Oser l amitié du Christ Fermes dans la foi Nous voici à Madrid pour les XXVI èmes Journées Mondiales de la Jeunesse. Enfin! Vous, comme moi, pourquoi sommes-nous venus ici? Bien des idées peuvent vous traverser l esprit pour répondre à ma question mais au fond des fonds, la réponse est simple : nous sommes venus rencontrer le Christ. J ai eu le privilège d entendre souvent le Bienheureux Jean-Paul II lorsqu il rencontrait des jeunes. Il aimait leur raconter l histoire du jeune homme riche. Le jeune homme riche nous ressemble. Il est bien sous tous les rapports. Il est religieux. Il est généreux, même. Il essaie d aimer son prochain. Il aimerait encore grandir vers le meilleur de lui-même. Et Jésus l aime, c est pourquoi il lui fait une demande : «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis, viens et suis-moi.» (Mt 19. 16-30). «Viens et suis-moi.» Tout l enjeu des Journées Mondiales, pour chacun d entre nous, se trouve dans la réponse que nous allons personnellement donner à cette question. Nous ne sommes pas tous appelés à suivre le Christ de la même manière. Mais nous sommes tous appelés à le suivre. Le thème de ces J. M. J. a été puisé dans l épître aux Colossiens : «Enracinés et fondés en Christ, affermis dans la foi» (Col 2. 7). Il n est pas si facile de parler de sa propre foi. Nous n avons pas toujours les mots nous avons une partie de nous-mêmes qui nous est inconnue, qui nous est opaque Par contre, nous pouvons savoir si la question du Christ nous touche et ce que nous sommes prêts à lui répondre. Le Christ nous appelle, le Christ t appelle Que lui répondons-nous? Que lui réponds-tu? 1) Qui es-tu pour m appeler? Qui es-tu Jésus? 1
Aujourd hui, personne ou presque- ne doute de la réalité de l existence, il y a environ 2000 ans, d un homme appelé Jésus. Nous, chrétiens, nous affirmons que cet homme est mort sur une croix après une parodie de procès- qu il a été mis dans un tombeau et qu il est ressuscité c est-à-dire qu il est vivant aujourd hui. Et nous affirmons que cet homme est Dieu. A vrai dire, il ne nous est pas toujours facile de comprendre ce que veut dire ressuscité et ce que veut dire la présence de Jésus en Dieu, alors que nous croyons en un Dieu unique Alors, relisons et relisons encore les témoignages. Ils sont divers, comme si chacun voulait aider à pénétrer dans un aspect particulier de ce mystère. Puisque notre thème est extrait de l épître aux Colossiens, je vous invite à essayer de rencontrer le Jésus décrit par Paul. Paul ne dit rien ni de l enfance, ni de la vie missionnaire de Jésus. Paul mentionne, presque d une manière allusive, le «sang de la Croix» les souffrances du Christ (1. 24), la Croix du Christ (2. 14-14) et sa mort (1. 20). Il suppose que la vie et la mort de Jésus sont connues de ses interlocuteurs. Mais il insiste sur un aspect moins souligné du mystère du Christ. Il est comme fasciné par la place du Christ dans l histoire de l humanité (et même du cosmos) et par sa présence en Dieu. Pour Paul, Jésus est la parfaite image de Dieu. Il est, dans son humanité, le prototype de l humanité voulue par Dieu Bien plus, puisqu il est le Fils de Dieu, tout a été créé par lui et pour lui Tout ce qui a été créé toute l humanité- est destiné à le rejoindre, à être rassemblé par lui. Cela peut sembler difficile à comprendre Paul affirme tranquillement que l on ne peut comprendre l univers, la société, l homme, soi-même qu en regardant le Christ. Il est la clef de la compréhension du monde. Il est la clef de la compréhension que nous pouvons avoir de nous-mêmes. Soyons clairs : ces paroles peuvent choquer. Beaucoup de nos contemporains pensent que les sciences sont les seules voies de compréhension du monde et que seules, elles permettent de s entendre entre personnes appartenant à des cultures et à des religions différentes. Ils disent alors : nous n avons pas besoin de Dieu. L apport des sciences est inestimable et je souhaite que nous soyons reconnaissants aux techniciens et aux scientifiques de nous permettre de savoir comment le monde tourne et 2
de trouver les moyens d une vie plus confortable Mais les différentes sciences n ont rien à dire sur ce qui nous paraît essentiel dans nos vies : pourquoi j existe? Suis-je aimé? Suis-je aimable? Qu est-ce que la maternité? Ma vie a-t-elle un sens? La consommation suffit-elle pour rendre heureux? Je ne voudrais pas régler le problème des rapports de nos vies avec la science trop rapidement mais, pour moi, la vérité n est pas seulement deux et deux font quatre. C est bien plus que cela! On approche de la vérité lorsqu on dit : «C est mot qui ai fait cette bêtise» ou quand on ose dire : «Je t aime». La vérité est l expression d une relation. Une amitié. Et l extraordinaire, c est que Jésus le Fils de Dieu qui a tout créé et vers qui l humanité marche à tâtons- l extraordinaire, c est qu il soit là et qu il me demande, et qu il te demande, d entrer en relation avec toi, avec moi et qu il nous demande de le suivre. Celui grâce à qui le monde a un sens dit à chacun de nous: j ai besoin de ton amitié, j ai besoin de ta vérité. 2) Que veut dire te suivre? Saint Paul invite les chrétiens de Colosses à suivre leur route «dans» le Christ Jésus (2. 6). Il affirme que suivre le Christ, ce n est pas seulement imiter Jésus dans son courage, dans sa capacité de rencontre, dans sa reconnaissance du Père ce serait très bien mais probablement impossible- mais suivre le Christ, c est être, exister, se situer «en Jésus». Comme le jeune homme riche, nous sommes tentés de demander : «Que dois-je faire pour te suivre?» Je ne prétends pas qu il n y ait rien «à faire». Mais saint Paul laisse entendre que ce n est pas le plus important. Le plus important n est pas de faire, mais de se «laisser faire», d abandonner, de faire confiance. Croire. Suivre le Christ, c est oser se laisser transformer par l amour que le Père nous manifeste «en» Jésus. Relisez l épître aux Colossiens : Vous êtes dégoûtés de vous-mêmes, vous ne savez pas où vous en êtes, vous vous trouvez nuls : si vous vous laissez aimer, Paul vous dit : «Il vous a arrachés au pouvoir de la noirceur et vous a transférés dans le Royaume du Fils de son amour.» (1.13). Vous êtes pécheurs, vous vous sentez coupables à juste titre ou de manière déraisonnable. Vous vous sentez bloqués pour vivre pleinement. Paul vous dit : 3
«Ensevelis avec lui dans le baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités puisque vous avez cru en la force de Dieu qui l a ressuscité des morts.» (2. 12). Je traduis en français courant : croire en Jésus ressuscité, c est croire que Jésus est plus fort que tous les échecs, les morts, les fautes, les blessures que nous pouvons supporter ou occasionner. Vous poursuivez des études sans savoir pourquoi, vous êtes au contraire extrêmement déterminé ; votre travail vous dégoûte ou vous intéresse saint Paul ne refuse pas votre ambition, au contraire, mais il dit à chacun : tu vaux beaucoup mieux que ce que tu penses de ta médiocrité, de ce à quoi tu rêves et même que ce que tu construis. Tu es fait pour être saint oui, saint- c est-à-dire pour participer à la mission du Christ de rassembler l humanité dans le respect de la liberté de chacun avec la seule force de l amitié. Suivre le Christ veut dire accepter l ambition d être saint. Paul va le dire clairement : «Du moment que vous êtres ressuscités avec le Christ, recherchez -j allais dire ambitionnez- ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; c est en haut qu est votre but, non sur la terre.» (3. 2). Je sais que vous avez du mal à croire que vous puissiez être saints En vous rasant ou en vous apprêtant, vous n imaginez pas que votre miroir vous renvoie l image d un saint ou d une sainte. C est normal, vous êtes beaucoup trop conscients de vos faiblesses qui sont réelles - et pas assez du pouvoir de la Parole de Dieu sur vous. Paul dit aux Colossiens : «Que la Parole de Dieu habite en vous dans toute sa richesse : instruisez-vous et avertissez-vous les uns les autres avec pleine sagesse. Chantez à Dieu votre reconnaissance par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés par l Esprit.» (3. 16). Suivre le Christ, c est «habiter», «demeurer» dans sa Parole. Pas à côté. Avec. Lorsqu en montagne on suit pas à pas le guide, on le fait généralement dans le silence. Et le silence peut être long, difficile à supporter Accepter de faire confiance, c est d abord accepter la purification du silence. Marcher quelquefois sans comprendre. Faire sienne la parole de Samuel : «Parle, Seigneur, ton serviteur écoute.» (1 S 3. 8-10). Dans ce silence, un évènement, une rencontre, un enseignement, et, bien entendu, la vie en Eglise et l Ecriture peuvent nous permettre d entendre la voix de Dieu. Suivre le Christ, laisser la Parole de Dieu vivre en nous ne peut jamais être le fruit d une technique (comme si certaines techniques pouvaient aider à la disponibilité du cœur). Dieu n est pas un objet que l on pourrait connaître. C est quelqu un qui nous parle au cœur. 4
Et c est du cœur que nous pouvons lui dire : Seigneur, tu es si grand, je n en suis pas digne mais j accepte ton amitié. Donne-moi la force d être capable d en vivre. 3) J accepte ton amitié J accepte ton amitié Evidemment, ces quelques mots sont ceux que le Christ attend de nous. Je ne doute pas qu ici, dans ce contexte enthousiasmant, ils soient relativement faciles à prononcer Mais après, mais chez nous, mais au jour le jour L épître aux Colossiens nous indique le moyen de vivre cette amitié A l évidence, pour Paul, l amitié avec le Christ ne peut se vivre que dans et par l Eglise. La fin de l épître est claire. Il ne s agit pas, pour Paul, de prôner un vague sentiment où, à force de dire qu on aime tout le monde, on en arrive à n aimer personne. Non. Paul cite des noms propres, rappelle des lieux exactement comme la plupart d entre vous quand vous parlerez des J. M. J. et des rencontres que vous y avez faites. Mais pourquoi ces rencontres sont-elles si importantes? Parce que nos amitiés humaines ont pour signification d exprimer notre amitié pour Dieu. Et c est cela l Eglise voulue par le Christ. Pour Paul, c est simple. L épître aux Colossiens prend l image du corps. Le corps est un ensemble de réseaux qui ne peut être vivant que si chacun de ses éléments est ouvert au reste. Pour Paul, la tête de ce corps est le Christ Le corps a besoin de la tête pour vivre : aucune partie de ce corps ne peut prétendre être en lien avec la tête sans être en lien avec le reste du corps. Personne ne peut dire qu il aime le Christ, s il n aime pas les autres membres du corps. Si, pour sa part, il ne s en sent pas responsable. Nous aimerions quelquefois nous dispenser d aimer l Eglise et de vivre en Eglise; nous pensons pouvoir écouter la voix du Seigneur sans vivre dans l Eglise. Il se peut même que nous nous donnions de bonnes raisons pour cela. Mais Paul est net : le Christ est la tête de l Eglise. On ne peut pas refuser l Eglise sans refuser le Christ. Il a une totale autorité sur l Eglise! Et ceci entraîne pour l Eglise le devoir de travailler à sa mission de rassembler, de réconcilier toute l humanité (1. 18-20). Aujourd hui, les paroles de Paul sont difficiles à entendre, pour une autre raison. Un corps a des limites. On en fait partie ou on n en fait pas partie ; il n y a pas d intermédiaire! Nous éprouvons souvent de la gêne à dire que des personnes que nous aimons ne font pas partie du corps du Christ. Nous n aimons pas les frontières et nous sommes prêts à penser que toutes les religions se valent et que Dieu veut le bien de tous. 5
Il est vrai que Dieu veut le bien de tous. Il est vrai que le corps du Christ est destiné à rassembler l humanité tout entière. Mais il est ce qu il est. Et il n est pas correct d y inclure dès aujourd hui des personnes qui ne veulent pas en être : les frontières peuvent être interprétées comme des marques de respect de l identité de l autre. Des convictions de l autre. Alors, accepter d être du corps du Christ, accepter l amitié du Christ, c est aussi accepter de vivre la mission même du Christ, avec la même confiance que lui et le même respect des libertés. C est s inscrire à la suite de Paul qui, bien qu en prison, «annonce le mystère du Christ» parce qu il «faut qu il en parle» (4. 4). Paul ajoute : «Trouvez la juste attitude à l égard des non-chrétiens ; saisissez l occasion. Que vos propos soient toujours bienveillants, relevés de sel, avec l art de répondre à chacun comme il faut.» (4. 5-6). Suivre le Christ, croire qu il est le sens de ma vie, accepter son amitié, faire corps avec lui et avec les chrétiens, c est se laisser habiter par la Parole au point de pouvoir oser l exprimer dans l actualité d aujourd hui. Suivre le Christ, c est accepter son amitié pour la vivre et la diffuser autour de nous. M. Dubost - JMJ 2011 6