LITTÉRATURE ET DIDACTIQUE DANS L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE AU MAROC :ENTRE ABONDANCE DE TEXTES LITTÉRAIRES ET FAIBLE RENDEMENT

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Transcription:

LITTÉRATURE ET DIDACTIQUE DANS L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE AU MAROC :ENTRE ABONDANCE DE TEXTES LITTÉRAIRES ET FAIBLE RENDEMENT Mohamed BAHI, FLSH Université Sultan Moulay Slimane Béni-Mellal, Maroc Ma communication est une analyse ou plutôt une description de l état des lieux de l enseignement de la littérature dans le cycle secondaire au Maroc. La littérature occupe depuis 997-998 une place importante dans cet enseignement. Il s agit d un retour en force aussi bien au collège qu au lycée après une longue absence, Mais cette forte présence de textes littéraires n a pas d impact sur le niveau des apprenants, resté bas. C est cette problématique que nous examinerons en nous basant sur l évaluation des acquis des élèves à partir de leurs résultats, sur les textes inscrits aux programmes, sur certains textes officiels et enfin sur l avis des enseignants. L enseignement de la littérature : Constat amer Quel est le profil des élèves qui accèdent au collège? Selon les enseignants interrogés, les élèves de l école publique, contrairement à ceux issus de l enseignement privé, ont, pour la plupart, du mal à suivre les cours de français, car ils n ont pas les pré-requis nécessaires pour y suivre leur apprentissage ; les 2/3 des apprenants sont dans une cette situation ; certains ne parviennent même pas à déchiffrer les mots. Nous avons consulté les notes obtenues en juin 20 par des élèves à l examen de la fin du cycle primaire en vue de l accès au collège. Ces notes confirment le jugement émis par les enseignants. Voici un échantillon de ces notes (Elèves scolarisés en première année du collège Al Hansali à Béni-Mellal en 20-202) Classe Note sur 0 Classe 2 Note sur 0 Classe 3 Note sur 0 / 7

,75 5,75 6,50 3,25 3,25 3 5,75 4 7 6,37 6,50 4,50 3,50 2 4 0,50 4,75 7,25 2,50,75 3,37 4, 75 5,62 3,0 3 2,50,20 2,50 2,50 2 3,75 5 0,75 3,37,75 8 6,0 5,25 5,50 6,75 6,75 4,75 4,50 7, 50 4 2,50 2,75 6 9 2,75 5,50 6,25 2,75 3,50 8,75 7,75 3,50 4 5 4 3,75 0,50 2,50,50 0 9,87 5,75,87 2,75 5,75 7,25 6,62 7,0 4,25 2,25 3,75 5 5,25,50 3,0 6 5 4,25 7,25 6,25 5,87 3,25,50 2 0,50 0,50 4 5,25 2,75,25 En examinant ces résultats, on s aperçoit que 30 sur 39, 2 sur 35, puis 9 sur 34 ont moins de 5 sur 0. En tout, c est plus 64,8 / qui n ont pas la moyenne. Il est manifeste que ces élèves avec de telles notes n ont pas de compétences pour continuer leur apprentissage en langue et littérature françaises, d autant plus qu on leur propose au collège des textes de grands auteurs tels que : Georges Simenon, Marcel Pagnol, Colette, Honoré de Balzac, Jean de la Fontaine, Victor Hugo, Gustave Flaubert, Jean Tardieu, Molière, Paul Claudel, Edmond Rostand, Alfonse Daudet, ; Alfred de Vigny, Georges Courteline, Jean Anouilh, Jean Jacques Rousseau, Emile Zola, Carles Baudelaire, Alfonse de Lamartine, Jean Marie Le Clézio, René de Chateaubriand, Prospère Mérimée, Jules Vallès, Guy de Maupassant ; Georges Pérec, Alfred de Musset, Guy de Maupassant, Boris Vion, Marguerite Yourcenar, Marcel Aymé, Pierre Loti, Simone de Beauvoir, Charles DE Gaule, Albert Camus, Gérard de Nerval, Albert Jacquard ; Hector Malot, Philippe Labro, François de Malherbe, Madame de Lafayette Les textes littéraires servent de supports aussi bien aux séances de lectures qu aux autres matières de français : langue, communication, activités orales, production écrite, séances d évaluation. A la dernière année du cycle collégial, l étude des nouvelles et d un roman sont programmées. L objectif est ainsi clair, il s agit d imprégner les élèves des textes de grands auteurs en vue d une maîtrise de la langue leur permettant, entres autres, de continuer l apprentissage de cette langue au lycée. Les notes obtenues à l examen de la dernière année du collège devraient, en principe, se traduire par un niveau élevé des apprenants. Jetons encore un regard sur les notes 2 / 7

obtenues par trois classes dans le même collège: 3 / 7

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Les notes illustrent bien l écart entre les objectifs et la réalité du niveau des élèves. Cela prouve l existence d un dysfonctionnement dans l opération enseignement/apprentissage : dans ces trois classes choisies au hasard, nous avons constaté que 42 sur 49, puis 42 sur 46, et enfin 37 sur 46 ont moins de 0 sur 20. Nous remarquons une régression par rapport aux résultats obtenus à la fin du cycle primaire. En moyen plus de 85,8 / n ont pas la moyenne (contre 64,8 / à l examen de la fin du cycle primaire). Une régression de 2 / en comparaison avec les résultats obtenus à l examen d entrée au collège. Ces élèves seront-ils capables de continuer leur apprentissage au lycée où des nouvelles et des œuvres littéraires intégrales sont au programme? Pour les professeurs du lycée interrogés, la majorité des élèves venus du collège n ont pas la base linguistique nécessaire pour continuer leurs études dans ce cycle. Dans ces conditions, les œuvres au programme peuvent-elles être lues sans difficultés? Voici le programme des trois années u lycée : Tronc commun Textes divers autour de la typologie textuelle (narratif, descriptif, argumentatif, prescriptif) ; La nouvelle réaliste -Maupassant : «La ficelle» ou «Aux champs» ; La poésie : Une ode et une chanson ; La nouvelle fantastique Mérimée : «La vénus d Ille» Ou -Gautier : «Le chevalier double» ; Le sonnet (2 poèmes au moins) ; Le théâtre (la comédie) Le Bourgeois gentilhomme (Molière), La poésie libre : 2 poèmes au moins. ère année du cycle du baccalauréat La Boîte à merveilles d Ahmed Sefrioui ; Antigone de Jean Anouilh ; Le Dernier jour d un condamné de Victor HUGO. DEUXIEME ANNEE DU CYCLE DU BACCALAUREAT Candide Voltaire ; Il était une fois un vieux couple heureux Mohammed Khaireddine ; Le père Goriot Honoré de Balzac. Ces élèves ont-ils pu acquérir, après trois ans au lycée, des compétences pour continuer leurs études supérieures? Nous n avons que les notes du Bac pour en juger (résultats officiels). La plupart des notes se situent entre 0 et 0 ; Il faudrait dire que ces résultats sont en deçà des objectifs escomptés. Nous avons choisi trois lycées et deux instituts privés de la ville de Beni-Mellal pour voir l impact de cet enseignement sur le niveau des élèves. 7 / 7

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Deux tendances, au niveau de l enseignement de la langue et de la littérature françaises, se profilent : la branche littéraire et les branches scientifiques ; la première regroupe le taux le plus élevé de la déficience de l enseignement de la littérature, à l inverse des branches scientifiques, en particulier les sciences maths, qui s en sortent avec moins de dégâts. Les sections sont classées dans l ordre suivant : section «littéraire et sciences humaines», section «sciences ex» ; «sciences maths», «sciences économiques» (deuxième tableau). Les deux derniers tableaux sont les résultats des sections «sciences ex» et des «sciences maths» de deux établissements privés. Pour les professeurs du lycée, l étude des textes littéraires devient une séance de lexique qui occulte les autres aspects du texte: on se contente du sens littéral ; la symbolique, l esthétique, la littérarité ne sont abordés que rarement ; ils avouent recourir à l arabe pour transmettre le sens des textes. Le plaisir de lire est ainsi évacué. Les enseignants des deux cycles ne cachent pas leur sentiment d amertume devant cette situation où ils se sentent impuissants. D autre part, les textes étudiés sont loin de la réalité des élèves qui ne lisent pas, disent les enseignants ; puis les élèves ne manifestent pas un grand un intérêt. Ce constat d indifférence est, bien entendu, un phénomène général. La littérature est concurrencée par les textes documentaires, par «l accélération numérique qui morcelle le temps disponible pour les livres», affirme Antoine compagnon dans La Littérature pour quoi faire? Comment s explique cette indifférence, voire ce mépris à l égard de la littérature. Pourquoi la démotivation des élèves? Le décalage entre l abondance des textes littéraires et les résultats obtenus en langue française est-il dû aux objectifs peu clairs de cet enseignement? Les objectifs de l apprentissage de cette langue sont-ils bien définis aussi bien au collège qu au lycée? En consultant les notes ministérielles, nous lisons ceci : «À l issue de l enseignement du secondaire collégial, l élève doit être capable de comprendre et d analyser différentes formes de discours, telles qu elles figurent dans les Orientations pédagogiques pour l enseignement du français au collège : Les formes simples du récit Le narratif et le descriptif Lire les médias Lire un texte théâtral La correspondance et le récit de vie L étude d une œuvre 2» Objectifs et évaluation sont détaillés dans des tableaux - collège Domaines Capacités et critères Pourcentages alloués Lecture Identifier 0% Comprendre 5% Réagir 5% Langue Identifier 5% 2 Notes attribuées 2 points 3 points point point Compagnon (Antoine), La Littérature, pourquoi faire? Collège de France/Fayard, 2007, p.29. Cadre de références de l examen normalisé régional pour l obtention du certificat du cycle secondaire collégial, Français, 2009, p.2 3 / 7

Ecriture Total Appliquer des règles Établir un rapport Critères d évaluation de l aspect narratif 5% 0% 20% 3 points 2 point 4 points Critères d évaluation de l aspect linguistique 20% 4 points 00% 20 points - Lycée Dans le cadre de références de l examen normalisé régional pour l obtention du baccalauréat, français publié en 2009 par le ministère de l éducation national, nous lisons : «L enseignement/apprentissage du français a pour objectif de permettre à l apprenant de développer des stratégies nécessaires à la compréhension d œuvres littéraires et à la production de textes variés[...] Par la lecture, l apprenant a accès à une variété d œuvres et de genres littéraires qui l amènent à apprécier l expression française dans toute sa diversité, à s imprégner des valeurs universelles et à développer son imaginaire3.» I. CARACTÉRISTIQUES DE L EPREUVE D ÉVALUATION Tableau de synthèse de l épreuve de français au lycée Domaines Capacités et critères Nombre d items Etude de contextualiser 2 texte Analyser 6 Réagir 2 Production critères d évaluation écrite du Un sujet discours proposé critères d évaluation de la langue Total Pourcentage alloué 0% 30% 0% Barème de notation 2 points 6 points 2 points 25% 5 points 25% 5 points 00% 20 points En examinant les notes obtenues aux examens, nous nous apercevons que les objectifs sont loin d être atteints. L enseignement nous parait trop segmenté et l enseignant, qui se perd dans les détails, aura du mal à atteindre les objectifs déclarés. L inspecteur de l académie régionale de Tadla-Azilal nous a révélé qu il ne respecte pas, comme ses autres collègues dans différentes académies du royaume, les critères d évaluations définis par les textes officiels, suite à une expérience où les notes étaient catastrophiques. Ni les enseignants ni l inspecteur ne sont à l aise. Comment s explique alors ce décalage entre l abondance des textes littéraires et les objectifs définis d une part, et les résultats obtenus, d autre part. Certes, au collège, les textes littéraires, proposés dans les manuels de français, sont soigneusement choisis, mais le niveau bas des élèves en français ne favorise pas le plus souvent l appréhension de ces textes comme le montrent les résultats obtenus. C est là une première difficulté qui démotive les apprenants, une difficulté sur laquelle viennent se greffer 3 Cadre de références de l examen normalisé régional pour l obtention du baccalauréat, français, 2009, p.2. 4 / 7

les autres. La longueur des textes est un autre handicap. Des textes s tendent sur une ou plusieurs pages. Les séances de l étude de texte se transforment alors, comme le soulignent les enseignants consultés, en des séances d explications de lexique. Le professeur passe beaucoup de temps à expliquer le vocabulaire en vue d une compréhension littérale. Il en va de même pour les textes servant de corpus aux autres cours de français : langue, activités orales, production écrite. Ces difficultés au collège sont souvent aggravées par des textes des auteurs du 7 et 8 ème siècle : les références historiques, culturelles ou mythologiques ne facilitent toujours pas la compréhension et ne peuvent que décourager les élèves. Une autre raison de cette démotivation des élèves s explique en partie par le recours à une terminologie déroutante empruntée à des approches d analyse différentes. Des termes tels que Les indices d énonciation, les déictiques, la modélisation, le paratexte, la focalisation ne peuvent que rebuter et ennuyer les apprenants, une terminologie qui ne met pas les enseignants, non plus, à l aise. Les valeurs véhiculées par les textes aux programmes ne constituent-elles pas un autre obstacle à la compréhension des textes? Nous avons relevé quelques orientations dans les recommandations et les notes ministérielles du genre : «L éducation aux valeurs. C est une dimension de la plus haute importance au sein du dispositif pédagogique et une préoccupation institutionnelle de premier ordre.» Voici dans l ordre les valeurs inscrites dans ces textes : - «La foi musulmane»; - L identité civilisationnelle et ses principes moraux et culturels ; - La citoyenneté ; - Les droits humains et leurs principes universels.» «Aborder les valeurs comme finalités et comme fondements culturels et non comme contenus spécifiques et développés à étudier en classe en tant que tels.[ ] Les valeurs présentes au niveau des objectifs et implicitement dans les contenus abordés en lecture, en activités orales ou en production écrite par exemple et à travers les attitudes et les comportements des différents acteurs4.» Dans le cadre de références au lycée publié par le ministère de l éducation nationale, on lit : «Il revient à l enseignant de mettre en évidence les valeurs véhiculées dans les œuvres étudiées5.»? Toutefois, les valeurs véhiculées par les œuvres sont, dans leur ensemble, dépassées, pensent les professeurs du lycée, alors que pour les professeurs du collège interrogés, le moment favorable pour la transmission des valeurs est l exploitation des fables que les élèves apprécient le mieux, tandis que l étude des autres textes, souvent trop longs, toujours selon les enseignants, se transforme en une leçon de vocabulaire fastidieuse : «Une morale nue apporte de l ennui ; Le conte fait passer le précepte avec lui6.» Dans ces conditions, la littérarité du texte susceptible de faire aimer le texte littéraire aux élèves et la transmission des valeurs sont loin d être des préoccupations des professeurs. Les approches méthodologiques constituent un autre handicap : les enseignants ont expérimenté plusieurs approches sans avoir le temps d en maitriser une : la pédagogie par objectifs, les approches communicatives, l enseignement par compétences, la pédagogie d intégration, en cours, se sont succédé. Ces approches mettent plutôt l accent sur la forme. Nous avons vu que les objectifs et l évaluation mettent aussi l accent sur la forme, le sens est éludé dans l analyse des structures 4 5 6 Programmes et orientations pédagogiques spécifiques à la langue française au collège, p2,3 Programmes et orientations pédagogiques spécifiques à la langue française au lycée, p.3 Compagnon (Antoine), La Littérature, pourquoi faire? Collège de France/Fayard 2007, p. 42. 5 / 7

et des formes. Cet enseignement qui s appuie sur la forme est attaqué par certains critiques littéraires. T. Todorov en fait le procès dans La littérature en péril. En suivant l instruction de ses enfants scolarisés en France et en siégeant au conseil national des programmes, attaché au ministère de l éducation française, il découvre que «L ensemble des instructions repose (donc) sur un choix : les études littéraires ont pour but premier de nous de nous faire connaître les outils dont elles se servent. Lire des poèmes et des romans ne conduit pas à réfléchir sur la condition humaine, su l individu et la société, l amour et la haine, la joie et le désespoir, mais sur des notions critiques, traditionnelles ou modernes. A l école, on n apprend pas de quoi parle les œuvres mais de quoi parlent les critiques.7» Puis, il ajoute : Je comprends que quelques professeurs de lycée se réjouissent de cette évolution : plutôt que d hésiter devant une masse insaisissable d informations relatives à chaque ouvre, ils savent qu ils doivent enseigner les «six fonctions de Jakobson» et les «six actants de Greimas», l analepse et la prolepse, et ainsi de suite. Il sera beaucoup plus facile, dans un deuxième temps, de vérifier si les élèves ont bien appris leur leçon. Mais aura-t-on bien gagné au change8? C est donc une tendance générale. Nous avons vu même le président Nicolas Sarkozy s en pendre à La Princesse de Clèves. Outre ces facteurs internes, il existe des facteurs externes que nous avons laissés de côté. Pour conclure : le Dépassement est-il possible? Certains enseignants soulignent une urgence : le renforcement de l apprentissage de la langue à l école primaire. L élève doit maitriser les éléments de base de la langue (grammaire, conjugaison, apprentissage de certains textes : poèmes, fables, textes). Au collège, ils conseillent le renforcement de l apprentissage de la langue, le recours à des œuvres adaptés et l introduction de la littérature de jeunesse. Au lycée, certains professeurs proposent l étude des œuvres littéraires par le biais de l étude des extraits des mouvements littéraires ou des siècles à la manière des collections Lagarde & Michard ou Henri Mitterand, avec à l appui des cours de civilisation. Cela nécessite un horaire plus développé (réduit actuellement à deux heures, à quatre heures, à cinq heures selon les branches). L initiation à la littérature au collège et l étude des œuvres intégrales au lycée donnent plus d importance à la forme, aux outils d analyse dont la maîtrise échappe parfois aux enseignants eux-mêmes. Doit-on continuer alors à enseigner la littérature. Bien des enseignants interrogés n apprécient pas l étude des textes littéraires et souhaitent un retour au français fonctionnel ou à des textes qui renvoient à la réalité des apprenants. La représentation qu ils ont de la littérature est négative. D autres professeurs souhaitent des concertations préalables à l élaboration des programmes, entre les concepteurs et les enseignants en vue de réduire le fossé entre l ambition des uns et le réalisme des autres ; d autres proposent l exploitation de l internet, outil maitrisé par les élèves, pour enseigner la littérature en classe. Pourquoi ne pas s inspirer de l enseignement des classes préparatoires (programme, horaire) qui en deux ans parviennent à avoir une certaine maîtrise de la langue, disent d autres. Cet enseignement met l accent plus sur le sens que sur la forme. La littérature a-t-elle un intérêt encore aujourd hui. «La littérature peut beaucoup,» répond T. Todorov : 7 8 Todorov ( Tzvetan), La littérature en péril, Flammarion, 2007, p.8,9 Ibid., p. 2, 22. 6 / 7

«Elle peut nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres humains autour de nous, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à mieux vivre9.» Cette opinion de T. Toddorov est partagée par Antoine Compagnon dans sa leçon inaugurale au collège de France en 2006, intitulée : la littérature pour quoi faire? Pour ce dernier : «La littérature, exprimant l exception, procure une connaissance différente de la connaissance savante, mais mieux, capable d éclairer les comportements et les motivations humaines. Elle pense, mais non pas comme la science ou la philosophie. Sa pensée est heuristique ( ) non algorithmique0». Antoine Compagnon attribue quatre pouvoirs à la littérature : plaire et instruire ; contester la soumission au pouvoir ; corriger les défauts du langage ; absence de pouvoir ou «impouvoir sacré» Le second pouvoir a retenu notre attention pour deux raisons : «Contre-pouvoir, la littérature révèle toute l étendue de son pouvoir lorsqu elle est persécutée. Il en résulte un paradoxe irritant, à savoir que la liberté ne lui est pas propice» il en conclut que «l affaiblissement de la littérature dans l espace public européen à la fin du XX siècle pourrait être lié au triomphe de la démocratie.» Cette situation pourrait expliquer en partie le recul de l intérêt pour la littérature au Maroc en raison de l ouverture politique engagée depuis une décennie et demie. Les enseignants, dans leur majorité, ne voient pas l utilité de la littérature (scientifique, politique, économique); ils adoptent plus ou moins l opinion répandue selon laquelle la littérature est secondaire, voire une perte de temps. Il faudrait, et cela nous semble primordial, agir sur leurs représentations avant de revoir les méthodologies et les programmes. 9 0 Ibid, p.72. Compagnon (Antoine), La Littérature, pourquoi faire? Op.cit, p.68, 69. Ibid, p. 45. 7 / 7