REVUE FORESTIERE FRANÇAISE 355 PROCESSIONNAIRES Indice bibliographique: F 13.21.85.82 Sous ce nom, on connaît bien, dans certaines régions forestières, des chenilles qui ont l'habitude de circuler en colonnes, de grande longueur parfois, soit sur les arbres, en quête de nourriture, soit sur le sol, à la recherche de lieux propices à la nymphose. Mais elles sont encore mieux connues, souvent, à cause des urtications provoquées au contact des nids ou des larves ou même à distance, quelquefois par un processus qui peut sembler mystérieux. Connues depuis longtemps, ces urtications sont dues à l'implantation dans la peau de poils microscopiques que le vent peut facilement véhiculer. Sous nos climats, deux espèces se partagent le désagréable privilège de troubler, par ce moyen, le séjour" de l'homme et des animaux en forêt ou aux alentours de la forêt, et d'amener une défoliaison plus ou moins complète des arbres avec les répercussions qui en résultent pour leur production en bois et exceptionnellement pour leur vie. LES PROCESSIONNAIRES EN FRANCE Ce sont les lépidoptères de la famille des Thaumetopoeidae: Thaumetopoea (ou Cnethoçampa) processioned L. = processionnaire des chênes. Thaumetopoea (ou Cnethoçampa) pityocampa SCHIFF. = processionnaire des pins, sont signalés en permanence sur notre territoire. La processionnaire des pins est surtout connue au sud d'une ligne joignant Dijon, Orléans, Lorient, alors que la processionnaire des chênes, depuis une dizaine d'années est surtout signalée 'dans la région parisienne et le Nord-Est de la France. Thaumetopoea (ou Cnethoçampa) pinivora FR. = le bombyce pinivore a été signalé en 1905 en forêt de Brotonne. C'est une espèce normale du Nord de l'europe Centrale qui ne se trouve que sporadiquement chez nous.
356 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE CYCLE BIOLOGIQUE _ J.- F, m Zl C A/I/7/&1 r a. m. J. J. a o. s. o «^ ΓΓΙ Bl f ΧΤ7»Λ>!&βς """ '..J, Π,d J 1 cw «J 1 fnîfwifea Processionnaire des pins mi Cl J -, o e o f S C 3 çhenœ.**.' ~1 1 hrrr*f»hes~\ \AMtt.* \ i oaofis ι ι 1 1 1 1 1 1 1 Processionnaire des chênes Pour la processionnaire des chênes, l'éclosion des chenilles correspond, à peu près, au débourrage des chênes rouvre et pédoncule. PONTE Les adultes ont une vie très courte. Nés vers la fin de l'aprèsmidi, ils sont, dès le soir, aptes à la fécondation. La ponte prend place dans les vingt-quatre heures qui suivent l'accouplement. Les femelles de toutes ces espèces déposent leurs œufs en masse et les recouvrent avec les écailles papyracées de l'extrémité de leur abdomen. Dans le cas de la processionnaire des pins, la ponte forme un manchon, de 3 à 6 cm de long et de 5 à 7 mm de diamètre, autour de deux aiguilles accolées. La ponte de la processionnare des chênes forme, sur les jeunes rameaux, une plaque allongée de 2 à 3 cm sur 7 à 10 mm. NIDIFICATION DES CHENILLES Toutes ces chenilles tissent un fil au cours de leurs déplacements. Les chenilles de la processionnaire des pins, dès le début, s'abritent au milieu d'un lacis de fils de soie qui, englobant le bouquet d'aiguilles de l'extrémité d'un rameau, forme une sorte de cage, d'abord à claire-voie, puis de plus en plus opaque, par adjonction'de couches nouvelles qui retiennent, en outre, les déjections et les dé-
PROCESSIONNAIRES 357 pouilles des mues successives. Elles passent là une grande partie de la journée, y séjournent pendant les périodes pluvieuses ou trop froides, et pendant les mues. Si les jeunes chenilles au premier stade abandonnent assez fréquemment leur premier nid, elles restent ensuite fidèles à leur abri à moins que la nourriture ne vienne à manquer sur l'arbre. Elles l'abandonnent enfin, au moment de la nymphose pour, en longues processions, chercher dans le sol un point favorable. Elles s'y enfoncent pour se transformer dans un cocon brunâtre. La processionnaire ne tisse pas de véritable toile ou nid avant les derniers stades. Les chenilles se rassemblent simplement sur le tronc ou les grosses branches souvent au niveau des fourches pour passer la journée ou subir leurs mues. La transformation en chrysalide, dans un cocon analogue à l'espèce précédente, a lieu sous une toile lâche appliquée au tronc ou à de grosses branches, qui retient ici aussi les dépouilles larvaires porteuses de poils urticants. Au voisinage des places de mues restent aussi accrochées un certain nombre de dépouilles des mues précédentes. URTICATIONS PROVOQUÉES PAR LES CHENILLES Ces larves dont le corps porte de longs poils disséminés présentent, en outre, sur la partie dorsale de certains anneaux de l'abdomen, un groupe de quatre plaques correspondant à un simple épaississement de la chitine, sur lesquelles sont fixées des brosses de poils microscopiques, dorés et barbelés, liés à des glandes secrétrices sous-épidermiques. Les contractions des muscles de l'animal, inquiété pour une raison quelconque, provoquent la saillie ou le chevauchement des plaques. Les poils se trouvent arrachés et leur dissémination est extrêmement facile. Par leur extrémité particulièrement acérée, ils inoculent, dans la peau ou les muqueuses, des produits urticants qui provoquent la formation de cloques analogues à celles des piqûres d'ortie, ou un gonflement de la peau et des démangeaisons très vives. Portés par les courants d'air, ces poils se fixent sur la peau. Ils s'accumulent de préférence au niveau du col ou des poignets des vêtements. Ils peuvent aussi, véhiculés par le vent, s'accrocher sur le linge, mis à sécher en plein air, et provoquer alors, chez les jeunes enfants surtout, des éruptions qui ; sans être graves, peuvent les incommoder quelque peu. Dans la règle générale, les démangeaisons et enflures durent ou persistent pendant vingt-quatre heures au maximum et disparaissent sans laisser de trace. Ces poils conservent leurs propriétés pendant longtemps, quand ils sont préservés de l'humidité ; c'est ce qui peut se produire pour la processionnaire du chêne dont les places de mues et la toile de nym-
358 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE phose fixées sur le tronc ou les grosses branches laissent, même après enlèvement, des débris urticants accrochés dans les fissures de l'écorce ou dans les mousses ou lichens qui la recouvrent. La manipulation de bois de chauffage, exploité dans ces conditions, empilé à l'abri dans les greniers, peut ainsi provoquer des urtications désagréables, longtemps après sa sortie de la forêt. LUTTE CONTRE LES PROCESSIONNAIRES Récolte. C'est le procédé le plus primitif et employé depuis longtemps. La récolte en vue de la destruction peut porter sur les œufs. Elle n'est d'abord praticable efficacement que dans les jeunes peuplements. C'est une opération onéreuse en raison de la difficulté de recherche de ces petites masses de teinte gris jaunasse. Elle n'a d'ailleurs été réalisée que pour la processionnaire des pins, car la processionnaire des chênes dépose plus volontiers ses œufs sur les petits rameaux de la cime des grands arbres. La récolte peut porter sur les nids de la processionnaire qui sont ensuite détruits par le feu. Il faut noter' d'ailleurs que cet enlèvement ne peut se faire qu'autant qu'il n'intéresse pas la flèche même des jeunes arbres. Les nids doivent être jetés dans un brasier très vif, car cette masse compacte de soie et d'excréments plus ou moins humides résiste bien à un feu peu important. Les ramasseurs doivent être munis de gants de caoutchouc et de combinaisons bien fermées. En 1947, le Syndicat des Propriétaires Sylviculteurs du Morbihan a pu faire effectuer des échenillages sur pins attaqués par équipe comportant : 1 chef d'équipe, 4 prisonniers allemands, et disposant de : 2 échelles de 10 mètres, 4 échenilloirs, 4 serpes, 2i scies. Dans un peuplement compris entre 3 et 10 mètres de hauteur, 50 hectares ont été nettoyés en 16 jours. 6.720 nids ont ainsi été détruits. Produits toxiques. Un premier progrès a été réalisé au début du siècle par utilisation de la burette dite de Calas permettant l'injection, dans les nids de processionnaires des pins, d'une petite quantité de pétrole tuant les chenilles. Ce procédé qui ne peut s'appliquer qu'à des arbres de petite taille évite le contact des nids, mais entraîne encore, pour ces hauteurs (4 a 5 m au maximum) une dépense analogue à la récolte des nids.
Ponte de la processionnaire des pins et nid du premier âc;c (Photo R. JOLY) Processionnaire des pins. Nid au denr'er âge (Photo R. JOLY)
*w Ponte de la processionnaire des chênes (Photo BILIOTTI.) Emetteur de brouillard insecticide en forêt de Chevrières (19S1) (Photo Station centrale de Zoologie agricole.)
PROCESSIONNAIRES 359 Anneaux de glu. En 1946, des observations réalisées à Chambéry ont permis de noter que les anneaux de glu disposés sur les arbres, au moment de la descente de nymphose, faisaient obstacle au passage des chenilles qui s'épuisent à chercher sur l'arbre un point où les conditions soient favorables à cette transformation. Pratiquement, faute de trouver des glus actives pendant une pé- riode suffisamment longue et en même temps économiques, le procédé s'avère inutilisable en dehors des parcs éloignés de massifs contaminés, où le petit nombre des arbres peut justifier la dépense. Dans une forêt normale, la dépense atteindrait 25 à 30.000 francs par hectare. Insecticides Les insecticides de contact ont été essayés depuis quelques années en divers lieux. Il semble que D.D.T., esters phosphoriques, rotenone, Pyrethrines soient dans tous les cas efficaces. Sans conclure définitivement, H.C.H. semble, jusqu'à maintenant au moins, donner des résultats très irréguliers. Comme pour tous les traitements antiparasitaires en forêt, deux problèmes se posent : coût de l'opération, fonction des produits et des procédés, action des insecticides sur l'ensemble de la faune et spécialement sur celle des parasites des processionnaires. Depuis plusieurs années, séparément ; et, depuis deux ans en étroite collaboration, le service entomologique de la Station Centrale des Recherches Agronomiques sous la direction de MM. TROUVELOT, GRISON et BiLiOTTi, et la 6 e section de la Station de Recherches forestières se sont attachés aux divers aspects de ces problèmes. Sans attendre la publication détaillée des études en cours, il est peut-être intéressant d'en résumer dès maintenant les principales observations. Du point de vue biologique, les études poursuivies avant 1951 ont permis de montrer que les stades jeunes étaient les plus sensibles. Des observations de 1951, sur les processionnaires des chênes et des pins, confirmant en cela les observations de nombreux autres auteurs dont DUFRENOY en 1919, ont montré que les principaux parasites animaux des chenilles étaient les diptères tachinaires. Les précisions recueillies sur leur biologie ont permis de déterminer les limites de la période, pendant laquelle ces insectes, encore cachés dans leur enveloppe nymphale et à l'abri dans les vieux nids, n'étaient pas sensibles aux insecticides. Elle correspond heureusement, en la réduisant beaucoup, à la période de plus grande sensibilité des chenilles. Pour la processionnaire des chênes, la période idéale (sensibilité des chenilles et tachinaires non écloses) se situe, d'après ces données, dans la région parisienne, dans une période d'une dizaine de jours en fin avril, début mai. Pour la processionnaire des pins, cette période réduite à 5 ou 6 jours se situerait, pour l'hérault, entre le
360 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE 15 et le 25 septembre. Elle correspond, ici aussi, aux premiers stades de la vie larvaire. Du point de vue produits et appareillage, il apparaît, à la lumière des observations précédentes, que le traitement doit être effectué rapidement et d'autant plus que les surfaces seront plus grandes. Ceci élimine, pour les grands massifs forestiers, l'emploi des appareillages à hommes. Les épandages aériens apparaissent, de leur côté, assez irréguliers et surtout comportent une perte importante de produits. Ce fait et l'immobilisation éventuelle d'un matériel coûteux pendant les journées d'intempéries, entraîne des dépenses qui ne sont pas acceptables en culture forestière. C'est pourquoi l'attention s'est portée sur l'utilisation d'un procédé ne mettant en jeu qu'un appareillage simple, facilement transportable en forêt, si possible, et dont l'immobilisation n'entraîne pas de dépenses anormales. Au sol, les efforts de l'industrie se sont orientés vers les poudreurs, les pulvérisateurs à grande puissance, les nébulisateurs, tous appareils encore encombrants et coûteux. La mise au point de fumigènes, porteurs d'insecticides et ne demandant, pour leur mise en œuvre, qu'un appareillage simple de fourneaux de tôle facilement transportables, semble, actuellement, résoudre le problème posé. Les essais effectués en 1951, en liaison entre le Service Forestier, la Station Centrale de Recherches Agronomiques et la Société de Saint-Gobain, donnent une excellente base de départ pour les travaux prévus en 1952. R. JOLY.