Ne transigeons pas avec le droit de l étranger Deux années après la dernière loi sur l immigration, le gouvernement veut réformer le Code de l Entrée et du Séjour des Etrangers et des Demandeurs d Asile (CESEDA) «pour lutter contre l immigration subie, promouvoir une immigration choisie et une intégration réussie». L immigration est ainsi officiellement reconnue pour sa contribution à notre société et des mesures devraient favoriser l insertion, ce qui nécessite des efforts de part et d autre. Nous sommes bien conscients qu un tel sujet est complexe et que la responsabilité des législateurs est très lourde pour décider dans l intérêt général. Nous tenons donc à dire nos alertes. En privilégiant une immigration «choisie» vis-à-vis d une immigration dite «subie» contre laquelle il faudrait lutter, se profile un recul des droits liés au respect de la vie familiale et à l accueil des demandeurs d asile. Ce projet veut d un côté attirer les étrangers talentueux et compétents, ou utiles pour combler certains besoins de main d œuvre, mais de l autre augmenter les obstacles pour ceux qui doivent bénéficier des conventions signées par la France sur les droits fondamentaux. Le durcissement des procédures et les allongements multiples de délai vont mettre en danger la solidité des couples avec des incidences notables sur leurs enfants. Le projet accule à la désespérance les milliers d étrangers présents depuis longtemps en France, «sans-papiers», à l heure où il entrouvrirait le marché du travail. Cette réforme s inscrit délibérément dans une perspective utilitariste. Seront acceptables en France les étrangers perçus comme nécessaires pour l économie, la personne humaine et sa situation personnelle devenant secondaires et ses droits restreints. Il est de notre devoir de chrétiens de rappeler que l homme doit toujours être au cœur de nos choix et la loi toujours viser à protéger les plus faibles. Les premiers à «subir» la migration sont ceux et celles qui sont poussés sur les routes de l exil, contraints par la pauvreté et la mauvaise gouvernance. Le bien commun, qui ne se limite pas à nos frontières, exige de marquer une priorité réelle et proclamée pour le développement, notamment pour que nul ne soit obligé d émigrer contre sa volonté. L aide au développement dans le monde et l accueil de l étranger sont devenus des responsabilités majeures qui supposent une solidarité accrue et une remise en cause de nos modes de vie. En tant que citoyens et chrétiens nous ne pouvons pas accepter la vision d une société centrée sur elle-même, ni donc cette vision de l homme qui va à l encontre de notre tradition et de nos convictions pour le Bien commun. Motivés par la solidarité et la défense des plus faibles, en partenariat avec de nombreux membres de la société civile, nos organismes, mouvements, associations et services chrétiens refusent que des mesures de plus en plus restrictives propulsent des milliers d hommes et de femmes dans la précarité et le désespoir. Aussi estimons-nous nécessaire d éveiller les consciences, d appeler à la vigilance, à l information sur ce projet de loi qui compte des dispositions inquiétantes. Nous nous engageons à agir pour que notre société porte un autre regard sur l immigration.
2 Le point sur le projet après débat à l Assemblée et avant le Sénat Certaines voix se sont étonnées que les Eglises et des associations chrétiennes se soient exprimées sur ce projet de loi : ces dernières sont tout à fait en droit de participer à un débat public et il est même de leur devoir d alerter l opinion quand elles estiment que le recul des droits liés au respect de la dignité humaine, de la vie familiale ou de l asile va précariser d autant une population déjà fragilisée. Le ministre de l intérieur a d ailleurs souligné que «les Eglises sont dans leur rôle quand elles insistent sur l exigence du respect de la dignité des personnes». De fait, plusieurs demandes ponctuelles qu elles avaient formulées ont été introduites. Le projet n a pas changé de philosophie. Au regard de la centaine d amendements adoptés, par rapport au projet initial déjà fortement restrictif, il nous faut considérer que le durcissement l emporte sur les améliorations. L expression d immigration «subie» ne figure plus nulle part in extenso mais demeure dans l esprit et le débat. Le co-développement reste quasiment absent de l ensemble du projet (sauf une mention dans la carte compétences et talents). L aide au développement a été abondamment évoquée de toutes parts lors des débats, sans réelle suite Dans les lignes qui suivent, nous reprenons le plan de notre document de base pour en montrer l évolution. Nous y ajoutons des modifications qui nous semblent importantes à souligner pour leurs incidences sur la vie familiale. Le 30 mai 2006
De graves atteintes au respect de la vie privée et familiale 3 Le conjoint étranger d'un Français L obligation de présenter un visa de long séjour pour accéder au séjour Pour les conjoints de Français, la délivrance d un visa de long séjour devient quasiment de plein droit mais à condition de retourner au pays (ce qui est délicat pour les déboutés de l asile ou difficile pour ceux qui sont chargés d enfants). Notons que l utilité d une telle démarche reste à démontrer. La quasi-suppression de la délivrance de la carte de résident de plein droit Inchangé La suppression de la régularisation après 10 ans de présence habituelle en France L abrogation de cette disposition demeure, mais il a été décidé de créer une commission nationale d admission exceptionnelle au séjour, chargée de fixer les critères de régularisation humanitaire et exceptionnelle. Cette commission donnera aussi son avis sur les recours contre les refus de régularisation par les préfets et sur les demandes des étrangers justifiant résider en France depuis dix ans. L incertitude demeure quant à la composition de cette commission, ses modes de saisine et les moyens de recours contre ses décisions. L'admission au séjour au titre des liens personnels et familiaux en France inchangé : Les exigences du projet pour la carte «vie privée et familiale» n ont pas changé et la plus grande précision des critères (néanmoins flous) va en limiter l accord alors même qu il s agissait de régularisation au titre des liens personnels et familiaux établis en France. Le regroupement familial Le regroupement familial exige des ressources smic hors prestations sociales élargies qui seront modulées selon la taille de la famille (décret à prendre) et des caractéristiques de logement pour une famille de taille comparable selon la région. Il faudra également que le maire donne son avis sur le respect des principes républicains de l étranger «regroupant».
4 La reconnaissance d'un enfant français Le délit de «paternité de complaisance», que le projet appliquait pour la reconnaissance d un enfant uniquement à Mayotte, est généralisé à tout le territoire français avec les mêmes pénalités que pour les mariages de complaisance. Les parents d enfant français Ce qui est ajouté : Le projet initial ne mentionnait pas de changement à ce sujet vis-à-vis de la situation actuelle. Désormais, les parents devront justifier de l entretien et l éducation des enfants depuis leur naissance ou depuis au moins 2 ans (au lieu d une seule année). Les enfants, devenus majeurs, entrés en France avant l âge de 13 ans Ce qui est ajouté : Le projet initial élargissait le séjour aux jeunes confiés à l aide sociale à l enfance avant l âge de 16 ans. Cet ajout est adopté mais les enfants entrés en France avant l âge de 13 ans n obtiendront le séjour que s ils résident en France avec leurs parents. Qu en sera-t-il en cas de séparation ou de veuvage des parents, voire d autonomie du jeune? Une précarisation renforcée La carte de long séjour Le retrait de la carte de séjour, en cas de rupture de vie commune dans les 3 ans, ne sera pas appliqué si la séparation provient des violences du conjoint (ou du décès de celui-ci) ou s il est né des enfants du couple et que l intéressé s occupe de ces enfants. La carte de résident (10 ans) est rétrogradée en carte d un an en cas de rébellion ou de révolte à l égard des forces publiques (violences urbaines). Elle est retirée si le titulaire se rend complice de violences sur des enfants (excision). Par ailleurs, la lutte contre la polygamie est renforcée : les prestations familiales seront versées à un tuteur et le délit d aide au séjour irrégulier est opposable aux polygames. La carte «temporaire» de séjour Le retrait de la carte de séjour temporaire est maintenu si l une des conditions de sa délivrance cesse, mais ne s applique pas en cas de rupture de contrat pour les travailleurs. Les saisonniers sont obligés de repartir 6 mois par an. Modification des conditions pour les «artisans-commerçants» qui devront prouver que leur activité est économiquement viable pour obtenir cette carte de séjour temporaire. Les salariés étrangers détachés par leur entreprise auront accès à une carte de 3 ans.
5 La création d'une carte «Compétences et talents» Cette carte s ouvre au rayonnement scientifique ou humanitaire. Le co-développement devient une obligation pour certains bénéficiaires de cette carte. Des délais de recours si courts qu ils annihilent le principe du «droit à un recours effectif» L obligation de quitter le territoire Le délai du recours contentieux contre l OQTF (la nouvelle Obligation de Quitter le Territoire Français mise en place pour les retraits et les refus de carte ou de renouvellement) est porté de quinze jours à un mois (pendant lequel une aide au retour peut être demandée). Les Arrêtés Préfectoraux de Reconduite à la Frontière (APRF pour séjour irrégulier ou délits) ne seront plus donnés que par voie administrative (de la main à la main : l envoi par la poste disparaît). Rappel : la possibilité de recours contentieux contre ces APRF est de 48h. Le droit d asile Ce qui est ajouté : Le recours des «déboutés du droit d asile» contre le choix de leur pays comme pays de renvoi devient irrecevable : les organismes chargés de l asile (Ofpra et Crr) auront alors une lourde responsabilité puisqu ils seront seuls juges de l application de l article 3 de la Convention Européenne des Droits de l Homme (craintes de mauvais traitements dans le pays de renvoi). Par ailleurs l intégration est exigée partout où c était possible, surtout par la maîtrise de la langue et le respect des principes de la République ou de la laïcité ; les tests de maîtrise de la langue ne concerneront pas les étrangers au-delà de 65 ans. L avis des maires est sollicité pour juger de l intégration, ce qui induit par ailleurs un allongement des délais de réponse. Le contrat d accueil et d intégration, qui peut se généraliser au-delà des nouveaux étrangers admis au séjour, devient incontournable pour l accès à la carte de résident (10 ans), voire parfois le renouvellement de la carte temporaire. Aucune aide (trajets, garde des enfants ) n est prévue pour que les bénéficiaires puissent le remplir sinon la gratuité des formations et aucun moyen non plus n est envisagé pour faciliter leur adaptation au monde du travail, sinon un éventuel bilan de compétence. Les délais maxima d examen pour la naturalisation d étrangers en France depuis 10 ans sont réduits à 12 mois (au lieu de 18), avec prolongation possible mais motivée de 3 mois, ce qui est une reconnaissance des dysfonctionnements actuels. Des cérémonies d accueil des nouveaux Français sont généralisées. * * *
Ces lignes sont loin d être exhaustives et ne résument pas l intégralité des modifications du projet de loi. Si le projet nécessitait déjà 18 décrets pour sa mise en œuvre, d autres ont été ajoutés, ce qui préjuge mal de la rapidité de l application de certaines dispositions. Notre inquiétude initiale appelait à la vigilance «pour éviter que des propositions plus restrictives ne tentent, lors des débats parlementaires, d affaiblir encore les droits des étrangers». Il est clair que cela s est produit, alors même que le gouvernement s était engagé, auprès de certains responsables religieux, à ce qu aucun amendement ne vienne durcir le projet initial. 6 Le 30 mai 2006 Signataires de l initiative lancée le 24 avril 2006 : Cimade CCFD Secours Catholique La Pastorale des Migrants SNPM - Abbaye de Tamié - Abbaye de Fleury - ACAT- France - Action Catholique des Enfants - Action Catholique Ouvrière - Action Catholique Générale Féminine - Action Catholique des Milieux Indépendants - Action Catholique des Milieux Sanitaires et Sociaux - Association des Cités du Secours Catholique - Association Espoir - Association Française des pharmaciens Catholique - Association «Les Champs de Booz» - Auxiliatrices de la Charité - Auxiliaires du Sacerdoce - CASP - Centre de Recherche et d Action Sociales (Ceras-Projet) - Carrefour de l Eglise en Rural - Commission Provinciale Justice et Paix des OMI - Communauté Mission de France - Congrégation des Sacrés Cœurs, Pères Missionnaires de PICPUS - Conseil national de l Alliance Nationale des UCJG-YMCA - CSM MO - CSMF Milieux Populaires - DEFAP - Dialogue et coopération - DOM Asile - Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France - Equipes Enseignantes - Equipe Nationale des Prêtres-Ouvriers - Fédération de l Entraide Protestante - Fils de la Charité - Filles du St Esprit - Franciscain International - Frères de la Sainte Famille - Frères Maristes - Frères Missionnaires des Campagnes - Institut St Joseph - Jésuites - Jeunesse Indépendante Chrétienne - Jeunesse Ouvrière Chrétienne - Justice et Paix-France - Mission de la mer - Mission Populaire Evangélique de France - Mouvement Chrétien des PTT - Mouvement Chrétien des Cadres et Dirigeants - Mouvement International de la Réconciliation - Mouvement du Nid - Oblats de Marie Immaculée Ordre des Serviteurs des Malades (Province de France) - Œuvres et Institutions des Diaconesses - Passionistes - Pax Christi - Petites Sœurs de l Assomption - Petites Sœurs Dominicaines - Petites Sœurs de l'ouvrier - Petits Frères de l'evangile - Prado - Réseau Chrétien Immigrés - Réseau Foi-Justice Europe-Afrique - Secrétariat National de la Mission Ouvrière - Service National des Gitans et Gens du voyage - Servites de Marie - Sœurs de Notre Dame - Sœurs de l'instruction Chrétienne - Société des Missionnaires d Afrique - Union Nationale des CPCV - Vivre ensemble l Evangile Aujourd hui - Aide aux Jeunes Camerounais - CDMO Mission Ouvrière Havre - Compagnons de l'arche de Saint Antoine - Conseil de la Solidarité du Diocèse de Bayeux - Lisieux - Coord. de l'action non-violente de l'arche de Lanza del Vasto - Mission Ouvrière d'alsace - Paroisse St François (Lens) - Service de la Solidarité d'arras - UCJG YMCA Loire - Sichem - Union Diaconale du Var.