Terre : pas à vendre, ni à louer

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Transcription:

Terre : pas à vendre, ni à louer La terre nous nourrit au quotidien. Or, elle s épuise. En ces temps de crises alimentaire, financière et climatique, préserver nos ressources naturelles est devenu un défi majeur. Aux quatre coins du globe, nous assistons à une nouvelle vague d 'accaparement de terres' : de plus en plus de terres agricoles fertiles sont privatisées via leur achat ou location par de grands investisseurs. Incontrôlée, cette main basse sur les terres risque de ruiner la vie de bien des petits producteurs. Ensemble, cultivons un monde plus durable et équitable! Textes Pauline Bourtembourg Photos Tineke D haese Sources principales Crises alimentaire & climatique : investir dans l agriculture paysanne durable, Oxfam-en-Belgique, 2011. L accaparement de terres et la nutrition - Défis pour la gouvernance mondiale, Observatoire du droit à l alimentation et à la nutrition, 2010. 7

Main basse sur les terres En mai dernier, à Aguas Calientes dans la vallée du Polochic au Guatemala, des agents de sécurité d une compagnie privée ont détruit les cultures et ouvert le feu sur des paysans indigènes Q eqchi s qui travaillaient dans leurs champs. Deux mois auparavant, environ 2.500 personnes de 12 communautés rurales avaient été expulsées des terres qu elles cultivaient depuis plus de 30 ans par la police nationale, l armée et des gardes de sécurité employés par cette même compagnie qui contestait la propriété de ces terres. Du jour au lendemain, ces communautés se sont retrouvées sans accès à leurs terres ni à l eau. Toute cette violence découle de la mise en place dans la région d un projet privé de traitement de cannes à sucre destinées à la production d agrocarburants «Ce cas d expulsion forcée de la population locale est un exemple parmi beaucoup d autres autour du globe, principalement en Afrique, Asie et Amérique latine», introduit Stéphane Parmentier, chargé de plaidoyer Souveraineté alimentaire pour Oxfam- Solidarité (voir ci-dessous). Depuis la crise alimentaire de 2008, nous assistons à une nouvelle vague d investissements : d énormes surfaces de terres agricoles (la plupart de plus de 10.000 hectares et certaines de plus de 500.000 hectares) sont achetées ou louées par le biais d accords entre des investisseurs étrangers ou nationaux, privés ou publics, et les États. Communément appelés acquisitions de terres à grande échelle, ces accords ont des impacts sévères sur les droits humains des populations locales, le droit à l alimentation en particulier. «Il s agit de la forme la plus extrême d accaparement de terres, que l on pourrait plus largement définir comme la monopolisation de terres par un acteur étatique ou non-étatique, étranger ou national, à petite ou grande échelle, qui prive de manière illégitime une collectivité ou un individu d accès à la terre, en violation du droit international», explique Stéphane Parmentier. «Ces acquisitions ont généralement lieu sans consultation des populations locales, ni études préalables d impacts sur les droits humains, la sécurité alimentaire, la préservation de la biodiversité ou encore la lutte contre les changements climatiques», poursuit-il. Même si l ampleur exacte du phénomène n est pas entièrement connue, celui-ci s amplifie de jour en jour. D après une recherche menée par la Coalition internationale pour l accès à la terre (ILC), Oxfam et d autres partenaires, plus de 1.200 transactions foncières couvrant plus de 80 millions d hectares (soit 26 fois la superficie totale de la Belgique) sont en cours de négociation ou ont été conclues depuis 2000 - la majorité d entre elles après 2007. Plus de 60% de ces terres se trouvent en Afrique. Que pousse ces investisseurs à recourir à de telles pratiques non durables? Quels en sont les impacts sur les populations locales? Quelle est la réponse apportée au niveau international? Et comment agir en tant que citoyen? Chasser le profit Bien que les principaux responsables de ces investissements soient les pays du Golfe, la Chine et la Corée du Sud, les pays de l Union européenne sont également impliqués dans les acquisitions de terres en Afrique. L Italie, la Norvège, l Allemagne, le Danemark, le Royaume-Uni et la France figurent en effet parmi les plus gros investisseurs directs. «Dans le contexte des crises actuelles, l acquisition de terres est devenue un enjeu stratégique à long terme pour des entreprises agroalimentaires ou du secteur financier et certains États. Et la tendance s accentue», poursuit Stéphane Parmentier. Tout d abord, l aggravation de la crise alimentaire consécutive à la flambée des prix agricoles de 2007-2008 a poussé un certain nombre de pays à privilégier la location ou l achat massif de terres «Dans le contexte des crises actuelles, l acquisition de terres est devenue un enjeu stratégique à long terme» à l étranger afin de garantir à long terme les approvisionnements alimentaires nécessaires à leurs populations. «Il ne s agit pas uniquement de pays en manque de terres, mais aussi de ceux en manque d eau, comme l Arabie saoudite», ajoute Stéphane Parmentier. Parallèlement, au lendemain de la crise financière et compte tenu de la flambée des prix agricoles, les investisseurs privés ont découvert qu acquérir des terres à l étranger et y établir des plantations pour produire des cultures destinées à la fabrication d agrocarburants, de caoutchouc ou encore d huile, pouvait être très rentable. Ces acquisitions de terres sont également renforcées par la politique énergétique européenne actuelle, qui a fixé l objectif d incorporer 10% d énergies renouvelables (dont 95% en agrocarburants) dans les transports d ici 2020. «Aujourd hui, on estime que 20 à 25% des acquisitions de terres à grande échelle sont motivées par la production d agrocarburants», précise Stéphane Parmentier. En outre, sur fond de crise climatique, le commerce du carbone -en vertu duquel les pays ou entreprises qui réduisent leurs émissions au-delà d un certain seuil peuvent vendre leurs excédents de quotas d émissions à ceux qui n atteignent pas leurs objectifs- joue également un rôle grandissant dans l accaparement de terres. À titre d exemple, entre 2000 et 2002, 3 multinationales états-uniennes (General Motors, Chevron et American Electric Power) ont investi 18 millions de dollars US dans l achat de plus de 20.000 hectares de forêt de la côte atlantique du Brésil. Conséquence : les communautés paysannes locales dépendant de la forêt amazonienne pour leurs moyens de subsistance ont été contraintes de quitter les lieux, sous la pression des forces de l ordre. Enfin, «le tourisme de masse, l extraction minière, l industrialisation ou d autres projets d infrastructure sont également à l origine de grands conflits fonciers pour lesquels les compensations sont -quand elles existent- insuffisantes», ajoute Sofia Monsalve Suárez, coordinatrice du programme sur l accès à la terre pour FIAN International (voir ci-dessous). Carte d identité Sofia Monsalve Suárez Carte d identité Stéphane Parmentier Sofia Monsalve Suárez est coordinatrice du programme sur l accès à la terre pour FIAN International (Food Info & Action Network). Nous l avons rencontrée en mai dernier lors d un séminaire sur l accaparement de terres organisé au Parlement fédéral belge. Elle y a effectué une analyse des Directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, des pêches et des forêts (voir ci-après). Stéphane Parmentier est chargé de recherche et de plaidoyer Souveraineté alimentaire pour Oxfam-Solidarité, plus particulièrement sur les questions d accès à la terre. Avant de travailler chez nous, il a abordé pendant plus de 8 ans de nombreuses thématiques agricoles et alimentaires pour Oxfam-Magasins du Monde et la FUGEA (Fédération Unie de Groupements d Eleveurs et d Agriculteurs, membre de la Coordination européenne Via Campesina). 8

Investir dans les zones rurales est certes nécessaire. Mais, très peu contrôlés et inadéquats, ces investissements mènent souvent à des conflits, des évictions forcées et une hausse des prix de la terre et de l eau. WANTED : bout de terre pour vie décente La terre, disponible en quantités limitées, est indispensable pour cultiver. Aujourd hui, environ 38% des terres arables (soit 700 fois la surface de la Belgique!) sont épuisés et voient leur productivité décliner. Et 1 hectare sur 6 est devenu stérile. Les terres agricoles fertiles sont de plus en plus utilisées pour une production non alimentaire et leur prix ne cesse d augmenter. Au niveau mondial, l accès à la terre est caractérisé par de très grandes inégalités, surtout en milieu rural. En Amérique latine, par exemple, près de la moitié des producteurs doivent se partager à peine 2% des terres arables, tandis que 68% de la terre y est détenue par moins de 15% de propriétaires. Pourtant, l accès équitable et sécurisé aux ressources naturelles est une condition sine qua non au développement durable. Il est à la base de nombreux conflits dont les populations locales sont les premières victimes. «Leurs moyens de subsistance sont mis en danger, et donc également leurs conditions de vie : pauvreté, famine, manque d accès au logement, aux soins de santé ou à l éducation», continue Stéphane Parmentier. Près de la moitié des personnes souffrant de la faim dans le monde vivent dans des foyers qui pratiquent l agriculture à petite échelle, et près de 20% de celles-ci sont des paysans et paysannes sans terre. «Les petits producteurs sont aujourd hui victimes de conflits économiques», affirme Sofia Monsalve. «En Amérique latine, les populations de villages entiers ont été expulsées de chez elles et vivent à présent dans les bidonvilles des capitales où elles «Le développement économique d un pays ne justifie en aucun cas la souffrance de sa population» représentent une grande réserve de main d œuvre bon marché pour les projets des investisseurs privés Le développement économique d un pays ne justifie en aucun cas la souffrance de sa population. Nous avons tous droit à une vie décente!» Ces problèmes liés à la terre accélèrent également la destruction des écosystèmes. Visant la rentabilité avant tout et orientées vers le marché international, les grandes acquisitions de terres encouragent un mode de production agro-industriel. «Or, ce mode de production est écologiquement destructif et insoutenable : surexploitation des ressources naturelles, pollution de l environnement, perte de biodiversité et réchauffement climatique dus à l utilisation massive d engrais et de pesticides chimiques», expose Sofia Monsalve. «Sécuriser la gestion des ressources naturelles est donc une question urgente», conclut Sofia Monsalve. Malheureusement, les gouvernements se montrent souvent peu disposés à s attaquer sérieusement au problème d accaparements de terres, auxquels certains d entre eux contribuent même directement Faible gouvernance foncière Si les causes qui contribuent aux acquisitions de terres sont très diverses, c est surtout la faible gouvernance foncière des pays concernés qui les rend possibles. Fondamentalement, ces acquisitions ont lieu lorsque les pouvoirs publics ne mettent pas en œuvre toutes les mesures appropriées pour garantir aux populations locales un accès équitable, sûr et durable à la terre et aux autres ressources naturelles. «Seuls garants légitimes de l intérêt général, les États ont l obligation de respecter, protéger et appliquer les droits humains inscrits dans le droit international. En matière d accès à la terre, cela implique des politiques foncières adaptées et des mesures efficaces de protection des populations locales face aux investisseurs. Malheureusement, la volonté politique fait souvent défaut dans les pays hôtes, qui privilégient le plus souvent les investisseurs», ajoute Stéphane Parmentier. Mais les gouvernements du Sud qui cautionnent les acquisitions de terres dans leur pays ne sont pas les seuls responsables. Un rapport de l Oakland Institute publié en 2010 accuse la Banque mondiale de faciliter l accaparement de terres en Afrique par des groupes privés étrangers à travers ses programmes Accès à la terre et Marché foncier pour l investissement. Les pratiques de la Société financière internationale -filiale de la Banque mondiale- pousseraient les États à modifier leur législation en matière d investissement dans le but de faciliter l implantation de groupes privés issus de pays du Nord. En Afrique de l Ouest, le rapport cite notamment l exemple de la Sierra Leone et du Liberia où «21 modifications ont été opérées sur les textes régissant le foncier en un temps record de 4 mois». Des alternatives Une réponse internationale adéquate nécessaire Les organisations paysannes plaident depuis longtemps déjà pour une profonde réforme agraire ainsi que pour une redistribution des terres en faveur des petits paysans. Dans ce cadre, la lutte contre l accaparement de terres est essentielle. Toute politique d investissement de ce type devrait être conditionnée au respect du droit stipulant que ceux qui travaillent effectivement la terre devraient également en avoir l accès sécurisé (en particulier en reconnaissant le droit foncier des femmes, voir encadré ci-dessous). «Grâce à la mise en place récente du Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale (CSA), les groupes les plus touchés par la faim ont à présent une voix au sein du débat politique international et peuvent entièrement participer aux prises de décisions», met en avant Sofia Monsalve. Renforcer la gouvernance foncière est un des sujets prioritaires du CSA pour fin 2011. Pour la société civile, l initiative actuelle la plus prometteuse à l échelle internationale sont les Directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, des pêches et des forêts lancées il y a plus de deux ans par la FAO. Moins de 2% des terres disponibles au niveau mondial sont détenus par les femmes. Au Brésil, les femmes représentent 57% de la population, mais elles possèdent seulement 11% des terres. Au Népal, 10,8% des terres appartiennent aux femmes. En Ouganda, seulement 7% des femmes ont leurs propres terres. Néanmoins, ce droit à la terre est considéré comme un simple droit d usage, elles ne peuvent prendre aucune décision (sur la vente, la location ou encore le changement d affectation). Source : Her mile - Women s rights and access to land, Action Aid. Femmes & droit à la terre «Les femmes sont les premières victimes de ce mouvement d acquisitions de terres, mais aussi d un manque d accès à la terre en général. Bien souvent, les investisseurs privés privilégient les zones où les droits à la terre et aux autres ressources naturelles sont les moins bien reconnus et protégés. Les femmes sont fortement discriminées en matière d accès au foncier, par exemple lorsqu il s agit de détenir ou d hériter de droits de propriété», insiste Stéphane Parmentier. Les inégalités en milieu rural sont énormes. À cause de traditions et de législations discriminantes, les femmes possèdent en moyenne seulement de 5% (Afrique du Nord et Asie de l Ouest) à 15% de la terre (Afrique subsaharienne). Or, elles se situent en première ligne pour garantir la sécurité alimentaire. 9

Leur objectif est de constituer un cadre de référence international, non contraignant, qui puisse améliorer progressivement les législations foncières et garantir davantage l accès à la terre aux populations locales. Elles vont dans le sens d un renforcement progressif d une régulation par le politique. «Nous pouvons -et devons- demander aux entreprises de rendre des comptes sur leurs pratiques, mais c est aux pouvoirs publics qu il incombe de garantir les droits humains, notamment en matière d accès à la terre», poursuit Stéphane Parmentier. «Il faut appeler les gouvernements du monde entier à se concentrer sur ces Directives lors de la prochaine session du CSA car -à condition qu elles fassent clairement référence au respect des droits humains- elles peuvent devenir un instrument important pour combattre l accaparement de terres», ajoute Sofia Monsalve. Ce ne sera toutefois pas suffisant. Les politiques nationales et régionales doivent être davantage cohérentes et équitables en matière d accès à la terre. Elles devraient par exemple conduire l UE à revoir l objectif fixé d incorporation d agrocarburants dans les transports. Bref, l ampleur des défis à relever est considérable. Agir à notre échelle Il ne suffit pas de dénoncer, il faut aussi agir! Nos modes de consommation peuvent exercer une influence considérable sur les modes de production, de transformation, de conditionnement et de transport des denrées alimentaires. Et donc sur les ressources naturelles de notre planète. En Belgique, ces cas d accaparements de terres qui sévissent dans les pays du Sud peuvent nous paraitre bien lointains Pourtant, la concentration des ressources naturelles est tout aussi inquiétante chez nous. «Notre alimentation est industrielle et provoque de nombreux problèmes de santé publique : surpoids, diabète ou encore allergies. Nos pouvoirs publics font en sorte que cette alimentation soit la moins chère possible, nous poussant alors à manger ce que les supermarchés nous offrent à petits prix», dénonce Sofia Monsalve. «Afin de changer nos systèmes agricole et alimentaire, nous allons avoir besoin de connaissances paysannes respectueuses de notre environnement. Mais, si nous perdons aujourd hui tous ces savoirs, comment allons-nous les transmettre demain à nos enfants? L agriculture est une question vitale pour chacun d entre nous!», conclut-elle. La pression de l opinion publique -notre pression à chacun- est un outil puissant pour contraindre les gouvernements et les organes intergouvernementaux de rendre des comptes quant à leurs politiques. Rejoignez la campagne Des milliers de Belges cultivent déjà des solutions La campagne CULTIVONS. La terre. La vie. Le monde est entrée dans son rythme de croisière : lancement international réussi le 1er juin et multitude d actions sur les festivals cet été. Des milliers de Belges sont déjà cultiv acteurs. Mais ce n est pas tout! En septembre, nous augmentons la pression sur les gouvernements et entreprises afin de stopper les accaparements de terres. Via une action internationale ciblée, nous voulons convaincre une entreprise d arrêter d acheter de grandes surfaces de terres et de les enlever ainsi des mains des communautés locales. Laquelle? À découvrir mi-septembre sur www.cultivons.be. Dès l automne, tous les magasins Oxfam de seconde main et de commerce équitable uniront leurs efforts pour défendre le droit à l alimentation. Partout en Belgique, ils inciteront à devenir cultiv acteurs. La Journée mondiale de l alimentation du 16 octobre clôturera ensuite une semaine bouillante en actions. Vous l entendrez non seulement dans nos magasins, mais aussi dans la rue et la presse : nous avons tous droit à l alimentation! Ces actions viendront renforcer le message que nous relayerons aux responsable politiques : l agriculture paysanne durable doit être renforcée. Faites le premier pas maintenant : devenez cultiv acteur sur www.cultivons.be «L agriculture est une question vitale pour chacun d entre nous!» En novembre, il sera alors temps de nous préparer pour la Conférence des Nations Unies sur le Climat à Durban. Découvrez-en davantage dans notre prochain Globo. À noter déjà : le 3 décembre, Oxfam et la Coalition Climat marcheront à nouveau dans les rues de Bruxelles pour le climat! Texte : Bert Dhondt Ils sont cultiv acteurs! Et vous? An Pierlé : Je reçois chaque semaine un panier bio à la maison. Et le peu de viande que je mange, je ne le gaspille pas! Françoise : Achetons local quand c est possible. Pour le reste, équitable. Respectons les cultivateurs. Ils le méritent! Louis : Je serai à la mobilisation pour le climat le 3 décembre! Sarah : Choisir les commerces de quartier et moins d intermédiaires afin de payer celui qui fournit le plus gros du boulot. Sophie : En tant que citoyenne, j ai le pouvoir de faire changer les choses afin d améliorer la marche du monde. Tout comme An Pierlé, Françoise, Louis, Sarah et Sophie, devenez cultiv acteur! Proposez vous aussi vos propres idées d action au quotidien. Un simple clic : www.cultivons.be 10

Mali La terre, notre outil de travail L accès à la terre est un sujet de plus en plus révoltant au Mali, pour lequel lutte notre nouveau partenaire SEXAGON, le Syndicat des Exploitants Agricoles de l Office du (fleuve) Niger. SEXAGON représente environ 14.000 paysans qui pratiquent la riziculture sur des terres irriguées situées en bordure du fleuve Niger, à environ 250 km de Bamako. Entretien avec Faliry Boly. Quelle est l ampleur du phénomène d accaparement de terres au Mali? Aujourd hui, selon les estimations, environ 600.000 hectares de terres sont accaparées au niveau national. Et d autres demandes s ajoutent chaque jour. Les acteurs qui achètent de grandes surfaces de terres agricoles sont des élites nationales, des États étrangers tels la Chine ou la Libye et des multinationales occidentales. La plupart de ces attributions se déroulent dans la plus grande opacité. Pourquoi tant d investisseurs cherchent-ils à acquérir des terres dans votre région? Au niveau de la zone du fleuve Niger, les terres sont irriguées de façon gravitaire par des canaux via un barrage. Nous n avons donc pas besoin de pomper l eau. En outre, un certain flou existe autour de la législation foncière au Mali. Notre gouvernement encourage les investisseurs privés à exploiter un maximum de terres nationales pour pouvoir assurer l autosuffisance alimentaire du pays. Mais il se trompe de stratégie. Avez-vous des cas en tête? Le cas Malibya, par exemple. Le gouvernement malien a octroyé à cette entreprise libyenne un bail de 50 ans renouvelable portant sur 100.000 hectares de terres arables, sans en informer les populations concernées. En réalité, cette surface -supposée aider «Les Maliens doivent nourrir eux-mêmes le sentiment de se battre pour ce qui leur appartient» Photo SOS Faim Faliry Boly, secrétaire général du SEXAGON, est producteur de riz depuis 26 ans le long du fleuve Niger, dans un des plus grands aménagements hydro-agricoles d Afrique. les paysans à augmenter leur production agricole et atteindre l autosuffisance alimentaire- sera destinée à la culture de riz d exportation pour la Libye Une autre entreprise a offert 160 millions de Francs CFA (environ 244.000 e) pour acheter des cultures de fèves de karité que des femmes récoltaient gratuitement pour faire du beurre qu elles vendaient ensuite sur le marché local. Un projet de canne à sucre est venu couper tous ces arbres alors que le karité est un arbre protégé au Mali et assure des revenus à la population locale. Comment SEXAGON sensibilise-t-il la population face à ces abus? Nous avons notamment organisé un forum à Bamako en novembre 2010 afin de pousser les paysans à témoigner. Ces témoignages, nous les avons ensuite relayé jusqu aux autorités, avec l aide des médias. En tant que syndicat, nous devons nous baser sur des faits solides pour être pris au sérieux. Nous avons aussi effectué des rencontres entre les villages de la région. En Afrique, à tous les niveaux, la population pense que lorsque les autorités prennent une décision, cette dernière ne peut pas être remise en cause. Notre travail est de convaincre la population qu elle peut réagir. Mais il ne suffit pas de critiquer, il faut aussi faire des propositions concrètes. Nous avons donc monté un projet pour lequel nous nous battons : le modèle du paysan investisseur. Pour réaliser cette recherche-action (qui sera disponible fin 2011), nous sommes partis du principe que le paysan doit pouvoir investir. Mais pour trouver cet argent, il faut un crédit à long terme. Nous avons eu accès à un fonds qui pourrait nous permettre ce crédit. Il s agit d un service innovant qui n existe pas encore au Mali. Quelle est la plus belle réussite du SEXAGON? Aujourd hui, les paysans se donnent la main et revendiquent leurs droits grâce à des comités qui germent un peu partout. Ce sont eux -les chefs de village, les femmes, les jeunes- qui organisent les rencontres entre villages! On ne peut pas se battre pour une personne sans sa participation. Les Maliens doivent nourrir eux-mêmes le sentiment de se battre pour ce qui leur appartient. Cette prise de conscience va obliger les autorités à agir de manière plus transparente. Depuis le forum, le gouvernement malien a notamment décidé de limiter les terres octroyées à la Libye à 20.000 hectares. Et, en cas de déplacements de villages suite à des attributions de terres, il demandera de les reconstruire et de les doter d infrastructures (écoles, centre de santé). Nous attendons encore la mise en pratique de ces déclarations, mais le fait de l évoquer est déjà un grand pas. Trop souvent des étrangers ont demandé à des villages entiers : «On nous a attribué vos parcelles. Où et quand allez-vous partir?». Cela doit cesser! Quels sont les défis à venir pour les paysans maliens? Amener le gouvernement à un débat transparent sur le droit foncier (terre et eau) et obtenir un code foncier suffisamment clair pour sécuriser les producteurs et le patrimoine national. Car la terre, c est notre outil de travail. EN LIGNE A LIRE A VOIR www.cultivons.be Site de la campagne CULTIVONS www.farmlandgrab.org Pêle-mêle d études de cas www.rtfn-watch.org Observatoire du droit à l alimentation et à la nutrition www.landcoalition.org Coalition internationale pour l accès à la terre (ILC) www.viacampesina.org Via Campesina www.fao.org Organisation des Nations Unies pour l alimentation et l agriculture Crises alimentaire & climatique : investir dans l agriculture paysanne durable, Dossier politique d Oxfam-en- Belgique, 2011 Pressions sur les terres. Devenir des agricultures paysannes, Alternatives Sud, Entraide et Fraternité, Commission Justice et Paix, CETRI, 2010 Sur www.arte.tv : Planète à vendre! Main basse sur le riz, de Jean Crépu et Jean-Pierre Boris. 11