jazz est un mode d'expression musical à caractère créatif permanent qui utilise, en plus des éléments musicaux classiques, des particularités sonores, harmoniques et rythmiques : - Sur le plan sonore, un traitement des sonorités instrumentales dérivé de l'imitation des voix humaines et animales. - Des règles harmoniques particulières: par exemple l'utilisation des "notes bleues" (nous y reviendrons). - Enfin, une mise en valeur spécifique du rythme qui est alors générateur de créativité et d'un style de jeu particulier qu'on nomme: le swing (nous y reviendrons également). En résumé: le jazz est une manière particulière de faire vivre la musique, c'est un mode d'expression où se mêlent tous les éléments constitutifs de l'art musical européen mais, vécue de manière originale plus expressive et rythmique selon une tradition créée par les noirs américains.
* * * * * * * Nous allons maintenant pénétrer un peu dans le monde du jazz et pour cela, tenter de remonter le temps et de retracer l'histoire ainsi que les caractéristiques évolutives de cette musique. MILES DAVIS (trompettiste) a dit: " L'histoire du jazz peut se résumer en quatre mots: LOUIS ARMSTRONG, CHARLIE PARKER ". Cette citation peut paraître exhaustive cependant, elle recèle une grande part de vérité; nous allons essayer de comprendre pourquoi. Depuis que l'on écrit sur le jazz, on s'est accordé pour placer à la Nouvelle Orléans le lieu de naissance de cette musique. Considérée du seul point de vue instrumental, la thèse est défendable; mais avant d'être musique instrumental, le jazz a été chant, danse, rythme, poésie, religion. En 1619: quatorze noirs venus du Congo ou de la Côte de l'or sont vendus comme esclaves à des colons de Virginie, en 1902: on enregistre pour la première fois une chorale noire de chants religieux, en 1917: à lieu à New York le premier enregistrement de jazz instrumental. Entre ces trois dates, il y a la décantation des "Spirituals" et des "gospels" (chants religieux noirs) et l'effervescence du "Ragtime"; c'est la préhistoire du jazz. Nous sommes dans la seconde moitié du 19 ème siècle. L'esclave noir, pour entretenir ses traditions et sa nostalgie de l'afrique, va se livrer à ses danses ancestrales rythmées par des instruments de fortune: bidons, caisses, planches à laver etc... Les tambours leur étant interdits, afin précisément, d'éviter ces transes qui d'ailleurs bien souvent se terminent dans l'alcool et le sexe. Pendant ce temps, dans les églises protestantes, on écoute les sermons et l'on chante des cantiques. Cela va permettre aux noirs de chanter Dieu selon leur coeur et selon quelques unes de leurs traditions. Le rythme ancestral va servir à transfigurer l expression d une religion. Le sermon et les cantiques vont permettre, par un jeu de questionsréponses, le passage du rythme brut au swing (dans le sens de balancement). D'autre part, les voix noires, habituées aux gammes pentatoniques africaines (5 notes d'égal espace), ont des difficultés à assimiler la gamme européenne (7 degrés, 12 demi-tons), certaines notes seront altérées, ces altérations resteront comme une tradition, on les appellera plus tard: les "notes bleues". On assiste alors, à la naissance des "Spirituals" et des "Gospels"; c'est d'ailleurs en ce sens, que l'on peut dire: le jazz est né de la rencontre entre deux cultures musicales fondamentalement différentes: la culture musicale africaine; pauvre en harmonie, surtout basée sur la polyrythmie, la danse, l'expression corporelle, et la culture musicale européenne; très sophistiquée sur le plan harmonique mais beaucoup plus pauvre sur le plan rythmique. Les spirituals ou "negro-spirituals" sont des chants dont les thèmes sont tirés de l'ancien testament; alors que les gospels ou "gospel songs", traitent du nouveau testament ou de problèmes religieux généraux et actuels. Les spirituals expriment plutôt la souffrance humaine, la condition d'exclus des noirs. Les gospels sont souvent joyeux, ils expriment l'espoir. MAHALIA JACKSON (chanteuse de chants religieux) disait que les gospels étaient tout à fait digne du Psaume 70 où DAVID dit: " Faites une musique joyeuse pour le Seigneur, chantez d'une voix forte ".
On écoute [1] MAHALIA JACKSON dans un extrait de: "In the Upper Room" (La plus haute chambre: le Paradis). Il est temps maintenant, d'ouvrir une parenthèse sur les caractéristiques musicales des gospels et des spirituals qui deviendront, plus tard, les caractéristiques principales de la musique de jazz. Ces caractéristiques sont, en première approximation, au nombre de deux. Nous avons parlé, tout à l'heure, de " notes bleues " (blue notes, dans la langue originale du jazz) ces fameuses notes altérées de la gamme (3 ème degré et 7 ème degré). J'ai préparé un exemple musical simple qui, je pense, devrait vous faire ressentir ce que sont ces " Blue Notes ", il s'agit de la décomposition d'un accord joué quatre fois sans note bleue et quatre fois avec une note bleue. La deuxième caractéristique de cette musique, c'est le Swing. Le swing est pratiquement impossible à décrire avec des mots. Lorsque l'on demandait à ELLA FITZGERALD ce qu'est le swing; elle répondait " Le swing c'est ça: (claquement de doigts) ". Toutefois sans trop trahir son esprit, on peut dire qu'il est synonyme de: balancement rythmique. Il a deux composantes: l'une purement rythmique, l'accent est mis sur les temps faibles ( 2 et 4) au lieu des temps dit forts (1 et 3). Certains disent: en jazz on bat la mesure à contretemps. L'autre composante, bien que rythmique elle aussi, est donnée par les instruments mélodiques en changeant légèrement l'emplacement et la durée des notes dans le temps. On jouera les notes un petit peu avant ou un petit peu après le moment où elles doivent être normalement jouées. D'autre part, ces notes dureront un petit peu plus longtemps ou un petit peu moins longtemps que la durée normale notée sur la partition. Mais, plus qu'un long discours, voici un exemple musical [2]. Il s'agit d'une ancienne chanson française interprétée par une pianiste, chanteuse contemporaine: MEREDITH D'AMBROSIO. Dans cet extrait, la première partie est chantée en français, le swing est absent; la seconde partie, en anglais a une tout autre structure, le swing prend alors naissance naturellement. Refermons maintenant cette parenthèse, et reprenons le cours du temps. Les premiers musiciens qui vont se distinguer pendant la guerre de sécession sont les chanteurs de complaintes sur la guerre, ses séquelles, la maladie, le banditisme. Modernes troubadours d'alors, les noirs vont aller de villes en villages pour chanter en s'accompagnant de leur guitare; on assiste à la naissance du "Blues". Les matériaux constitutifs du blues sont les mêmes que ceux des gospels et des spirituals. RAY CHARLES dira d'ailleurs: " Le Gospel et le Blues, c'est à peu près la
même chose. La différence est que: le gospel parle de Dieu, le blues parle des femmes ". Le blues donnera naissance plus tard, à un autre style appelé: " Rhythm n' Blues " puis, plus tard encore au " Rock n' Roll ". Mais cela est une autre histoire. Revenons maintenant à la Nouvelle Orléans, nous sommes au début du 20 siècle. Les noirs forment des orchestres ambulants, ils parcourent les rues de la ville, s'arrêtent sur les places, se livrent à des concours avec d'autres orchestres rencontrés; c'est le début du jazz instrumental. Ces musiciens sont des " musiciens d'instinct ", ils sont incapables de lire la moindre partition; ils ne connaissent, bien souvent pas en entier les morceaux qu'ils jouent. Alors, pour " meubler ", Ils improvisent; plus ou moins bien suivant leur sens de l'harmonie et leur technique instrumentale. Ils font des compétitions d'improvisation; c'est à celui qui improvisera le mieux et le plus longtemps sur un thème donné. Ces rassemblements de musiciens s'apparentent plus à des fanfares qu'à des orchestres symphoniques. Cependant, ils conservent les particularités musicales du gospel et du blues: les notes bleues et le swing. On écoute un extrait d'un de ces orchestres [3], le: " Kid Ory's Creole Jazz Band" dans: "Down Home Rag". ème Peu à peu, les noirs apprennent la musique. Les premiers instrumentistes qui font quelque étude musicale sont les pianistes; sans doute à cause du caractère de "noblesse" dont jouit cet instrument parmi les blancs. Pour gagner leur vie, ces musiciens vont jouer dans les bars de "Storyville", le quartier chaud de la Nouvelle Orléans. Un style particulier de jeu de piano prend naissance, c'est le " Ragtime ". On écoute un extrait [4] de: " Fat Meet and Greens" interprété par le roi du Ragtime du moment: JELLY ROLL MORTON. Je vous demande d'être indulgent sur la qualité sonore de l'enregistrement, réalisé en 1926, avec les moyens technologiques de l'époque. Au fil du temps, les musiciens deviennent meilleurs, ils connaissent la musique, les plus chanceux enseignent aux autres; certains sortiront du lot et participeront au rayonnement international du jazz. Si je devais citer un exemple, je dirais LOUIS ARMSTRONG. Ce musicien a, en effet "inventé" le jazz tel que nous le connaissons aujourd'hui. Alors que les autres groupes se limitaient à perpétuer la folklorique improvisation collective, il est le premier à improviser seul, avec le soutien des autres musiciens de son groupe. Il est le premier soliste de jazz. On l'écoute dans un extrait [5] de: "St Louis Blues".
Le temps passe, le jazz fait le tour des Etats Unis, vient en Europe. Des musiciens blancs sont séduits par son caractère de liberté, ils forment des orchestres, ils se révèlent aussi bons que les noirs. Le jazz ne connaît pas, lui, de barrière raciale. Nous sommes maintenant vers les années 1930, le jazz cesse d'être une musique de "l'à peu près" pour devenir aussi rigoureux que la traditionnelle musique européenne. Des gens qui ont fait d'excellentes études musicales (DUKE ELLINGTON, COUNT BASIE, BENNY CARTER, EARL HINES), se feront connaître d'abord comme solistes, puis formeront de grands orchestres. C'est l'époque des grandes formations, des "Big Bands", c'est l'époque "swing". Il est alors difficile de faire une sélection, la plupart des musiciens du moment sont excellents. Toutefois, on trouve deux cas particuliers: DUKE ELLINGTON et COUNT BASIE. DUKE ELLINGTON d'abord: pianiste, compositeur, arrangeur; disait toujours, lorsqu'on lui demandait de quel instrument il jouait: " Moi, je joue du grand orchestre ". ELLINGTON ( Le DUKE ) a fait évoluer l'univers sonore des instruments en imitant, par exemple: les cris d'animaux, ( c'est le style: " Jungle "). C'est dans son orchestre que pour la première fois, on utilise les sourdines (c'est le style "Wah Wah"). IL a créé de nouvelles harmonies dans ses compositions; au contraire d'armstrong dont le génie s'exprime dans ses improvisations, ELLINGTON traduit sa pensée par l'intermédiaire d'un grand orchestre. Il compose de très bons thèmes qu'il habille d'orchestrations originales au climat harmonique subtil. En ce sens, il a beaucoup amené à la musique en général et au jazz en particulier. On écoute un extrait d'une de ses compositions [6]: " Sophisticated Lady ". Une mention spéciale aussi pour COUNT BASIE: pianiste, organiste, compositeur, arrangeur; BASIE ( The COUNT ) est un cas particulier, il n'a rien amené d'original mais il a porté le swing à son niveau le plus haut dans un grand orchestre. Certains disent: "l'orchestre du COUNT c'est une usine à swing". On écoute un extrait d'un de ses enregistrements réalisés en 1955 [7]: " Teddy the Toad " Notre homme réussit même la performance de faire "swinguer" son orchestre sur des tempos très lents en voici un exemple dans [8]: " Lil' Darlin' ".
Dans les années 1950, il y avait, à New York, un cabaret nommé le "Minton's". Les jeunes musiciens s'y réunissaient pour y faire des " Jam Session " (séances d'improvisation libres), ils y expérimentaient de nouvelles formules. On y trouve des gens comme: le pianiste THELONIOUS MONK, le batteur KENNY CLARKE, le trompettiste DIZZY GILLESPIE et un jeune saxophoniste alto débarqué tout droit de Kansas City: CHARLIE PARKER. De ces séances de travail sortira un nouveau style musical: Le "Be Bop" (du nom d'une onomatopée que les chanteurs de jazz employaient souvent au cours de leurs improvisations vocales). Sur le plan purement technique, le nouveau style admet les règles suivantes: * A la section rythmique traditionnelle de l'ère swing, succède un ensemble polyrythmique dynamique; la continuité rythmique est assurée par la seule contrebasse, la batterie et le piano enchevêtrent un ensemble de figures rythmiques complexes autour de l'axe temporel; l'idée semble venir du batteur KENNY CLARKE. * Parallèlement, on valorise le matériel mélodique et harmonique de l'improvisation, on pratique des chevauchements de lignes mélodiques. Le principal artisan de ce nouveau jeu se nomme CHARLIE PARKER, surnommé "Bird" (l'oiseau) ou encore Yardbird (qui signifie en argot militaire américain: soldat chargé des corvées dans la caserne) à cause de son allure gauche, timide et embarrassée. Cette nouvelle musique représente une révolution dans la conception du jazz. Elle apporte une liberté supplémentaire. On écoute un extrait d'un enregistrement de CHARLIE PARKER réalisé en 1948 [9]. En fin des années 50, l'influence de CHARLIE PARKER fut si grande que la plupart des jeunes musiciens qui se lançaient dans le jazz firent les efforts nécessaires pour se mettre à son "diapason"; ce qui ne fut pas chose aisée puisque BIRD disposait d'une excellente sonorité, d'un swing percutant et d'une technique exceptionnellement brillante; je n'en citerai que quelques uns : PHIL WOODS, ART PEPPER, JULLIAN "CANNONBALL" ADDERLEY, SONNY ROLLINS, JOHNY GRIFFIN; pour les pianistes nous trouvons: THELONIOUS MONK, bien sur puis, BUD POWELL, HORACE SILVER, BILL EVANS, OSCAR PETERSON, TOMMY FLANAGAN etc... etc... etc... Dans le courant des années 60, les musiciens blancs qui s'étaient beaucoup plus investis dans les grandes formations de type swing, vont faire parler d'eux et s'affirmer aussi valable que les grands solistes noirs. Ils vont créer un style bien à eux: le style cool. Ils vont reprendre les matériaux du "Be Bop" mais sur des tempos moins "suicidaires" en travaillant le swing et la perfection des improvisations. Une de ces têtes de file se nomme STAN GETZ, musicien de génie passé à l'o... éternel au cours de l'année 1991. On l'écoute improviser dans un extrait de: " El Cahon " [10].
Toujours dans les années 60, un certain nombre de musiciens vont essayer, sur les traces de CHARLIE PARKER, d'innover une fois de plus, dans le domaine de la liberté. Ils vont créer un mouvement nouveau: le " Free Jazz " (ou jazz de la pleine liberté), les règles en sont alors totalement différentes. Les musiciens improvisent en groupe ou en soliste, en suivant chacun ses propres trames harmoniques. Le swing a tendance à disparaitre, les harmonies sont parfois dissonantes. Dans ce cas, je l'avoue, je plaide coupable, je n'aime pas du tout; pourtant j'ai essayé. Mais, le jazz est une discipline à caractère initiatique; il comporte, à mon sens, et pour l'instant, trois degrés: le jazz dit "traditionnel" (avant CHARLIE PARKER), le Be Bop (après CHARLIE PARKER) et le Free Jazz. Je n'ai pour ma part, pas dépassé le 2 ème degré. Peut être, un jour, je dirai, comme DUKE ELLINGTON : " I'am beginning to see the light " (je commence à voir la lumière); alors, le free jazz m'apportera de nouvelles joies. Quoi qu'il en soit, le free jazz a laissé des matériaux intéressants qui ont permis de faire évoluer encore cette musique. Toute recherche est bénéfique même si elle n'aboutit pas au résultat escompté. De nos jours, tous les styles sont joués, du style Nouvelle Orléans au free jazz, avec autant de bonheur et de perfection. Il semble de plus, que les musiciens actuels les plus progressistes opèrent une sorte de synthèse, ils utilisent, dans le respect de la tradition initiale, les matériaux élaborés au cours de toute l'histoire de ce type d'expression musicale. * * * * * * * Ce bref historique de la musique de jazz comporte nécessairement des lacunes, je n'ai pas parlé de certains styles (Hard Bop, Soul, Fusion) je n'ai pas parlé du jazz en Europe ni même en France, je n'ai cité qu'une infime partie des musiciens intéressants. On ne peut, hélas, pas aborder complètement ce vaste sujet en si peu de temps, quant aux musiciens, ils mériteraient chacun une planche particulière. Mais il est un aspect que je ne voudrais pas passer sous silence; le jazz c'est aussi: la prostitution, la corruption, l'alcool, la drogue. Au tout début de son histoire, le jazz, nous l'avons vu, se jouait dans les bars mal fréquentés de Storyville. D'ailleurs, notre roi du ragtime: JELLY ROLL MORTON était aussi un souteneur notoire. Plus tard, les relations entre la maffia américaine et les musiciens de jazz étaient courantes, notamment pendant la prohibition; il fallait en "croquer" pour avoir le droit de jouer dans les "clubs" tenus par les truands. Ce qui a fait dire à certains: " Le jazz est une musique de bordels ". IL faut donc, pour survivre, que les musiciens suivent la loi du "Show Business". Ceux qui n'ont pas envie de jouer ce qu'ils n'aiment pas, pour faire de l'argent (de la soupe), sont pauvres, ils mènent une vie d'exclus, ils sont souvent victimes de l'alcool, de la drogue ou des deux à la fois. Nombre de musiciens sont morts d'alcoolisme ou "d'overdose", presque tous y ont touché, certains s'en sont sortis, d'autres pas. Néanmoins, le jazz vit, il évolue, l'histoire nous réserve certainement encore de grandes surprises.
* * * * * * * Si je devais résumer l'histoire du jazz, à l'instar de MILES DAVIS, je dirai que: le jazz est un édifice, que chaque musicien y apporte sa pierre, et que cet édifice est soutenu par trois grands piliers que l'on nomme: LOUIS ARMSTRONG, DUKE ELLINGTON et CHARLIE PARKER. J'espère vous avoir communiqué un peu de ma passion ou, du moins vous avoir donné envie d'en connaître davantage. Mais, le jazz c'est un peu comme la F... M..., cela ne s'explique pas, cela se vit. Alors, vivons le, encore une dernière fois [11]. Michel LEMISTRE BIBLIOGRAPHIE (1) - André Francis Jazz Seuil 1991 (2) - Jim Godbolt Le monde du jazz Soline 1990 (3) - Philippe Carles, André Clerget, Jean-Louis Comolli Dictionnaire du jazz Robert Laffont 1991 DISCOGRAPHIE Les dates mentionnées ne sont pas les dates des enregistrements originaux, ce sont les dates d'édition ou de réédition de ces enregistrements.
[1] - Mahalia Jackson In The Upper Room 45t Vogue EPL 7076-1960 [2] - Meredith d'ambrosio At Might As Well Be Spring CD Sunside SSC 1028D - 1990 [3] - Kid Ory's Creole Jazz Band Down Home Rag 45t Barclay 8004-1956 [4] - Jelly Roll Morton Fat Meat And Greens 45t Coral ECV 18041-1956 [5] - Louis Armstrong S t Louis Blues 45t Philips BBE 12076-1958 [6] - Duke Ellington Sophisticated Lady 45t RCA 85229-1959 [7] - Count Basie Teddy The Toad 33t Roulette R 52003-1960 [8] - Count Basie Lill' Darlin' 33t Roulette R 52003-1960 [9] - Charlie Parker I Can't Believe That You're In Love With Me CD CBS 46 1002-2 - 1989
[10] - Stan Getz El Cahon CD Emarcy 838769-2 - 1991 [11] - J.J. Jonhson Short Cake CD Emarcy 838328-2 - 1990