Tribunal administratif N 35668a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2015 4 e chambre Audience publique du 3 février 2017 Recours formé par Monsieur...,, contre un acte du major du Bataillon de Chasseurs à Cheval de l armée belge, un acte du commandant du Centre militaire de l armée luxembourgeoise et une décision du ministre de la Défense en matière de stage JUGEMENT Revu la requête inscrite sous le numéro 35668 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 janvier 2015 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, assisté de Maître Paul Eilenbecker, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur..., actuellement sans emploi, demeurant à L-, tendant à la réformation, sinon à l annulation d'un acte du 23 septembre 2014 du major du Bataillon de Chasseurs à Cheval de l armée belge suivant laquelle «il n a pas réussi sa formation professionnelle Officier Recce», d un acte du commandant du Centre militaire de l armée luxembourgeoise du 26 septembre 2014, par laquelle le ministre de la Défense a été prié de mettre un terme au stage de l intéressé et d une décision du ministre de la Défense du 6 octobre 2014 décidant que le stage de l intéressé était arrivé à échéance le 30 septembre 2014, entraînant que son maintien dans l armée n était pas possible à l issue dudit stage ; Vu le jugement du tribunal administratif du 7 octobre 2015, inscrit sous le numéro 35668 du rôle, par lequel le tribunal administratif s est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre un acte du 23 septembre 2014 du major du Bataillon de Chasseurs à Cheval de l armée belge suivant lequel «il n a pas réussi sa formation professionnelle Officier Recce», un acte du commandant du Centre militaire de l armée luxembourgeoise du 26 septembre 2014, par lequel le ministre de la Défense a été prié de mettre un terme au stage de Monsieur... et une décision du ministre de la Défense du 6 octobre 2014 décidant que le stage de Monsieur... était arrivé à échéance le 30 septembre 2014, entraînant que son maintien dans l armée n était pas possible à l issue dudit stage, a reçu en la forme le recours subsidiaire en annulation en ce qu il est dirigé contre la décision du ministre de la Défense du 6 octobre 2014 en le déclarant irrecevable pour le surplus, a déclaré irrecevable la demande tendant à la communication d informations quant à une procédure pendante en Belgique et, avant tout autre progrès en cause, a soumis à la Cour constitutionnelle une question, tout en réservant les frais, ainsi que la demande en allocation d une indemnité de procédure sollicitée par le demandeur ; Vu l arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mars 2016, inscrit sous le n 00121 du registre ; Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel Baulisch et Monsieur le 1
délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives. Par information adressée au «chef d Etat-Major» en date du 23 septembre 2014, le major..., chef de corps a.i. du Bataillon de Chasseurs à Cheval de.../belgique, communiqua les résultats obtenus par le sous-lieutenant... à l issue de sa formation professionnelle «officier des Ground Reconnaissance». Il se dégage de cette information qu au regard de ces résultats, il conviendrait de retenir que le sous-lieutenant... n avait pas réussi sa formation professionnelle «Officier Recce». Le 26 septembre 2014, le colonel R...., en sa qualité de commandant du Centre militaire, s adressa au Général, chef d Etat-Major de l Armée luxembourgeoise, pour lui demander d intervenir auprès du ministre de la Défense afin qu il soit mis fin au stage de Monsieur... Par lettre du 6 octobre 2014, le ministre de la Défense informa Monsieur... de ce qu après son double échec à l école d application, son «maintien dans l Armée n est pas possible à l issue de votre stage, qui est arrivé à échéance le 30 septembre 2014». Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2015, inscrite sous le numéro 35668 du rôle, Monsieur... a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l annulation 1) de la décision du «ministère des affaires étrangères et européennes direction de la défense» du 6 octobre 2014 portant sur son élimination définitive de l armée ; 2) de la «décision» du commandant du Centre militaire du 26 septembre 2014 et 3) de la «décision» du chef de corps du Bataillon de Chasseurs à Cheval de... du 23 septembre 2014. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 35669 du rôle, il a sollicité le sursis à exécution de ces trois actes critiqués dans le cadre du recours au fond, en attendant l issue de son recours au fond. Par ordonnance du 20 janvier 2015, inscrite sous le numéro 35669 du rôle, le président du tribunal administratif a rejeté la demande en institution d un sursis à exécution pour ne pas être justifiée, au motif que la preuve d un préjudice grave et définitif n était pas rapportée en cause, indépendamment du caractère sérieux des moyens invoqués en cause. Par jugement du 7 octobre 2015, inscrit sous le numéro 35668 du rôle, le tribunal administratif s est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre un acte du 23 septembre 2014 du major du Bataillon de Chasseurs à Cheval de l armée belge suivant lequel «il n a pas réussi sa formation professionnelle Officier Recce», un acte du commandant du Centre militaire de l armée luxembourgeoise du 26 septembre 2014, par lequel le ministre de la Défense a été prié de mettre un terme au stage de Monsieur... et une décision du ministre de la Défense du 6 octobre 2014 décidant que le stage de Monsieur... était arrivé à échéance le 30 septembre 2014, entraînant que son maintien dans l armée n était pas possible à l issue dudit stage, a reçu en la forme le recours subsidiaire en annulation en ce qu il est dirigé contre la décision du ministre de la Défense du 6 octobre 2014 en le déclarant irrecevable pour le surplus, a déclaré irrecevable la demande tendant à la communication d informations quant à une procédure pendante en Belgique et, avant tout autre progrès en cause, a soumis à la Cour constitutionnelle une question de la teneur suivante : «L article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l organisation militaire, telle que modifiée par la loi du 21 décembre 2007, en ce qu il habilite le pouvoir réglementaire à prendre un règlement grand-ducal afin de déterminer les modalités concernant les conditions de recrutement, de formation et d avancement des officiers, des sous-officiers, du personnel militaire de carrière de la musique militaire, des caporaux, des 2
infirmiers diplômés ainsi que des membres de la section de sports d élite de l armée tout en renvoyant en ce qui concerne le stage à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l Etat, est-il conforme aux articles 96 et 32, paragraphe 3 de la Constitution?». La Cour constitutionnelle, après avoir recadré la question préjudicielle lui soumise par le jugement précité du tribunal administratif du 7 octobre 2015 pour lui donner la teneur suivante : «L article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l organisation militaire, tel que modifié par la loi du 21 décembre 2007, en ce qu il habilite le pouvoir réglementaire à prendre un règlement grand-ducal afin de déterminer les modalités concernant les conditions du stage des officiers de l armée, tout en renvoyant, en ce qui concerne le stage, à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l Etat, est-il conforme aux articles 96 et 32, paragraphe 3, de la Constitution?», a décidé, dans son arrêt du 11 mars 2016, inscrit sous le numéro 00121 de son registre, que l article 10 de la loi du 23 juillet 1952 concernant l organisation militaire, modifiée par la loi du 21 décembre 2007 et renvoyant à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l Etat, n est pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution, en ce qu il ne précise ni les fins, conditions et modalités du déroulement du stage des officiers, soit au Luxembourg, soit à l étranger, ni celles de l examen de fin de stage. Malgré le fait que lors de l audience de la présente chambre du tribunal administratif du 4 octobre 2016 des délais avaient été fixés afin de permettre tout d abord au gouvernement et ensuite à la partie demanderesse de prendre des mémoires supplémentaires afin de prendre position par rapport aux conclusions retenues par l arrêt précité de la Cour constitutionnelle, aucune des parties n a fait usage de l autorisation ainsi émise par le tribunal, et ce, malgré le fait que le gouvernement avait initialement sollicité, par un courrier du 27 mai 2016, la fixation d un échéancier afin de lui permettre de prendre position par rapport audit arrêt de la Cour constitutionnelle. Au cours de l audience des plaidoiries, les parties ont toutefois été d accord pour renoncer à la rédaction de mémoires écrits, en estimant que l affaire était suffisamment instruite pour être prise en délibéré. Quant au fond, il échet de rappeler d abord, à ce stade, que, par le jugement précité du tribunal administratif du 7 octobre 2015, le recours sous examen n a été déclaré recevable qu en ce qui concerne la seule décision prise par le ministre de la Défense en date du 6 octobre 2014, libellée comme suit : «( ) je suis au regret de vous confirmer que, conformément à l article 4.2.h) du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d avancement des officiers de l Armée, qui stipule qu en cas de double échec à l école d application «un nouvel échec entraîne l élimination définitive du candidat», votre maintien dans l Armée n est pas possible à l issue de votre stage, qui est arrivé à échéance le 30 septembre 2014». Le tribunal avait encore retenu dans son jugement précité que le courrier en question contenait deux éléments décisionnels distincts, de nature à affecter directement la situation personnelle et patrimoniale du demandeur, en ce que le ministre avait clairement exprimé sa volonté de mettre un terme à l engagement du demandeur au sein de l armée luxembourgeoise, après avoir constaté l échec de celui-ci à sa formation professionnelle. 3
Il échet en outre de rappeler que dans son jugement précité du 7 octobre 2015, le tribunal a retenu que la décision ministérielle sous examen est exclusivement basée sur le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d avancement des officiers de l Armée, ci-après dénommé le «règlement grand-ducal du 25 janvier 2011», et plus particulièrement sur l article 4.2.h) dudit règlement grand-ducal, en relevant qu aucune autre base légale ou réglementaire ne se dégage du courrier sous examen du 6 octobre 2014. Ceci ayant été retenu, le tribunal a ensuite décidé de traiter par priorité le moyen tiré de l illégalité, sinon de l inconstitutionnalité du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011, tel que soulevé par le demandeur. En effet, le demandeur avait soutenu, dans ce contexte, que le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 aurait été pris sur base d une disposition légale habilitante contraire à l article 96 de la Constitution qui détermine que «Tout ce qui concerne la force armée est réglée par la loi». Il avait ainsi estimé que l article 10 de la loi du 23 juillet 1952 concernant l organisation militaire, telle que notamment modifiée par une loi du 21 décembre 2007, et qui constitue la seule base légale sur le fondement de laquelle a été pris le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011, en autorisant expressément le pouvoir exécutif à réglementer les conditions de recrutement, de formation et d avancement à la carrière d officier militaire et en ne traçant en aucune façon le cadre et les principes devant gouverner le recrutement, la formation ainsi que l avancement à la carrière des officiers, de sorte à déléguer intégralement sa compétence au pouvoir exécutif, contreviendrait ainsi à l article 96 de la Constitution qui interdirait justement une telle pratique. En effet, la réserve de la loi, telle que prévue par la Constitution, prohiberait les habilitations générales, tout en ne faisant pas obstacle à une habilitation plus spécifique qui serait toutefois inexistante en l espèce. Le demandeur avait ainsi demandé au tribunal, au cas où il aurait un doute quant à la constitutionnalité de l article 10 de la loi précitée du 23 juillet 1952, de soumettre à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle quant à la conformité de l article 10, alinéa 1 er de ladite loi par rapport aux articles 32, paragraphe 3 et 96 de la Constitution. Dans son jugement précité du 7 octobre 2015, le tribunal a encore retenu que le règlement grand-ducal du 25 janvier 2007 comprenant des dispositions quant au recrutement des officiers de l armée, à l accès à la carrière de l officier de l armée et aux conditions d avancement a été pris en application de l article 10 de la loi précitée du 23 juillet 1952, telle que modifiée par celle du 21 décembre 2007. Il a ensuite estimé, qu au vu de la généralité de la disposition habilitante telle que figurant à l article 10 précité, se posait la question de savoir si tant l article 96 et surtout l article 32, paragraphe 3 de la Constitution avaient été respectés, à savoir si ledit article 10 avait prévu un «cadrage normatif» suffisamment précis, en disposant qu en ce qui concerne notamment les fins, les conditions et les modalités, les éléments non compris par ladite disposition légale habilitante pouvaient être réglés par des règlements et arrêtés pris par le Grand-Duc, étant relevé que cette disposition légale renvoie également, en ce qui concerne le stage, à la loi précitée du 16 avril 1979. Après avoir constaté le libellé très large et vague de l article 10 précité, en ne formulant pas de manière détaillée les modalités et conditions de recrutement, de formation et de stage des officiers de l armée et en ne déterminant pas le cadre général dans lequel le pouvoir exécutif est autorisé à fixer les modalités de détail en la matière, et en renvoyant uniquement en ce qui concerne le stage, à la loi précitée du 16 avril 1979, le tribunal a estimé dans son jugement précité du 7 octobre 2015 que la question soulevée par le demandeur n était pas dénuée de pertinence. En outre, le tribunal a estimé que cette question devrait nécessairement être résolue afin qu un jugement puisse être rendu en la présente affaire, étant donné qu au cas où la disposition légale habilitante serait déclarée contraire à la Constitution, elle ne pourrait pas servir de base légale au 4
règlement grand-ducal du 25 janvier 2011, ce qui entraînerait l annulation de la décision sous examen, pour défaut de base légale valable, en ce que celle-ci s est exclusivement basée sur ledit règlement grand-ducal. C est ainsi que par le jugement précité du 7 octobre 2015, le tribunal avait soulevé une question préjudicielle à soumettre à la Cour constitutionnelle que cette dernière a reformulé, dans son arrêt précité du 11 mars 2016, de manière à lui donner la teneur telle qu énoncée ci-avant. En réponse à la question ainsi reformulée par la Cour constitutionnelle elle-même, celle-ci a décidé que l article 10 de la loi précitée du 23 juillet 1952, telle que modifiée par loi du 21 décembre 2007, tout en renvoyant à la loi précitée du 16 avril 1979, n était pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution, en ce qu il ne précise ni les fins, conditions et modalités du déroulement du stage des officiers, soit au Luxembourg, soit à l étranger, ni celles de l examen de fin de stage. En application de l arrêt précité de la Cour constitutionnelle, il échet partant de retenir que l article 10 de la loi du 23 juillet 1952, telle que modifiée par la suite, n a pas pu servir de base légale au règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 en application duquel a été prise la décision sous examen du 6 octobre 2014. Or, en application de l article 95 de la Constitution, le juge est appelé à contrôler si une norme réglementaire incriminée est conforme aux lois, et le cas échéant, à en écarter l application. Ainsi, en cas de violation d une disposition légale par un règlement grand-ducal, le juge est obligé à en refuser l application dans un cas concret 1. Il en découle partant que dans la mesure où le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 a été pris sur base d une disposition habilitante non conforme à la Constitution, il échet de conclure à l illégalité dudit règlement grand-ducal. Or, tel que relevé ci-avant, ce règlement grand-ducal, et plus particulièrement l article 4.2.h) de celui-ci, constitue le seul fondement de la décision sous examen du 6 octobre 2014. Au vu de l illégalité de la base réglementaire ainsi constatée, et du fait qu aucune autre base légale ou réglementaire de nature à justifier la décision en question n a été invoquée en cause, il échet de conclure à l annulation de la décision déférée du 6 octobre 2014. Dans la requête introductive d instance, le demandeur a encore sollicité l allocation d une indemnité de procédure de 3.500 sur base de l article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Une demande d allocation d une indemnité de procédure qui omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise surtout pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante est à rejeter, la simple référence à l article de loi applicable n étant pas suffisante à cet égard 2. En l espèce, la partie demanderesse n ayant pas spécifié en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge l intégralité des frais exposés en vue de l introduction du présent recours, la demande en question est à rejeter comme n étant pas fondée. Par ces motifs, 1 v. trib. adm. 13 mai 2013, n 32199 du rôle, Pas. adm. 2016, V Lois et Règlements, n 85 2 Cour adm. 1 er juillet 1997, n 9891C du rôle, Pas. adm. 2016, V Procédure contentieuse, n 982 et autres références y citées 5
le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l égard de toutes les parties à l instance ; vidant le jugement du tribunal administratif du 7 octobre 2015, inscrit sous le numéro 35668 du rôle ; déclare le recours en annulation fondé en ce qu il est dirigé contre la décision du ministre de la Défense du 6 octobre 2014 et annule celle-ci ; rejette la demande en allocation d une indemnité de procédure formulée par le demandeur ; condamne l Etat aux frais. Ainsi jugé par : Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l audience publique du 3 février 2017 par le premier vice-président, en présence du greffier Xavier Drebenstedt. s. Xavier Drebenstedt s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 03/02/2017 Le Greffier du Tribunal administratif 6